Entretien avec Zêdess, artiste engagé contre la dette

« Les artistes ont compris qu’ils avaient un rôle prépondérant à jouer. Ensemble ! »

15 juin 2004 par Yannick Bovy




Zongo Seydou, alias Zêdess, a enregistré son premier titre en 1990. Mais c’est en 1992, avec sa première cassette intitulée « Y’a plus de boulot », qu’il va vraiment faire parler de lui. Zêdess y raconte la galère des jeunes Burkinabés, et il fait mouche. C’est le début d’une ouverture au Burkina. Les radios fleurissent sur la bande FM, les journaux satiriques apparaissent dans les kiosques, et Zêdess s’engouffre dans la brèche...
Pour la jeunesse, il incarne une nouvelle génération de musicien, et un espoir. Il entrouvre également les portes des grandes radios internationales qui diffusent sur le continent, et sa popularité commence à dépasser les frontières du Burkina.

La musique de Zêdess allie le reggae au folklore burkinabé et ses rythmes traditionnels, warba, liwaga ou wiré. Mais ce sont ses textes qui sont la première raison de son succès - textes dans lesquels les Burkinabés reconnaissent leur quotidien. Zêdess croit au rôle du chanteur pour transformer la société dans laquelle il vit.

En 1997, Zêdess sort sa troisième cassette, « Où allons -nous ? », poursuivant dans la même veine contestataire. Les titres « Directeur Voleur » et « Abus d’Autorité » dénoncent ainsi la corruption et les séquelles de la colonisation.

En 1998, le label Lusafrica propose à Zêdess de réunir sur un même album ses meilleurs titres remixés. Un des titres de cet album est réalisé et vendu au profit de Handicap international, pour son combat contre les mines antipersonnel. Ce titre s’appelle « La guerre en temps de paix ». Après une tournée en Europe à l’été 1999, Zêdess sort son deuxième album international, « Accroche toi », en septembre 2000. Il vit actuellement entre Bruxelles, en Belgique, et le Burkina Faso. (D’après la biographie de Zêdess disponible sur le site www.zedess.com)

Zêdess, tu te définirais comme un chanteur « engagé », ou c’est plutôt une étiquette qui te déplaît ?

J’ai effectivement un peu peur de ce terme-là. Je suis plutôt un chanteur convaincu qu’engagé, dans le sens où l’on peut tout à fait être engagé sans être convaincu... Souvent, l’engagement devient un label qui fait vendre. Moi, j’essaye de faire en sorte que ma vie de tous les jours soit en cohérence avec ce que je dis dans mes chansons.

Cela étant dit, quand on est chanteur venant d’Afrique, on se rend vite compte du « rôle social » qu’on est amené à jouer. La musique, pour moi, c’est le cinquième pouvoir, après l’exécutif, le législatif, le judiciaire et le pouvoir médiatique. En trois ou quatre minutes, on peut faire passer un message très fort à l’intention du plus grand nombre.

Il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un me dise « Zêdess, tu sais, il y a telle ou telle chose qui ne va pas, il faudrait que tu écrives une chanson là-dessus... » Je viens d’un pays, d’un continent où acheter un journal tous les matins est loin d’être une chose évidente, et où la liberté de la presse n’est pas toujours une réalité... En fait, nous sommes une sorte de caisse de résonance. On commence par écrire sur des sujets qui nous révoltent, et puis cela rencontre l’assentiment des gens, du public. Et puis finalement, même si cela peut paraître prétentieux de dire les choses ainsi, on devient comme des porte-parole de celles et ceux dont la voix n’est pas écoutée.

De plus en plus d’artistes africains passent par la chanson pour transmettre leur message, leur vision du monde. D’ailleurs, tout un pan de la musique africaine, et notamment au Burkina Faso, est occupé par la chanson « à texte ». On garde le côté festif de la chanson, de la musique, mais on a un propos à faire passer.

En ce qui me concerne, j’utilise la chanson comme un outil de sensibilisation et d’éducation. La prise de conscience, pour un peuple, c’est comme une maladie : une fois qu’on a pu la diagnostiquer, elle est à moitié guérie. Quand les peuples seront sensibilisés à l’injustice que représente la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
ou tel ou tel autre fléau, leur mobilisation en découlera naturellement.

On vit de plus en plus repliés sur nous-mêmes. Le système fait en sorte que l’on ne s’occupe pas de ce qui se passe chez le voisin. Jusqu’à ce qu’un jour, cela nous tombe sur la gueule. Chaque fois qu’on a l’occasion de sensibiliser, d’éduquer, de partager, il faut s’en saisir. Ce n’est jamais vain. Et c’est ce que j’essaye de faire, très modestement, à travers la chanson.

Une démarche que partagent les autres artistes qui participent au Festival Esperanzah !... Tu disais que de plus en plus d’artistes, en Afrique, ont la volonté de faire passer leurs convictions par le biais de leur travail, et en l’occurrence de la chanson, de la musique. Mais ce dont témoigne le festival, c’est aussi d’une volonté de le faire ensemble, et donc d’être plus forts...

C’est clair ! Un proverbe de chez nous dit que c’est avec les deux mains que l’on ramasse la farine... On a enclenché un processus qui ne va pas s’arrêter demain. Une partie du mérite en revient d’ailleurs aux initiateurs du projet « Drop the Debt ». Et aujourd’hui, c’est le festival Esperanzah ! qui prend le relais. Je pense que les artistes ont compris qu’ils avaient un rôle prépondérant à jouer. Ensemble !

C’est nouveau ?

Au niveau de l’Afrique, sur la question de la dette, c’est nouveau, effectivement. L’intérêt, dans ce projet commun contre la dette, c’est la dynamique : d’abord un disque, puis un grand concert, à Annemasse, en France, au moment du sommet du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. - avec Tiken Jah Fakoly, Sally Nyolo, Manu Chao et d’autres -, puis d’autres concerts encore, et maintenant le festival... C’est un projet qui se tient. Ce qui n’enlève rien à ce qui s’est fait par le passé : des chanteurs ont fait énormément, par exemple en Côte d’Ivoire, pour la prise de conscience des gens. Et d’autres le font, tous les jours, à leur manière, un peu partout. Mais c’est vrai qu’ici, la mobilisation est commune, très forte, et particulière. Il est même question de mettre en place, à l’occasion d’Esperanzah !, une sorte d’association des artistes musiciens africains, qui jusqu’ici n’existait pas. Je pense que beaucoup d’artistes comprennent qu’ils ne peuvent pas rester retranchés dans leur tour d’ivoire, et qu’ils ne sont plus condamnés à l’isolement. On est peut-être à un tournant de la lutte !

Propos recueillis par Yannick Bovy, CADTM.


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