Les Big Four… ces fisco-trafiquants ! Leur rôle clé dans l’évasion fiscale

19 juillet 2018 par Kairos Europe WB


(CC - Flickr - ELA Sindikatua)

Le dossier qui suit, a été réalisé sur base de données et de fiches réalisées par Christian Boigruf. Nous publions ici la quatrième partie.

Ce travail a donné lieu à un débat le 23 janvier 2018, débat organisé par Attac Bruxelles 2. Pour tout contact : christianboigruf [at] gmail.com

Voir aussi de précédents articles dans les courriers de Kairos Europe WB n°46 et 47 (www.kairoswb.com) sur le rôle de ces « intermédiaires » présenté notamment dans différents rapports de la Commission Panama Papers du Parlement européen.



Indicateur significatif : leur présence dans les paradis fiscaux

- Il n’existe pas d’indicateur permanent officiel de l’évasion fiscale qui ait été bâti (ni de la part des États, ni de la part des Institutions internationales de toute nature), qui puisse servir de référence officielle commune.

Cette non-existence malgré les enjeux considérables constitue un élément supplémentaire de l’absence de volonté réelle de lutter contre ce fléau. Imaginons un instant, par exemple, que la Commission européenne (et son Commissaire aux Finances) lutte contre l’évasion fiscale avec la même énergie qu’elle déploie pour faire respecter la norme du déficit budgétaire de 3% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
, l’évasion fiscale aurait été jugulée dans un premier temps puis considérablement diminué. Ce n’est malheureusement pas le cas …

Il s’agit d’une contradiction pour le citoyen lambda. Il s’agit d’une forme de cohérence pour les adeptes de la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
financière dérégulée.

- L’approche consistant à tenter de démasquer exhaustivement les stratagèmes, tous plus sophistiqués les uns que les autres, utilisés pour mettre en œuvre l’évasion fiscale constitue une piste hasardeuse, tant elle porte en elle le risque de se perdre dans un maquis inextricable de schémas utilisant les réglementations fiscales des multiples pays que les organisateurs du trafic de l’évasion fiscale visitent à la seule fin d’atteindre leur objectif d’évasion. Il ne faut pas combattre sur le même terrain que les trafiquants experts. Il faut trouver un autre terrain pour combattre ce « pillage de la richesse des nations » pour reprendre l’expression de Gabriel Zucman.

- Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont les fisco-trafiquants eux-mêmes qui fournissent le meilleur indicateur qui soit de l’ampleur et de l’intensité du trafic d’évasion fiscale. A la différence du narcotrafiquant qui ne va pas communiquer sur les ressources qu’il met en œuvre pour l’organisation de son trafic, les fisco-trafiquants fournissent eux-mêmes une batterie d’indicateurs constituée de trois paramètres : les pays d’implantation, le nombre de bureaux par pays d’implantation, les effectifs par implantation …

- Le terrain de jeu des fisco-trafiquants est mondial et leurs actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
sont menées de manière systématiquement globale.

- La consultation des sites officiels de ces fisc trafiquants permet d’accéder facilement aux deux paramètres suivants : pays d’implantation, nombre de bureaux par pays d’implantation. C’est ce qui est esquissé ici.

- Présence dans 63 paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
sur les 79 scrutés

- Présence systématique dans le top 50 des paradis fiscaux régulièrement publiés par les organismes spécialisés !

- Déconnexion entre l’activité économique réelle des paradis fiscaux (population active, PIB) et l’importance des effectifs dans ces paradis

- Surreprésentation (sureffectifs) de leur présence en effectifs au sein des paradis fiscaux au regard de la population active et du PIB

- Quantification de la surreprésentation (sureffectifs) dans les paradis fiscaux par rapport à la norme choisie (à savoir l’Allemagne + la France) conduisant à la mise en évidence d’une véritable armée de fisco-trafiquants :

Sur 40 paradis fiscaux étudiés (données disponibles), les effectifs des Big Four s’élèvent à 224.277. La surreprésentation (sureffectifs) s’élève à 124.909 soit 55,7% des effectifs totaux


Au Luxembourg … !

- Effectifs des Big Four : 7.519 personnes
- Effectifs dans l’administration fiscale : 922 !

Progression en chiffres d’affaires de 2010 à 2017 (7 années)
pour l’ensemble des Big Four + 86,2%
pour Deloitte + 118,5%
pour PwC + 79,1%
pour EY + 78,1%
pour KPMG + 70,2%

Les données sont édifiantes. PwC n’a même pas dû avoir peur de l’affaire « LuxLeaks » en novembre 2014, son chiffre d’affaires n’a pas faibli !

Progression en effectifs de 2010 à 2017
pour l’ensemble des Big Four + 64,6%
pour Deloitte + 120,0%
pour PwC + 42,5%
pour EY + 50,0%
pour KPMG + 75,0%

Population active du Luxembourg : 287.240 personnes ; soit 36,4 actifs par personne employée par les Big Four pour 2017.

Si le nombre de personnes employées par les Big Four au Luxembourg reflétait autre chose que son statut de paradis fiscal, on devrait pouvoir le comparer à l’activité économique réelle de pays développés comme la France ou à l’Allemagne.

En se basant sur les populations actives respectives du Luxembourg (287.240) et celle de l’ensemble France + Allemagne (73.355.110), les effectifs Big Four de cet ensemble s’élèveraient à … 2.017.495 !!! contre 67.566 en réalité !

Chiffre d’affaires 2017 du secteur Tax des Big Four au Luxembourg : 327,1 millions € (29,9% du total). Le Ca Tax du Luxembourg représente 13,7% du Ca Tax de France + Allemagne cependant que sa population active en représente 0,39% et son PIB 1,0%12


Toujours plus au Luxembourg !

Les Big Four manquent d’espace vital ! Big Four, Big chantiers pour reprendre l’expression d’un journaliste local.

- Deloitte : nouveau bâtiment de 30.000 m2 livrable en octobre 2018 (tour principale de 60m de haut, 16 étages reliée par un vaste atrium à un second bâtiment de 22 mètres de haut. Coût de 100 millions €. Location prévue sur 15 ans. (Quartier de la Nouvelle Cloche d’Or)
- PwC : nouveau bâtiment en 2014 (quartier Crystal Park)
- EY : nouveau bâtiment livré en 2015, 28.000 m2. Investissement de 100 millions € (Plateau Kirschberg)
- KPMG : nouveaux locaux en 2015 : 8.600 m2. Location locaux supplémentaires en 2017 : 3000 m2 (Plateau Kirschberg)
- BDO s’est également réimplanté en octobre 2016 (Cloche d’Or)


L’État luxembourgeois confie des clés de sa maison aux Big Four et consultants !

En 2015, le gouvernement luxembourgeois a confié une mission de cadrage de la modernisation des finances publiques au consultant en stratégie Mc Kinsey ; les 4 Big Four avaient été consultés pour la procédure restreinte d’appel d’offres. EY et PwC ont été retenus par le ministre des finances P.Gramegna pour la 2° phase du projet.


Loger les bénéfices dans les paradis fiscaux et les pertes ailleurs : De qui se moque-t-on ?

- Lors de la faillite bancaire de la BCCI, les firmes d’audits ont été déclarées responsables de dissimulations et avoir causé ainsi des torts importants aux clients et déposants de la BCCI » (Sénat US 1992)

- Lors des faillites d’Enron, de Parmalat et de Worldcom entre 2002 et 2004, des commissaires aux comptes de ces firmes ont omis de signaler des fraudes comptables. Pour donner suite à l’affaire Enron, le puissant réseau d’audit Arthur Andersen (85.000 salariés) s’est effondré en quelques mois par perte de confiance, après avoir été condamné par la justice américaine. KPMG a été critiqué par la Cour des faillites aux USA pour sa création de schémas de réductions fiscales sans fondement économique avant la faillite de Worldcom.

- Le rôle de KPMG comme fournisseur d’opacité a été mis en évidence en 2002, lors d’une enquête d’une Commission du Sénat américain. En particulier, il a été révélé que KPMG investissait des sommes considérables pour développer et mettre en place des systèmes permettant d’échapper à l’impôt.

- En 2003-2004, Deloitte a été impliquée pour des montages visant à éviter à la Deutsche Bank à Londres de payer des impôts sur les salaires et cotisations sociales de ses employés. Elle a été condamnée par la Cour de Justice en 2016 [1].

- En 2007, E&Y a été condamné pour avoir aidé Walmart à éluder ses obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
fiscales pour 230 millions $. Sur 4 ans, un document révélait ainsi « qu’il vaudrait mieux que ce projet reste relativement discret ; si un nombre plus important de personnes étaient mises au courant de ces stratégies, il semblerait que cela créerait trop d’occasions de diffuser ces informations dans la presse ». (E&Y, 1996).

- C’est PwC qui a déclaré lors de la crise des subprime (2008) Carlyle Capital Corporation être en bonne santé financière, et KPMG a fait de même avec Thornburg, fournisseur de prêts hypothécaires. Tous deux ont fait faillite rapidement.

- PwC auditionnait depuis des années SABMiller (2° société de bière au monde, avant d’être rachetée récemment par ABinBev, implantée en Afrique et en Inde). Le nombre de ses filiales (65) présentes dans les paradis fiscaux dépasse le nombre de ses usines et brasseries sur le continent africain. L’Ile Maurice, les Pays-Bas et la Suisse sont les plaques tournantes de l’ingénierie fiscale de la société. Action Aid a évalué en 2010 que SABMiller a réduit sa facture fiscale d’un cinquième privant chaque année des pays pauvres d’au moins 30 millions $.

- En Belgique, la firme Lernout et Hauspie, spécialisée en reconnaissance vocale, s’est retrouvée en faillite pour donner suite à des montages financiers que la firme KPMG approuvait depuis des années.

- En Commission du Parlement britannique en 2013, des représentants des Big Four ont tous déclaré à la fois qu’ils ne recommandaient pas de structures encourageant l’évasion fiscale et dans le même temps, ils ont déclaré ensuite qu’ils recommandaient des structures ayant 50% de chances d’être acceptées en Cour de Justice.

- Luxleaks : C’est PwC qui rédigeait et soumettait de manière hebdomadaire au gouvernement luxembourgeois les « rulings » (décisions anticipées) permettant à des centaines de multinationales de voir leurs impôts réduits drastiquement. C’est encore PwC qui a poursuivi, intimidé et menacé de diverses manières les membres de son personnel (Antoine Deltour, Raphaël Halet), auteurs de la fuite dans la presse. Et c’est encore PwC qui a obtenu une fouille au domicile de R. Halet au mépris du secret des sources (liberté de la presse) ; ce fait a été condamné par la justice française en décembre 2017. En appel, Antoine Deltour finalement a été acquitté en ce mois d’avril 2018.

- Dans un rapport britannique en 2017, on déclarait : « Le blanchiment d’argent a été facilité par des professionnels et autres bureaux d’audit – les agences de contrôle britanniques ont pu observer que des cabinets d’audit et de révision de compte s’étaient engagés dans la criminalité, et de là rendaient possible le blanchiment ». En l’absence d’obligation d’informations pour les cabinets comptables, seules 10 personnes ont fait l’objet de sanctions pour avoir enfreint les réglementations en matière de blanchiment d’argent.


Encore et toujours de récentes condamnations …, en Grande-Bretagne et aux USA [2]

- 2014 – Affaire Vocalspruce/fisc britannique – la Cour d’Appel de Grande Bretagne décrit des montages fournis par PwC comme de pures fictions et les rejette.

- 2017 – Affaire Development Securities/douanes britanniques – Le jugement rejette un autre montage proposé par PwC. Il visait à déplacer des fonctions de management de Grande-Bretagne vers Jersey et prétendait ainsi faire sortir certaines entités de l’entreprise de leurs obligations fiscales en Grande-Bretagne.

- 2015 – Affaire Pendragon plc et autres/douanes britanniques – Le juge de la Haute Cour suprême britannique a déclaré à propos d’un schéma élaboré par KPMG en matière de TVA, permettant à des détaillants de voitures d’éviter le paiement de taxes : « A mon avis, le montage de KPMG constitue un abus de la loi ».

- 2014 (janvier) – Affaire Salem Financial/fisc américain – Des montages élaborés par KPMG et la banque Barclays, connus comme des transactions complexes sous le nom de STARS, avaient pour résultat de réduire les impôts à payer aux Etats-Unis. Ils avaient été vendus à des firmes comme AIG, Microsoft, Intel, et Prudential. Pour le juge, il s’agissait de « montage abusifs visant à éviter l’impôt, de flux de cash tournant sur eux-mêmes, sans activité économique »

- 2013 – Affaire P&O (Peninsul&Oriental Steam Navigation/fisc britannique – Un autre schéma de KPMG permettant un crédit d’impôt de 14 millions £, a été refusé par le tribunal. KPMG était à la fois auditeur et conseiller fiscal du groupe P&0. Les juges ont déclaré que « ces montages ont été conçus et mis au point dans le seul but d’échapper à l’impôt et que les transactions ainsi inventées faisaient « toutes parties d’une tricherie conçue pour « exploiter » la législation fiscale. P&O et ses filiales formaient ainsi un véritable jeu de charades ! »

- 2012 (1 novembre) – Affaire Iliffe News and Media Ltd/fisc britanniqueErnst & Young a conçu pour son client d’audit largement bénéficiaire, - mais désireux de résister notamment à des demandes d’augmentation de salaires de son personnel -, un schéma d’évasion fiscale permettant de cacher ses bénéfices. Le montage portait sur 51,6 millions £ de Royalties et a été déclaré illégal.

- 2016 – Affaire Greene King Plc & Anor/fisc britannique – Un autre schéma d’Ernst & Young a été déclaré illégal. Il impliquait des prêts entre société d’un même groupe.

- 2015 – Affaire Travail Document Service & Anor/fisc britanniqueDeloitte a promotionné un schéma permettant à des sociétés de créer des pertes fiscalement déductibles au travers de transactions financières complexes. Un directeur de ces sociétés a déclaré avoir été approché par Deloitte pour mettre au point ce montage. Le schéma visait à s’appuyer sur des banquiers qui recevraient des parts d’actions de sociétés spécialement crées à cette fin à Jersey et aux îles Caïmans.

- 2016 – Affaire UBS AG et DB Group Services/fisc britannique – Les juges de la Cour suprême britannique ont rejeté les schémas présentés et déclaré qu’il n’y avait là-dedans « ni business, ni raisons commerciales, mais seulement des moyens d’échapper à l’impôt »


La corruption : fréquente parmi les experts-comptables ? [3]

Selon une enquête réalisée entre juillet et septembre 2015, auprès de 1700 comptables au travers le monde, dont 400 en Grande-Bretagne, des pratiques non-éthiques sont profondément enracinées dans la profession :
- 48% des sondés ont fait l’objet – ou connaissait quelqu’un qui avait subi – de(s) pressions de la part d’un responsable hiérarchique ou d’un collègue en vue d’ignorer une correction faite sur une série comptable ;
- 4 sur 10 ont déclaré connaître des membres de leur staff de direction qui avaient pris une décision favorable à un résultat commercial pour une société ou un client alors même que la décision n’était pas éthique ;
- Près des deux tiers ne pensent pas que les employés des sociétés d’audit soient protégés s’ils faisaient état de malversation en provenance de leurs clients ;
- 66% des sondés pensent que de 5 à 10% des membres de leur profession ont aidé leurs clients à mettre au point des comptes délibérément faussés, alors qu’un dixième pensent que ce nombre s’élève à un quart (25%).


La Belgique n’est pas en reste …

« Un champion de l’évasion fiscale pour évaluer les acteurs de la coopération non-gouvernementale », titrait une carte blanche parue dans le journal Le Soir [4].

Sur base d’une évaluation réalisée par Deloitte, Alexandre De Croo, ministre de la Coopération au développement a supprimé l’accès aux subventions publiques de 20 acteurs non gouvernementaux (soit 20% du total des organisations soumises à évaluation).

Interpellé à la Chambre le 7 juin 2016, par Benoît Hellings (Ecolo) qui soulignait que « Deloitte s’organise au niveau mondial pour conseiller les grandes structures et entreprises dans leur évasion fiscale », le ministre affirmait que « Deloitte n’a fait l’objet d’aucune condamnation prononcée par décision judiciaire… sinon, il n’aurait pas eu accès à ce marché ».

Alexandre De Croo, ministre de la Coopération au développement affirmait que : Deloitte n’a fait l’objet d’aucune condamnation prononcée par décision judiciaire… sinon, il n’aurait pas eu accès à ce marché

La carte blanche reprenait en réponse au ministre, différentes casseroles, accrochées à Deloitte : en Italie lors de l’affaire Parmalat (2003), au Québec en 2016 pour infractions en faveur du parti libéral du Québec, au Luxembourg le 4 février 2016 pour comptes de clients italiens signés et antidatés en 2002, la peine touchant 4 de ses employés condamnés à 3 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende. Enfin en Espagne, les 12,4 millions d’euros infligés par le Ministère de l’Économie à Deloitte pour avoir avalisé les comptes du groupe financier Bankia ; Deloitte se rendant juge et partie, en étant à la fois société responsable d’audit la banque et le consultant chargé d’en certifier les comptes.

Le coût de cet audit des ONG de coopération en Belgique, effectué en compagnie de la société BDO, était évalué entre 550.000 et 650.000 euros, somme qui aurait pu être affectée selon l’auteur à l’aide au développement, qui n’atteint toujours pas les 0,7% du revenu national brut que la Belgique s’est engagée à atteindre !


La Belgique, terre d’accueil des intermédiaires, créateurs de sociétés écrans

Sur base d’une étude, réalisée pour les Verts européens [5], à partir des 11 millions de documents des Panama Papers, Offshoreleaks et Bahamas Leaks révélés par le consortium de journalistes ICIJ, la Belgique compte 51 bureaux spécialisés dans la création de sociétés écrans, presqu’autant que l’Italie, loin derrière la Grande-Bretagne 1540 ! Les plus connus sont BNP Paribas, Société Générale mais aussi UBS et Crédit Suisse (championnes avec près de 25.000 création de sociétés-écrans), mais aussi les Big Four. Deloitte à elle seule, aurait contribué pour 1745 sociétés offshore.

Le rôle de KPMG dans le secret offshore, vu au travers des Panama Papers

En avril 2018, les banques de l’île Maurice ont enfin bloqué 91 comptes liés à un investisseur Jean-Claude Bastos (Suisse Angolais), très proche des anciens dirigeants angolais et notamment du fils de l’ex-président Dos Santos. Il avait bénéficié jusque-là de ses liens très étroits avec la firme KPMG. Ainsi quand le cabinet d’avocat offshore Appleby s’était posé quelque question sur la crédibilité de Bastos, il avait pu s’appuyer sur le « confort » que représentait sa relation avec KPMG utilisé pour la révision de sa comptabilité. KPMG travaillait avec Bastos et son fonds Quantum Management à l’île Maurice. Des dizaines de millions de dollars ont été ainsi détournés d’Angola vers l’île Maurice et au-delà. La Cour suprême de l’île Maurice a décrété le blocage de 23 comptes bancaires. Une enquête d’ICIJ a montré que la filiale KPMG de l’île Maurice a continué à travailler avec Bastos et son fonds, alors que des réticences s’étaient manifestées chez Appleby à Jersey et île de Man. En réponse, un employé d’Appleby Suisse avait répondu par mail que ses liens avec KPMG en tant que réviseur aux comptes, était en fait une très bonne référence.

Extrait du journal L’Echo

Ce quatrième article est tiré d’un dossier intitulé « Les Big Four... ces fisco-trafiquants » réalisé par l’ONG Kairos Europe (Wallonie-Bruxelles).

Voir les autres parties :
- 1 : Les Big Four… ces fisco-trafiquants ! À quoi les comparer ?
- 2 : Les Big Four… ces fisco-trafiquants ! Puissance et revenus
- 3 : Les Big Four… ces fisco-trafiquants ! La colonisation rampante des entreprises et de l’État
- 4 : Les Big Four… ces fisco-trafiquants ! Leur rôle clé dans l’évasion fiscale
- 5 : Les Big Four... ces fisco-trafiquants ! Des normes comptables soutenues par les Big Four et créées pour relayer les intérêts privés des sociétés multinationales
- 6 : En Belgique, toujours plus d’inégalités de revenus !


Notes

[1Id. W.P. De Groen

[2“Tax Havens & the Tax Avoidance Industry” – ppt. Prem Sikka, prof. à l’université de Sheffield et Essex – Conférence européenne S&D, FEPS, ETUI, Bruxelles 9 avril 2018

[3https://www.accountancyage.com/category/practice/audit/ - Chris Wadmol, 24 November 2015

[4Jérôme Duval, « Deloitte : un champion de l’évasion fiscale pour évaluer les acteurs de la coopération non gouvernementale », CADTM, 16 juin 2016 : http://www.cadtm.org/Deloitte-un-champion-de-l-evasion

[550 pros de l’évasion fiscale en Belgique – Vincent Georis, L’Echo, 24 janvier 2017 p.5