Le 29 juillet dernier, à Genève, les négociations de l’Organisation mondiale du commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
(OMC) se terminaient sur un échec. Mieux comprendre l’OMC et sa raison d’être est nécessaire à l’analyse de cette nouvelle crise.
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI) et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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n’étaient pas les seules institutions envisagées. Les discussions entre Alliés avaient abouti à l’idée d’une Organisation internationale du commerce (OIC), chargée d’organiser les règles du commerce mondial. Bien que programmée, cette OIC n’a jamais vu le jour. Les États-Unis ont finalement abandonné cette idée en route : la charte de La Havane, qui instaurait l’OIC, signée par 53 pays en mars 1948, ne fut pas ratifiée par le Congrès. Seuls ont survécu les accords de réduction des barrières douanières, signés en 1947 dans le cadre de la préparation de l’OIC. La structure ayant mené cette négociation, prévue pour être temporaire et dotée d’un dispositif institutionnel limité, est finalement restée pérenne sous le nom de General Agreement on Tariffs and Trade (Gatt
GATT
Le G77 est une émanation du Groupe des pays en voie de développement qui se sont réunis pour préparer la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève en 1964. Le Groupe offre un forum aux PED pour discuter des problèmes économiques et monétaires internationaux. En 2021, le G77 regroupait plus de 130 pays.
, « Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers »).
En près de 50 ans, le Gatt a organisé huit cycles de négociations (rounds), qui devaient à chaque fois pousser plus loin la libéralisation du commerce. Le dernier de ces cycles, appelé cycle de l’Uruguay (1986-1994), a abouti à la création de l’OMC, en avril 1994, à Marrakech. L’acte final de ce cycle a nettement élargi le champ de la négociation à des secteurs non couverts jusque-là par le Gatt, comme l’agriculture, le textile et les services. Il a également intégré, pour la première fois, la question de la protection de la propriété intellectuelle au sein du commerce international. Alors que la charte de La Havane faisait référence explicitement à l’ONU, et donc annonçait la création d’une OIC soumise aux textes fondateurs de l’ONU (comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme), les pays riches ont pris soin de créer une OMC sans aucun lien institutionnel avec l’ONU. En toute légalité, l’OMC peut donc ignorer les droits humains fondamentaux et combattre sans retenue toute forme de protectionnisme.
Machine à déréguler
Depuis sa naissance, l’OMC est ainsi chargée de promouvoir avec vigueur le libre-échange, ce qui revient à « laisser un renard libre dans un poulailler libre ». Car le libre-échange est en fait la stratégie adoptée par les maîtres du jeu international afin de le rester : une fois dominants, ils ont tout intérêt à laisser agir les seules forces du marché… Pour l’OMC, libéraliser, c’est le contraire de protéger, c’est contraindre les pays en développement à abandonner toute forme de protection de leurs économies et à les ouvrir aux appétits féroces des entreprises transnationales. Dès le xixe siècle, l’économiste Friedrich List avait décodé le message : « Toute nation qui, par des tarifs douaniers protecteurs et des restrictions sur la navigation, a élevé sa puissance manufacturière à un degré de développement tel qu’aucune autre nation n’est en mesure de soutenir une concurrence libre avec elle ne peut rien faire de plus judicieux que de larguer ces échelles qui ont fait sa grandeur, de prêcher aux autres nations le bénéfice du libre-échange, et de déclarer sur le ton d’un pénitent qu’elle s’était jusqu’alors fourvoyée dans les chemins de l’erreur et qu’elle a maintenant, pour la première fois, réussi à découvrir la vérité. » Il ne s’agit donc en rien d’un quelconque mouvement naturel de l’histoire : cette libéralisation se fait aux forceps.
Au xixe siècle, la Grande-Bretagne était la puissance dominante et elle a usé de cet argument, comme l’a compris, aux États-Unis, le président étatsunien Ulysses Grant (1868-1876) : « Pendant des siècles, l’Angleterre s’est appuyée sur la protection, l’a pratiquée jusqu’à ses plus extrêmes limites, et en a obtenu des résultats satisfaisants. Après deux siècles, elle a jugé commode d’adopter le libre-échange, car elle pense que la protection n’a plus rien à lui offrir. Eh bien, Messieurs, la connaissance que j’ai de notre pays me conduit à penser que, dans moins de 200 ans, lorsque l’Amérique aura tiré de la protection tout ce qu’elle a à offrir, elle adoptera le libre-échange. » C’est justement le but de l’OMC…
Depuis la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, au début des années 1980, le FMI et la Banque mondiale organisent une reprise en main à l’échelle planétaire au profit des classes capitalistes et imposent au tiers monde des plans d’ajustement structurel drastiques : privatisations massives et recul de l’État, tout à l’exportation, réduction des subventions aux produits de base et des budgets sociaux, abandon du contrôle sur les mouvements de capitaux et les investissements étrangers… L’OMC complète la puissante machine de guerre contre les peuples de la planète. Le renforcement de la connexion des économies du Sud au marché mondial se fait au détriment de leurs producteurs locaux, de leur marché intérieur et des possibilités de renforcer les relations Sud-Sud.
Servir les puissants
L’OMC est apparue sur le devant de la scène médiatique à la fin de 1999, lors de la conférence de Seattle, quand d’amples mobilisations populaires ont permis de bloquer le sommet. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les grandes puissances ont pu faire pression pour que la réunion de l’OMC à Doha, dans l’État très policier du Qatar et loin des manifestations d’opposants, aboutisse au lancement de nouvelles négociations devant se conclure avant fin 2004. La conférence de Cancun (Mexique), en 2003, a vu la consolidation d’un bloc de pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». , baptisé G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. , face aux grandes puissances du Nord. Devant l’intransigeance des pays riches, surtout sur le dossier agricole, le Mexique a décidé de mettre fin prématurément au sommet. Après Seattle, ce fut le deuxième échec important de l’OMC. Mais, depuis cette date, les clivages persistent entre pays industrialisés (États-Unis et Union européenne, notamment) et pays émergents (qui ont pour chefs de file le Brésil et l’Inde, dont les dirigeants rêvent d’accéder au statut de grande puissance), les pays les plus pauvres étant complètement marginalisés.
Actuellement pilotée par le socialiste français Pascal Lamy, ancien commissaire européen chargé du Commerce, l’OMC est une pièce clé du dispositif mis en place par les tenants de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale pour la pousser encore plus avant. La paralysie actuelle de ce terrible rouleau compresseur est une bonne nouvelle, mais rien ne garantit que la mécanique soit définitivement enrayée, d’autant que Lamy et le président brésilien Lula tentent de relancer très vite le processus. Il est essentiel d’empêcher toute marchandisation des services et des biens publics fondamentaux comme l’eau, l’éducation, la santé ou l’accès aux semences, par l’intermédiaire des accords sur les services (AGCS) et les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) négociés à l’OMC. Pour toutes ces raisons, les citoyens soucieux de justice sociale et les mouvements sociaux ne doivent cesser de la combattre.
Paru dans Rouge le 4 septembre 2008.
professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
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