Sur leur rôle dans l’endettement des pays du Sud
8 juin 2003 par Wendy Verheyden
Dans la bataille pour l’annulation de la dette, jusqu’ici, l’attention se concentrait essentiellement sur les politiques du FMI et de la Banque mondiale qui alimentent le cercle vicieux de la dette. L’essor des crédits à l’exportation (de 25 milliards en 1988 à 105 milliards de dollars en 1996) grève également de plus en plus les économies en développement. Analyse.
Financement dommageable
Les agences de crédits à l’exportation, bien connues sous le nom anglais de ECA (Export Credit Agency), sont des bureaux publics qui accordent des prêts garantis par l’Etat aux entreprises privées de leur propre pays afin de conclure des affaires à l’étranger, plus précisément dans les pays en développement politiquement et financièrement à risque. Le but est de promouvoir l’exportation nationale et de soutenir l’établissement d’industries nationales à l’étranger. Presque tous les pays industrialisés ont un bureau de crédits à l’exportation officiel. En Belgique, c’est l’Office National du Ducroire.
Les agences de crédits à l’exportation sont dans l’ensemble la source la plus importante de soutien financier public aux investissements dans les pays en développement. Elles financent, entres autres, des centrales énergétiques, des barrages, des projets miniers, des constructions de routes dans les forêts tropicales, des pipelines, des installations chimiques et industrielles.
Les agences de crédits à l’exportation soutiendraient deux fois plus de projets de pétrole, de gaz et de mines que toutes les banques de développement multilatérales et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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réunies. Le projet du barrage Three Gorges en Chine en est probablement un des exemples les plus controversés de la planète. D’une longueur correspondant à la moitié de celle de la Californie, son réservoir se situe dans une vallée où habitent 370 millions de personnes. Les déchets résidentiels et industriels qui s’accumuleront dans le réservoir provoqueront des dommages à l’environnement et à la santé publique. En ce moment déjà, deux millions de personnes ont été évacuées pour laisser la place à l’eau montante.
La Banque mondiale, vu la controverse au niveau social, environnemental et économique et le bilan nettement négatif de ces entreprises précédentes, a refusé de financer le projet. Les agences de crédits à l’exportation ont alors immédiatement offert 1,35 milliard de dollars en prêts, garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). et assurances pour construire le barrage.
Dégradation des normes et opacité
La concurrence entre les agences de crédits à l’exportation des différents pays entraîne une dégradation continuelle des protections sociales et environnementales. De plus, elle engendre des risques politiques contre lesquels les agences de crédits à l’exportation devraient offrir une protection. Dans le cas d’une livraison d’armes, c’est évident. Pensons aux livraisons des Minimis (mini-mitrailleuses) livrées au Népal avec l’accord de la Belgique. Dire que le Népal est une démocratie naissante n’enlève rien au fait qu’il n’y a pas de contrôle sérieux sur la destination du matériel militaire (dont souvent une partie va au marché noir dès l’arrivée) et qu’on contribue donc à l’instabilité militaire et politique du pays en question.
Mais le financement de projets autres que militaires peut aussi entraîner des risques politiques. La mine Atamina au Pérou, par exemple, est assurée par une agence de crédits à l’exportation canadienne. L’exploitation de cette mine a détruit des régions d’habitat et de pêche ce qui provoqua révoltes, grèves et blocages de routes.
Les agences de crédits à l’exportation estiment que les principes de base en matière environnementale et sociale que d’autres organisations internationales ont adoptées comme universelles depuis longtemps, ne s’appliquent pas à elles. Leur fonctionnement se caractérise par l’absence de contrôle et l’opacité des opérations. La plupart des agences de crédits à l’exportation, par exemple, ne sont pas tenues de réaliser d’enquêtes publiques au sujet de l’impact environnemental de leurs projets. Il n’y a pas de concertation avec les communautés impliquées pendant le déroulement du projet. Le droit à la protection des citoyens et de l’environnement est ainsi subordonné aux avantages économiques des entreprises privées.
Leur attitude outrancière a réussi à irriter même les tenants inconditionnels de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
libérale. Pascal Lamy : « Même moi, je suis frustré par le manque d’avancées des agences de crédits à l’exportation en matière de politique environnementale ». Elles résistent même aux présidents et premiers ministres des pays qu’elles représentent. Depuis 1996, par exemple, le G8
G8
Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002.
a discuté de trois nouveaux mandats pour la réforme de la politique environnementale des agences de crédits à l’exportation. Aucun n’a été exécuté.
La responsabilité des agences de crédits à l’exportation dans la croissance de la dette est souvent mésestimée. Selon le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, les crédits officiels à l’exportation représentent pratiquement la moitié de la dette des pays en développement envers des créanciers officiels, incluant la Banque mondiale, le FMI, les banques de développement régional et les bureaux multilatéraux et bilatéraux. Les statistiques sur la dette extérieure de l’OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
(Organisation de coopération et de développement économique) montrent qu’en 2000, la dette de crédits à l’exportation des pays en développement auprès des pays de l’OCDE oscillait entre 374,1 et 410,2 milliards de dollars. Ce chiffre est nettement supérieur à la dette que les pays en développement ont contractée auprès du FMI et de la Banque mondiale ensemble. Un exemple : au Nigeria, environ 64% de la dette extérieure totale provient de crédits à l’exportation. La dette des PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(Pays pauvres très endettés) comporte également une grande partie de crédits à l’exportation (exemple, le Congo : 42%).
La dette bilatérale (d’Etat à Etat) provient soit de prêts d’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ), soit d’assurances de crédits à l’exportation (quand les gouvernements du Sud rachètent les dettes de leurs entreprises privées, ces dettes deviennent bilatérales). Beaucoup de pays créanciers ont annulé en grande partie les prêts d’APD accordés aux pays en développement. Par contre, les créanciers ont été moins généreux lorsqu’il s’agissait d’annuler les prêts de crédits à l’exportation. Une analyse des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). en souffrance vis-à-vis de la Belgique indique par exemple que 91% des prêts aux PPTE (soit 2,14 milliards d’euros) sont des dettes commerciales garanties par l’Etat à travers le Ducroire. En 1996, les crédits à l’exportation représentaient 24% de la dette totale des pays en développement et 56% de leur dette multilatérale et bilatérale.
En outre, la dette provenant des crédits à l’exportation coûte très cher aux pays pauvres ; elle affiche des taux d’intérêts supérieurs à ceux des prêts du FMI, de la Banque mondiale et autres institutions officielles.
Entre 1998 et 2031, les PPTE devront par exemple rembourser de 1,4 milliard à l’agence de crédits à l’exportation britannique officielle.
Propagation de la corruption
Les agences de crédits à l’exportation contribuent à l’extension de la corruption dans les pays en développement dans lesquels ils investissent.
Selon l’ONG Transparency International, les pots de vin aux fonctionnaires des pays en développement pour assurer un contrat à l’exportation sont monnaie courante, surtout dans les secteurs de la défense et des travaux publics. Les pots de vin sont considérés comme un coût à incorporer à la valeur du contrat couvert par la garantie de l’agence de crédits à l’exportation.
Les pratiques des institutions financières de l’UE ont été soumises à un débat public en septembre 2002 après la condamnation de Acres International. Suite à une plainte dans le cadre du projet Lesotho Highlands Water Project (LHWP), Acres a été la première d’une série d’entreprises, dont plusieurs européennes, à être accusée de corruption. L’ex-manager exécutif du LHWP avait reçu 226 000$ en pots de vin.
L’UE et ses gouvernements ont donné leur soutien à des entreprises européennes qui participèrent au projet via des prêts provenant de la Banque européenne d’investissements (122,5 millions d’euros), via l’aide financière du Fonds de développement européen (44 millions d’euros) et via les garanties de différentes agences de crédits à l’exportation telles que la COFACE (France), Hermes (Allemagne), ECGD (Grande Bretagne) et SACE (Italie).
Financement injustifiable de régimes
Les agences de crédits à l’exportation ne tiennent aucunement compte de la nature du régime qu’elles soutiennent à travers leurs financements. Un exemple trop évident était le régime de l’Apartheid, qui a survécu longtemps après sa condamnation internationale grâce au soutien de banques et entreprises étrangères. En ce moment, a lieu un procès qui veut démontrer la responsabilité de ces banques et entreprises dans les préjudices résultant directement de leur complicité avec le régime de l’Apartheid.
Le 11 novembre 2002, le Groupe de soutien Khulumani, une organisation sud-africaine d’aide aux victimes (32 000 membres), a intenté un procès contre 21 banques et entreprises étrangères de six pays (la Suisse, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis). Ces entreprises sont actives dans les secteurs de la banque, du pétrole, de la technologie, des armes, du transport et des mines. A travers ce procès, le Groupe de soutien Khulumani veut démontrer que ces 21 entités ont aidé le régime de l’Apartheid à bafouer les droits humains, ce qui les en rend complice. Les plaignants veulent démontrer la responsabilité juridique des entreprises et des banques dans le crime contre l’humanité que constitue l’apartheid, et obtenir ainsi un dédommagement pour les victimes du régime de l’Apartheid. La plainte, déposée dans le district Est de New York, repose sur le Alien Tort Claims Act. Cette disposition juridique du droit américain permet aux non-citoyens américains d’entamer une procédure aux Etats-Unis contre toute personne qui a violé le droit international, à condition que cette personne soit présente aux Etats-Unis. Ce procès est extrêmement important pour les défenseurs des droits humains et les ONG, dans la mesure où il démontre que le Alien Tort Claims Act peut contribuer à la constitution d’une jurisprudence utilisable contre des entreprises, des Etats et des agences de crédits à l’exportation. Ce procès pourra aussi avoir des répercussions sur le traitement de la dette de l’Apartheid qui est encore en ce moment supportée par le peuple sud-africain, première victime de ce régime.
Dommages écologiques et croissance de la dette
Les forêts indonésiennes sont parmi les plus étendues dans le monde et abritent maints peuples indigènes. Lorsque Suharto a pris le pouvoir, il a distribué des concessions de forêts à ces amis. L’un d’entre eux a fondé la APP qu’il a agrandi considérablement grâce à des emprunts élevés, entraînant une forte croissance de la production et une demande équivalente en matières premières.
Il s’en est suivi rapidement des investissements massifs garantis par plus de 300 institutions financières. Grâce à ces financements, la dette a non seulement augmenté, mais, en plus, la APP a détruit une part considérable de la forêt tropicale environnante. C’est ainsi que Indak Kiat, une filiale de la APP et un des plus gros producteurs de pâte à papier du monde, a détruit plus de 3 000 hectares d’une forêt dont la population Sakai a besoin afin de pourvoir à ses besoins de base. Rivière polluée, maladies de la peau, rébellions de la population contre les ouvriers de l’entreprise… En 2001, les choses ont commencé à tourner au vinaigre pour la APP. L’affaiblissement des économies asiatiques, ainsi que l’absence de reboisement a eu raison de la compagnie. Les banques qui étaient tellement enthousiastes au début, ont exigé le remboursement de leur argent. Puisqu’il n’y avait pas eu de nouvelles plantations, la APP fut constamment obligée d’entamer de nouvelles parties de la forêt pour rembourser sa dette.
L’impossible devient possible dans certains cas
Les gouvernements prétendent que la dette des crédits à l’exportation ne peut être allégée que si toutes les agences de crédits à l’exportation coopèrent. Sinon, les agences de crédits à l’exportation qui refusent l’annulation de la dette bénéficieraient d’un avantage injuste. De plus, le Gouvernement britannique a déclaré que, si les agences de crédits à l’exportation britanniques annulaient unilatéralement les dettes, la Grande-Bretagne perdrait son pouvoir de négociation dans le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
.
Pourtant, la Russie a été obligée par les pays les plus riches du Club de Paris d’annuler une partie de ses créances de crédits à l’exportation. C’était la contrepartie à son admission au Club de Paris (annoncée le 20 juin 1997 au sommet du G8 à Denver -Colorado). Cela a abouti à une diminution de 30 à 80% des dettes de pays tels que la Guinée-Bissau et le Mozambique. La Russie a ensuite annulé davantage de dettes dans le cadre des restructurations du Club de Paris. En tout, la Russie aurait annulé 90 à 95% de la dette originelle d’un pays. C’est-à-dire 15% de plus que ce que font ses collègues nettement plus riches au sein du Club de Paris.
Si l’argument présenté était que les prêts qui ont engendré ces dettes, n’avaient pas été utilisés pour le développement du pays emprunteur, mais pour soutenir les avantages économiques de l’URSS dans le cadre de la guerre froide, il s’applique également aux autres créanciers du Club de Paris.
Campagne internationale
Depuis 1996, les ONG de différents pays ont uni leurs forces dans une campagne internationale pour la réforme des agences de crédits à l’exportation. Leur « Déclaration de Jakarta » contient les exigences suivantes :
Transparence, accès public à l’information auprès des agences de crédits à l’exportation et du groupe de travail des agences de crédits à l’exportation de l’OCDE
Directives et normes contraignantes au niveau social et environnemental qui ne soient pas moins ambitieuses que celles du Groupe de la Banque mondiale et du Comité d’assistance au développement de l’OCDE
Obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
pour les agences de crédits à l’exportation de répondre à des critères explicites de droits humains
Critères et directives contraignants pour arrêter la fraude
Engagement à ne financer que des investissements économiquement productifs
Annulation de la dette des crédits à l’exportation pour les pays en développement.
Sources :
Unusual Suspects : Unearthing the Shadowy World of Export Credit Agencies, D.Nolen, R. Cox, C. Glazebrook
Globalisation’s most perverse secret : The role of Export Credit and Investment Insurance Agencies, Aaron Goldzimer, Environmental Defense
Debt and Deliverance ? Export Credit Agency Debt, Fern
www.eca-watch.org
www.walhi.or.id
The Apartheid lawsuit, Charles Abrahams
Traduit par Fabrice Collignon et Ingrid Haegeman.