FSM Dakar 2011
13 février 2011 par Christine Vanden Daelen , Monika Karbowska
Le premier jour du Forum Social Mondial de Dakar, les participant-e-s découvraient que les salles de l’Université Cheik Anta Diop qui devaient être mises à disposition du Forum étaient occupées par des étudiant-e-s. Ils/elles craignaient être dépossédé-e-s de ces salles par le Forum et par conséquent manifestaient quelque réserve voire de l’hostilité à l’égard des militant-e-s altermondialistes. C’est alors que nous avons été interpellé-e-s par une manifestation du mouvement des étudiant-e-s non orienté-e-s. Ces étudiant-e-s ont fait plusieurs marches dans le campus avec comme mot d’ordre « Oui au Forum Social Mondial. Nous réclamons à être orienté-e-s ! l’Etat doit prendre ses responsabilités ! ». Nous avons noué un contact avec ces étudiant-e-s en lutte et avons ainsi découvert leurs véritables conditions de vie et de travail.
Entretien avec Diouma SEME et Madick GUEYE, leaders du mouvement des étudiant-e-s non orienté-e-s de l’Université Cheik Anta Diop.
Dakar le 10 février 2011
Pourquoi avez-vous décidez de mener une grève de la faim ?
Cela fait deux mois que nous sommes sans orientation [1]. Nous sommes bachelier-e-s de cette année, nous devions intégrer l’Université depuis décembre, mais nous attendons toujours notre orientation (c’est-à-dire une place à l’Université). Les autres bachelier-e-s ont été orienté-e-s et vont toutes et tous en cours, alors que nous attendons des places.
Pourquoi n’avez vous pas été orienté-e-s ?
Nous estimons que c’est une grande injustice. Nous avons eu le même baccalauréat que les autres et on ne nous donne pas un accès identique aux études, au droit à étudier ! Le seul critère exigé au Sénégal pour accéder à l’Université est l’obtention du baccalauréat or nous l’avons tous-te-s. Nous avons la volonté d’étudier. Les autres étudiant-e-s ne sont pas meilleurs que nous, pourquoi eux peuvent- ils/elles étudier alors qu’on nous refuse ce droit
Selon vous pourquoi les autorités de l’Université refusent-elles de vous orienter ?
Nous estimons que c’est de la ségrégation. C’est parce que nous sommes fils et filles de paysan-ne-s démuni-e-s, que nous n’avons pas de « relations » dans l’administration et que nous n’avons pas de contacts avec les autorités. En bref, contrairement aux étudiant-e-s des classes aisées, nous n’avons aucun piston pour pouvoir obtenir une place dans l’Université.
Combien de personnes partagent-elles votre situation ?
Si, à chaque année, il y a des bachelier-e-s non orienté-e-s, cette année nous sommes 500.
Qu’est-ce qui ne va pas au sein du système universitaire au Sénégal ?
Nous dénonçons l’injustice et la ségrégation. L’Etat a raté sa politique d’éducation au Sénégal. Le nombre d’écoles élémentaires et de collèges a été augmenté mais pas le nombre d’Universités. Il n’y a qu’une seule Université au Sénégal, celle de Cheik Anta Diop. De fait, les établissements de Saint Louis et de Ziguinchor ne sont pas des « vraies » facultés. L’Université Cheik Anta Diop compte pas moins de 60 000 étudiants.
Nous ne sommes ni racistes ni xénophobes mais nous ne comprenons pas pourquoi, alors que le gouvernement ne parvient pas à assurer une inscription aux 500 bachelier/ères que nous sommes, il invite 160 haïtien-ne-s pour venir étudier à l’Université Cheik Anta. En agissant de la sorte, le gouvernement cherche uniquement à se faire une bonne image sur la scène internationale. La finalité de son action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
est à 100% politique. Cette manœuvre diplomatique a couté pas moins d’un milliard de CFA (des bourses, des chambres, des ordinateurs portables, des abonnements internet, etc. ont été octroyés gratuitement aux étudiant-e-s haïtien-ne-s). Nous sommes le pays de la Teranga, certes, mais il faut aussi aider les fils et les filles du pays. Nous revendiquons notre droit à accéder à l’enseignement supérieur !
L’enseignement supérieur au Sénégal manque d’infrastructures. Nous sommes 25 000 étudiant-e-s à la Faculté de Lettres et des Sciences Humaines et nous n’avons même pas de toilettes ! Nous n’avons pas non plus d’amphithéâtre ni de salles de cours. Afin de pouvoir quand bien même suivre les cours, nous sommes dispersé-e-s dans toute la ville, dans les locaux d’écoles privées, dans des centres sociaux et même dans des églises. Le manque de salles d’études est énorme. Voyez à l’Université, le nombre de bâtiments en construction qui demeurent des années des chantiers et non des salles de cours ou autres infrastructures scolaires !
Nous manquons également cruellement de documentation à jour à la bibliothèque, de livres neufs. Sans parler de la Cité universitaire où nous sommes 8 par chambre et 12 avec les étudiant-e-s clandestin-e-s qui y sont hébergé-e-s car ils/elles n’ont pas d’autres lieux où aller.
Les frais d’inscription à l’Université sont très élevés et les bourses (lorsqu’elles sont effectivement octroyées) sont tout à fait insuffisantes. Beaucoup d’étudiant-e-s vivent avec aucun revenu.
Comme le budget de l’enseignement supérieur a diminué cette année alors que le nombre de bachelier/ères a augmenté, il y a beaucoup plus de problèmes.
De plus, l’Etat avait promis que TOUS/TES les bachelier-e-s auront cette année scolaire une place à l’Université ! Et à l’arrivée, plus de 500 bachelier-e-s n’en ont pas !
Ils et elles ne demandent ni bourse
Bourse
La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois).
ni chambre mais juste la possibilité de s’inscrire dans une faculté et d’étudier.
Le syndicat SAES a soumis le problème au rectorat depuis longtemps. Le recteur est informé, le doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines est informé, le ministre de l’éducation et même le Président de la République ont été interpellés sur la question. Il s’agit de notre avenir. Sans études qu’allons-nous devenir ?
Pourquoi avez vous choisi de faire votre action durant le Forum Social Mondial ?
C’est un moment où le monde s’est donné rendez-vous dans notre Université. Nous voulons montrer sur la scène internationale que l’Etat refuse à des fils et filles de paysan-ne-s l’accès à l’éducation supérieure.
Quels liens faites-vous entre les faiblesses du système universitaire sénégalais et les politiques néolibérales appliquées par le gouvernement Wade ?
Alors que les conditions de vie des sénégalais-e-s sont très dures, qu’il faudrait privilégier les secteurs sociaux, l’enseignement… l’Etat gaspille des milliards de Francs CFA pour des évènements de prestige tels que l’organisation du Festival des Arts Nègres, la tenue de meetings politiques tape-à-l’œil qui engloutissent des sommes d’argent pharamineuses, etc.
Pourquoi avoir choisi la grève de la faim comme mode d’action ?
Nous ne voulons pas utiliser la violence, caillasser des bus qui sont des biens publics, détruire des voitures, etc. ! Nous préférons nous faire violence plutôt que de détruire. D’autant plus que la répression, au Sénégal, d’actions plus directes est très forte et corsée.
Est-ce que les étudiants non orientés bénéficient du soutien des autres étudiant-e-s ?
Malheureusement, la solidarité des étudiant-e-s qui sont inscrit-e-s et peuvent assister aux cours est très faible et déforce dès lors nos actions et revendications.
Quel message voulez vous adresser aux participant-e-s du Forum Social Mondial ?
Nous sommes ici pour dire aux citoyen-ne-s du monde que nous ne sommes pas contre le Forum Social Mondial. Un autre monde est possible et nécessaire, mais uniquement si l’éducation pour toutes et tous est assurée. Il faut que les étudiant-e-s puissent participer à la construction de cet autre monde. Aux citoyen-ne-s du monde nous disons : « Allez dire chez vous qu’au Sénégal le droit à l’éducation n’est pas respecté ! ». Nous voulons montrer à l’opinion internationale l’injustice qui nous est faite. Les jeunes étudiant-e-s non orienté-e-s sont en danger, car sans études, ils et elles n’ont pas d’avenir.
Madick nous raconte aussi la lutte que les étudiant-e-s en lettres et sciences humaines ont mené pour avoir accès à des toilettes fermées à clé et inaccessibles pour eux. Le Doyen de la Faculté qui refusait des toilettes aux étudiant-e-s n’était autre que Saliou Ndiaye, nouveau Recteur de l’Université Cheik Anta Diop.
Saliou Ndiaye a refusé, une semaine avant le début du Forum Social Mondial, les salles promises par son prédécesseur et payées par les organisations du Forum, mettant ainsi en péril la tenue même du FSM. Cette manipulation visaient également à semer l’hostilité entre les étudiant-e-s et les altermondialistes.
Cette stratégie a été un échec. Nous avons soutenu les étudiant-e-s non orienté-e-s et médiatisé leur lutte. Actuellement, les étudiant-e-s ont interrompu leur grève de la faim, très dure et dangereuse pour eux. Cependant, la médiatisation nationale et internationale a porté des fruits. Ils et elles ont obtenu le soutien du Conseil des Professeurs qui a interpellé le Ministre de l’éducation.
Le sous-investissement structurel des infrastructures et de l’enseignement supérieur sénégalais est bien structurel et les conditions de vie et de travail des jeunes restent très dégradées. C’est ainsi que nous devons continuer à médiatiser la lutte des étudiant-e-s sénégalais-e-s, car, comme ils et elles le disent : « Si l’Etat ne réagit pas, l’exemple tunisien n’est pas à écarter »...
Si vous désirez entrer en contact avec Diouma SEME et Madick GUEYE, envoyez un mail à christine chez cadtm.org
[1] Etre orientés signifie au Sénégal obtenir une inscription à l’Université après le baccalauréat
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