Migration et développement : de l’immigration subie à l’immigration choisie

6 juin 2009 par Alexandre Papa Faye




L’immigration est un sujet de débat et de préoccupation de première importance dans tous les pays « développés », tant en Europe qu’en Amérique du Nord, voire dans certains pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». ou en voie de développement, d’Amérique Latine, d’Asie ou d’Afrique. Le développement des moyens de transport, surtout aériens, et des télécommunications, le phénomène de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
ont réduit les distances entre les hommes et favorisé leur mobilité. On se déplace plus vite, plus loin ; dans le village le plus isolé d’Afrique noire, on voit des images de l’Europe prospère qui font rêver. Mais les pays les plus convoités tendent à se fermer pour préserver leur niveau de vie, voire leur identité que mettrait en péril la venue de population différentes par la culture, la langue, le mode de vie, la religion, la couleur de la peau ou les vêtements.

Le phénomène migratoire compte donc parmi les grandes questions mondiales qui jalonneront le XXIe siècle, tant il est vrai que les personnes en mouvement de par le monde sont aujourd’hui plus nombreuses qu’elles ne l’ont jamais été. On estime qu’environ 200 millions de personnes se trouvent aujourd’hui hors de leur pays de naissance, ce qui représente environ 3 % de la population mondiale [1.] . En d’autres termes, une personne sur 35 dans le monde est un migrant. Entre 1965 et 1990, le nombre de migrants internationaux s’est accru de 45 millions, à raison d’une croissance annuelle de 2,1 % l’an. Aujourd’hui le taux de croissance annuel est d’environ 2,9 % [2.].
Le débat sur la question migratoire révèle de nombreux points de vue différents. Néanmoins, on constate une prise de conscience croissante de la réalité selon laquelle les migrations sont un élément essentiel et incontournable de la vie économique et sociale de chaque Etat, et que sous réserve d’être correctement gérées, elles peuvent se révéler bénéfiques tant pour les individus que pour les sociétés concernées. Les aspects du phénomène migratoire sont multiples et complexes. Il faut en tout cas citer ceux-ci : la migration de main-d’œuvre, le regroupement familial, la dimension sécuritaire, la lutte contre la migration irrégulière, les relations entre migration et commerce, les droits des migrants, la santé dans le contexte migratoire, l’intégration, l’interaction entre migration et développement. La réflexion ici portera précisément sur ce dernier point.

La notion d’immigration

Les mots « immigration » et « immigrer » viennent du latin « in » (dans) et « migrare » (aller ailleurs, se déplacer), dont est issu le verbe « immigrare » : « passer dans », « s’introduire dans ». L’immigration est donc, au sens étymologique du terme, un mouvement. L’immigrant se rend d’un lieu, d’un pays ou d’un continent à un autre, plus spécifiquement d’un pays à un autre. L’immigré est donc celui qui est arrivé dans un pays en provenance d’un autre. Quant à l’émigré, c’est celui qui a quitté son pays pour aller dans un autre. En d’autres termes, immigration, immigrant et immigré s’utilisent par rapport au pays d’accueil ; émigration, émigrant et émigré, par rapport au pays d’origine. En ce sens par exemple, l’Italie, l’Espagne et le Portugal ont été pendant longtemps des pays d’émigration et ne sont devenus que récemment des terres d’immigration.

Je voudrais souligner ici un abus : on entend souvent parler en Europe d’ « immigrés de la deuxième génération » car cette expression désigne couramment, et sans distinction aucune, tout enfant d’étrangers qui ont immigré en Belgique, en France… Or, si parmi cette deuxième génération, ceux qui étaient déjà nés quand leurs parents sont venus en Belgique ou en France – et qui les y ont donc accompagnés – sont effectivement des immigrés, en revanche les enfants nés après l’immigration de leurs parents – et donc nés en Belgique ou en France – ne sont pas des immigrés. A l’inverse, on ne désigne généralement pas – à tort – comme « immigrés » les Belges ou les Français nés à l’étranger qui (re)viennent s’installer en Belgique ou en France, le terme étant réservé aux personnes d’origine étrangère.
Dans le langage courant, le terme « immigration » peut avoir plusieurs sens. Il désigne tout d’abord le fait d’immigrer ; l’immigration est alors le déplacement d’immigrants : quand ce déplacement est massif, on parle plutôt de « migration » ou de « flux migratoires ». Le second sens se rapporte non plus au déplacement, mais aux personnes qui se déplacent ou se sont déplacées ; immigration devient alors synonyme de « populations immigrées » ou, plus précisément, de « populations étrangères » ou « personnes d’origine étrangère ». Lorsque l’on parle de « politique d’immigration » ou de « droit de l’immigration » - cette dernière expression ayant tendance à céder devant celle de « droit des étrangers » - on emploie le terme dans son premier sens, celui du déplacement des personnes vers la Belgique, vers la France ou plus généralement vers l’Europe.

De l’immigration subie à l’immigration choisie ?

Pour reprendre l’expression de Nicolas Sarkozy, alors ministre français de l’intérieur et reprise par son Premier ministre, Dominique de Villepin, à propos de l’avant-projet de loi adopté en Conseil interministériel le 9 février 2006, la politique d’immigration actuelle tend à substituer une « immigration choisie » à l’« immigration subie ». Il y a selon moi quelque chose de malsain, d’injuste dans le terme d’ « immigration choisie » : J’y vois la volonté des pays du Nord à vouloir prendre le meilleur du Sud (les meilleurs médecins, les meilleurs infirmiers, les meilleurs agronomes), bref, les compétences du Sud. Que restera-t-il au Sud quand le Nord lui aura vidé de ce qu’il a de mieux ? On connaît les ravages causés par l’esclavage encore perceptibles aujourd’hui.

Cependant, quelle que soit la volonté des gouvernants, l’immigration ne sera jamais entièrement choisie et sera toujours en partie subie. Car bien qu’étrangers, les immigrés possèdent des droits que garantissent la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et les instruments internationaux ratifiés par les pays parties à cette Convention. Ainsi, bien qu’elles ne les « choisissent » pas, les autorités publiques des pays de l’Union européenne ne peuvent s’opposer à la venue du conjoint et des enfants mineurs d’un étranger établi régulièrement sur le territoire ; elles ne peuvent davantage, même si elles doivent en « subir » les effets, refuser l’entrée du territoire à un étranger qui a vocation à y séjourner durablement en raison des attaches familiales qu’il y a, ou éloigner du territoire un tel étranger, sous peine de violer son « droit au respect de la vie privée et familiale » qui garantit contre les immixtions arbitraires ou illégales des autorités publiques (PIDCP, art. 17 ; CADH, art. 11 ; CEDH, art .8). Quant à famille, « élément naturel et fondamental de la société » (art. 23 du PIDCP), se voit reconnaître le droit à la protection de la société et de l’Etat (affirmé tant comme un droit « économique et social » PIDESC, art. 10, que comme un droit « civil » : PIDCP : art. 23 ; CADH : art. 17 ; CEDH : art. 12). En cette matière particulièrement, les organes de la Convention se sont livrés à une interprétation dynamique et évolutive de la Convention, afin de préserver celle-ci de tout anachronisme et de tenir compte à la fois de l’évolution des mœurs et des nécessités sociales. Le principe d’interprétation défini par la Cour européenne des droits de l’homme, selon lequel la Convention est « un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelle » (Tyrer, 25 avr. 1978, A.26, §31 ; Marckx, 13 juin 1979, §58, GACEDH, n°49), trouve un domaine d’application privilégié avec le droit au respect de la vie privée et familiale.

Mais on le sait, la politique d’immigration représente, pour tous les Etats, un enjeu tellement important que ces derniers n’hésitent pas à violer les dispositions qui encadrent cette matière. Cette politique d’immigration se situe à la croisée de la souveraineté territoriale et de la souveraineté personnelle : souveraineté territoriale car l’immigration constitue un phénomène qui met en cause le contrôle, par l’Etat, des entrées de populations sur son territoire ; souveraineté personnelle car elle provoque un apport de population allogène, avec des cultures, des modes de vie, des croyances religieuses différentes de celles de la population nationale avec le risque qui en découle d’une mise en cause de « l’identité nationale ». Les débats constants et passionnés auxquels l’immigration donne lieu en Europe montrent à quel point le sujet est sensible et occupe une place prépondérante dans le discours politique, aussi bien en période de campagne électorale que hors de toute perspective électorale.
A cet égard, il est à noter que si la France a eu une politique d’immigration entre 1945 et 1975 environ, favorisant la venue des étrangers susceptibles d’occuper des emplois nécessaires à la reconstruction du pays, à la reconstruction de son économie et au comblement de son déficit démographique, il apparaît en revanche que, depuis le choc pétrolier du milieu des années 1970 et la crise économique et sociale qu’il a provoqué, la politique de la France, de ses partenaires au sein de la communauté européenne, qui a acquis compétence en la matière avec le traité d’Amsterdam, soit bien davantage une politique de « non-immigration », sans aller toutefois jusqu’à tenter d’établir une « immigration zéro », comme du reste l’avait proposé, en 1993, Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur, et comme le préconisent continuellement le Front national de Jean-Marie Le Pen ou encore le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. La politique des gouvernements français successifs depuis 1981 et par de nombreux Etats européens tourne essentiellement autour des grands axes suivants : 1- fermer les frontières à toute « nouvelle » immigration économique, en posant le principe de « l’opposition de la situation de l’emploi » à tout étranger qui entend occuper sur le marché national un premier poste de travail, 2- intégrer les étrangers installés régulièrement sur le territoire en stabilisant leur situation concernant le séjour, en permettant la venue des membres de leurs familles. Pourtant, aujourd’hui encore en France, on ne compte plus le nombre de médecins ou de grands diplômés étrangers formés dans leurs pays d’origine, et qui sont venus s’installer en France pour y travailler avec des salaires défiants toute concurrence. Les pays d’origine de ces médecins, professeurs, agronomes…, ont investi des moyens colossaux pour leur formation et se retrouvent impuissants face à cette fuite de cerveaux dont ils se passeraient bien volontiers. A l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal, toutes facultés confondues, ce phénomène n’a pas encore fini de faire des ravages. Les Professeurs et chercheurs vont en Europe, en France principalement, liens historiques obligent, aux Etats-Unis et j’en passe. Combien d’étudiants africains, venus poursuivre des études en Europe, retournent-ils dans leurs pays d’origine après avoir décroché, un MBA ou un doctorat ?
Ces orientations, essentiellement définies par la France jusqu’au milieu des années 1980, ont été reprises, dans leurs grandes lignes, par la communauté européenne avec le traité d’Amsterdam en 1996. Elles ont donné lieu, depuis à de nombreuses initiatives de la Commission, concrétisées en règlements et directives communautaires, en application des « conclusions » du Conseil européen de Tempere d’octobre 1999, qui a marqué le point de départ d’une véritable « politique communautaire de l’immigration » dans le cadre de laquelle les Etats membres doivent se placer pour élaborer leur propre législation, ce qui limite leur marge de manœuvre et est considéré par les « souverainistes », comme un abandon de souveraineté.

Du droit de l’immigration au droit à l’immigration

L’immigration, en tant que déplacement de personnes d’un pays à un autre, est très encadrée par une législation « de police » qui réglemente l’entrée du territoire et l’accès au marché du travail et qui tend à prévenir ou réprimer tout trouble de l’ordre public. Dans la plupart de ces dispositions, il s’agit, tant au niveau des directives européennes que des législations nationales d’un régime d’autorisation préalable, généralement considéré comme incompatible avec la reconnaissance d’une liberté publique. Pour entrer sur le territoire, y séjourner, pour y faire venir les membres de sa famille, l’ « étranger » doit avoir obtenu une autorisation administrative qui, dans la plupart des cas, est délivrée de façon plus ou moins discrétionnaire. Force est de constater –paradoxe du droit – que s’il existe un droit à émigrer, qui se traduit par la liberté de « quitter n’importe quel pays, y compris le sien » (Protocole n°4 à la Convention européenne des droits de l’homme, art 2 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), art 12), il n’existe pas de droit à immigrer car le droit d’entrer dans n’importe quel pays n’est consacré par aucun instrument international . Seul existe le « droit d’entrer dans son propre pays » (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 12 où le droit de quiconque à « entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant » (Protocole n°4 à la CEDH, art 3). Pour que le droit d’entrer dans un pays étranger existe, il faut qu’un traité le prévoie expressément. C’est ce que fait, notamment, le traité instituant la Communauté européenne (Traité de Rome), dans sa version issue des traités de Maastricht et d’Amsterdam, dont l’article 18, figurant dans la deuxième partie consacrée à « la citoyenneté européenne » stipule que « tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ».

Quel lien entre migration et développement ?

« Migration et développement en Afrique », c’est le thème de l’atelier qui a réuni du 17 au 19 mars dernier, dans la capitale sénégalaise (Dakar), les sommités des questions de migration. Il s’agissait pour ces experts, sous l’égide de l’Organisation internationale pour les migrations (Oim), de se pencher sur l’intégration de la migration dans les politiques de développement en Afrique afin de sensibiliser les acteurs sur l’impact de ce phénomène sur le développement du continent. Dans leurs conclusions, voici ce que disait Madame Ndioro Ndiaye, ancien ministre de la santé d’Abdou Diouf (président du Sénégal de 1981 à 2000), aujourd’hui directeur général adjoint de l’institution spécialisée des nations unies en charge des questions de migration : « les pays d’origine devraient profiter davantage de la valeur ajoutée que leurs diasporas respectives peuvent apporter aux stratégies gouvernementales. Et sous ce rapport, les pouvoirs publics devraient réfléchir aux moyens d’améliorer, de faciliter et de gérer le processus de rapatriement des salaires afin d’en maximiser les bénéfices pour le développement ». En effet, ces dernières années, on assiste à une prise de conscience croissante par les gouvernements du Sud (tout au moins ceux d’Afrique subsaharienne que je connais mieux) du potentiel que recèle la migration en matière de développement. Pourtant, jusqu’à tout récemment, il prévalait une perception surtout négative du lien entre migration et développement, faisant principalement ressortir la nécessité d’éradiquer les causes profondes de la migration, de la fuite des cerveaux, de l’exode rural... Désormais, on prête davantage d’intérêt aux effets positifs et au potentiel que recèle la migration en matière de développement, et notamment aux contributions économiques et sociales des migrants à la fois dans les pays d’origine et dans les pays de destination. Toutes choses qui font dire au ministre sénégalais de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes, Mamadou Lamine Keita, à la clôture de cet atelier de trois jours « qu’il apparaît nécessaire pour les Etats, d’établir des mécanismes adéquats et transparents pour canaliser la migration de la main d’œuvre dans des filières sûres, légales, humaines et ordonnées, ce qui peut leur permettre de tirer le maximum de bénéfices de ce phénomène migratoire ».
En 2007, on estime que les rapatriements de fonds effectués par les migrants ont dépassé le chiffre de 337 milliards de dollars E-U, dont 251 milliards sont allés aux pays en développement [3.] . Il faut souligner que ce chiffre ne tient pas compte des sommes d’argent envoyés en dehors des circuits ou canaux traditionnels comme Western union… Alors qu’au même moment, l’Aide Publique au Développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) atteint péniblement 103,7 milliards de dollars [4.] , sans oublier que les prêts, qui sont non négligeables, sont pris en compte dans le calcul de l’APD. C’est ainsi qu’en « fin 2007, la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays du Sud contractée envers un autre Etat à un taux concessionnel s’élevait ainsi à 230 milliards de dollars ». [5.]

Dans leur livre « 60 questions, 60 réponses sur la dette, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

Cliquez pour plus de détails.
 », Damien Millet et Eric Toussaint montrent comment la dette des PED, devenue trop importante pour ces derniers aux économies si fragiles, a annihilé toute tentative de développement. Ils démontrent ainsi le lien direct entre dette et pauvreté. En effet, lorsque certains PED consacrent plus de la moitié de leurs budgets au remboursement de leur dette, on comprend pourquoi ils sont dans l’impossibilité d’investir dans des projets qui génèrent de l’emploi pour leurs populations. Avec la dette, les institutions financières internationales ont obligé les PED à mettre en place les plans d’ajustement structurel qui ont eu des conséquences dramatiques pour les populations. Avec les PAS, il n’est plus question de continuer à financer les secteurs comme la santé, l’éducation. Il est au contraire question de les rentabiliser en faisant payer aux populations le prix fort. Ainsi donc, la grande majorité des populations n’ont plus accès aux soins de santé devenus hors de portée pour leurs maigres revenus. On parle alors de politique de recouvrement des coûts en matière de santé et d’éducation. Par ailleurs, certains pays du Sud ont presque renoncé à leur souveraineté en privatisant, plutôt en bradant à des multinationales du Nord certains leviers de l’économie locale. C’est ainsi que des multinationales sont entrées dans le capital de sociétés de distribution d’eau et d’électricité et les populations ont vu leurs factures multipliées par deux ou trois en l’espace de quelques années. L’abaissement des barrières douanières dans le Sud et les politiques de subvention agricole dans les pays du Nord ont ruiné l’activité des agriculteurs du Sud qui composent près de la moitié de la population mondiale. Etant donné l’impossibilité des gouvernements du Sud à faire face à ce que l’on peut appeler la dictature des IFI et de donner du travail à leurs peuples et principalement aux jeunes, ces derniers ne voient d’issue que dans l’immigration et ce quel qu’en soit le prix.

Les pays du Nord, selon l’expression de Michel Rocard, estiment qu’ils ne peuvent « accueillir toute la misère du monde » et ferment de plus en plus leurs frontières. L’Union européenne a mis sur pied en 2006 au Mali, le CIGEM, Le Centre d’Information et de Gestion des Migrations, avec pour objectif avoué, l’élaboration d’une approche concertée des questions migratoires, « contribuer à la définition et la mise en œuvre d’une politique migratoire du Mali (…), mettant un accent particulier sur le lien entre migrations et développement » [6.] . Ce centre est sensé s’occuper des « migrants potentiels et des migrants de retour ». Là aussi le constat est sans équivoque. Selon les responsables de l’association malienne des expulsés, qui accueille et tente d’aider les personnes expulsées d’Europe (qui ont pour la plupart vécu entre cinq et vingt ans en Europe), cette agence s’occupe de tout sauf des personnes expulsées. Pour rappel, la France a expulsé 23 200 « étrangers » ou sans papiers en 2007 et plus de 29 000 en 2008. L’Espagne elle, fait faire des tests à des candidats maliens, sélectionnés par l’ANPE de Bamako, pour aller travailler en tant que saisonnier avec un salaire de 800 euros/mois, séjour et frais médicaux compris. Dans de telles conditions, comment peut-on encore espérer que l’immigration soit un moteur du développement dans ces pays.
Par ailleurs, contrairement à ce que l’on veut souvent faire croire, il est important de souligner que les plus grands déplacements de populations se font à l’intérieur même de pays ou de continents. Certaines régions du monde « ne connaissent que des proportions extrêmement faibles de migrants internationaux, quand d’autres sont très majoritairement peuplées d’étrangers » [7.]. Les déplacés, les réfugiés pour cause de conflits ou de désastres naturels constituent de loin la part la plus importante des déplacements de populations : 67 millions à avoir fui leur foyer dont 51 millions de déplacés intérieurs [8.](…) La vérité c’est que les réfugiés, dans leur immense majorité restent dans leurs pays d’origine. L’Europe est donc loin d’ »accueillir toute la misère du monde ».

Qu’est donc devenu le droit au développement ?

Le dialogue Nord-Sud à l’Assemblée Générale des Nations unies, sans rien régler, portait en germe le droit au développement dans les résolutions de 1974 sur le NOEI, les droits et devoirs économiques des Etats (R.J.Dupuy, 1984, p.263). L’évolution des rapports était pour beaucoup dans lé consécration du droit au développement, puisque la principale victime du sous développement est l’humain. C’est à lui que reviennent les bienfaits sociaux, selon la résolution de l’AG 2542 (XXIV) du 11 décembre 1969 portant Déclaration sur le progrès et le développement social. Celle-ci stipule que « tous les peuples, tous les êtres humains ont le droit de vivre dignement et de jouir librement des fruits du progrès social ». Comme les précédentes, elle met cette fois l’humain au centre des préoccupations. A partir de là le rapprochement sera fait avec les droits de l’homme et la consécration du droit au développement au plan international se fera grâce à son ancrage aux droits de l’homme (cf. K. Mbaye, 1972). Cependant le droit au développement ne sera reconnu qu’imparfaitement par le droit international et la question restait posée avec la contestation des relations économiques internationales. L’AGNU réagira en affirmant dans sa résolution 34/46 du 23 décembre 1979 que le « droit au développement est un droit de l’homme » et que « l’égalité des chances en matière de développement est une prérogative des nations aussi bien que des individus qui les composent ». Depuis, ces dispositions ont été rappelées et renforcées par des résolutions sur les droits des individus à développer leurs capacités et sur le droit au développement des peuples des Etats. Mais il faudra attendre la résolution 41/128 du 4 décembre 1986 pour que l’AG rappelant les principes des NU en matière économique, sociale et culturelle, les dispositions de la DUDH (1948), soucieuse de « l’existence d’obstacles au développement et l’épanouissement de l’être humain, sujet central du développement » adopte la Déclaration sur le droit au développement. L’article 1 le définit comme « un droit inaliénable de l’homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales puissent être réalisées et de bénéficier de ce développement ». A la différence des textes précédents, la Résolution 41/128 met l’accent sur « l’être humain »comme destinataire du développement. Aujourd’hui, on est en droit de dire que cette Résolution est restée lettre morte, une déclaration d’intention sans lendemain et que tout soit fait en sorte d’entraver le développement des pays du Sud.

Au moment où les pays riches sont incapables de tenir leur engagement à consacrer 0,7% de leur RNB à l’aide publique au développement des pays du Sud, au même moment, ces pays se mettent d’accord pour adopter une politique commune en matière d’immigration. Ces mêmes pays, via leurs agences de coopération au développement, ont pendant plusieurs décennies mis en place et conduit dans certains pays d’Afrique (notamment en Afrique subsaharienne), des projets qui non seulement n’avaient absolument rien à voir avec les besoins réels des populations locales, mais ont été un véritable fiasco en matière de coopération au développement. Je ne m’étalerai pas ici sur les sommes hallucinantes englouties dans les rémunérations d’experts dans le cadre de ces projets. Cette histoire (vraie), que m’a racontée un ami du Burkina Faso, résume à elle seule ce phénomène : lors d’une réunion entre experts et villageois, après avoir expliqué aux experts les conditions de travail des paysans du village, un homme leur a dit que s’ils laissaient aux villageois le prix d’une des cinq grosses jeeps garées là (en les montrant du doigt), ils (les villageois) n’auraient plus jamais besoin d’eux et que pour le reste ils se débrouilleraient tout seuls.
Aujourd’hui, les jeunes d’Afrique, pour ne parler que d’eux, ont le sentiment – et à juste titre – qu’ils n’ont plus d’avenir chez eux. Leurs dirigeants, avec la complicité des pays du Nord, ont « vendu » leurs terres et ses richesses, leur mer via les accords de pêche avec l’Europe qui ont fini de tuer l’activité de pêche locale et réduit à la pauvreté les millions de personnes qui en dépendaient [9.]. Voilà les principales raisons de l’immigration clandestine. Voilà ce que m’a dit un jour un jeune africain comme moi, qui a risqué sa vie dans une embarcation de fortune pour regagner l’Europe : « Quand on n’a plus d’espoir chez soi, on va le chercher ailleurs. Mais ceux-là même qui nous ont volé notre avenir, notre vie, continuent à vouloir nous maintenir dans la misère… »
Il est temps de changer les règles du jeu en matière de coopération au développement, de repenser l’aide publique au développement, bref, refonder les relations Nord-Sud. Mais il est surtout temps que les pays du Sud, plus particulièrement d’Afrique, prennent leur destin en main car le développement de l’Afrique se fera par les Africains eux-mêmes. Pour ma part, j’appelle de mes vœux une autre génération de leaders, qui aiment leurs peuples, qui sont prêts à défendre leurs intérêts et qui auront véritablement le courage de diriger autrement. Car une autre Afrique existe que celle, misérabiliste, mise en exergue par les médias occidentaux. Elle est dynamique, motivée, bouillonnante d’énergie et d’ingéniosité, tournée vers l’avenir.


Alexandre Papa Faye est journaliste spécialisé en Droits de l’Homme et membre du groupe Droit CADTM

Notes

[1.United Nations Trends in Total Migrant Stock : The 2005 Revision, http://esa.un.org/migration.

[2.Rapport 2008 sur l’Etat de la migration dans le monde : Gestion de la mobilité de la main-d’œuvre
dans une économie mondiale en mutation.

[3.World Bank’s Migration and Development Brief 5 (July 10, 2008), Revisions to Remittance Trends 2007, http://go.worldbank.org/NN93K4Q420

[4.Voir le dernier livre de Damien Millet et Eric Toussaint : « 60 questions, 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale », CADTM/Syllepse, 2008

[5.Voir Banque mondiale, Global Development Finance 2008

[7.Voir le magazine « Imagine demain le monde », n°73, mai & juin 2009

[8.Idem

[9.Voir Dem walla dee (« Partir ou mourir »), un film de Rodrigo Saez produit par le CADTM Grenoble en 2007.