4 juillet 2018 par Ismail Bello , Otas Belinda
Northern Nigeria women artisans (CC - Wikimedia)
Les syndicats en transformation : Une étude de cas du Syndicat national des travailleurs du textile, de l’habillement et de la confection du Nigeria
Une étude de cas par Ismail Bello
La prédominance du néolibéralisme dans les années 90 en tant que cadre définissant la politique économique [a entraîné] la libéralisation du marché et la déréglementation économique, avec les conséquences qui en découlent pour les industries locales, en particulier, les secteurs du textile et de l’habillement.
Funke Omoniyi Johnson est la fondatrice de Mama Tee Fashion et Saidat Taiwo Oshodi est la fière propriétaire de Sai Tai Enterprises Nigeria Limited. Tous les deux sont des tailleuses indépendantes basées à Lagos, la dynamique capitale commerciale du Nigeria. Entre elles, elles accumulent un total de 55 années d’activité. On pourrait s’attendre à ce que cela suffise à soutenir la croissance de leur entreprise, assurer leur sécurité financière et pourvoir à leur avenir. Et pourtant, elles se battent pour garder la tête hors de l’eau en raison du déclin continu du secteur textile du Nigeria.
C’est pour les tailleurs installés à leur compte comme Johnson et Oshodi que le Syndicat national des travailleurs du textile, de l’habillement et de la confection du Nigeria (NUTGTWN) continue à lutter, dans l’espoir qu’un jour l’industrie retrouve sa gloire d’antan. Toutefois, le NUTGTWN livre également son propre combat pour garder de sa pertinence dans un secteur très imprévisible. Les tailleurs indépendants ont besoin du syndicat pour les défendre sur le front politique, tandis que le NUTGTWN a besoin d’intégrer des travailleurs informels dans ses rangs afin d’assurer sa base de pouvoir et sa pertinence dans le mouvement syndical au sens le plus large.
À son apogée dans les années 1980, l’industrie nigériane du textile était un secteur puissant, dynamique et prospère pouvant se targuer de plus de 150 usines textiles et employant plus de 350.000 personnes. Elle était la troisième en importance en Afrique, après l’Afrique du Sud et l’Égypte et constituait le « deuxième employeur le plus important après le gouvernement », au Nigeria, selon « Les syndicats en transformation : Une étude de cas du Syndicat national des travailleurs du textile, de l’habillement et de la confection du Nigeria », un rapport d’Ismail Bello, Secrétaire général adjoint du NUTGTWN, publié par la fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung (FES).
Avec un taux de croissance annuel de 67 % entre 1985 et 1991 accompagné d’un taux d’emploi de près de 25 % de la main d’œuvre manufacturière du Nigeria, cette période est souvent décrite comme l’« âge d’or » du secteur textile. À cette époque, le NUTGTWN était considéré comme l’un des syndicats les plus puissants et les plus influents du Nigeria. Au faîte de son influence, il comptait plus de 75.000 travailleurs parmi ses membres, ce qui 2 permettait au syndicat de « se mobiliser concernant des questions cruciales telles que les négociations salariales, la défense des droits des travailleurs, l’amélioration des conditions de travail et l’obtention de la justice industrielle pour ses membres », déclare Bello.
Mais « la prédominance du néolibéralisme dans les années 90 en tant que cadre définissant la politique économique », a entraîné « la libéralisation du marché et la déréglementation économique, avec les conséquences qui en découlent pour les industries locales, particulièrement le secteur du textile et de l’habillement. »
Dans son interview avec Equal Times, Bello donne plus de détails : « La situation actuelle a commencé à très grande échelle au milieu des années 1990. En 1997, le Nigeria est devenu l’un des pays signataires de l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
(Organisation mondiale du commerce), ce qui a signifié que le Nigeria a entièrement libéralisé le marché du textile. Auparavant, le marché du textile nigérian était largement préservé et protégé, toutefois, l’adhésion à l’OMC a ouvert l’espace aux importations de textile à une époque où les machines de l’industrie étaient vieillissantes et qu’elles n’étaient pas prêtes pour l’énorme concurrence à laquelle l’industrie a assisté. »
Selon Bello, « l’impact fut spectaculaire et pratiquement immédiat », entraînant des années de fermetures d’usines, de pertes d’emplois et de déclin généralisé. En outre, « les problèmes internes de l’approvisionnement en électricité, de la disponibilité des fonds et de la protection du marché local », sont des facteurs qui ont joué un rôle dans le marasme et la stagnation du secteur.
Une nouvelle stratégie de survie
Au fil du temps, les répercussions de ce déclin se sont fait sentir : une force de travail de plus de 350.000 personnes en 1980 était réduite à environ 27.000 travailleurs en 2016, tandis que le nombre d’adhérents au NUTGTWN baissait de plus de la moitié à environ 35.000 membres. Avec la réduction des adhésions des travailleurs industriels, entraînant une perte de pouvoir et d’influence, le NUTGTWN se devait de changer de stratégie afin d’assurer sa survie. Une stratégie qui contribuerait également à transformer et à renforcer sa position au sein du mouvement syndical du Nigeria ainsi que sa capacité à influer sur les politiques gouvernementales et produire un changement à un moment critique.
Le NUTGTWN décida donc qu’une façon d’atteindre cet objectif consistait à procéder à une réorganisation interne et à « étendre la portée de sa base de membres au-delà des ouvriers d’usine de manière à englober les tailleurs installés à leur propre compte ». « L’idée qu’un syndicat regarde au-delà des murs des usines afin de syndiquer des gens qui travaillent à leur propre compte : ça, c’était nouveau. Il s’agissait de quelque chose qui attirait l’attention et constituait un développement particulièrement frappant », déclare Bello.
Il continue son explication : « Si le syndicat était resté les bras croisés et s’était contenté de regarder [le déclin de l’industrie textile], son pouvoir structurel se serait affaibli. Par conséquent, la syndicalisation des tailleurs indépendants a constitué un moyen de compenser le déclin de pouvoir structurel et renforcer le pouvoir associatif afin de s’assurer que le syndicat garde sa pertinence dans le cadre de la négociation collective et de la représentation des travailleurs. »
Comment donc le NUTGTWN aide-t-il les tailleurs installés à leur propre compte ? Selon Oshodi, il leur donne une voix. « Si vous êtes seul, le gouvernement ne vous écoute pas. Mais lorsque vous avez obtenu l’appui d’un syndicat auquel vous êtes affilié, alors là, le gouvernement vous écoute. Ils parlent aussi en notre nom sur des questions comme la double imposition [taxes fédérales et de l’État] et aussi de l’approvisionnement en électricité. »
Pour Johnson, qui est membre du NUTGTWN depuis plus d’une décennie, le syndicat a constitué un élément central de son développement professionnel : « À part nous syndiquer, ils organisent des séminaires et des conférences de formation en leadership, sur les nouvelles tendances de la mode, les compétences de base en affaires et en finances pour apprendre à survivre quand nous n’avons plus les moyens de continuer à travailler et comment nous profiter les uns des autres. »
Outre l’organisation de formations, Bello déclare que le NUTGTWN aide les tailleurs indépendants en collaborant avec le gouvernement sur les problématiques les plus importantes pour ces derniers. « [Par exemple,] la façon dont les importations illégales de textile influent sur la manufacture textile ; elles affectent également les tailleurs installés à leur propre compte. Si des vêtements sont importés illégalement dans le pays, où les tailleurs auront-ils la possibilité de faire présenter leurs talents ? »
Garantir des espaces de travail convenables et composer avec l’impact des importations étrangères est également une question clé pour les ouvriers informels du textile au Nigeria. Johnson et Oshodi déclarent à Equal Times que leur métier est devenu plus difficile à cause de l’importation de tissus et de vêtements en provenance d’autres pays, en particulier de la Chine, qui a une réputation de contrefaçons de piètre qualité des designs locaux. À la question de savoir si une interdiction des importations chinoises aiderait à revitaliser l’industrie, Oshodi est catégorique. « J’en suis absolument certaine. En Chine, ils ont accès à un approvisionnement en électricité. Nous devons acheter du diesel pour faire tourner nos générateurs et être en mesure d’assurer la production. Cela se traduit par des prix plus élevés. Si le gouvernement venait à notre aide, je pense que l’industrie textile et celle de l’habillement renaîtraient de leurs cendres et tout irait bien pour monsieur et madame Tout le Monde. »
Malheureusement, Bello sait que le défi auquel est confronté le NUTGTWN est la protection de ses travailleurs en l’absence de protectionnisme. « À l’ère de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
, les mains du pays sont déjà liées par toutes sortes d’accords multilatéraux et bilatéraux. Nous travaillons régulièrement avec le gouvernement à tous les niveaux. Récemment, le Gouvernement nigérian a proposé un plan pour une nouvelle révolution industrielle. » Bello souligne que ce plan, qui vise à transformer le Nigeria d’un importateur net de marchandises en une nation manufacturière autosuffisante est « probablement le résultat de notre plaidoyer et du plaidoyer d’autres personnes qui sont préoccupées par la reprise industrielle du Nigeria. »
Bello souligne que le gouvernement doit s’attaquer d’urgence à un certain nombre de problématiques. « Nous pensons qu’il est important que le problème de l’électricité soit résolu et que les importations qui entrent dans le pays le fassent en toute légalité et avec la qualité qui se doit. Elles ne peuvent pas violer les droits d’auteur parce que certains designs sont des conceptions locales qui ont été dérobées puis introduites clandestinement dans le pays. Tous ces éléments détruisent les commerces et affectent l’industrie. »
Par ailleurs, la mise en œuvre est essentielle. « Ce qui nous reste est la capacité d’agir sur la base des idées qui ont été avancées », déclare Bello. Il reste cependant convaincu que l’industrie textile du Nigeria peut redevenir compétitive si un environnement adapté lui est fourni. « En tant que syndicat, nous n’abandonnerons pas. »
Source : ESSF et Freidrich Ebert Stiftung