Le traité de Lisbonne n’est pas la fin de l’Histoire

27 mars 2008 par Pierre Khalfa , Aurélie Trouvé , Sven Giegold , Alexandra Strickner




Politis, jeudi 13 mars 2008.
Sven Giegold (Attac-Allemagne), Pierre Khalfa (Attac-France), Alexandra Strickner (Attac-Autriche) et Aurélie Trouvé (Attac-France).

Article d’origine

Après la ratification du nouveau traité par voie parlementaire, et cela au mépris du suffrage universel, quatre responsables européens d’Attac tracent de nouvelles pistes contre l’Europe néolibérale.

La France vient de ratifier le traité de Lisbonne, frère jumeau du Traité constitutionnel européen (TCE) rejeté par une majorité de Français et de Néerlandais. Il en sera probablement de même dans les autres États membres, même si les citoyens irlandais, qui seront les seuls à voter par référendum, peuvent encore mettre un grain de sable dans le processus. Évidemment, la pilule est difficile à avaler pour tous ceux qui se sont exprimés et mobilisés contre l’Europe néolibérale. Mais la rédaction et l’adoption de ce traité à la va-vite et en catimini par les gouvernements et sa ratification par voie parlementaire le privent de toute légitimité pour les citoyens européens. Il n’empêchera donc aucunement la poursuite des luttes contre l’Europe néolibérale. Ces mobilisations, qui ont permis le rejet du TCE en 2005, l’abandon de la directive portuaire, ou encore vidé d’une grande partie de son contenu la directive Bolkestein, sont loin d’être terminées. Mais pour passer à la suite, encore faut-il tirer les leçons du passé.

Il faut bien constater que, à la suite de la campagne pour un « non » progressiste au TCE, menée dans de nombreux pays, les forces mobilisées n’ont pas été capables de s’appuyer sur la prise de conscience des citoyens et sur l’impact du double « non » français et néerlandais pour mener une véritable offensive et peser durablement sur l’avenir de la construction européenne. Il est d’autant plus difficile, deux ans après, de résister à un TCE-bis. C’est ce qui peut, en partie, outre le mur médiatique qui s’est mis en place, expliquer que la campagne contre le traité et les centaines d’initiatives en France et dans d’autres pays au cours des derniers mois n’aient pas permis de créer une véritable vague de protestations pouvant influencer les choix politiques.
La première nécessité qui apparaît est celle de mener, bien davantage qu’auparavant, des mouvements de protestation jusqu’à un échelon européen. Mais il nous faut également sortir d’une seule logique d’opposition aux attaques néolibérales et passer « à l’offensive » sur nos propositions alternatives. Cela suppose d’être capable de créer des rapports de force pérennes au niveau européen. Tous ceux qui sont mobilisés contre l’Europe néolibérale font alors face à deux défis : surmonter les divergences de fond sur « l’autre Europe » que nous voulons et faire converger, à un moment donné, toutes les forces sur des campagnes et revendications clés. Cela suppose d’approfondir les débats et de construire des perspectives communes à l’échelle européenne. C’est ce qu’a entrepris depuis plusieurs années le réseau des Attac d’Europe, autour notamment de la rédaction commune de « 10 principes » pour un nouveau traité européen.

Bien entendu, de tels débats pour des mobilisations futures doivent également être menés avec les autres acteurs du mouvement altermondialiste et des mouvements sociaux. Les alliances formées doivent être suffisamment cohérentes pour soutenir des revendications fortes et suffisamment larges pour les faire aboutir. Notre exigence est celle d’une Europe démocratique, écologique, sociale et solidaire en son sein et avec le reste du monde, qui mette les droits humains fondamentaux au centre des politiques. L’Europe que nous voulons est incompatible avec une Union européenne néolibérale qui servirait de cadre au capitalisme financier, et aussi avec la conception social-libérale qui considère la construction européenne actuelle comme indépassable, quitte à essayer de lui donner un vernis plus social ou écologique. Notre vision s’oppose enfin à l’idée que les États-nations seraient le seul cadre possible de la démocratie et des luttes sociales, et le seul recours face à la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale.

Pour autant, si nous voulons peser durablement sur l’avenir de l’Europe, ces alliances doivent intégrer des acteurs indispensables et tenir compte de la grande diversité des mouvements altermondialistes, sociaux, écologistes, démocratiques et anti-impérialistes qui existent en Europe. En particulier, il sera difficile d’agir efficacement sans une participation des syndicats européens. De nombreux syndicats nationaux sont déjà impliqués dans le mouvement altermondialiste ou participent aux forums sociaux. Il faut créer les conditions pour que ce processus s’amplifie avec, notamment, un engagement plus important de la Confédération européenne des syndicats (CES).
Le même problème se pose d’ailleurs pour une partie du mouvement écologiste européen. Le prochain Forum social européen (FSE), qui se tiendra à Malmö (Suède) mi-septembre, est soutenu par la centrale syndicale LO, membre important de la CES, et par de nombreuses associations écologiques. La participation aux débats qui se poursuivent à une échelle européenne, dans le cadre notamment du FSE et des réseaux thématiques qui s’y rattachent (« Labour and Globalization », « Charte pour une autre Europe », « Réseau européen des services publics », Seattle to Brussels/S2B, Justice fiscale...), peut permettre, sinon de dépasser les divergences, tout au moins de construire des objectifs communs propres à mobiliser les citoyens d’Europe.
Car, au-delà des débats de fond, des alliances devront se faire dans l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. La difficulté réside alors dans le dépassement des priorités thématiques de chaque organisation, ou dans celui des contingences des situations nationales, afin de converger, à un moment donné, autour de revendications précises, dans des mobilisations unitaires coordonnées à une échelle européenne. Une étape clé de ce processus pourra être le prochain FSE, notamment en ciblant quelques exigences fondamentales d’ici aux élections européennes de juin 2009.

Nul doute que dans ce processus le réseau des Attac d’Europe peut jouer un rôle important en termes de propositions, qui pourront en particulier être discutées en amont lors de la première université d’été des Attac d’Europe à Sarrebruck, début août. D’ores et déjà se profilent deux sujets cruciaux qui peuvent permettre de poursuivre notre travail d’éducation populaire, de passer des alliances larges, de proposer des alternatives et de construire des mobilisations européennes :
- ­la régulation des marchés financiers, après la crise financière et la mise au grand jour de l’évasion fiscale au Liechtenstein ;
- l’Europe sociale et, plus précisément, le droit du travail mis à mal par le Livre vert et par la communication de la Commission sur la flexsécurité, ainsi que par les arrêts Viking et Laval-Vaxholm, qui soumettent les droits des salariés, dont celui de mener des actions collectives, à la liberté d’entreprendre, avec pour conséquence l’aggravation du dumping social.

Enfin, en France, la présidence de l’Union européenne sera l’occasion de remettre la question d’une Europe démocratique, sociale, écologique et solidaire au cœur du débat citoyen. Les enjeux sont multiples : élargir notre mobilisation à d’autres acteurs sociaux, nous concentrer sur quelques revendications fortes, et inscrire pleinement nos réflexions et nos actions dans un cadre européen. Les prochains mois seront cruciaux pour la poursuite de notre mobilisation en faveur d’une autre Europe.


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