21 décembre 2010 par Renaud Vivien
Les fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
continuent de faire des ravages dans les pays du Sud. La République démocratique du Congo (RDC) vient d’en faire les frais en perdant un nouveau procès contre le fonds spéculatif FG Hemisphere devant la Cour de Jersey. Cette nouvelle saignée était malheureusement prévisible.
En effet, FG Hemisphere utilise toujours la même méthode, caractéristique des fonds vautours : basé dans un paradis fiscal
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
(dans le Delaware en plein cœur des Etats-Unis) comme la majorité des fonds vautours, FG Hempishere rachète en 2004 d’anciennes dettes décotées de la RDC datant des années 80 (d’une valeur réelle de 37 millions de dollars) puis saisit la justice anglo-saxonne (la Cour de Jersey) particulièrement protectrice des créanciers afin d’obtenir le remboursement de la valeur nominale de cette dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, auquel s’ajoutent les intérêts de retard et autres pénalités (pour un montant total d’environ 100 millions de dollars).
Ainsi, FG Hemisphere a obtenu le droit de se faire rembourser une dette de 100 millions de dollars alors qu’il n’a déboursé que 37 millions de dollars. Et chaque jour, cette dette augmente de 27 500 dollars à cause des intérêts [1] ! Pour s’assurer du règlement de cette dette, le jugement de Jersey confère à FG Hemisphere le droit de saisir une partie des futurs bénéfices de la joint-venture GTL (Groupement de Terril de Lubumbashi), qui compte parmi ses actionnaires le groupe de Georges Forrest et le gouvernement congolais via la Gécamines, une entreprise publique minière de la province du Katanga. Rappelons que FG Hemisphere avait déjà obtenu en 2008 le droit de saisir, pendant les quinze prochaines années, les recettes de la vente d’électricité à l’Afrique du Sud et qu’en février 2010, il était autorisé par la Cour d’appel de Hong Kong à saisir une partie des droits payés par la Chine à la RDC pour l’exploitation d’un gisement minier.
Et ce n’est pas fini puisque d’autres fonds vautours sont entrés dans la danse, réclamant à la RDC plus de 452 millions de dollars devant les tribunaux [2] . Il y a donc fort à craindre que les fonds libérés par l’allègement de la dette congolaise, intervenu après que les autorités de Kinshasa aient cédé à toutes les pressions des créanciers occidentaux, soient raflés par ces fonds vautours. Face à ces attaques, le gouvernement congolais vient de demander l’aide de la Facilitation africaine de soutien juridique, un organisme créé en 2008 par la Banque africaine de développement (BAD) pour notamment assister les Etats attaqués par les fonds vautours [3]. Ce nouvel organisme a le mérite de proposer une aide concrète aux pays victimes de ces fonds spéculatifs, en mettant à leur disposition des avocats pour négocier avec ces fonds vautours et défendre les Etats devant les juges [4] .
Toutefois, cette aide reste insuffisante face à l’ampleur du phénomène. Les fonds vautours traînent actuellement en justice une dizaine de pays africains dans une cinquantaine de procès et la crise mondiale, qui fait courir le risque d’une nouvelle crise de la dette au Sud, va très certainement accroître leur voracité puisqu’ils pourront racheter des créances impayées sur les pays en développement à des montants extrêmement bas et ainsi accroître leurs gains.
Notons que ces attaques ne se limitent pas au continent africain. A titre d’exemple, l’Argentine est actuellement la proie de deux fonds vautours, Elliott Capital et EM Limited, qui tentent de saisir les fonds déposés par l’État argentin auprès de la Banque des règlements internationaux (BRI), pour un montant dépassant 1 milliard de dollars. Il n’existe pas non plus d’obstacle (pour le moment) à ce que les fonds vautours attaquent prochainement les pays du Nord, compte tenu des pratiques spéculatives sur leurs dettes. Dans ce contexte, d’autres mesures s’imposent pour mettre les fonds vautours hors d’état de nuire [5].
Pour cela, il faut changer les règles du jeu car l’activité des fonds vautours est (pour le moment) légale. Autrement dit, les pouvoirs publics doivent rendre leur activité illicite en interdisant purement et simplement la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
sur les dettes d’État, qui ne profite qu’à une poignée d’individus sans scrupules. En attendant une initiative internationale de cet ordre, les parlements au Sud et au Nord doivent immédiatement adopter de manière unilatérale des lois pour limiter l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
des fonds vautours. La Belgique, qui a ouvert la voie en 2008 en prenant une loi rendant « incessible et insaississable » l’argent belge de la coopération au développement, doit aujourd’hui étendre la portée de cette loi à tous les fonds (publics et privés) émanant de la Belgique et plaider au sein des instances européennes et internationales pour la généralisation de ce type de dispositif.
Enfin, la Belgique doit annuler totalement la dette congolaise à son égard et plaider pour que les autres créanciers de la RDC fassent de même. En effet, la dette publique extérieure de la RDC n’a pas été effacée. Elle s’élève encore à 3 milliards de dollars et risque d’augmenter prochainement, notamment sous l’effet de la crise mondiale, des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. imposées par les institutions financières internationales et des prêts léonins de la Chine. La résolution du Sénat belge adoptée le 29 mars 2007 demande que la Belgique annule toutes les dettes odieuses comme celle contractée par la dictature de Mobutu, et mette en place un audit des dettes des pays en développement. Mais cette résolution est restée lettre morte [6] . Que fait la Belgique ?
Cette carte blanche est parue sur le site en ligne du quotidien Le Soir le 20 décembre 2010 http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2010-12-20/nouvelle-victoire-d-un-fonds-vautour-contre-la-rdc-que-fait-la-belgique-809956.php
[3] Cette structure vient de faire un don à la RDC de 500 000 dollars pour payer les honoraires d’un cabinet d’avocat.
[5] Lire le apport de la plateforme Dette et développement et du CNCD-11.11.11, « Un vautour peut en cacher un autre : ou comment nos lois encouragent les prédateurs des pays pauvres endettés » (2009)
http://www.cncd.be/IMG/pdf/RAPPORT_...
[6] Renaud Vivien, L’annulation de la dette du tiers monde, cahier du CRISP (2010)
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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