10 mars 2020 par Milan Rivié
Depuis 1980, les pays du Sud [1] ont remboursé 18 fois ce qu’ils devaient en 1980 mais dans le même temps, leur niveau d’endettement a été multiplié par plus de 12. Entre 2000 et 2018, la dette extérieure publique des pays du Sud a plus que doublé, passant de 1300 à 2940 milliards de $US [2]. Institutions financières internationales, marchés financiers, gouvernements, organisations, mouvements sociaux, tous s’inquiètent des taux d’endettement atteint alors qu’une nouvelle crise de la dette est déjà amorcée dans une dizaine de pays selon les données du FMI.
Pourtant, et contrairement à l’idée reçue selon laquelle les pays du Nord viendraient en aide aux pays du Sud, une analyse de l’ensemble des flux financiers Nord-Sud démontre que pour 1 euro envoyé depuis les pays du Nord vers les pays du Sud (via les investissements directs étrangers - IDE, l’aide publique au développement - APD, Investissements de portefeuille, aide privée, autres flux officiels), 3 euros empruntent le chemin inverse (Flux financiers illicites, service de la dette, profits rapatriés par les investisseurs) [3]. Malgré ces flux, le « système dette », rouage du système capitaliste, maintient dans une position de dépendance les pays du Sud face aux pays dits développés.
Cette dépendance répond bien moins à une « loi naturelle » qu’à une construction historique imposée dès la fin du XVIe siècle au profit de ceux que l’on appelle désormais « les pays les plus industrialisés » ou « les pays riches ».
Ainsi aujourd’hui, tant sur un plan historique qu’en raison du poids politique, économique ou encore financier qu’ils ont obtenu aux dépens de l’écrasante majorité de la population mondiale, les pays de l’UE – en particulier les pays de l’Europe de l’Ouest et du Nord – ont une responsabilité non-négligeable sur le développement des pays du Sud, tant sur un plan unilatéral (« anciens » empires, passage du colonialisme au néocolonialisme, accords de libre-échange spécifiques, Françafrique, etc.), que multilatéral (accords de libre-échange continentaux (Eurafrique), réglementations sur les questions fiscales, adhésion et droits de vote des pays de l’UE au sein des institutions financières internationales (Banque mondiale - BM, Fonds monétaire international - FMI, Banque européenne d’investissement - BEI, Organisation mondiale du commerce - OMC, Groupe des 7/20 (G7/20), Club de Paris, OCDE, etc.), représentations au Conseil de sécurité de l’ONU, politiques migratoires, etc.).
Pour répondre aux nombreux défis climatiques, économiques, sociaux, etc. auxquels les Etats et les populations font déjà face et pour atteindre d’ici 2030 les (insuffisants) objectifs de développement durable (ODD), la dette est centrale. Plus qu’une simple question financière, la dette est avant tout un enjeu politique dont il faut questionner la légitimité.
Pour identifier les créances douteuses, illégitimes ou/et odieuses de l’Europe envers des pays tiers, il est donc nécessaire de prendre, dans une perspective historique, en considération l’ensemble de ces dimensions.
Les autorités des pays de l’UE se doivent de reconnaître leur responsabilité dans les inégalités mondiales tout en permettant aux peuples des pays du Sud de se développer sur le plan humain dans les meilleures conditions
Alors qu’à la fin du XVe siècle, les historiens s’accordent à dire que les puissances d’Europe occidentale n’étaient pas supérieures à d’autres grandes régions du monde (Afrique, Amérique du Sud, Asie), un fossé s’est peu à peu constitué amenant ces derniers dans une situation de dépendance à l’égard des premiers ainsi qu’à un développement du sous-développement. Celui-ci a été consciemment construit et imposé par l’intermédiaire de différents mécanismes.
Conquête et colonisation par la force, pillage systématique des ressources naturelles, surexploitation (voire extermination) des populations colonisées, imposition d’un ensemble de valeurs culturelles, économiques, politiques et religieuses extérieures aux multiples modes de fonctionnement, us et coutumes en présence, occupation militaire, imposition du libre-échange et du recours à l’endettement extérieur ; l’ensemble de ces mécanismes de transferts de richesses imposés par les classes dominantes des puissances occidentales entre le XVe le XXe siècle ont conduit à un appauvrissement de l’ensemble des pays du Sud même si une minorité privilégiée locale en a elle-même profité. En effet, ce processus a progressivement participé à la construction d’une économie mondiale hiérarchisée où les différentes régions dominées de la planète ont été mises en relation de manière brutale avec la vague d’expansion de l’Europe occidentale.
A l’heure où les traités commerciaux de libre-échange se succèdent (CETA, TTIP, MERCOSUR
Mercosur
Le Mercosur est une zone régionale de coopération économique du Cône Sud (marché du Cône Sud) qui rassemble le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, en plus de deux pays associés, le Chili et la Bolivie.
, ALENA, APE, etc.), il convient de remarquer que les pays du Nord, dont ceux de l’UE, ont pratiqué pendant de longues périodes des politiques protectionnistes afin de favoriser leur propre développement. Alors qu’une nouvelle crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays du Sud se répand sur l’ensemble des continents, les autorités des pays de l’UE se doivent de reconnaître leur responsabilité dans les inégalités mondiales tout en permettant aux peuples des pays du Sud de se développer sur le plan humain dans les meilleures conditions. Cela passe nécessairement par le financement de ces mêmes pays par des dons tout en leur permettant de protéger et développer leurs économies sans que celles-ci ne soient menacées par des mécanismes d’échange inégal. A cet effet, l’abolition des traités commerciaux de libre-échange asymétriques, la réinstauration de barrière douanière par les pays du Sud, ou encore la protection et le développement souverain des secteurs primaires et secondaires sont indispensables.
2.1 Les créances bilatérales
D’après les données de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, la dette extérieure publique des pays du Sud atteint près de 3.000 milliards de $US. La part bilatérale de cette dette est évaluée à 437,9 milliards de $US, soit près de 15 %.
A ce jour, en raison d’un manque de transparence des pays de l’UE, et plus généralement de l’ensemble des pays du Nord, il n’est pas possible de déterminer précisément les encours de créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
respectifs des pays de l’UE sur les pays du Sud. En effet, France à part, il semblerait que ces données ne soient pas publiques. Néanmoins, en croisant les données disponibles (FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, Banque mondiale, Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
) et en s’appuyant sur des données transmises par de hauts fonctionnaires, il est certain que les pays de l’UE détiennent une part significative de la dette extérieure publique bilatérale des pays du Sud (cf. tableaux 1 à 3).
Tableau 1. Encours de créances de 4 pays de l’UE sur les pays du Sud
Allemagne | Belgique | France | Royaume-Uni | |
Encours en date du | 31 décembre 2018 | 31 décembre 2014 | 31 décembre 2018 | 31 décembre 2017 |
Créances totales (en millions de $US) [4] | 15 047 | 289 | 45 094 | 2 589 |
Nombre de pays du Sud endettés | 69 | 42 | 94 | 19 |
Tableau 2. Pays les plus endettés à l’égard d’un créancier bilatéral européen
Pays créancier | Pays débiteur (en millions de $US) | |||
Allemagne (au 31/12/2018) | Égypte | Inde | Argentine | |
2 048 | 1 664 | 1 093 | ||
Belgique (au 31/12/2014) | Indonésie | Algérie | Ghana | |
44 | 36 | 33 | ||
France (au 31/12/2018) | Maroc | Colombie | Indonésie | |
2 834 | 1 953 | 1924 | ||
Royaume-Uni (au 31/12/2017) | Soudan | Cuba | Irak | |
1096 | 262 | 241 |
Il est également utile d’observer les encours de créances de ces pays en mettant en perspective leur passé colonialiste et/ou leurs liens actuels avec des régimes autoritaires.
Tableau 3. Créances sur d’anciennes colonies et des zones d’influence
Pays créancier | Pays débiteur (en millions de $US) | |||||
Allemagne (au 31/12/2018) | Cameroun | Namibie | ||||
26 | 55 | |||||
France (au 31/12/2018) | Algérie | Cameroun | « Indochine » | Égypte | Gabon | |
161,61 | 1299,61 | Cambodge : 217,89 Laos : / Vietnam : 1 140,26 |
1 211,71 | 325,99 | ||
Irak | Mozambique | Rwanda | Soudan | Tunisie | ||
1 172,91 | 180,75 | 5,46 | 348,02 | 1 005,79 | ||
Royaume-Uni (au 31/12/2017) | Irak | Somalie | Soudan | Zimbabwe | ||
241,92 | 83,04 | 1 096,27 | 395,4 |
Ce bref résumé des principales créances de quelques-unes des plus grandes puissances de l’UE permet d’avoir un aperçu des enjeux en présence. Une analyse approfondie devrait être entreprise pour tirer de solides conclusions, mais il apparait d’ores et déjà une corrélation entre le passé colonial de ces puissances ainsi que dans plusieurs régions instables ces dernières années (ex : Égypte, Irak, etc.). Dès lors, ces créances doivent être identifiées comme illégitimes et odieuses (cf. encadré ci-dessous).
Quelques exemples de créances douteuses France-Cameroun [5] : Au 31 décembre 2018, la France comptait plus d’un milliard d’euros de créances sur le Cameroun, pays qui n’a connu que deux présidents depuis l’obtention de son indépendance le 1er janvier 1960. Appuyé par les forces militaires et politiques françaises, Ahmadou Babatoura Ahidjo se retrouve propulsé à la tête du pays le 5 mai 1960. Paul Biya reprend le flambeau en novembre 1982, sans passer par la case élection. Pour l’État français, maintenir au pouvoir Paul Biya est un moyen de promouvoir des entreprises françaises passées maîtres dans l’exploitation des ressources naturelles et des êtres humains à l’image de l’empire commercial détenu par Bolloré. France-Tunisie [6] : La dette de la Tunisie accumulée sous Ben Ali a eu pour principales conséquences de légitimer un pouvoir despotique en finançant certains projets d’infrastructures et de libérer d’autres fonds pour maintenir ce pouvoir autoritaire par la coercition. Or, entre 2011 et 2016, plus de 80 % des prêts contractés par la Tunisie ont servi à rembourser la dette contractée par l’ancien régime. La France a pourtant annoncé fin 2016 la conversion d’un milliard d’euros de créances en projets d’investissement. Cette conversion est un cadeau empoisonné : l’argent dû par la Tunisie à la France sera déboursé dans des investissements qui favoriseront très probablement des entreprises françaises et il y a fort à parier qu’une partie des sommes sera comptabilisée dans l’aide publique au développement de la France. Or, cette dette mérite d’être annulée purement et simplement : la convertir revient à un blanchiment de dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions : 1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État. 2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation. Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux. (voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ). Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis. Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ». Sack a défini un gouvernement régulier comme suit : « On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. » Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses. ! France-Rwanda [7] : L’opération Turquoise de juin 1994 a entre autres choses permis à des responsables rwandais de fuir avec de nombreux documents prouvant le lien entre les financements du génocide et les prêts dont a bénéficié le pays par les IFIs à partir du milieu des années 1980, Banque mondiale et FMI en tête. La découverte de nombreuses archives n’ayant pu être emportées atteste ce lien et prouve par conséquent que l’essentiel de la dette réclamée au Rwanda constitue une dette odieuse qui doit être déclarée nulle. Bien que la majorité de cette dette soit à destination des Institutions de Bretton Woods, la France encourait encore des créances sur le Rwanda pour un montant de 5,46 millions d’euros au 31 décembre 2018. France-Égypte [8] : En juillet 2013, Abdel Fattah Al-Sissi, alors chef de l’armée égyptienne, a profité de la poursuite d’un impressionnant mouvement révolutionnaire pour prendre le pouvoir par les armes. Dans les semaines qui avaient suivi, il a déployé une répression féroce contre les partisans des Frères musulmans ou présumés tels, et contre tous les opposants politiques. La France, qui a déroulé le tapis rouge pour accueillir Al-Sissi en octobre 2017, détenait plus d’un milliard d’euros de créances sur l’Égypte au 31 décembre 2018. Formellement, ces prêts bilatéraux servent généralement à la mise en œuvre de partenariats commerciaux et d’investissements divers – une part importante des financements français est ainsi consacrée au développement du métro du Caire. Ces prêts ont pour principales conséquences de renforcer la dépendance de l’Égypte à des puissances tierces et de légitimer un despote. Par ailleurs, en accordant des fonds pour la construction de lignes de métro, la France a permis à Al-Sissi d’en libérer d’autres pour acheter ses équipements militaires. En février 2015, ce sont des contrats portant sur 24 avions de chasse Rafale une frégate et des missiles, qui étaient signés pour un montant total de 5,2 milliards d’euros. Pour près de moitié, ces 5,2 milliards d’euros sont financés par un prêt émis auprès d’un « pool » de banques commerciales Banques commerciales Banque commerciale Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier. , regroupant notamment la BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole. Un prêt garanti par … Bpifrance, la banque publique d’investissement du ministère des Finances français. L’État français porte ainsi une lourde responsabilité dans la répression sanglante qui a permis l’affirmation d’un nouveau pouvoir dictatorial en Égypte. Or, les dettes de l’Égypte envers la France sont odieuses – c’est le Parlement européen lui-même qui le dit, dans une résolution du 10 mai 2012 se rapportant aux dettes des régimes renversés en 2011. Pour plus d’informations, voir notre série : « Créances douteuses : la dette n’a pas d’odeur » |
2.2 Les créances de la Banque européenne d’investissement (BEI)
Par leur politique de prêts, les pays de l’UE peuvent également exercer une influence sur les pays du Sud par l’intermédiaire de la BEI. En volume de prêts, elle est aujourd’hui la première institution financière multilatérale. En 2018, la BEI a financé 101 projets pour un montant de 9 milliards d’euros [9]. Ses encours de créances sur les pays du Sud (UE et hors UE confondus - 102 pays ou régions) avoisinent les 70 milliards d’euros [10].
Identifier l’impact des politiques financières européennes sur le développement sur le Sud passe nécessairement par une étude des prêts et projets financés par la BEI. Une telle étude est d’autant plus nécessaire que la BEI essuie un certain nombre de critiques d’organisations de la société civile. Manque de transparence, aide liée aux entreprises européennes, normes environnementales défaillantes, promotions des retombées économiques au détriment de la lutte contre la pauvreté, sont autant d’éléments inquiétants pour une institution « gérant un portefeuille deux fois plus important que celui de la Banque mondiale » [11].
3.1 La Banque mondiale et le FMI
Organes des Nations unies et créées en 1944, les institutions de Bretton Woods (IBW), jouent un rôle négatif sur les trajectoires de développement des pays du Sud. Tandis que la BM finance des projets de développement en empruntant sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, le FMI prête aux États du Sud en difficultés financières.
Les dettes réclamées par la Banque mondiale et le FMI aux pays du Sud présentent un caractère illégitime et odieux, et doivent par conséquent être annulées
Alors que l’orientation politique et idéologique de la Banque mondiale et du FMI a été maintes fois dénoncée [12] (notamment dans le cadre de l’application du consensus de Washington et des programmes Doing Business & Benchmarking business of agriculture), ces dernières ont une influence considérable, tant au niveau de la mise en place et du suivi des objectifs de développement durables (ODD – ex-objectifs du millénaire pour le développement (OMD)) de l’ONU dans le cadre du plan d’action d’Addis Abeba (PAAA) et de l’agenda 2030 qu’au niveau du financement des projets de développement et de l’application de mesures structurelles ou encore à la promotion des partenariats publics-privés (PPP) pourtant nuisibles [13].
Le caractère néfaste des politiques dictées par le FMI provoque régulièrement des protestations massives. C’est le cas de l’Argentine où le crédit de 57 milliards de dollars octroyé en 2018 par le FMI au gouvernement néolibéral de droite argentin dirigé par Mauricio Macri, allié des États-Unis, a débouché sur une situation financière catastrophique. Cela a entraîné un profond mécontentement populaire et la défaite de Mauricio Macri aux élections présidentielles d’octobre 2019. Une grande majorité du peuple argentin est opposée au remboursement de la dette au FMI. De même en Équateur où le peuple s’est mobilisé en septembre 2019 contre l’augmentation du prix des combustibles dictée par le FMI afin de rembourser la dette. La mobilisation populaire et notamment des peuples natifs d’Équateur a abouti à une défaite du FMI et le gouvernement de droite a dû abroger la mesure.
Enfin, nous ne devons pas oublier que les États européens font partie d’institutions internationales qui dépassent le cadre européen : le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM), et même la Banque africaine de développement pour certains États européens, en particulier les anciennes métropoles coloniales. C’est le cas également pour la Banque asiatique de développement, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) et la Banque interaméricaine de développement (BID). Les États européens ont une lourde responsabilité dans la politique néfaste qu’elles mènent.
Étant donné : 1. le caractère anti-démocratique de ces institutions, 2. les contradictions entre les plans d’ajustement structurels du FMI et plusieurs traités internationaux sur les droits humains ; 3. la responsabilité de ces institutions dans l’éclatement de la crise de la dette du tiers monde en 1980, 4. le financement passé et présent de régimes despotiques ou dictatoriaux par le FMI et Banque mondiale, les dettes réclamées par ces institutions aux pays du Sud présentent un caractère illégitime et odieux, et doivent par conséquent être annulées.
Si les États-Unis conservent une mainmise certaine sur ces deux institutions depuis leur création, en vertu des droits de vote dont disposent les pays de l’UE (ou groupes de pays présidés par un pays de l’UE) [14], ces derniers ont également une responsabilité certaine dans les niveaux d’endettement des pays du Sud [15]. En additionnant leurs droits de vote respectifs (en tant que pays ou groupe de pays), les pays de l’UE pourraient disposer d’un droit de veto sur l’ensemble des décisions des IBW contraires aux ODD et plus largement aux respects des droits humains fondamentaux.
3.2 Le G7
G7
Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing.
et le G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
Créés respectivement en 1975 et en 1999, le G7 et le G20 rassemblent les Etats considérés comme les principales puissances du monde. Alors que les décisions prises par ces deux groupes ont une influence majeure sur les politiques économiques, financières et commerciales internationales qui s(er)ont mises en place, ils ne disposent d’aucune légitimité.
Au sein de ces deux groupes, les pays de l’UE sont fortement représentés. On y retrouve l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni auxquels s’ajoute la représentation de l’Union européenne par l’intermédiaire des présidents du Conseil européen et de la Commission européenne.
Étant donné le poids prépondérant de certains pays de l’UE (et de l’UE en tant qu’organe politico-économique) et les déséquilibres Nord/Sud, centre(s)/périphérie(s) alimentés par les décisions prises par ces deux groupes sur les stratégies de développement et les niveaux d’endettement des pays du Sud, le caractère illégitime et odieux des créances de l’UE sur les pays du Sud est également à explorer sous le prisme du G7/G20.
3.3 Le Club de Paris
Le Club de Paris est une organisation informelle rassemblant des États. Il s’est attribué le rôle « d’assurer le recouvrement des créances officielles et de coordination des créanciers publics lors des restructurations de dettes ». Il négocie la restructuration de la dette des pays qui le sollicitent. Créé en 1956, il n’a ni existence légale, ni charte, ni personnalité juridique et se présente lui-même comme une « non-institution ». Il est aujourd’hui constitué de 22 membres dont 12 pays de l’Union européenne [16] (voir carte). Si d’après les données disponibles sur le site du Club de Paris, il n’est pas possible de distinguer pays par pays les créances bilatérales, on sait néanmoins que les 22 pays membres du Club de Paris détiennent à eux seuls 315 milliards de $US de créances en 2018 soit 76 % de la dette extérieure publique bilatérale et 12 % de la dette extérieure publique des pays du Sud [17].
Décrié par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(CNUCED) [18], mais disposant d’un soutien sans faille du G20 et des IBW, le Club de Paris et ses pays membres ont une responsabilité significative dans l’endettement des pays du Sud. D’une part, l’ensemble des « accords » de renégociation de dettes sont soumis à la signature d’un accord préalable avec le FMI et la mise en place de plans d’ajustement structurel. D’autre part, les réaménagements de dettes ne prennent pas en compte la nature des dettes renégociées (cf. encadré sur la Norvège). En conséquence, le caractère illégitime voire odieux des créances de l’UE sur les pays du Sud est également à explorer sous le prisme du Club de Paris.
Une démarche à suivre : La Norvège reconnait le caractère illégitime et odieux de ses créances sur 5 pays En 2006, après plusieurs années de campagnes menées par les mouvements sociaux, l’État Norvégien a cédé à la pression en reconnaissant le caractère illégitime voire odieux des créances qu’elle détenait envers cinq pays depuis la fin des années 1970. En procédant à un audit et à l’annulation unilatérale et sans conditions de ses créances envers l’Équateur, l’Égypte, la Jamaïque, le Pérou et la Sierra Leone pour un montant avoisinant 80 millions de dollars US [19], la Norvège a lancé un débat d’envergure internationale sur la responsabilité des créanciers vis-à-vis des emprunteurs. En effet, en vertu du principe de solidarité, le fonctionnement du Club de Paris interdit à ses membres de prendre des initiatives pouvant mettre en porte à faux les autres membres [20]. Pour cette raison, plusieurs pays membres du Club de Paris avaient reproché à la Norvège [21] d’avoir reconnu le caractère illégitime de certaines de ses créances en 2006. La Norvège a alors annoncé le caractère exceptionnel et unilatéral de cette décision [22], évitant ainsi de remettre en cause le Club et son fonctionnement. |
3.4 Les Nations unies
Regroupant 193 États, l’Organisation des Nations unies (ONU) est aujourd’hui la moins asymétrique des organisations internationales existantes. Elle vise notamment à faciliter la coopération internationale et à œuvre à la promotion et au respect des droits humains fondamentaux. Les 28 pays de l’UE en sont membres.
Parmi ses nombreux champs d’action, l’ONU traite, notamment par l’intermédiaire de la CNUCED ou du Conseil des droits de l’homme, des questions de dette et de développement [23]. Tous membres de l’ONU, les 28 pays de l’UE ont donc un rôle à jouer pour garantir le respect des droits humains fondamentaux face aux niveaux d’endettement des pays du Sud. Mais loin d’agir en ce sens, les pays de l’UE s’abstiennent ou s’opposent régulièrement aux résolutions de l’ONU – souvent à l’initiative des pays du Sud – à ce sujet. Citons notamment les abstentions des pays l’UE lors du vote pour l’adoption de la résolution sur les « principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine » du 10 septembre 2015 [24] visant notamment à contrer l’action des fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
[25] ou encore lors de l’adoption de la résolution sur les effets de la dette extérieure sur les droits humains le 21 mars 2019 [26]]]. Promues par les pays du Sud, ce type de résolution doit régulièrement faire face à l’opposition des Etats membres de l’UE.
4.1 Le quantitative easing
En 2015, le think-tank Global Financial Integrity estimait les flux financiers illicites annuels sortant des pays du Sud entre 438 et 600 milliards de $US, soit 20 % de la dette extérieure publique des pays du Sud
En réponse au déclenchement de la crise financière de 2007-2008, la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) a mis en place une politique de quantitative easing (QE – assouplissement quantitatif). Au-delà des effets très discutables de cette politique en Europe, le QE a provoqué un afflux massif de capitaux des pays de l’UE vers les pays du Sud. A la recherche d’investissement rentables, d’importantes liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
ont été déversés dans ces pays. Les investisseurs européens se sont rués sur les émissions d’obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
des pays du Sud, ceux-là même qui conduisent ces pays à des niveaux d’endettement inquiétants voire insoutenables. Alors qu’une nouvelle crise de la dette se propage, ces flux financiers, hautement spéculatifs, contribuent davantage à déstabiliser les économies de ces pays qu’à les renforcer.
Après les différents scandales fiscaux (Panama Papers, LuxLeaks, MauritiusLeaks, LuandaLeaks, etc.) qui ont éclaté ces dernières années grâce aux informations fournies par plusieurs lanceurs d’alertes, l’UE avait promis de s’atteler à lutter contre l’évasion fiscale. Néanmoins, peu de choses semble avoir été mis en place pour éradiquer ce phénomène.
Au contraire, alors que les lanceurs d’alertes ne sont pas véritablement protégés, plusieurs pays réputés pour leur politique laxiste en termes de taxation (Hongrie, Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, etc.) continuent de jouer un rôle majeur dans l’évasion fiscale de multinationales dont les profits tirés de l’exploitation des ressources naturelles et des travailleur-euses dans plusieurs pays du Sud transitent par certain pays de l’UE pour un taux d’imposition final pouvant avoisiner les 0,0005 %. Cette évasion fiscale est autant d’argent détourné et manquant pour financer le développement des pays du Sud. Les dettes contractées directement ou indirectement par ces derniers pour combler cet énorme manque à gagner doivent être considérées comme illégitimes.
Par ailleurs, il conviendrait d’analyser le rôle joué par l’UE (et/ou certains pays de l’UE) dans l’existence d’un certain nombre de pays jouant un rôle significatif dans ces mécanismes (ex : Andorre, Liechtenstein, Luxembourg, Monaco, etc.).
Plus largement, en 2015, le think-tank Global Financial Integrity estimait les flux financiers illicites annuels sortant des pays du Sud entre 438 et 600 milliards de $US [28], soit plus ou moins 20 % de la dette extérieure publique des pays du Sud.
4.3 Le rôle de la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière dans l’endettement des pays du Sud
En raison du poids politique, économique et financier important de plusieurs pays de l’Ouest de l’Europe (Allemagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni), ces pays jouent au moins indirectement un rôle majeur dans la spéculation financière, notamment sur le prix des matières premières. Malgré plusieurs effets d’annonce et réformes timides depuis le déclenchement de la crise financière en 2007-2008, l’UE n’a pas véritablement œuvré à la mise en place de réglementations solides sur les secteurs financiers et bancaires.
En s’appuyant sur des principes généraux de droit qui s’applique indépendamment de l’existence d’éventuelle(s) clause(s) sur les contrats de prêts (par exemple la clause « rebus sic stantibbus » applicable dans le cadre d’un changement radical de circonstances [29]), les pays du Sud pourraient considérés comme illégitimes le remboursement des dettes consécutives à une hausse brutale des taux d’intérêts ou à une baisse brutale du prix des matières premières.
4.4 L’aide publique au développement
Le terme « développement », dans son acception actuelle, provient du discours du 20 janvier 1949 d’Harry Truman, alors président des États-Unis. Proposé comme une poursuite de la prétendue « mission civilisatrice » de la colonisation, le développement et son financement ne sont pas neutres. Ainsi, les prêts publics d’aide au développement ont souvent défendu des intérêts politiques (guerre froide, néocolonialisme, etc.) ou économiques (firmes transnationales, ressources naturelles, accords commerciaux, etc.) des pays prêteurs ou des classes dominantes dans les pays débiteurs. Par ailleurs, cette aide est « conditionnée » par la réduction du déficit public, la privatisation, la bonne conduite écologique, l’attention aux plus pauvres, la démocratisation, etc. Toutes ces conditions sont définies par les principaux gouvernements du Nord et le couple Banque mondiale/FMI. Cette aide passe par trois canaux : l’aide multilatérale, l’aide bilatérale et les ONG [30]. En outre, un certain nombre de fonds comptabilisés dans l’APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. sont discutables car ne transitent jamais vers le pays bénéficiaire (ex : politique de contrôle des flux migratoires, accueil/prise en charge des étudiants, annulations de dette, conversions de dettes en investissement).
Étant donné la responsabilité historique et actuelle d’un certain nombre de pays de l’UE dans la trajectoire de développement et d’endettement des pays du Sud, l’APD devrait être revue, à la fois qualitativement et quantitativement et être adressée uniquement sous formes de dons. Les prêts à rembourser aux pays de l’UE pourraient être considérés, au moins en partie, comme illégitimes.
4.5 La promotion des partenariats public-privé (PPP)
Sous prétexte d’accélérer le développement des pays du Sud, de réduire la pauvreté et les inégalités dans le monde, les différentes institutions (cf. point 3.) mettent en avant le recours au financement du secteur privé. On retrouve cette disposition dans les recommandations de la CNUCED, de l’agenda 2030 ou encore du plan d’action d’Addis Abeba afin de réaliser les objectifs de développement durable.
Un des moyens privilégiés pour favoriser l’intervention du secteur privé est la promotion des PPP, les partenariats public-privé. Autrefois financés par les Etats, le financement et la réalisation de biens et services d’infrastructures sont alors confiés au secteur privé. Encouragés par des traités limitant l’investissement en contrôlant les déficits budgétaires, les PPP posent une série de problèmes. Parmi les principales critiques, citons notamment : un manque de transparence dans les appels d’offre et dans la comptabilité, des surfacturations, des désengagements, un non-respect des normes en vigueur, une absence de consultation publique et de bénéfices pour la population, des contrats de locations de plusieurs dizaines d’années aux frais des pouvoirs publics, etc. En ce sens, les PPP sont à rejeter.
La dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation [31]. Elle trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités : la « dette du carbone », la biopiraterie, les passifs environnementaux, l’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels. Par ailleurs, dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
Dès lors, l’ensemble des prêts contractés directement ou indirectement par les pays du Sud auprès des pays de l’UE pour faire face aux effets des activités susmentionnées doivent être considérés comme illégitime. Alors que les effets et impacts du réchauffement climatique s(er)ont plus importants pour les pays du Sud, la reconnaissance de la dette écologique est nécessaire et indispensable.
Afin de reconnaître (et permettre la reconnaissance de) leurs créances illégitimes et ainsi promouvoir des formes de développement souverains et soutenables des pays du Sud, les pays de l’UE devraient, sans aucune forme d’ingérence, s’engager à :
L’auteur remercie les membres du CADTM Belgique pour leurs relectures et suggestions
[1] Nous entendons par pays du Sud, l’ensemble des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire définis par la Banque mondiale. Disponible à : https://donnees.banquemondiale.org/niveau-de-revenu/revenu-faible-et-intermediaire?view=chart
[2] D’après les données disponibles sur le site de la Banque mondiale en date du 8 septembre 2019.
[3] Considérant que les envois de la diaspora constituent une solidarité de classe, ceux-ci sont volontairement exclus de ce calcul. La Banque mondiale les évaluait à 551 milliards de $US en 2019. Voir : https://blogs.worldbank.org/peoplemove/data-release-remittances-low-and-middle-income-countries-track-reach-551-billion-2019
[4] Hors intérêts, arriérés et pénalités de retard.
[5] Milan Rivié, « France-Cameroun : Permis de piller ! », CADTM, 14 février 2018. Disponible à : https://www.cadtm.org/France-Cameroun-Permis-de-piller
[6] Nathan Legrand, « Tunisie : La France blanchit une dette odieuse », CADTM, 20 février 2018. Disponible à : https://www.cadtm.org/Tunisie-La-France-blanchit-une-dette-odieuse
[7] Renaud Duterme, « Rwanda-France : Responsabilités et financement du génocide », CADTM, 25 novembre 2018. Disponible à : https://www.cadtm.org/Rwanda-France-Responsabilites-et-financement-du-genocide
[8] Nathan Legrand, « Egypte : La France a du sang sur les mains », CADTM, 28 janvier 2019. Disponible à : https://www.cadtm.org/Egypte-La-France-a-du-sang-sur-les-mains
[9] Voir « Annual Report 2018, The EIB Outside The European Union, Financing with Global Impact », Banque européenne d’investissement. Disponible à : https://www.eib.org/attachments/country/eib_rem_annual_report_2018_en.pdf
[10] Chiffre calculé par l’auteur sur la base des données disponibles aux pages 110 à 113 du « Financial Report 2018 », Banque européenne d’investissement. Disponible à : https://www.eib.org/attachments/general/reports/eib_financial_report_2018_en.pdf. Pour la définition des pays du Sud, voir note de bas de page n°1.
[11] Voir Wikipedia, « Banque européenne d’investissement ». Consulté le 31/01/2020. Disponible à : https://fr.wikipedia.org/wiki/Banque_europ%C3%A9enne_d%27investissement
[12] Voir notamment les ouvrages d’Éric Toussaint, Banque mondiale : le coup d’Etat permanent et de Joseph Stiglitz, La Grande Désillusion.
[13] Voir notamment Eurodad, “History RePPPeated - How public-private partnerships are failing”, 7 octobre 2018. Disponible à : https://eurodad.org/HistoryRePPPeated
[14] Pour la Banque mondiale, Allemagne (4,08 %), France et Royaume-Uni (3,8 % chacun) rassemblent 11,68 % des droits de vote. Si l’on y ajoute les groupes de pays présidés par l’Autriche (4,86 %), les Pays-Bas (4,08 %), l’Italie (3,37 %) et l’Islande (3,05 %), leurs droits de vote atteignent 27,04 %. Voir : http://pubdocs.worldbank.org/en/329671541106474760/IBRDEDsVotingTable.pdf Pour le FMI, l’Allemagne (5,32 %), la France et le Royaume-Uni (4,03 % chacun) rassemblent 13,38 % des droits de vote. Si l’on y ajoute les groupes de pays présidés par l’Autriche (3,79 %), les Pays-Bas (5,43 %), l’Italie (4,13 %) et l’Islande (3,29 %), leurs droits de vote atteignent 30,02 %. Voir : https://www.imf.org/external/np/sec/memdir/eds.aspx
[15] Citons par exemple les dettes de la région MENA reconnues comme odieuses par le Parlement européen : Sur les dettes odieuses de la région MENA : Résolution du 10 mai 2012, paragraphe 6 : « juge odieuse la dette publique extérieure des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient sachant qu’elle a été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l’enrichissement personnel des élites politiques et économiques… ». Voir www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2012-0201&language=FR&ring=A7-2012-0104
[16] Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède
[17] Voir sites de la Banque mondiale et du Club de Paris : http://www.clubdeparis.org/fr/communications/communique-presse/club-paris-publie-donnees-detaillees-ses-creances-au-31-decembre-3
[18] Voir notamment UNCTAD, Trade and development report 2006, p.78 Disponible à : https://unctad.org/en/docs/tdr2006_en.pdf
[19] Royal Norwegian Ministry of Foreign Affairs, « Cancellation of debts incurred as a result of the Norwegian Ship Export Campaign (1976-80) », Annex to press Release No 118/06, 2 octobre 2006. Disponible à : https://www.regjeringen.no/no/dokumenter/Cancellation-of-debts-incurred-as-a-result-of-the-Norwegian-Ship-Export-Campaign-1976-80/id420457/
[20] Voir les six principes du Club de Paris sur leur site internet. Consulté le 13 mai 2019. Disponible à : http://www.clubdeparis.org/fr/communications/page/six-principes
[21] Kjetil G. Abildsnes, Why Norway took Creditor Responsibility - the case of the Ship Export campaign, ForUM / SLUG, 2007, p.10. Disponible à : https://www.slettgjelda.no/assets/docs/Why-Norway-took-Creditor-Responsibility.pdf
[22] Royal Norwegian Ministry of Foreign Affairs, « Cancellation of debts incurred as a result of the Norwegian Ship Export Campaign (1976-80) », Annex to press Release No 118/06, 2 octobre 2006. Disponible à : https://www.regjeringen.no/no/dokumenter/Cancellation-of-debts-incurred-as-a-result-of-the-Norwegian-Ship-Export-Campaign-1976-80/id420457/
[23] Voir notamment Eurodad, “A toolkit for advocacy at the United Nations”, avril 2018. Disponible à : https://eurodad.org/files/pdf/1546897-a-toolkit-for-advocacy-at-the-united-nations.pdf
[25] Voir « L’ONU clarifie les principes applicables aux questions liées à la dette souveraine », 11 septembre 2015. Disponible à : https://news.un.org/fr/story/2015/09/318432-lonu-clarifie-les-principes-applicables-aux-questions-liees-la-dette-souveraine
[26] [[Voir https://undocs.org/fr/A/HRC/40/L.13 et PFDD, « Le Conseil des Droits de l’Homme encourage les Etats à mettre en œuvre les nouveaux principes directeurs sur les études d’impact des réformes économiques sur les droits humains », 22 mars 2019. Disponible à : http://dette-developpement.org/Le-Conseil-des-Droits-de-l-Homme-encourage-les-Etats-a-mettre-en-œuvre-les
[27] Voir notamment SDG Watch Europe, “Who is paying the bill ? (Negative) impacts of EU policies and practices in the world”, 2019, chapitre 6. Disponible à : https://www.sdgwatcheurope.org/documents/2019/08/whos-paying-the-bill.pdf/
[28] Voir Global financial integrity. Disponible à : https://gfintegrity.org/data-by-country/
[29] Voir « Droits devant ! Plaidoyer contre toutes les dettes illégitimes », CADTM, février 2013. Disponible à : https://www.cadtm.org/Droits-devant
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