Lettre ouverte à Madame la Directrice Exécutive de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Margaret CHAN

4 mars 2007 par Alison Katz




Par un membre du staff de l’OMS, Mme Alison Katz

Chère Dr Chan,

Vous avez été élue Directrice-Générale de l’OMS, après deux décennies bien décourageantes, durant desquelles l’OMS a été soumise progressivement à la pression de minorités puissantes, détournée de son devoir envers les peuples qu’elle doit servir, et divertie de sa mission de santé publique.

Bref, L’OMS est tombée victime de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néo-libérale- comme la plupart des institutions sociales et économiques sensées servir l’intérêt public. Un certain nombre de personnes dans le staff, dans des positions de responsabilités plus ou moins importantes, ont lutté contre les pires excès de ce processus, mais les dommages sont très étendus.

En plus de la tragédie (et du scandale) que constituent des morts et des maladies évitables, l’OMS a perdu des amis parmi les personnes qu’elle sert et elle a gagné de nouveaux et puissants partenaires à la recherche de nouvelles zones d’influence.

Très certainement les peuples du monde vont la forcer à revenir à l’objectif de justice sociale et économique, et aux principes de Alma Ata dans la santé, principes eux-même fondés sur un nouvel ordre économique international.

La Santé pour tous est devenu le slogan de l’OMS à la fin des Trente Glorieuses (1945-1975) - 30 années de vrais progrès vers un monde plus juste et équitable et donc plus sain. Ce fut une ère de décolonisation ; la nécessité d’une redistribution du pouvoir et des richesses était admise, comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à contrôler leur richesses naturelles, et il y avait un engagement fort pour des services publics universels,

Cet optimisme était pleinement justifié car le monde avait (et a toujours) largement assez de ressources pour assurer la paix, la sécurité et le bien être de tous. « La santé pour tous » n’est pas une utopie - même s’il s’agit d’un objectif bien plus ambitieux que les Objectifs du Millénaire pour le Développement qui sont vraiment des demi-mesures, définies et délimitées par le G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. .

Si 30 années correspondent à la durée des cycles de progrès et de régression, avec un progrès social pour les peuples qui arrive toujours à dépasser un peu les régressions dues aux puissantes minorités s’efforçant de maintenir leur privilèges, nous sommes actuellement à la veille d’embarquer dans un nouveau cycle de progrès.

Et votre mandat de 5 ans comme Directrice Générale de l’OMS coïncide avec ce nouveau cycle de progrès.

Avant de partir, j’aimerai commenter sur quelques remarques excellentes que vous avez faites lors de vos discours [1] depuis votre élection, confiante que votre vision - dussiez-vous mettre en œuvre même une partie sans embuches, renforcera et accélérera ce progrès.

1. L’inégalité, plutôt que la pauvreté et l’insécurité, doit être l’objet de notre attention.

Vous identifiez la pauvreté et l’insécurité comme deux des plus grandes menaces pour une harmonie que vous placez à juste titre « au cœur de la Constitution de l’OMS ». Vous dites que : « la santé est intrinsèquement liée à la fois au développement et à la sécurité et donc à l’harmonie. » Une approche de justice sociale irait plus loin en disant que la paix et la sécurité ne peuvent pas être obtenues sans la justice, et la santé ne peut pas être atteinte sans un développement équitable et émancipateur.

Notre attention devrait se concentrer aujourd’hui sur l’inégalité plutôt que sur la pauvreté, non pas par préférence pour le relatif plutôt que pour l’absolu, mais parce que des rapports de force déséquilibrés sont les causes profondes de la pauvreté et de l’insécurité, et parce que l’inégalité, plus que tel niveau de richesse ou de privation, est néfaste pour la santé autant que pour la stabilité, la sécurité ou la cohésion d’une société.

Les inégalités actuelles - où 1% des adultes, richissimes, à eux seuls, possédaient 40% des biens mondiaux en l’an 2000 et 10% des adultes, les plus riches, 85% des biens du monde, sont non seulement grotesques, mais létales.

2. Le moment est venu d’aller à la rencontre des pauvres, et de concentrer son attention sur les riches.

Il est devenu à la mode de concentrer toute son l’attention sur les pauvres tandis qu’on ne rencontre que les riches, et de ne former des partenariats qu’avec ces riches. Afin de corriger ce problème central qu’est l’inégalité, cette tendance doit être inversée.
Le moment est venu de concentrer son attention sur les riches parce que ce sont les riches et les puissants qui sont des experts en mécanismes de pouvoir inégal et ce sont les architectes des politiques et des stratégies qui produisent, renforcent et accélèrent les inégalités. Ces systèmes doivent être examinés de près, décortiqués en public et contrôlés démocratiquement.

Pour clarifier, il ne s’agit pas ici d’un discours sur le bien et le mal ; ce qui est en jeu c’est un système profondément antisocial et violent, et non pas l’utilisation de ces systèmes par une poignée d’individus voraces.

Les pauvres ne participent pas aux Sommets du G8, aux réunions du Comité Exécutif du Fond Global contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, ou à celles des « fondations philanthropiques », et encore moins au Forum Économique Mondial de Davos où des grands PDG de corporation transnationales se voient offrir des accès encore plus privilégiés aux leaders politiques qu’ils connaissent déjà. Mais les gens pauvres tiennent aussi des meetings et ils sont représentés, même imparfaitement, au Forum Social Mondial (ainsi que dans les fora régionaux et nationaux), dans les réunions syndicales, les mouvement sociaux et politiques, et ailleurs. En tant que Directeur Général de l’OMS, vous vous êtes engagée « envers les peuples de l’Afrique qui supportent un fardeau aussi énorme que disproportionné de mauvaise santé, et de morts prématurées » et vous avez fait de cela « l’indicateur de performance clef de l’OMS ». Votre présence au prochain Forum social mondial (Nairobi 21-23 janvier 2007 coïncide malheureusement avec la réunion de votre premier Bureau Exécutif) et à d’autres événements de même type à l’avenir, représenterait un véritable espoir et une source d’inspiration pour les peuples du monde et un contrepoids essentiel à ces meetings de haut niveau avec les leaders des gouvernements et leurs conseillers et suppôts du secteur privé - qui sont de plus en plus les mêmes personnes.

3. Des Partenariats publics-privés (PPP) ou une base fiscale solide et équitable ?

Vous notez que « le tableau de la politique de la santé publique a l’aspect complexe d’un puzzle avec un grand nombre de joueurs, avec un nombre grandissant d’initiatives pour la santé. » et vous nous rappelez que l’OMS a « mandat de par sa constitution d’agir comme l’autorité qui coordonne et qui dirige dans le domaine de la santé. »

Comme vous le savez, les Partenariat Public-Privés (PPPs) sont maintenant considérés comme LA façon de mettre en œuvre la politique de santé même si ce sont en fait des arrangements qui auraient été interdits il y a 30 ans pour des raisons évidentes de conflit d’intérêt. Les agences et les organisations qui ont des responsabilité publiques forment des ’partenariats’ avec le secteur privé pour la seule raison que ces PPPs sont devenus (ou au moins on le croit) la seule source de financement.
Cette situation s’est développé parce que sous des régimes économiques néo-libéraux, la base fiscale a été systématiquement minée et détruite et les budgets du secteur public coupés. Ce développement est le résultat de l’influence même des compagnies transnationales qui exercent une influence prépondérante sur les gouvernements, de concert avec les institutions financières internationales.

La solution à ce problème n’est pas, pour les organisations publiques, d’aller mendier au secteur privé ni chez les philanthropes célèbres, qui ont toutes sortes d’intérêts dans ces activités.
La solution c’est la justice économique y compris une base fiscale adéquate nationale et internationale pour financer les services publics et les institutions publiques comme l’OMS à travers des budgets réguliers pour qu’elles puissent accomplir leur mission internationales sans l’ingérence des grandes compagnies.

Vous rapportez que « le montant de l’argent mis à disposition par les Fondations, les agences de financement et les gouvernements donateurs est sans précédent ».

Ce sera vraiment un atout si vous êtes à même d’utiliser ces fonds pour poursuivre votre vision et vos priorités, comme c’est de votre droit et de votre devoir. On pourrait même argumenter que si l’OMS avait pu remplir son mandat juste sur le budget régulier, même avec un personnel très réduit mais dévoué à la cause de son mandat constitutionnel, beaucoup plus de progrès vers la santé pour tous auraient été accomplis.

Comme vous le dites “Les soins de santé primaires” sont vraiment la première pierre pour construire des systèmes de santé capables. Ils sont aussi centrales pour le développement de la santé et la sécurité des soins communautaires. Les soins de santé primaire resteront lettre morte s’ils ne sont pas soutenus par une base fiscale équitable et d’autres formes de justice redistributive (annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et réparations, commerce équitable, abolition des paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, contrôle démocratiques des activités des transnationales, etc.) L’OMS elle-même a besoin d’établir des objectifs pour le niveau de budgétisation centrale, peut être de l’ordre de 70% des dépenses totales, et que ce pourcentage aille croissant tous les ans jusqu’à ce que toute influence indue soit éliminée. Le secteur privé n’a pas sa place dans l’élaboration d’une politique de santé publique tant au niveau national que global. Cela bien sûr n’exclue pas des interactions responsables spécifiques comme par le passé, mais cela exclu les partenariats car des partenaires doivent partager les mêmes objectifs.

4. Les connaissances pour le bien public - le monde ne peut pas se permettre la science des corporations

L’OMS est l’autorité technique, mondiale dans le domaine de la santé, c’est l’un de ses quatre atouts principaux, vous le dites et vous ajoutez : « ,nous pouvons être tout à fait sûrs de nous dans notre direction. », ajoutant que « l’OMS doit influencer l’agenda de la Recherche et développement ».

Le rôle de l’OMS comme autorité technique, mondiale est son atout maitre. A ce titre, il est d’autant plus important qu’elle se préoccupe de la crise actuelle dans le monde scientifique et se ré-approprie les systèmes de connaissance pour le bien public.

La commercialisation de la science et les liens étroits entre l’industrie et les institutions académiques [2] devrait être un sujet d’inquiétude centrale pour l’OMS. A cet égard le public a tout à fait le droit de demander que les récents rapports de l’OMS sur les effets sanitaire de Tchernobyl et la sécurité des aliments génétiquement modifiés aient été recherchés, développés et produits par une vaste consultation
de scientifiques indépendants sans conflits d’intérêt.

Au sujet de la corruption des idéaux traditionnels de la science, un éditorial dans Le Lancet, rapporte que « Les institutions académiques... sont devenus des business à part entière, cherchant à commercialiser pour elles mêmes les découvertes scientifiques plutôt que de préserver leur statuts d’autorité savante indépendante. »

Très inquiétant : les régimes de propriété intellectuelle en relation avec le commerce, (les accords ADPIC) représentent aujourd’hui une privatisation sans précédent des connaissances.

La connaissance devrait être dans le domaine public, accessible à tous. Elle doit avant tout être honnête et fiable - ce rappel n’est pas superflu aujourd’hui.

Etant donné le niveau élevé de morbidité et de mortalités évitables le retour et l’émergence de maladies infectieuses respectivement anciennes et nouvelles, et les effets dévastateurs de la dégradation de l’environnement et de l’appauvrissement en ressources sur la santé des populations, le monde ne peut pas se permettre de s’appuyer sur la science ’corporatiste’/privée.

En tant que l’autorité technique en matière de santé, l’OMS doit être le leader d’un mouvement pour transformer la façon dont est conduite la recherche scientifique y compris ses sources de financement, ainsi que l’acquisition et l’utilisation des connaissances...

5. Les valeurs éthiques des fonctionnaires internationaux

Vous dites que « Nous partageons les fondations éthiques des professions de santé. Elle est prévenante, soigne, est scientifique de nature vouée à la prévention et au soulagement de la souffrance humaine. Cela nous donne une autorité morale et un système des plus nobles de valeurs éthiques. »

Il n’a pas toujours été facile pour le staff de rester fidèle au mandat de l’OMS ni de maintenir le respect pour des valeurs éthiques en tant que fonctionnaires pendant les années néo-libérales. La pression a parfois été extrême lorsque l’indépendance des fonctionnaires internationaux a été de plus en plus remise en cause. Comme vous le savez, les relations entre le personnel et l’administration ce sont dégradées jusqu’à produire la première action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
massive (débrayage de 700 membres du personnel en novembre 2005) dans l’histoire de l’organisation. Le personnel a débrayé en dépit de menaces de sanctions disciplinaires y compris de licenciements, de la part du bureau du Directeur Général ce qui a montré non seulement un ras le bol immense du staff mais aussi un manque de respect extraordinaire pour les règlements internationaux du travail de la part d’une agence des Nations Unies.

Ce débrayage n’aurait pas du être déploré, lamenté ou sanctionné. [3]
Ce fut un signal d’alarme envers les Membres constituants et l’audience plus large de l’OMS que des changements radicaux étaient nécessaires.

Le personnel qui a lutté contre les tendances néo-libérales a été souvent jugé « coupable » de trop s’attacher aux principes de Alma Ata, qui, reconnaissant l’importance des déterminants sociaux et économiques de la morbidité et mortalité évitables, soulevaient la nécessité de se confronter avec les structures de pouvoir internationales, et insistaient sur une approche large de la santé publique qui prennent en compte ces déterminants.
Ces grévistes rejoignaient un vaste mouvement des organisations de la société civile qui demandent un retour aux valeurs et aux principes de Alma Ata ; mouvement à l’origine de la création de la Commission de l’OMS sur les Déterminant Sociaux -Économiques de la Santé.

Certains, au travers de l’association du personnel ont tenté de rendre publique la corruption, le népotisme, le copinage, l’abus des règles et des procédures [4] et un système de justice interne inefficace. Dans une réponse exemplaire, des États membres ont demandé un rapport sur l’état de la gestion du personnel pour le prochain Bureau Exécutif en janvier 2007, et un audit de toutes les nominations directes sous le niveau D1 (niveau Directeur).

Cependant la réponse de la dernière direction (avant le Dr Chan) a été lamentable. L’association du staff de l’OMS est maintenant représenté par un « comité du staff » qui se trouve être complice avec la direction pour s’opposer à toute discussion sur l’application des standards internationaux du droit du travail (droits de la personne humaine sur le lieu de travail) à l’OMS, lors de la réunion internationale du staff du département de la direction (OMS Genève). L’association du staff n’a aucun pouvoir, car il n’existe pas de convention collective.

La situation est absurde, indigne d’une agence des Nations Unies. Aujourd’hui il est possible d’avoir une gestion du staff digne et civilisée à laquelle les problèmes et les opinions du staff sont accueillis avec respect. La première étape sera de déclarer non seulement que l’OMS soutient une approche basée sur les Droits fondamentaux, en parfait accord avec les règles du BIT. La motivation et le moral du staff s’en trouveront transformés avec la confiance renouvelée dans leur direction.

6. La Santé pour Tous est un projet politique qui comporte des valeurs explicites de justice sociale.

En discutant des questions ci-dessus avec des collègues, on m’a souvent dit qu’avec ma perspective, je devrais travailler pour une ONG, que mon point de vue est « politique » et que l’OMS n’est pas une agence qui « met en œuvre ». A la première observation, je réponds que le personnel de l’OMS devrait être plus attaché aux valeurs et aux principes de Alma Ata que le personnel de n’importe quelle autre organisation, de la même façon que le personnel des Nations Unies devrait être sur le devant de la scène dans la défense de la Charte des Nations Unies.

Ma réponse au deuxième commentaire c’est que la santé est un sujet hautement politique, que l’approche des soins de santé primaires et de la Santé pour Tous a été et reste un projet politique - et que l’approche néo-libérale à la santé et aux systèmes de santé est, elle aussi, politique.

Aujourd’hui l’institution de la santé internationale nie toute valeur, intention et intérêt politique et se présente comme neutre, objective et armée de faits scientifiques. Mais l’objectivité scientifique demande une prise de conscience et une reconnaissance des valeurs et des principes qui soutendent les « Etats Partie prenantes sur la Constitution », en accord avec la Charte des Nations Unies, ont accepté un ensemble de neuf principes éthiques quand elles ont établi l’Organisation Mondiale de la santé.
C’est la source même de notre ’autorité morale’, pleine de valeurs, et un document hautement politique- si l’on accepte que la politique concerne l’organisation des structures sociétales et leurs fonctions, en ce qui concerne tout particulièrement la distribution du pouvoir et des ressources, pour le bénéfice de ses membres.

Ma réponse au troisième commentaire est que finalement, même si l’OMS n’est pas une agence de mise en œuvre, elle a un devoir clair d’identifier et de promouvoir des politiques et des stratégies sur la base de science sérieuse qui ont fait leurs preuves pour subvenir aux besoins fondamentaux pour la santé, entre autre.

7. Des loyautés en conflit

Pendant les décennies néo-libérales, le personnel s’est trouvé dans une position inconfortable avec un devoir de loyauté au mandat constitutionnel de l’OMS et à la Charte des Nations Unies d’un côté, et de l’autre côté, - puisqu’il s’agit d’une agence intergouvernementale- des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
vis à vis
des États membres (ou plutôt de certains États membres) et aux dirigeants actuels - et leur interprétation particulière de ce mandat.

L’exemple le plus criant a été l’embargo de l’Irak, les sanctions des Nations Unies,qui ont créé des catastrophes sanitaires [5]. Ces actions ont été qualifiés de crime de guerre et de génocide, respectivement. [6]

Il existe d’autres exemples moins spectaculaires de conflit de loyautés qui ne font pas la une de la presse mais qui causent des maladies et des morts à une échelle encore plus grande tous les jours. L’OMS a failli dans son devoir de dénoncer les politiques néo-libérales telles que des règles de commerce injustes, la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, la libéralisation à outrance des économies, la privatisation des services publics, le pillage des ressources nationales, malgré le fait que nous avons toutes les preuves possibles de l’effet dévastateur sur la santé des populations de ces politiques, des effets sur la pauvreté et les inégalités, que cela empêchent les peuples de se procurer de l’eau et de la nourriture de façon adéquate, et que cela maintient plus de la moitié de la population du monde dans en état scandaleux de misère.

Au moins 10 million d’enfants meurent chaque année de causes pour la plupart, parfaitement évitables. Les menaces contre la vie, et la violence structurelle demandent une résistance sans ambiguïté, et non pas des sermons, sans parlé de timides reconnaissances !

Nous vivons une époque exceptionnelle où les leaders des nations puissantes, qui représentent à peine leur propre peuple, sans parler de tous les Etats membres, s’engage dans des actions illégales entrainant morts et destruction, et où on laisse des corporations transnationales - de mèche avec les institutions financières internationales - sans légitimité ou représentativité démocratique - imposer des politiques que l’on sait avoir des effets dévastateurs sur la santé des peuples.

Le staff devrait il choisir la loyauté aux occupants actuels de postes de responsabilité et envers certains Etats membres, plutôt que la loyauté envers les peuples du monde qui sont souvent si mal représentés par leurs gouvernements ? Devraient-ils par respect les Droits de la Personne Humaine, faisant confiance à leur propre jugement moral, faire pencher la balance dans ces conflits de loyauté ?

8. Peut-être des réponses exceptionnelles sont requises pour une époque exceptionnelle.

« La façon dont les citoyens des pays riches vivent leur vie actuellement, est, dans l’ensemble, moralement acceptable. [7] Reconnaître que »le préjugé favori de quelqu’un" est foncièrement un tort, est quelque chose de fondamental dans la lutte pour la justice sociale et la Santé pour Tous.

Le staff de l’OMS et d’autres organisations des Nations Unies, peuvent être mal informés (en omettant de se renseigner auprès de sources alternatives) et être sujets à désinformation (en acceptant la pensée unique des sources conventionnelles dominantes). Il n’empêche, que les fonctionnaires internationaux ne peuvent pas se prétendre `ne pas savoir`.

Le moment est venu de se poser la question : est ce que la façon dont les fonctionnaires internationaux remplissent leurs fonction, répond à la Charte des Nations Unies et à la Constitution de l’OMS, et est moralement acceptable ? Où bien est-ce une forme de croyance dans « notre préjugé chéri » ?

Dr Chan, la vision que vous avez articulée, est exemplaire et une inspiration pour le staff. Mais vous aurez besoin pour la réaliser que le personnel ait le courage de ses convictions, qu’il se tienne debout face à une opposition puissante et qu’il reste fidèle au mandat de l’OMS, s’ils doivent vous assister dans sa réalisation.


Notes

[1Discours à l’Assemblée Mondiale de la Santé (Extraordinaire), le 9 novembre 2006 en tant que personne nommée au poste de Directeur Général, et discours au staff, le 4 janvier 2007 comme DG.

[2Cette section est inspirée par la Convention sur la Connaissance, Institut sur la Science dans la société. http://www.i-sis.org.uk/conventiononkn owledge.php

[3Mon poste de travail a été aboli trois semaine après le débrayage et trois semaine aussi avant la fin de mon contrat en cours, après 17 ans de service. Cette action a été identifiée comme étant une vengeance par rapport à cette action de grève (une violation clair des Droits de la Personne Humaine) par les syndicats suisses et les avocats de l’Association du Staff de l’OMS.

[4Selon la Résolution du Comité Exécutif EB91/1993/REC/1

[5Juste avant février 2003, l’OMS a été impliquée dans les préparatifs pour les actions sanitaires d’urgence à effectuer après l’invasion armée. Dans l’idée de contribuer à la prévention de la violence plutôt qu’à une opération de ’nettoyage’ subséquent, le staff a demandé à la direction administrative s’il pouvait circuler une pétition soutenant la Charte des Nations Unies (qui est dans le domaine public). Le staff a été informé que s’il le faisait, il pourrait y avoir des licenciements..

[6Voir par exemple la plainte initiale préparée pour le premier Audit par le staff, du Tribunal sur les Crimes de Guerre
http://deoxy.org/wc/warcrim2.htm
et le rapport sur les effets des sanctions des Nations Unies
http://www.geocities.com/iraqinfo/ sanctions/holocaust.html

[7Thomas W. Pogge, World Poverty and Human Rights, Polity Press 2002