29 juillet 2013 par Olivier Bonfond
CC - Josh Clark
Sommaire
1. Introduction : les banques ne sont plus ce qu’elles étaient
2. Quelques constats sur la capacité de nuisance des grandes banques
3. De quel type de secteur bancaire avons-nous besoin ?
4. Neuf mesures urgentes pour remettre les banques à leur place
1. INTRODUCTION : LES BANQUES NE SONT PLUS CE QU’ELLES ÉTAIENT
Bien que ces théories soient encore enseignées dans la plupart des universités européennes, les grandes banques ne constituent plus aujourd’hui des intermédiaires entre les épargnants et les investisseurs afin de financer l’économie réelle. Au fur et à mesure des dérégulations des années 1980 et 1990, les banques sont devenues des institutions surpuissantes qui utilisent toutes les ressources à leur portée (dont l’épargne des particuliers) pour mener des activités financières hautement spéculatives, afin de générer un maximum de profits à court terme pour les actionnaires.
Plutôt que de recapitaliser aveuglément les banques (les sauvetages bancaires ont déjà coûté plus de 35 milliards d’euros aux pouvoirs publics belges, soit environ 8% de son PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
) en les laissant continuer à spéculer à leur guise, il est urgent de réguler de manière très stricte le secteur bancaire et remettre la finance au service de l’économie réelle et d’un développement d’économie durable.
2. QUELQUES CONSTATS SUR LA CAPACITÉ DE NUISANCE DES GRANDES BANQUES
La crise bancaire est loin d’être terminée
Malgré les discours régulièrement prononcés sur le fait que la crise financière est derrière nous, le secteur bancaire est tout sauf assaini. Les comportements spéculatifs restent la règle et les produits toxiques continuent de se développer au sein des institutions financières. Avec des actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de 60.000 milliards de dollars fin 2011 à l’échelle mondiale, le « Shadow Banking
Shadow banking
La banque de l’ombre ou la banque parallèle : Les activités financières du shadow banking sont principalement réalisées pour le compte des grandes banques par des sociétés financières créées par elles. Ces sociétés financières (SPV, money market funds…) ne reçoivent pas de dépôts ce qui leur permet de ne pas être soumises à la réglementation et à la régulation bancaires. Elles sont donc utilisées par les grandes banques afin d’échapper aux réglementations nationales ou internationales, notamment à celles du comité de Bâle sur les fonds propres et les ratios prudentiels. Le shadow banking est le complément ou le corollaire de la banque universelle.
System », mécanisme qui permet aux banques de gérer des opérations bancaires très risquées hors bilan
Hors bilan
Le hors bilan assure le suivi comptable des activités qui n’impliquent pas un décaissement ou un encaissement de la part d’une entreprise ou d’une banque mais qui fait courir à celle-ci un certain nombre de risques. Il s’agit régulièrement de contrats en cours d’exécution qui n’ont pas fait l’objet d’un paiement. Les activités enregistrées dans le hors bilan bancaire sont pour l’essentiel les engagements par signature, les opérations de change et les opérations sur dérivés.
et en dehors de toute régulation publique, montre à quel point une nouvelle crise financière, de grande ampleur, est parfaitement possible.
Comme le mettait en évidence le journal l’Echo, au sein de l’Union Européenne, « plus de 1.000 milliards d’euros d’actifs illiquides ou douteux dormiraient encore dans des structures de défaisance (bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté. ). En outre, ce chiffre oublie de mentionner les centaines de milliards d’euros de créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). douteuses et de fonds communs de créances toujours inscrits aux bilans des banques. » [1]
Si on prend le seul cas de Dexia, la conclusion est identique. Dexia SA dispose d’un bilan de 400 milliards d’euros et d’un hors bilan de minimum 900 milliards d’euros, hors bilan dont on ne connaît pas exactement la nature, sauf le fait que la grande majorité des actifs qui le compose sont hautement toxiques. Lorsqu’on compare ces montants avec l’argent public qui a été injecté dans la banque jusqu’à présent, à savoir 8,9 milliards d’euros, on comprend à quel point le « cas Dexia » n’est pas du tout réglé.
Les banques continuent de spéculer et de créer des produits toxiques
Les nombreux discours sur la nécessité de réguler le capitalisme financier ne se sont en réalité jamais concrétisés. Rien d’étonnant alors que les comportements spéculatifs soient restés la règle au sein des grandes banques, assurances et autres fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. . On assiste même à un retour en force de certains produits toxiques à l’origine de la crise tels que les CDO [2].
Pourtant des initiatives sont possibles et certaines ont même été prises temporairement. En effet, l’Union européenne a approuvé, en février 2012, une réglementation pour encadrer et limiter les risques liés aux ventes à découvert, une pratique interdite dans plusieurs pays et jugée en partie responsable des mouvements spéculatifs sur les marchés. Elle donnait « temporairement » le pouvoir aux autorités de marché nationales « d’imposer des restrictions à la vente à découvert
Vente à découvert
(Short selling en anglais). La vente à découvert consiste à vendre à terme un actif que l’on ne détient pas le jour où cette vente est négociée mais qu’on se met en mesure de détenir le jour où sa livraison est prévue. L’actif vendu à découvert est généralement un titre, mais on peut aussi vendre des devises ou des matières premières à découvert. Si la valeur de l’actif baisse après la vente à découvert, le vendeur peut le racheter au comptant et dégager une plus-value. Le gain potentiel est limité à la valeur de l’actif. Si, à l’inverse, elle monte, le vendeur s’expose à un risque de perte illimitée, tandis qu’un acheteur ne peut pas perdre plus que sa mise de fonds.
en cas de situation exceptionnelle menaçant la stabilité financière ou la confiance des marchés dans un Etat ou dans l’Union ». Elle obligeait, en outre, les opérateurs qui recourent aux ventes à découvert « à nu » sur les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’Etat à fournir des garanties
Garanties
Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome).
qu’ils pourront livrer les titres qu’ils promettent.
La vente à découvert consiste à emprunter un actif dont on pense que le prix va baisser et à le vendre, avec l’espoir d’empocher une différence au moment où il faudra le racheter pour le rendre au prêteur. Elles peuvent prendre une forme plus poussée, dites « ventes à nu » quand l’investisseur vend un titre qu’il ne possède pas. Cette pratique financière a été mise en cause pendant la crise financière de 2008 et aux débuts de la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
souveraine. La Belgique et 3 autres pays européens - la France, l’Italie et l’Espagne - ont décidé d’interdire cette pratique sur certaines valeurs financières. L’Allemagne a, pour sa part, interdit les ventes à nu sur toutes les valeurs cotées depuis mai 2010.
Les banques ne financent pas l’économie réelle
Malgré les plans d’aides massifs que les banques ont reçu, les banques privées continuent de refuser de financer l’économie réelle. La raison pour laquelle les banques rechignent à financer l’économie réelle est double :
1) Les profits sont beaucoup plus importants en réalisant des achats et ventes de produits financiers Produits financiers Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements). hautement spéculatifs qu’en accordant des prêts aux entreprises et aux particuliers. Comme on n’a pas régulé le secteur, rien d’étonnant à ce que les banques continuent de privilégier cette voie.
2) Afin de respecter les critères de Bâle II, les grandes banques doivent diminuer leur ratio « fonds propres
Fonds propres
Capitaux apportés ou laissés par les associés à la disposition d’une entreprise. Une distinction doit être faite entre les fonds propres au sens strict appelés aussi capitaux propres (ou capital dur) et les fonds propres au sens élargi qui comprennent aussi des dettes subordonnées à durée illimitée.
/total actif ». Les actifs étant pondérés par le « risque » dans le calcul du ratio, et les crédits aux entreprises et particuliers étant considérés comme risqués (contrairement à d’autres actifs considérées comme ayant un risque nul et donc non pris en compte dans le calcul du ratio), les banques ont logiquement tendance à favoriser les opérations de marchés (trading
Activités de marché
Trading
opération d’achat et de vente de produits financiers (actions, futures, produits dérivés, options, warrants, etc.) réalisée dans l’espoir d’en tirer un profit à court terme
), au détriment des opérations de crédits classiques. [3]
Les banques ont mis les finances publiques en grand danger
Après des années de spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière insensée, en 2008 puis en 2010, les pouvoirs publics ont massivement injecté des capitaux dans les banques belges pour les sauver de la faillite. Ces sauvetages bancaires, dont le coût total s’élève déjà à plus de 35 milliards d’euros, soit environ 8% du PIB belge, ont provoqué une explosion de la dette publique. En effet, ces sauvetages ont été intégralement financés via l’émission de titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
publique sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Tandis que les banques continuent de spéculer à leur guise, de nouvelles crises et donc de nouvelles injections de capitaux sont à prévoir.
La crise financière a provoqué un ralentissement de l’activité économique, ce qui a fortement aggravé les déficits publics, via une diminution des recettes fiscales et une augmentation des dépenses sociales. Si la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. devait perdurer, les finances publiques vont beaucoup souffrir.
Les garanties accordées aux banques en difficultés constituent également un risque de grande ampleur pour les finances publiques belges. La seule garantie accordée à Dexia SA représente un montant de 43,7 milliards d’euros (sans compter les intérêts et les accessoires). Cela correspond à 11% du Produit intérieur brut (PIB) de la Belgique, et à près de 25% du budget de l’État. Concrètement, si Dexia ne parvient pas à rembourser ses dettes, alors les pouvoirs publics devront les rembourser immédiatement. L’augmentation de la dette publique qui en résulterait serait, à coup sûr, utilisée comme arme de chantage pour justifier une dose supplémentaire d’austérité contre la population.
Les banques sont devenues « too big to fail »
Au fil des privatisations, dérégulation, fusions et acquisitions, les institutions financières ont atteint des tailles démesurées. Sur les 6.000 banques présentes en Europe, les 15 plus grandes représentent plus de 40% du total du secteur bancaire et 150% du PIB européen.
Cela implique concrètement que la faillite d’une seule de ces institutions géantes peut déstabiliser tout le système financier mondial. C’est en ce sens qu’on dit qu’elles sont « too big to fail », c’est-à-dire « trop grosse pour tomber »
Les banques privées disposent d’un monopole sur les dépôts, les crédits et les systèmes de paiement
La privatisation quasi totale du secteur bancaire donne, de fait, un monopole aux banques privées sur des outils fondamentaux pour le bon fonctionnement de l’économie : les dépôts et les prêts, mais aussi tous les systèmes de paiement. Si les banques devaient aujourd’hui s’effondrer, c’est toute l’économie qui s’effondrerait. Ces éléments permettent aux banques de réaliser une véritable prise d’otage de la société et mettent les Etats dans une situation telle qu’ils sont dans l’obligation d’intervenir pour refinancer les banques à coup de milliards d’euros.
Les banques privées ont le contrôle de la politique monétaire
En signant le Traité de Maastricht en 1992, les Etats ont décidé de remettre dans les mains des banques privées la politique monétaire : en s’interdisant d’emprunter directement à leurs banques centrales ou à la banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et en s’obligeant à se financer auprès des marchés financiers. Cela a évidemment donné un grand pouvoir aux banques privées, qui sont capables à tout moment de déstabiliser les finances publiques d’un Etat en leur coupant leur source de financement ou en augmentant fortement et brusquement les taux auxquels ils peuvent se financer.
Le secteur bancaire est dérégulé
Les principales règles mises en place en réaction à la crise financière de 1929 pour protéger la société d’une nouvelle crise ont été peu à peu abrogées, laissant libre cours à toute sorte de montages financiers aventureux et irresponsables. Par exemple, le Président Roosevelt en 1933 avait fait passer une loi imposant la séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement
Banques d’investissement
Banque d’investissement
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
, garantissant par là que l’argent des épargnants ne serait pas investi en bourse
Bourse
La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois).
. Dans les années 1970, les banques se sont mises à contourner cette loi qui a fini par être abrogée dans les années 1990 et les banques de dépôt
Banques de dépôt
Banque de dépôt
Banque de dépôt ou banque commerciale : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
ont à nouveau été autorisées à faire des investissements et à vendre des assurances. Cela leur a donné un énorme pouvoir sur l’Etat. Quand la bourse s’est effondrée, l’Etat a alors été mis sous pression maximum pour offrir des garanties et recapitaliser les banques afin d’éviter qu’elles tombent en faillite et que les dépôts des épargnants ne partent en fumée.
3. DE QUEL TYPE DE SECTEUR BANCAIRE AVONS-NOUS BESOIN ?
L’enjeu est clair : il s’agit de disposer d’un secteur bancaire assaini, stable, régulé strictement afin qu’il joue véritablement son rôle : financer la relance d’un développement économique socialement juste et écologiquement viable. Le secteur financier doit être régulé efficacement et retrouver sa fonction première : être un outil au service de l’économie et de l’intérêt général.
Jusqu’à aujourd’hui, au nom du réalisme, le courage politique est absent et les mesures prises sont plus qu’insuffisantes. La supervision centralisée des banques de la zone euro (union bancaire), la création d’un fonds européen de garantie des dépôts, l’interdiction de certaines opérations (ne touchant que 2% de l’activité bancaire globale), le plafonnement des bonus, la transparence des activités bancaires ou encore les nouvelles règles de Bâle III ne constituent que des recommandations, des promesses non tenues voire, au mieux, des décisions tellement diluées qu’elles en perdent toute efficacité avant même d’avoir été mises en place. Dans tous les cas, elles ne s’attaquent en rien aux problèmes de fonds, en particulier au poids exorbitant et à la capacité de nuisance des grandes banques.
Pourtant, la réalité est celle-ci : rassurer les marchés et se soumettre aux intérêts de la finance ne marche pas. C’est l’inverse qu’il faut faire, et vite. Faute de quoi, dans un avenir plus ou moins proche, une très grave crise des finances publiques et de la dette pourrait à nouveau survenir, avec des conséquences sociales dramatiques. Une réforme en profondeur de l’organisation et du fonctionnement du système bancaire est aujourd’hui une urgente et impérieuse nécessité économique, sociale, politique et démocratique. Il faut aller beaucoup plus loin, plus fort et plus vite.
4. NEUF MESURES URGENTES POUR REMETTRE LES BANQUES À LEUR PLACE
Des mesures simples, fortes et concrètes peuvent être prises. Certaines pourraient être mises en œuvre immédiatement, y compris à un niveau national, d’autres doivent se construire à moyen terme, et être portées de manière forte au niveau européen.
1. Interdire immédiatement certaines opérations spéculatives
Il n’y a aucune difficulté technique à interdire une série d’opérations et de produits spéculatifs comme :
La spéculation sur les titres de la dette publique, sur les monnaies ainsi que sur les aliments.
Les ventes à découvert.
Les CDs
CDS
Credit Default Swap
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé par la banque JPMorgan dans la première moitié des années 1990 en pleine période de déréglementation. Le Credit Default Swap signifie littéralement “permutation de l’impayé”. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation (l’emprunteur) fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entreprise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales. Premièrement, l’acheteur peut utiliser un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’il n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison d’un voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les sociétés affectées par le non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est très probable que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de la compagnie nord-américaine d’assurance AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (nationalisée par le président George W. Bush afin d’éviter qu’elle ne s’effondre) et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développées dans ce secteur.
Le CDS donne l’illusion à la banque qui en achète qu’elle est protégée contre des risques ce qui l’encourage à réaliser des actions de plus en plus aventureuses. De plus, le CDS est un outil de spéculation. Par exemple en 2010-2011, des banques et d’autres sociétés financières ont acheté des CDS pour se protéger du risque d’une suspension de paiement de la dette qui aurait pu être décrétée par la Grèce. Elles souhaitaient que la Grèce fasse effectivement défaut afin d’être indemnisées. Qu’elles soient ou non en possession de titres grecs, les banques et les sociétés financières détentrices de CDS sur la dette grecque avaient intérêt à ce que la crise s’aggrave. Des banques allemandes et françaises (les banques de ces pays étaient les principales détentrices de titres grecs en 2010-2011) revendaient des titres grecs (ce qui alimentait un climat de méfiance à l’égard de la Grèce) tout en achetant des CDS en espérant pouvoir être indemnisées au cas de défaut grec.1
Le 1er novembre 2012, les autorités de l’Union européenne ont fini par interdire la vente ou l’achat de CDS concernant des dettes des États de l’UE qui ne sont pas en possession du candidat acheteur du CDS.2 Mais cette interdiction ne concerne qu’une fraction minime du marché des CDS (le segment des CDS sur les dettes souveraines*) : environ 5 à 7 %. Il faut également noter que cette mesure limitée mais importante (c’est d’ailleurs à peu près la seule mesure sérieuse qui soit entrée en vigueur depuis l’éclatement de la crise) a entraîné une réduction très importante du volume des ventes des CDS concernés, preuve que ce marché est tout à fait spéculatif.
Enfin, rappelons que le marché des CDS est dominé par une quinzaine de grandes banques internationales. Les hedge funds et les autres acteurs des marchés financiers n’y jouent qu’un rôle marginal. D’ailleurs la Commission européenne a menacé en juillet 2013 de poursuivre 13 grandes banques internationales pour collusion afin de maintenir leur domination sur le marché de gré à gré* (OTC) des CDS.3
(Credit Default swaps
Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
).
Les CDO (Collateralized Debt Obligations).
Les marchés de gré à gré
Marché de gré à gré
Gré à gré
Un marché de gré à gré ou over-the-counter (OTC) en anglais (hors Bourse) est un marché non régulé sur lequel les transactions sont conclues directement entre le vendeur et l’acheteur, à la différence de ce qui se passe sur un marché dit organisé ou réglementé avec une autorité de contrôle, comme la Bourse par exemple.
.
Le trading à haute fréquence
Trading à haute fréquence
De l’anglais high-frequency trading, exécution à grande vitesse de transactions financières faites par des algorithmes informatiques. Ces opérateurs virtuels de marché peuvent ainsi exécuter des opérations sur les marchés financiers — les bourses — en quelques microsecondes.
, c’est à dire des opérations spéculatives réalisées automatiquement par des ordinateurs surpuissants capables de profiter à chaque millionième de seconde d’un écart de taux favorable.
…
Cela doit se faire absolument dans un premier temps pour les banques de dépôt. En l’absence de séparation des banques de dépôts et d’affaires, cela doit être mis en œuvre pour les banques considérées comme systémiques.
Il est nécessaire de séparer les banques de dépôt (banques dont le rôle principal est de collecter l’épargne des particuliers et d’octroyer des crédits aux ménages et entreprises) et les banques d’investissement (banques qui s’occupent de l’accès des entreprises aux marchés des capitaux). Les banques de dépôt pourraient recevoir une garantie de l’État au bénéfice des épargnants. Les banques d’investissement qui réaliseraient des investissements hasardeux et éprouveraient des difficultés ne pourraient demander l’aide des pouvoirs publics. Rappelons que cette séparation des activités bancaires fut une des premières mesures prises par le gouvernement des États- Unis après la crise de 1929 (Glass-steagall Act).
Il s’agit aussi dans ce cadre d’imposer des limites à la taille des banques. Aujourd’hui, du fait de leur taille économique et de leur dimension internationale, la défaillance d’une seule grande banque peut déstabiliser le système économique et financier d’une région entière.
3. Permettre à la Banque Centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. Européenne (BCE) de prêter directement aux Etats
Plutôt que de prêter en deux fois plus de 1.000 milliards d’euros aux banques à 1% pour que celles-ci les reprêtent éventuellement aux Etats à 3 ou 4%, la BCE doit pouvoir prêter directement aux Etats. Aujourd’hui, cela est clairement interdit par les Traités européens, en particulier par l’article 123 du Traité de Lisbonne. En effet, les banques privées empruntent à la BCE à du 0,5% pour ensuite prêter cet argent aux Etats à du 2%, 3%, 4%, 5% ou 6% aux Etats européens. Cette situation est absurde.
Sans prendre les États-Unis ou le Royaume-Uni pour modèle, loin de là, il faut souligner que la Fed (la Réserve fédérale, à savoir la banque centrale des Etats-Unis) et la Banque d’Angleterre achètent des titres de leur Etat respectif [4]. La revendication de modification du Traité pour permettre à la BCE de prêter directement aux Etats est parfaitement justifiée.
A priori, tous les Etats devraient pouvoir se financer au même taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
, à savoir celui fixé par la BCE. Si les banques privées ne veulent pas prêter aux Etats au taux de la BCE, il faut alors que ces derniers puissent emprunter directement à la BCE. Afin d’empêcher que les Etats s’endettent de manière inconsidérée et que la BCE ne se transforme en un puits sans fond, il peut s’avérer nécessaire de déterminer des critères fixant les conditions dans lesquelles les Etats peuvent emprunter à ce taux « minimum ». Si ces critères ne sont pas respectés, le taux d’intérêt pourrait augmenter. Cependant, ils doivent absolument rompre avec la logique néolibérale. A côté de critères économiques traditionnels tels que le ratio dette/PIB, le déficit public ou encore l’inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison.
, d’autres devraient être également pris en compte, tels que :
le respect des droits sociaux dont le droit du travail ;
le respect des obligations européennes en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction de CO2 ;
la lutte contre les inégalités et la corruption ;
la régulation du secteur financier.
Tous ces critères sont objectivement vérifiables et font déjà l’objet d’analyses comparatives approfondies au sein des pays de l’UE via différentes institutions telles que l’OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
ou l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
. Leur intégration ne poserait donc pas de problème.
Plus fondamentalement, il est nécessaire de réformer complètement la BCE. Plutôt que d’avoir pour unique objectif de combattre l’inflation, il faut que cette institution puisse financer directement des États soucieux d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux qui intègrent les besoins et les droits fondamentaux des populations.
4. Interdire le Shadow Banking System [5]
Le Shadow Banking System (système bancaire de l’ombre) est un mécanisme qui permet aux banques de gérer des opérations bancaires très risquées en dehors de toute régulation publique et sans devoir inscrire ce type de transactions dans leurs comptes de bilan. Cette absence de régulation a logiquement provoqué une expansion rapide du secteur, avec un volume d’actifs représentant 60.000 milliards de dollars fin 2011.
Les paradis fiscaux constituent de véritables trous noirs de la finance mondiale. Selon le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, environ 50% des flux financiers mondiaux transitent par des paradis fiscaux. Ces derniers plombent le budget des États. Selon le réseau Tax Justice Network, ils entraînent une perte de revenus d’impôts de 255 milliards de dollars par an pour les États de la planète. La Belgique ne fait pas exception : la fraude fiscale coûte environ 20 milliards d’euros annuels aux finances publiques belges. Jusqu’à aujourd’hui, les dirigeants du G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
, malgré leurs déclarations d’intention, refusent de lutter contre les paradis judiciaires et fiscaux.
Pourtant, des mesures simples et concrètes peuvent être mises en place immédiatement, tant au niveau national qu’européen. On pourrait commencer par interdire aux personnes physiques et aux entreprises privées (dont les banques) présentes sur le territoire belge de réaliser quelque transaction que ce soit avec des paradis fiscaux, sous peine d’une amende ou de poursuites pénales.
6. Lever le secret bancaire
La levée du secret bancaire doit également devenir un impératif démocratique minimal pour tous les pays. Il faut supprimer le secret bancaire fiscal et donner des moyens conséquents aux services des ministères des finances pour lutter efficacement contre la fraude fiscale.
7. Taxer les banques et l’ensemble des transactions financières
En plus de rapporter des ressources vitales au financement d’un plan de relance économiquement ambitieux et écologiquement viable, cette taxe jouerait un rôle positif en matière de stabilité financière en dégonflant fortement une série de marchés spéculatifs
8. Envisager les sauvetages bancaires d’une toute autre manière
La manière dont le sauvetage des banques a été effectué en Belgique et ailleurs est tout à fait inacceptable, car très coûteux pour les finances publiques et sans aucune poursuite contre les responsables du désastre de Fortis, de Dexia, de KBC, d’Ethias... ou contre les responsables publics de tutelle ou de contrôle (Banque nationale, Commission bancaire, ministre des Finances...). Par ailleurs, les autorités publiques de tutelle n’ont pas imposé une nouvelle discipline financière aux banquiers qui ont donc continué à prendre des risques insensés.
Il est possible de laisser des banques faire faillite, à condition de protéger l’épargne des déposants et l’investissement des petits porteurs d’actions tout en récupérant le coût de ces faillites sur le patrimoine global des grands actionnaires privés. Faire porter le poids du sauvetage sur les dirigeants et les grands actionnaires des institutions financières, plutôt que sur les citoyens belges, est une mesure réalisable, légitime et qui inciterait les financiers à se comporter de manière plus raisonnable à l’avenir, contribuant ainsi à renforcer la stabilité de l’économie.
Dans la mesure où une future faillite bancaire reste une potentialité, il faut dès à présent se préparer à donner une réponse mieux ajustée. Sans faire de « copier-coller », il est possible de se baser sur l’expérience de la gestion de la crise bancaire des pays scandinaves (Suède, Norvège, Finlande) début des années 1990. Ces pays ont montré que, sur la base de 3 principes simples (remplacement du Conseil d’administration etouverture des livres de comptes, rachat des banques à leur valeur réelle et coût du sauvetage porté par les actionnaires plutôt que par les contribuables), il est possible de gérer une crise bancaire sans « trop » de frais. La Suède a géré sa crise bancaire en 3 ans et cela lui a coûté à peine 3% de son PIB. La Belgique en est à 8% sans avoir absolument rien réglé… [6]
9. D’une banque publique à la socialisation du secteur bancaire
Après des décennies de dérives financières et de privatisations, il est grand temps de faire passer le secteur du crédit dans le domaine public avec un véritable contrôle citoyen. Les États doivent retrouver leur capacité de contrôle et d’orientation de l’activité économique et financière. Ils doivent également disposer d’instruments pour réaliser des investissements et financer les dépenses publiques en réduisant au minimum le recours à l’emprunt auprès d’institutions privées ou/et étrangères.
Plusieurs voies doivent être envisagées avec sérieux :
Créer ou développer une banque publique. Que ce soit au niveau national ou régional, la Belgique devrait se doter d’une banque publique qui, tout en garantissant la stabilité de l’épargne, offre aux clients les services classiques d’une banque et qui constitue un appui financier pour des investissements productifs socialement utiles et écologiquement viables.
Créer ou développer un pôle bancaire public. En compétition avec une finance mondiale globalisée, une banque publique risque de ne pas « tenir le coup ». Par conséquent, il serait utile d’aller plus loin en mettant sur pied un pôle bancaire public capable de concurrencer efficacement le secteur bancaire privé. Nationaliser, avec ou sans indemnisation, les banques défaillantes et celles qui ont été sauvées avec les deniers publics pour les transférer au secteur public sous contrôle citoyen pourrait constituer des étapes importantes vers la création de ce pôle bancaire public.
Socialiser l’ensemble du secteur de la banque et de l’assurance [7]. Les banques doivent redevenir des outils au service de la collectivité. La monnaie, le crédit, l’épargne, les systèmes de paiement, éléments fondamentaux d’une économie, devraient être considérés comme des biens publics communs. Par conséquent, le système bancaire devrait être socialisé, c’est-à-dire placé sous contrôle citoyen avec un partage de décision entre les dirigeants, les élus locaux ainsi que les représentants des salariés, des clients, des associations et des instances bancaires nationales et régionales. Le programme du Conseil national de la Résistance de 1944 (CNR) déclarait : « L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, implique l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie, … , et le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ». De la manière, la déclaration de principes de la FGTB de 1945 estime que « la socialisation des grands trusts bancaires et industriels s’impose ». Cette revendication n’est donc pas nouvelle. Elle reste plus que jamais d’actualité. Les métiers de la banque et de l’assurance sont bien trop importants que pour les laisser dans les mains des banquiers privés.
Olivier Bonfond est économiste, conseiller au CEPAG et auteur du livre “Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité. Editions Aden. Juin 2012 (http://cadtm.org/Et-si-on-arretait-de-payer-10)
[1] L’Echo, 19 juin 2013
[2] Le Monde , Le retour de produits à l’origine de la crise sur les marchés, 11.06.2013
[3] Pour plus d’infos, lire TOUSSAINT Eric, “Les banques bluffent en toute légalité”, http://cadtm.org/Les-banques-bluffent-en-toute
[4] En septembre 2011, la Fed détenait pour un peu plus de 1.700 milliards de dollars de titres de la dette publique (Treasury bonds) achetés au Trésor.
[5] Pour plus d’infos, lire MUNEVAR Daniel, " Les risques du système bancaire de l’ombre », http://cadtm.org/Les-risques-du-systeme-bancaire-de
[6] Pour plus d’infos, lire DUPRET Xavier, “Et si nous laissions les banques faire faillite ? », http://www.gresea.be/spip.php?article1048
[7] Pour plus d’infos, lire SAURIN Patrick , “Socialiser le secteur bancaire”, http://cadtm.org/Socialiser-le-systeme-bancaire
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
31 août, par Olivier Bonfond
Cycle de formation du CADTM
La dette publique belge avec Olivier Bonfond30 mai, par Olivier Bonfond
3 avril, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
13 mars, par Olivier Bonfond
14 décembre 2022, par Olivier Bonfond
13 janvier 2022, par Olivier Bonfond
31 mars 2021, par Collectif , Olivier Bonfond
5 février 2021, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Catherine Samary , Thomas Piketty , Laurence Scialom , Aurore Lalucq , Nicolas Dufrêne , Jézabel Couppey-Soubeyran , Gaël Giraud , Esther Jeffers
16 décembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
23 novembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer