La démission du président de la Banque mondiale doit inciter les pays à rompre tous les accords avec les institutions de Bretton Woods

11 janvier 2019 par CADTM International


À gauche, Jim Yong Kim, alors président de la Banque mondiale, au côté de Robert Azevedo, directeur de l’Organisation mondiale du commerce - 30 juin 2015 (Photos : © WTO/Studio Casagrande - Flickr)

Ce lundi 7 janvier 2019, Jim Yong Kim, président de la Banque mondiale (BM), a annoncé sa démission. Kristalina Georgieva, actuelle Directrice générale de l’institution, assurera l’intérim dès le 1er février avant d’être remplacée lorsque le président des États-Unis, Donald Trump, désignera son successeur. Tout un symbole pour cette institution anti-démocratique œuvrant à l’encontre des intérêts des populations de la planète.



Le président de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, Jim Yong Kim, a déposé sa démission qui sera effective au 1er février 2019. JY Kim avait été nommé à son poste en juillet 2012 par Barack Obama, et Donald Trump l’y a maintenu. Trump a développé avec Kim des intérêts privés notamment par l’intermédiaire de membres de sa famille. JY Kim quitte son poste à la Banque mondiale pour rejoindre un grand fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. privé spécialisé dans le domaine des infrastructures [1].

Si le Conseil d’administration de la BM est censé élire son président pour un mandat de cinq ans, une règle tacite impose en réalité que ce poste soit réservé à un représentant des États-Unis, directement désigné par le président étasunien, au mépris de tout principe démocratique. Depuis 1946, douze hommes ont été nommés au poste, tous de nationalité étasunienne [2].

Une autre expression de l’influence des États-Unis au sein de cette institution réside dans les profils des « heureux élus », toujours très liés au grand capital, notamment financier. Se finançant très largement par l’émission de titres, la Banque mondiale est ainsi très dépendante, économiquement et politiquement, de ces mêmes banques et autres grands organismes financiers privés étasuniens. Dirigeant de la BM entre 1981 et 1986, Alden W. Clausen était président de la Bank of America – alors très fortement engagée dans la crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde – juste avant et juste après son passage dans l’institution. Robert Zoelick occupait un poste majeur à la Goldman Sachs avant d’effectuer son mandat à la BM en pleine crise financière de 2007 à 2012. De même que Robert S. McNamara, ancien dirigeant de Ford Motor Company, participa allégrement au financement de régimes dictatoriaux et corrompus durant la guerre froide, au Vietnam et en RDC par exemple, tant lorsqu’il était secrétaire d’État à la Défense sous John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson que sous sa présidence de la BM entre 1968 et 1981 [3].

La domination des États-Unis et de leurs alliés sur l’institution se poursuit. D’autres pays représentant 80 % de la population mondiale n’atteignent même pas 50 % des droits de vote

S’il jouissait d’une image plus policée de par sa formation universitaire en médecine et en anthropologie, JY Kim ne dérogeait pas à ces principes bien ancrés dans l’institution. En atteste notamment la politique structurelle qu’il a mené au sein de la BM depuis 2012. L’augmentation de capital de 10,5 milliards d’euros, validée en avril 2018 [4], a certes vu une redistribution des droits de vote au sein de l’institution, mais sans que cela ne remette en cause fondamentalement son fonctionnement. Disposant toujours de 16,89 % des voix, les États-Unis conservent de facto leur droit de veto (en cas de vote, il faut réunir une majorité équivalent à 85 % des voix pour qu’une décision soit prise). La domination des États-Unis et de leurs alliés sur l’institution se poursuit. D’autres pays représentant 80 % de la population mondiale n’atteignent même pas 50 % des droits de vote.

Plus largement, alors que le système capitaliste, principal responsable du réchauffement climatique et des inégalités entre les pays et au sein des pays, entrait en difficulté après la crise de 2007-2008, la BM de JY Kim a renforcé l’emprise des acteurs du grand capital financier par l’augmentation de ses prêts, désormais pratiqués aux taux du marché [5].

JY Kim a aussi œuvré à la promotion du « shadow banking Shadow banking La banque de l’ombre ou la banque parallèle : Les activités financières du shadow banking sont principalement réalisées pour le compte des grandes banques par des sociétés financières créées par elles. Ces sociétés financières (SPV, money market funds…) ne reçoivent pas de dépôts ce qui leur permet de ne pas être soumises à la réglementation et à la régulation bancaires. Elles sont donc utilisées par les grandes banques afin d’échapper aux réglementations nationales ou internationales, notamment à celles du comité de Bâle sur les fonds propres et les ratios prudentiels. Le shadow banking est le complément ou le corollaire de la banque universelle.  » et de la titrisation Titrisation Technique financière qui permet à une banque de transformer en titres négociables des actifs illiquides, c’est-à-dire qui ne sont pas (ou pas facilement) vendables. Initialement, cette technique a été utilisée par les établissements de crédit dans le but de refinancer une partie de leurs prêts à la clientèle. Les prêts sont cédés à un véhicule juridique qui émet en contrepartie des titres (généralement des obligations) placés sur les marchés financiers. Avec la titrisation, les risques afférents à ces crédits sont transférés des banques aux acheteurs. Cette pratique s’étend aujourd’hui à d’autres types d’actifs et d’acteurs (portefeuilles d’assurances, immobilier, créances commerciales).

(extrait de Adda, p. 101, t. 1, 1996, p. 101-102)
Cette notion décrit la prépondérance nouvelle des émissions de titres (obligations internationales classiques émises pour le compte d’un emprunteur étranger sur la place financière et dans la monnaie du pays prêteur, euro-obligations libellées dans une monnaie différente de celle de la place où elles sont émises, actions internationales) dans l’activité des marchés. A quoi s’ajoute la transformation d’anciennes créances bancaires en titres négociables, technique qui a permis aux banques d’accélérer leur désengagement à l’égard des pays en voie de développement après l’irruption de la crise de la dette.
La caractéristique principale de cette logique de titrisation est la diffusion du risque qu’elle permet. Diffusion numérique tout d’abord, puisque le risque de défaut des emprunteurs cesse d’être concentré sur un petit nombre de banques transnationales en relation étroites les unes avec les autres. Diffusion qualitative ensuite, puisque chacune des composantes du risque afférent à un titre particulier peut donner lieu à la création d’instruments spécifiques de protection négociables sur un marché : contrats à terme pour se prémunir du risque de change, contrats de taux d’intérêt pour faire face au risque de variation des taux, marchés d’option négociables, etc. Cette prolifération des instruments financiers et des marchés dérivés donne aux marchés internationaux l’allure d’une foire aux risques, selon l’expression de Charles Goldfinger.
– au cœur de la grande crise de 2007-2008 – pour financer le développement [6], tout en intensifiant le recours au secteur privé via la Société financière internationale (SFI), filiale de la BM réputée pour ses liens étroits avec les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
. La BM et JY Kim n’ont ainsi toujours pas tiré les leçons de l’échec cuisant des plans d’ajustement structurel et poursuivent le démantèlement et l’affaiblissement des structures publiques au profit d’entreprises privées dont les projets se traduisent par de graves infractions aux droits humains : accaparement des terres, répression, déplacement de populations [7], arrestations arbitraires ou meurtres afin de faire taire les mouvements de protestation [8].

Jim Yong Kim n’a en rien réformé la Banque mondiale en renforçant notamment l’emprise des acteurs du grand capital financier par l’augmentation de ses prêts, désormais pratiqués aux taux du marché

Défendant plus directement les intérêts de la plus grande puissance politique mondiale, en mai 2017 JY Kim participait aux côtés d’Ivanka Trump, fille du président misogyne milliardaire, à un voyage d’affaires en Arabie saoudite, allié politique historique des États-Unis. Cette visite a permis à la monarchie saoudienne, ultra-réactionnaire et piétinant les droits des femmes en permanence, de s’offrir une image progressiste à peu de frais, à travers une promesse de don au profit de la Women Entrepreneurs Fund. Bien sûr, c’est l’objectif même de ce fonds, lancé sous l’égide d’Ivanka Trump, de JY Kim et de Justin Trudeau, que de participer à l’accumulation de capital au niveau global en prétendant faire avancer l’émancipation des femmes.

Contrairement au portrait flatteur que certains lui prêtent, JY Kim n’a donc en rien réformé la Banque mondiale, qui défend depuis toujours les intérêts du capital et des pays les plus riches et puissants (États-Unis, Canada, Europe occidentale et Japon en tête) aux dépens des droits humains et de la préservation de la planète.

Suite à l’annonce de la démission de JY Kim et eu égard à la politique destructrice qui a sans exception été appliquée par la Banque mondiale depuis 1946, le réseau CADTM International :
- dénonce l’influence des États-Unis, de leurs alliés et du grand capital au sein de cette institution ;
- dénonce la très faible représentation des positions des pays dits « du Sud » dans les prises de décision ;
- rappelle que la Banque mondiale est un acteur majeur des problèmes politiques et économiques traversés par les peuples de la planète au travers notamment de l’imposition et l’approfondissement :

- dénonce qu’en dépit de son caractère justiciable en vertu de la Convention des Nations unies de 1947 et de ses annexes, la Banque mondiale se place au-dessus des lois et des peuples en ne daignant jamais faire face à ses responsabilités devant les instances de justice compétentes [10] alors même qu’elle se retrouve régulièrement accusée de corruption, falsification de données, déni des droits humains fondamentaux et autres comportements répréhensibles ;
- affirme qu’en conséquence, la Banque mondiale ne peut en aucun cas représenter un allié pour les peuples du monde face aux défis climatiques, sociaux, politiques et économiques auxquels ils doivent faire face.


C’est pourquoi le réseau CADTM International appelle au renforcement des actions et mobilisations visant à :

Le réseau CADTM international, le 11 janvier 2019

Communiqué disponible également en arabe :
http://arabic.cadtm.org/2019/01/15/%D8%A8%D9%8A%D8%A7%D9%86-%D8%AD%D9%88%D9%84-%D8%A7%D8%B3%D8%AA%D9%82%D8%A7%D9%84%D8%A9-%D8%B1%D8%A6%D9%8A%D8%B3-%D8%A7%D9%84%D8%A8%D9%86%D9%83-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%8A/


Notes

[1Voir Mihir Sharma, « Is It Time to Give Up on the World Bank ? », Bloomberg Opinion, 8 janvier 2019, https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-01-08/world-bank-s-jim-yong-kim-had-good-reason-to-resign

[2Voir notamment Éric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’État permanent, p.80.

[3Voir notamment Éric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’État permanent, chapitre 5.

[4Voir le communiqué du 24 avril 2018 de la Banque mondiale, « Groupe de la Banque mondiale : les actionnaires approuvent un programme d’augmentation et de réforme du capital porteur de profonds changements », https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2018/04/21/world-bank-group-shareholders-endorse-transformative-capital-package

[5Ce choix est d’autant plus discutable que, dans le même temps, Banque mondiale et FMI s’inquiètent officiellement d’une nouvelle crise de la dette pour les pays du Sud en raison de l’exposition importante de leurs dettes extérieures aux marchés financiers…

[6Voir notamment Nicolas Sersiron, Banque de l’ombre et titrisation, le cynisme des financiers pour les pays pauvres !, 23 octobre 2018 : http://www.cadtm.org/Banque-de-l-ombre-et-titrisation-le-cynisme-des-financiers-pour-les-pays

[7Voir notamment Eric Toussaint, Le soutien de la Banque mondiale au déplacement forcé de population, 18 avril 2015 : http://www.cadtm.org/Le-soutien-de-la-Banque-mondiale,11538

[8Voir notamment Émilie Paumard, Le FMI et la Banque mondiale ont-ils appris de leurs erreurs ?, 13 octobre 2017 : http://www.cadtm.org/Le-FMI-et-la-Banque-mondiale-ont

[9Voir notamment Rémi Vilain, Nouvelle révolution verte, 19 août 2016 : http://www.cadtm.org/Nouvelle-Revolution-Verte et Sushovan Dhar, Être un paysan indien aujourd’hui : abattu pour avoir réclamé un allègement de sa dette, 3 août 2017 : http://www.cadtm.org/Etre-un-paysan-indien-aujourd-hui

[10Voir Eric Toussaint, Pourquoi il est possible de traduire la Banque mondiale en justice, 16 octobre 2017 : http://www.cadtm.org/Pourquoi-il-est-possible-de,2344 et Renaud Vivien, Banque mondiale, une zone de non-droit protégée par les juges, 23 juillet 2016 : http://www.cadtm.org/Banque-mondiale-une-zone-de-non

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