14 novembre 2014 par Olivier Bonfond
L’article 123 du traité de Lisbonne confirme l’interdiction pour les Etats membres de l’UE d’emprunter directement à la BCE. Cette disposition a creusé un déficit abyssal dans les caisses des Etats. Rien qu’en Belgique, ce sont 186 milliards d’euros d’intérêts qui auraient pu être économisés sur une période de 20 ans…
Depuis la signature du Traité de Maastricht de 1992, les États n’ont plus la possibilité d’emprunter à leur propre banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
ou à la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE). Pour financer leurs déficits, ils doivent donc emprunter aux marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, c’est-à-dire aux grandes banques privées. Cette interdiction d’emprunter directement à la BCE, confirmée par l’article 123 du Traité de Lisbonne, a entraîné un surcoût financier énorme pour les finances publiques des États membres de l’UE.
« Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées banques centrales nationales, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est également interdite. » Article 123 du Traité de Lisbonne (paragraphe 1).
L’infographie suivante montre comment la dette publique aurait évolué depuis 1992 si les pouvoirs publics avaient emprunté exactement les mêmes montants, mais sans passer par les marchés financiers. La courbe du haut (ligne bleue) montre l’évolution de la dette telle qu’elle s’est produite, c’est-à-dire en passant par les marchés financiers. La courbe rose (3e en partant du bas) montre comment la dette aurait évolué si, toute autre chose restant égale, l’Etat belge avait financé ses déficits en empruntant à la Banque nationale de Belgique (BNB) à un taux égal à l’inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison.
. Si tel était le cas, la dette publique belge s’élèverait aujourd’hui à 50% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
et on aurait économisé 186 milliards d’euros d’intérêts sur une période de vingt ans… Prenons un autre exemple : si l’Etat belge avait emprunté à la BCE à partir de 1999 (ligne rouge, 2e en partant du haut), la dette publique belge s’élèverait aujourd’hui à 75% du PIB et l’État belge aurait économisé 90 milliards d’euros de charges d’intérêts.
La BCE doit pouvoir prêter directement aux États
A l’opposé de ceux qui affirment que la dette serait le résultat de dépenses inconsidérées de « l’État providence », il apparaît donc que la politique de financement de la dette publique via les marchés financiers a joué un rôle très important dans l’évolution de la dette publique belge ces vingt dernières années.
C’est, entre autres, ce constat qui a poussé des citoyens et une trentaine de mouvements sociaux belges (FGTB wallonne, CADTM, Vie féminine Bruxelles, etc.) à poser la question de la légitimité de cette dette et à lancer un audit citoyen de la dette. Est-ce réellement aux populations de supporter le coût de la crise alors qu’ils n’en sont pas responsables ? Les populations doivent-elles payer une dette alors qu’elles n’en ont pas profité ? Ces questions méritent d’être posées.
Il est absurde que les États soient contraints d’emprunter aux banques privées à des taux allant de 1 à 6%, alors que ces mêmes banques peuvent emprunter à la BCE à du 0,05%. En faisant passer les intérêts des grandes banques privées avant ceux de la majorité de la population, ce choix politique est économiquement absurde et socialement inacceptable. La BCE doit pouvoir prêter directement aux États.
Afin d’empêcher que les États s’endettent de manière inconsidérée et que la BCE ne se transforme en un puits sans fond, il serait nécessaire de déterminer des critères fixant les conditions dans lesquelles les États peuvent emprunter à ce taux « minimum ». Parallèlement aux critères économiques traditionnels tels que le ratio dette/PIB, le déficit public ou encore l’inflation, d’autres dimensions devraient être prises en compte telles que, par exemple, le respect des droits sociaux dont le droit du travail, le respect des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
européennes en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction de CO2, la lutte contre les inégalités et la corruption, la régulation du secteur financier, etc. Tous ces critères sont quantifiables et font déjà l’objet d’analyses comparatives approfondies au sein des pays de l’UE via des institutions telles que l’OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
ou l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
. Leur prise en compte ne poserait donc pas de problème. Si ces critères ne sont pas respectés, le taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
pourrait alors augmenter, les États pouvant toujours s’adresser aux marchés financiers s’ils le désirent.
A l’heure actuelle, les gouvernements européens en général et le gouvernement allemand en particulier, s’opposent à une telle mesure, notamment parce qu’elle créerait de l’inflation. Si cette critique n’est pas totalement infondée, rappelons que rien n’empêche d’encadrer ou limiter les niveaux de création monétaire. Rappelons aussi qu’aujourd’hui, les politiques d’austérité risquent de plonger l’Europe dans une spirale déflationniste. L’Europe a donc besoin d’inflation, mais aussi et surtout d’investissements massifs pour mettre œuvre une politique de relance de l’activité économique qui soit ambitieuse, efficace et écologiquement responsable.
Source : Carte Blanche publiée dans Le Soir le 14 novembre 2014
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
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