Les risques du système bancaire de l’ombre

21 avril 2012 par Daniel Munevar


Un des éléments qui l’objet de l’attention de la part des médias spécialisés depuis la crise de 2008 est ce qu’on appelle le Shadow Banking System (le système bancaire de l’ombre - SBS). Comme son nom l’indique, ce terme regroupe une série d’institutions et de pratiques basées sur l’utilisation de dérivés financiers en dehors de la régulation et de l’attention publique. Or, c’est précisément l’absence de régulation qui a facilité l’expansion rapide dudit segment des marchés de crédit globaux qui est passé d’un volume d’actifs représentant un peu moins de 20.000 milliards de dollars à 60.000 milliards de dollars à son apogée fin 2011 [1].



En dépit du volume des transactions, des actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
en jeu et des risques systémiques qu’il fait courir, le SBS a continué à ne recevoir qu’une attention marginale de la part des médias dont la communication est destinée au grand public. Pour comprendre ce système, il est utile d’effectuer la comparaison avec le système bancaire commercial. En effet, le financement du système bancaire traditionnel est en principe le fruit de la collecte des dépôts des épargnants qui font l’objet de prêts aux entreprises et aux individus. Le SBS fonctionne de manière différente. Pour se financer, une Shadow Bank émet des titres et effets commerciaux à court terme (la durée variant entre 1 jour et 1 mois) qui sont ensuite investis en produits financiers Produits financiers Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements). structurés à long terme comme les Asset Backed Securities (ABS [2]) ou Collateral Debt Obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
(CDO [3]). La marge de profit de ce modèle bancaire provient directement de la différence entre le coût de financement sur les marchés de crédit à court terme et le rendement supérieur fourni par les produits financiers structurés Produits financiers structurés
Produits structurés
Produit structuré
Un produit structuré est un produit généralement conçu par une banque. C’est souvent une combinaison complexe d’options, de swaps, etc. Son prix est déterminé en utilisant des modèles mathématiques qui modélisent le comportement du produit en fonction du temps et des différentes évolutions du marché. Ce sont souvent des produits vendus avec des marges importantes et opaques.
.

La différence fondamentale entre les activités du secteur bancaire traditionnel et du SBS est l’absence de régulation concernant la seconde. Les restrictions en termes de réserves en capital qui obligent une banque à mettre de côté pour chaque prêt une partie du montant du prêt n’ont pas cours dans le cas des marchés de crédit à court terme où s’opèrent les transactions du SBS. Dans leur recherche pour augmenter les niveaux d’effet de levier Effet de levier L’effet de levier désigne l’effet sur la rentabilité des capitaux propres d’une entité (entreprise, banque, etc.) qu’aura son recours à l’endettement (elle augmentera lorsque le coût de l’endettement sera inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à lui, et inversement). Le ratio de levier calcule le rapport entre les fonds propres d’une telle entité et le volume de ses dettes. Les banques ont progressivement augmenté cet effet de levier avec la libéralisation financière, c’est-à-dire que pour 1000 euros de capital le nombre d’euros qu’elles ont pu emprunter a considérablement augmenté. pour accroître les profits, les principales banques étasuniennes et européennes sont entrées dans une forte compétition avec les Hedge Funds Hedge funds Les hedge funds, contrairement à leur nom qui signifie couverture, sont des fonds d’investissement non cotés à vocation spéculative, qui recherchent des rentabilités élevées et utilisent abondamment les produits dérivés, en particulier les options, et recourent fréquemment à l’effet de levier (voir supra). Les principaux hedge funds sont indépendants des banques, quoique fréquemment les banques se dotent elles-mêmes de hedge funds. Ceux-ci font partie du shadow banking à côté des SPV et des Money market funds.

Un Hedge funds (ou fonds spéculatif) est une institution d’investissement empruntant afin de spéculer sur les marchés financiers mondiaux. Plus un fonds aura la confiance du monde financier, plus il sera capable de prendre provisoirement le contrôle d’actifs dépassant de beaucoup la richesse de ses propriétaires. Les revenus d’un investisseur d’un Hedge funds dépendent de ses résultats, ce qui l’incite à prendre davantage de risques. Les Hedge funds ont joué un rôle d’éclaireur dans les dernières crises financières : spéculant à la baisse, ils persuadent le gros du bataillon (les zinzins des fonds de pension et autres compagnies d’assurance) de leur clairvoyance et crée ainsi une prophétie spéculative auto-réalisatrice.
et Private Equity Funds
pour recueillir des financements sur ces marchés là. C’est ainsi que des banques comme BNP PARIBAS ou Dexia ont pu étendre significativement leurs comptes de bilan sans devoir se soucier de collecter les dépôts des épargnants.

Le problème est que ces banques n’intègrent pas ce type de transactions dans leurs comptes de bilan. En effet, pour collecter des ressources sur les marchés de crédit à court terme à travers l’émission de titres, les banques ont précédé à la création d’entités légales parallèles comme les Special Investment Vehicules (SIV [4]) ou Conduits [5]. Bien que les bénéfices des SIV finissent par être enregistrés dans le bilan comptable des banques, les actifs et passifs et finalement le risque de financement de ces entités est comptabilisé de manière séparée.

Du point de vue des marchés, l’existence de cette relation implicite entre les banques et ces entités spéciales revêt deux implications concrètes. Premièrement, les coûts de financement des SIV sont réduits lorsque les marchés savent qu’en cas de problèmes de liquidité Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
ou de solvabilité, les banques responsables de la création de ces entités spéciales les prendront en charge via des crédits ou l’intégration directe dans leurs comptes de bilan. Deuxièmement, les SIV permettent d’augmenter les profits comptables des banques parallèlement à l’évaluation séparée du profil de risque. Dans un environnement caractérisé par des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
faibles, une réduction généralisée de la volatilité et une régulation laxiste permettent de comprendre comment le SBS est passé d’un mécanisme alternatif de financement des entités bancaires étasuniennes et européennes à l’essence même de ces modèles de transactions financières.

L’illusion de l’effet de levier illimité et d’une augmentation permanente des profits s’est achevée avec l’accroissement de la volatilité sur les marchés de produits financiers structurés en 2007. Le premier protagoniste connu du SBS qui a éprouvé des difficultés a été le Hedge Fund High-Grade Structured Credit Streategies (HGSCS) administré par Bear Stearns. En mars 2007, le HGSCS avait des positions ABS sur le marché des Subprimes Subprimes Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
d’une valeur totale de 13,7 milliards de dollars avec un capital propre de 925 millions de dollars. L’annonce de pertes pour l’équivalent de 3,7% du portefeuille du Hedge Fund au cours de ce même mois a conduit au retrait par les investisseurs de 100 millions de dollars. La perte de confiance dans le fonds a généré un effet domino par la perte de son accès au marché de financement à court terme ce qui a donné lieu à une vente de ses actifs à des prix en baisse (à 60 cents pour un dollar). Fin juin 2007, Bear Stearns s’est vu dans l’obligation de voler au secours de HGSCS enregistrant ainsi une perte de 3,2 milliards de dollars [6].

Ce schéma d’annonces de pertes, de gel de l’accès à des marchés de financement à court terme et d’intégration dans les comptes de bilan de la banque responsable de pertes significatives conséquentes s’est répété dans le cas de BNP PARIBAS en août 2007, dans le cas de Bear Stearns et Lehman Brothers en mars et septembre 2008. L’histoire est connue, l’effondrement dans ces deux derniers cas a conduit à la disparition de ces institutions financières. Enfin, l’incertitude a fini par affecter une des principales sources de financement du SBS, les Money Market Funds Money Market Funds
MMF
Les Money Market Funds (MMF) sont des sociétés financières des États-Unis et d’Europe, très peu ou pas du contrôlées ni réglementées car elles n’ont pas de licence bancaire. Ils font partie du shadow banking. En théorie, les MMF mènent une politique prudente mais la réalité est bien différente. L’administration Obama envisage de les réglementer car, en cas de faillite d’un MMF, le risque de devoir utiliser des deniers publics pour les sauver est très élevé. Les MMF suscitent beaucoup d’inquiétude vu les fonds considérables qu’ils gèrent et la chute depuis 2008 de leur marge de profit. En 2012, les MMF états-uniens maniaient 2 700 milliards de dollars de fonds, contre 3 800 milliards en 2008. En tant que fonds d’investissement, les MMF collectent les capitaux des investisseurs (banques, fonds de pension…). Cette épargne est ensuite prêtée à très court terme, souvent au jour le jour, à des banques, des entreprises et des États.
Dans les années 2000, le financement par les MMF est devenu une composante importante du financement à court terme des banques. Parmi les principaux fonds, on trouve Prime Money Market Fund, créé par la principale banque des États-Unis JP.Morgan, qui gérait, en 2012, 115 milliards de dollars. La même année, Wells Fargo, la 4e banque aux États-Unis, gérait un MMF de 24 milliards de dollars. Goldman Sachs, la 5e banque, contrôlait un MMF de 25 milliards de dollars.
Sur le marché des MMF en euros, on trouve de nouveau des sociétés états-uniennes : JP.Morgan (avec 18 milliards d’euros), Black Rock (11,5 milliards), Goldman Sachs (10 milliards) et des européennes avec principalement BNP Paribas (7,4 milliards) et Deutsche Bank (11,3 milliards) toujours pour l’année 2012. Certains MMF opèrent également avec des livres sterling. Bien que Michel Barnier ait annoncé vouloir réglementer le secteur, jusqu’à aujourd’hui rien n’a été mis en place. Encore des déclarations d’intention...
1. L’agence de notation Moody’s a calculé que pendant la période 2007-2009, 62 MMF ont dû être sauvés de la faillite par les banques ou les fonds de pensions qui les avaient créés. Il s’est agi de 36 MMF opérant aux États-Unis et 26 en Europe, pour un coût total de 12,1 milliards de dollars. Entre 1980 et 2007, 146 MMF ont été sauvés par leurs sponsors. En 2010-2011, toujours selon Moody’s, 20 MMF ont été renfloués.
2 Cela montre à quel point ils peuvent mettre en danger la stabilité du système financier privé.
(MMF [7]). Au cours de la semaine qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, les MMF ont été confrontés à des retraits de la part des investisseurs de l’équivalent de 14% de leurs actifs, environ 193 milliards de dollars. Fin octobre 2008, ce montant avait atteint 400 milliards de dollars [8].

Après une période de déclin postérieure à la crise financière associée aux événements décrits, le SBS a commencé à récupérer sa prépondérance dans les stratégies de financement du secteur bancaire. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de comprendre la stratégie de ce segment des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
qui continue d’être un des maillons faibles du système. L’effondrement récent du MMF Global Funds en novembre 2011 le démontre clairement. Un Primary Dealer [9] basé à New York et dirigé par John Corzine ancien directeur de Goldman Sachs, le MMF Global Funds a été mis en faillite par le refus progressif des MMF de financer des entités ayant des expositions sur la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
souveraine européenne. Au cours des mois précédents, ce Fonds avait bâti une importante position dans ces portefeuilles en utilisant des financements à court terme obtenus via l’émission d’effets de commerce à court terme dans les MMF et des profits significatifs dérivés Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
des taux d’intérêt élevés liés aux titres des dettes de pays comme l’Irlande et l’Espagne. Néanmoins, avec la propagation de la rumeur concernant la position risquée [10] assurée par Global Funds, les investisseurs ont commencé à retirer leur argent et le fonds a perdu l’accès au financement à court terme. En l’absence de liquidités pour refinancer ses positions, Global Funds a fait faillite en laissant derrière lui des pertes estimées à 2 milliards de dollars.

Cette histoire récente souligne l’un des risques les plus significatifs pour la stabilité des marchés financiers d’un SBS en expansion. En bonne partie, grâce à l’absence de régulation, des entités qui opèrent sur ce segment peuvent atteindre des niveaux d’effet de levier significatifs qui ne pourraient être atteints autrement. Cependant, l’effet de levier est associé à une haute vulnérabilité quant aux changements liés aux conditions de financement des marchés à court terme qui dans la majorité des cas est impliqué dans des positions complexes associant de faibles liquidités et des engagements à long terme qui ne sont pas faciles à transformer rapidement en liquidités. C’est ainsi qu’un problème de liquidités peut donner lieu très rapidement à un problème de solvabilité et il s’agit finalement de la survie même de l’entité qui est en question.

A la fragilité excessive du SBS, il faut ajouter du point de vue public d’autres risques associés à ce système. Premièrement, en permettant à des banques commerciales Banques commerciales
Banque commerciale
Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
avec des dépôts assurés d’établir des entités spécifiques, on a une violation des principes mêmes qui ont conduit à l’établissement d’assurances sur les dépôts. Lesdites garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). ont pour objectif de protéger les dépôts des épargnants et exigent en contrepartie une gestion stable et sûre de la part des banques. Néanmoins comme signalé auparavant le risque de financement encouru par les entités spéciales se trouve en dernière instance lié au compte de bilan et enfin aux garanties publiques dont les banques commerciales bénéficient. C’est dire que dans le contexte actuel les garanties sur les dépôts protègent d’abord les contreparties impliquées dans les transactions du SBS. Les dépôts qui les font exister à l’origine viennent ensuite. Un exemple pratique de cette situation est la récente mesure de la Bank of America d’intégrer à sa banque commerciale ses opérations sur les produits dérivés Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
, ainsi en cas de problème lié aux produits dérivés ces transactions bénéficient de la couverture octroyée par le FDIC pour la banque commerciale [11].

Par ailleurs, il faut également mentionner l’exposition des Fonds de Pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. aux transactions qui se déroulent dans le SBS. Par définition, ces fonds ont l’obligation de gérer un profil de risque d’investissement minime. Des raisons organisationnelles les obligent en même temps à garder un petit pourcentage de leur portefeuille d’investissement en actifs liquides à court terme. Ces actifs liquides facilitent sur le court terme les retraits et les demandes d’espèces. Cependant, étant donné la grande quantité de fonds qu’ils gèrent ce « petit » pourcentage tourne autour de 400 à 500 milliards par an [12]. Ces ressources étaient auparavant investies directement en titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
publique à court terme. L’expansion du SBS et la recherche de marges de rentabilité plus élevées, les securities et autres types de ressources liquides aux mains des fonds de pension font l’objet de prêts au Hedge Funds, aux MMF et autres entités opérant dans l’ombre. Cela a pour conséquence que l’épargne mise sous l’administration des fonds de pension fait l’objet d’un risque dont le public n’a pas conscience.

Un troisième risque est associé aux problèmes qui implique le SBS pour la régulation effective des entités financières. Dans la mesure où les dispositions récentes en matière de régulation ont eu pour objectif de consolider les bases du capital des banques et de réduire leurs niveaux d’effets de levier, cela a eu pour conséquence le retrait des activités les plus risquées des comptes de bilan et de ce fait des registres officiels. Cela permet d’expliquer la forte récupération du SBS au cours de l’année 2011 et au début 2012. Il est alors possible que la réduction récente de l’effet de levier des banques européennes et étasuniennes ne reflète pas une réduction réelle du risque systémique. Les activités les plus risquées et instables pouvant maintenant être hors de portée de l’attention des régulateurs.

Dans l’ensemble, cette série de risques associés au SBS montrent une image extrêmement préoccupante des implications que peuvent avoir une expansion sans contrôle du secteur. La crise de 2008 a montré qu’en cas d’instabilité, les opérations qui ont lieu dans l’ombre finissent par être assumées dans la majorité des cas par des entités financières considérées comme too big to fail qui sont à leur tour sauvées par l’argent public. Dans la mesure où la stabilité d’un système financier réside dans les garanties offertes par l’État c’est de sa responsabilité d’assurer les conditions pour que ces garanties ne doivent pas être utilisées. En ignorant le SBS, les autorités manquent non seulement à leur responsabilité mais préparent la voie de manière accélérée à de nouveaux et chaque fois plus vastes sauvetages financiers en recourant aux deniers publics.

Traduit de l’espagnol par Virginie de Romanet en collaboration avec Eric Toussaint


Daniel Munevar, économiste, est membre du CADTM Colombie et de la coordination du CADTM Abya-Yala Nuestra America

Notes

[1Financial Times, “Traditional lenders shiver as shadow banking grows”, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/f63bea6c-2d5c-11e1-b985-00144feabdc0.html#axzz1lud8ehp

[2Un ABS est un titre qui est le produit de la somme d’un nombre déterminé de prêts individuels aux caractéristiques semblables. Les ressources associées au titre proviennent directement des crédits individuels.

[3Un CDO permet d’établir une structure de paiement subordonnée associée à un groupe d’instruments offrant un rendement fixe comme les titres ou effets de commerce à court terme. L’entité qui émet le CDO établit des segments de risque directement liés avec la rentabilité de l’instrument et sa priorité dans la structure de paiement. Un investisseur qui ne souhaite pas prendre de risque achètera une position senior dans le CDO et recevra alors les premiers paiements de la structure financière. Au contraire, un investisseur à la recherche d’un rendement plus élevé achètera une position présentant plus de risque et moins de priorité de paiement dans ladite structure.

[4Il s’agit d’entités juridiques parallèles crées par les banques d’investissement pour éviter les régulations concernant les réserves en capital. Généralement, ces entités se financent via l’émission d’effets de commerce à court terme. Au milieu de l’année 2007, il était estimé que les banques détenaient globalement dans les SIV un portefeuille en ABS et CDO d’une valeur de 1500 milliards de dollars, Thomas, L. (2011), ¨The Financial Crisis and Federal Reserve Policy¨, Palgrave Macmillan - New York, Ch. 5

[5Les « conduits » ont été établis par les banques pour faciliter le processus de création des ABS à partir de prêts individuels. Au cours de la période entre l’achat des dits crédits et la création puis la vente des ABS, ces crédits étaient maintenus dans les « conduits. » Les « conduits » étant des entités légales indépendantes, les banques n’avaient pas l’obligation de provisionner des réserves en capital pour garantir les actifs de ces entités.

[6Hsu J. y Moroz M. (2010), “Shadow Banks and the Financial Crisis of 2007–2008” en The Banking Crisis Handbook, editado por Gregoriou G., CRC Press - New York.

[7Les Money Market Funds sont des fonds mutuels qui investissent dans des effets commerciaux sûrs à court terme comme les Bons du Trésor des Etats-Unis et des actions et obligations d’entreprises. Ces fonds jouent un rôle central dans l’approvisionnement de liquidités à court terme.

[8Op. Cit. 6.

[9Les Primary Dealer sont les entités chargées aux Etats-Unis de mener à bien l’achat et la vente de titres, en grande partie des bons du Trésor lors des opérations de marché ouvert de la Fed. Jusqu’à la faillite de Global Funds, il existait 18 entités qui assumaient cette fonction.

[10En raison de l’absence relative de liquidités des marchés de titres de la dette souveraine européenne, il est assez compliqué de pouvoir mettre fin à ces positions sur les marchés.

[11¨Bank of America Deadwatch : Moves Risky Derivatives from Holding Company to Taxpayer Backstopped depositoryhttp://www.nakedcapitalism.com/2011/10/bank-of-america-deathwatch-moves-risky-derivatives-from-holding-company-to-taxpayer-backstopped-depositors.html

[12Pozsar Z. y Singh M. (2011), ¨The Nonbank-Bank Nexus and the Shadow Banking System¨, IMF Working Paper - Research Department, WP/11/289

Daniel Munevar

est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.

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