La libération de Gérald Akoumey (militant du Cadtm-Togo) après 14 mois d’emprisonnement à Lomé

21 décembre 2006 par Renaud Vivien




UNE VICTOIRE DE LA MOBILISATION DU RESEAU CADTM ET UN ESPOIR RELATIF POUR LES AUTRES PRISONNIERS POLITIQUES TOGOLAIS

Le 13 décembre dernier, Gérald Akoumey membre du CADTM-TOGO recouvrait enfin sa liberté après avoir été détenu pendant presque 14 mois à la prison de Lomé dans des conditions dégradantes et un mois au CTR (Centre de Traitement de Renseignement) où il a subi de multiples actes de torture. Il aura fallu attendre quatre reports de procès pour que la justice togolaise cède à la pression en relâchant ce prisonnier politique. C’est, en effet, son appartenance au principal parti d’opposition l’UFC (Union des Forces pour le Changement), qui a justifié son emprisonnement, la preuve en est la convocation des avocats de Gérald Akoumey par le Premier Ministre du Togo pour qu’il puissent trouver ensemble une solution politique. Mais refusant de reconnaître l’illégalité de sa détention et donc son droit à réclamer une réparation de son préjudice, le juge a reconnu Gérald Akoumey coupable avec les deux autres accusés « d’association de malfaiteurs et de destruction volontaire de biens » : en cause le plasticage d’un bureau de poste inoccupé de Lomé.

Cette affaire s’inscrit parfaitement dans le contexte politique répressif qui prédomine depuis les élections frauduleuses du 24 avril 2005 qui ont mis le fils du dictateur Eyadema au pouvoir et ont entraîné une vague de violence et de terreur au Togo. Entre 500 et 1000 Togolais (selon les diverses estimations du Haut Commissariat des droits de l’homme et de la Ligue togolaise des droits de l’homme) ont été assassinés par le nouveau régime dictatorial pendant ses élections. On compte pas moins de 40 000 togolais réfugiés au Ghana et au Bénin selon le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR). Enfin, l’UFC, le parti politique auquel appartiennent Gérald Akoumey et les deux autres prévenus, est devenu la cible du gouvernement de Faure Gnassingbé.

Gérald Akoumey a été arrêté le 21 septembre 2005 à 3 heures du matin à son domicile alors qu’il préparait son voyage en Belgique pour participer à un séminaire du réseau CADTM. Les gendarmes ont perquisitionné sa maison invoquant un recel d’objets volés avant de le brutaliser et piller ses affaires personnelles (son passeport, son argent et autres objets de valeur). Il fut immédiatement amené au Centre de traitement des renseignement où il rejoignit les deux autres accusés arrêtés alors qu’ils étaient réfugiés au Ghana depuis 2003 et régulièrement inscrits au HCR et ce, en l’absence de mandat d’arrêt international. Afin qu’il cite des responsables de l’UFC parmi les commanditaires du plasticage de la poste, Gérald Akoumey fut torturé pendant trois semaines dans ce Centre ; ce qui constitue une violation flagrante de la Convention contre la torture que le Togo a ratifié. Aujourd’hui, il lui reste d’importantes séquelles au niveau de la vue notamment puisqu’il fut privé de lumière pendant ces trois semaines et ses problèmes cardiaques se sont accentués.

N’obtenant pas d’information incriminant l’UFC, on décida finalement de le transférer à la prison civile de Lomé le 14 octobre 2005. Là, il retrouva les deux autres accusés et d’autres prisonniers politiques détenus depuis juillet 2005. Gérald Akoumey commença alors à alerter les organisations des droits de l’homme ainsi que le Président du dialogue national du Togo dans une lettre qu’il rédigea le 2 mai 2006 au nom de 10 autres prisonniers politiques sur leur situation qui est en totale contradiction avec les déclarations du Président de la République et du Ministre de la Justice affirmant que tous les prisonniers politiques ont été libérés.

En effet, il existe un fossé entre les déclarations des autorités qui refusent d’admettre la présence de tels prisonniers et qui prônent la réconciliation nationale et la réalité faite d’emprisonnements politiques. Cette réalité fut entre autre constatée par une délégation du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) en mai 2006 qui rapportait que la circulaire du 15 mars 2006 des autorités togolaises imposant la libération et l’arrêt des poursuites judiciaires à l’encontre de tous ceux soupçonnés d’exaction au moment et après les élections d’avril 2005 (sauf pour ceux qui ont commis des crimes de sang) n’était pas appliquée. Or il ne fait aucun doute que Gérald et les deux autres prévenus sont censés bénéficier de l’application de cette circulaire. Dans une lettre datée du 29 novembre 2006, Louis Michel, commissaire européen, a répondu aux interpellations du CADTM en disant que la Commission européenne avait à plusieurs reprises demandé des informations sur la situation de Gérald Akoumey. Cependant, les autorités togolaises profitant de la faible pression exercée par l’Union européenne sur le régime refusaient de les libérer. Au niveau de l’Union européenne, une mission parlementaire ACP-UE s’est rendue au Togo en juin 2006 et a affirmé que « les prisonniers politiques avaient quasiment tous été libérés » alors qu’elle n’a pas visité la prison de Lomé.

Il faudra attendre le 25 octobre 2006 (soit plus d’un an après son arrestation) pour que la justice s’intéresse au cas de Gérald Akoumey et des deux autre accusés. Malheureusement, on assista à des parodies de procès, à des reports en série, jusqu’au verdict du 13 décembre qui condamna Gérald et les deux autres prévenus à une peine de 12 mois de prison ferme pour groupement de malfaiteurs et 6 mois dont 4 de sursis pour destruction volontaire (en tout 14 mois ferme) et à payer à la Poste (qui ne s’est constituée partie civile) 20 millions de FCFA de dommages intérêts [1]. Du coup, le juge fut contraint de les libérer puisqu’ils avaient déjà purgé cette peine. Contrairement à l’indépendance du pouvoir judiciaire inscrite dans la Constitution Togolaise, les magistrats ne sont que les exécutants de la volonté des dirigeants politiques. Ainsi le Procureur a été incapable de prouver quoi que ce soit, y compris, le plasticage de la poste (vide et inoccupé), puisque aucun élément ne permet de croire que le bureau en question ait été plastiqué. Quant au groupement de malfaiteurs, le seul élément démontré est que les trois prévenus se connaissaient car ils appartiennent à l’UFC. Cela suffit-il à constituer un groupement de malfaiteurs ?

Certes au Togo, le ridicule ne tue pas mais la situation est dramatique. Aujourd’hui, la libération de Gérald Akoumey donne de l’espoir aux quinze autres prisonniers politiques qui croupissent dans la prison de Lomé mais ne nous y trompons pas : sa libération résulte principalement de la mobilisation et de la médiatisation faite par le CADTM (à travers les nombreuses lettres envoyées aux organisations des droits de l’homme et aux institutions européennes) et surtout à son soutien financier qui a permis à Gérald de se faire défendre par de très bons avocats. Ces derniers comptent d’ailleurs faire appel du jugement et demander la réparation du préjudice causé à Gérald. Malheureusement, les autres prisonniers politiques n’ont pas cette chance et lorsque vient leur procès, ils sont contraints d’assurer seuls leur défense. Enfin, il est très probable que le régime se durcisse après que le Togo ait reçu les fonds débloqués par l’Union européenne. Aujourd’hui en liberté, la sécurité de Gérald Akoumey est loin d’être garantie. Il nous appartient donc et plus généralement à la Communauté internationale de rester vigilant et de dénoncer les violations de droits humains surtout à l’approche des élections législatives de juin 2007.

Merci à ceux et celles qui parmi vous avaient envoyé des lettres de protestation pour soutenir Gérald Akoumey. Celles et ceux qui souhaitent lui envoyer un message d’encouragement peuvent lui envoyer directement par email à cadtmtogo chez yahoo.fr avec copie à renaud chez cadtm.org.


Notes

[120 millions FCFA correspondent à 20 années de salaire pour un enseignant moyen en Afrique

Renaud Vivien

membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.

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