28 mars 2006 par Basav Sen , Hope Chu
Tandis que l’occupation américaine en Irak, qui dure depuis trois ans, fait face à un enlisement des opérations, les forces économiques du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale se précipitent pour mettre en place différentes réformes économiques qui amèneront des entreprises américaines - Bechtel, Halliburton et d’autres - à proclamer « Mission accomplie ! ». Alors que l’administration Bush essaie de vendre sa rhétorique sur la liberté et la libération, le FMI et la Banque mondiale s’affairent à « libérer » les ressources irakiennes - pétrole et main-d’œuvre - et à « libéraliser » les marchés irakiens. L’augmentation récente des prix des carburants en Irak et les émeutes qui suivirent ne sont qu’un aperçu de ce que l’avenir réserve à l’Irak, sous les programmes du FMI et de la Banque mondiale.
Première étape : annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
irakienne, contrôle croissant du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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Peu de temps après le début de l’occupation américaine en Irak, l’administration Bush a envoyé l’ancien secrétaire d’État James Baker en pèlerinage dans les capitales des autres grandes puissances afin d’obtenir l’annulation des dettes odieuses contractées par Saddam Hussein. Dans un revirement qui paraissait inexplicable au premier abord, l’administration Bush a utilisé la notion de dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
pour demander l’annulation de la dette irakienne contractée pendant le règne de Saddam Hussein.
Désormais, les motivations politiques à l’origine de ce revirement inattendu sont très claires. L’annulation de la dette irakienne est le cheval de Troie qui permet au FMI, à la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et à l’Organisation mondiale du commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
(OMC) de pénétrer en Irak et de commencer à restructurer davantage l’économie, prenant le relais des actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de l’Autorité Provisoire de la Coalition (APC, en anglais CPA) dirigée par Paul Bremer. Dans un mouvement qui rappelle le programme Pays pauvres très endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE), non seulement la dette, mais aussi l’annulation de la dette, est utilisée comme un outil pour restructurer l’économie irakienne.
Le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, un regroupement des principaux créanciers du monde (qui comprend tous les gouvernements du G8
G8
Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002.
ainsi que des gouvernements d’autres pays riches) a accepté le 21 novembre 2004 d’annuler 80% des 39 milliards de dollars que l’Irak doit aux membres du Club de Paris, en trois étapes. Les termes de l’annulation de la dette sont les suivants :
• 30% de la dette devraient être annulés sans conditions ;
• 30% devraient être annulés « dès qu’un programme type du FMI est approuvé », comme l’indique le communiqué de presse du Club de Paris ; cette décision a pour conséquence essentielle de conditionner l’annulation de la dette à l’assujettissement de la politique économique irakienne au FMI ;
• 20% supplémentaires devraient être annulés au bout de trois ans, en fonction des conclusions du rapport du Conseil d’administration du FMI quant au respect des termes de l’accord, asservissant encore davantage l’Irak aux conditions du FMI.
Deux choses concernant le « pacte » du Club de Paris sont à noter. Premièrement, la dette irakienne envers le FMI ne représente que 1% environ de sa dette totale envers le Club de Paris, et pourtant, c’est le FMI qui fixe les conditions pour l’annulation de la plus grande partie de la dette irakienne, annulation que l’on est en train d’offrir au pays. Cela prouve que l’influence politique du FMI est sans aucune commune mesure avec son influence financière.
Deuxièmement, le Club de Paris a clairement fait savoir que la proposition d’annulation de dette était la conséquence de « la situation exceptionnelle de la République d’Irak et ... de ses capacités de remboursement limitées pour les années à venir ». Tandis que l’argumentation initiale de l’administration Bush avait insisté sur la notion de dette odieuse, le Club de Paris a fait très attention à ne permettre aucun précédent quant à la reconnaissance de cette notion, de peur de devoir faire face, à l’avenir, à des pressions en faveur de l’annulation des dettes d’autres régimes répressifs tels que le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, la dictature de Suharto en Indonésie, les célèbres Duvalier en Haïti ou le régime de Mobutu au Congo. Ne pas reconnaître le caractère odieux de la dette irakienne fournit aussi au Club de Paris la protection politique nécessaire pour garder 20% de la dette irakienne en dehors de la table des négociations. Même l’Assemblée nationale irakienne, qui contredit rarement les États-Unis, a condamné publiquement l’accord du Club de Paris pour n’avoir pas réussi à reconnaître le caractère odieux de la dette irakienne, et pour revendiquer ainsi le remboursement d’un cinquième de cette dette.
De cette façon, un revirement qui semble à première vue bénéfique pour l’Irak - l’annulation de la dette - est utilisé comme outil de contrôle par la Banque mondiale, le FMI et les riches pays créanciers. De plus, c’est un outil de contrôle qui continuera à avoir des effets longtemps après le départ des troupes américaines.
Deuxième étape : la règle de l’Autorité Provisoire de la Coalition
Dans ce contexte, il est intéressant de rappeler la façon dont l’Autorité Provisoire de la Coalition a restructuré l’économie irakienne. (lire World Bank Brings Market Fundamentalism to Iraq, Economic Justice News, septembre 2004). Paul Bremer a adopté une série d’ordres exécutifs (sans rendre aucun compte au peuple irakien) qui sont, entre autres :
• Licenciement de 500 000 fonctionnaires - dont 400 000 employés des forces armées irakiennes - dans un pays qui compte 6,5 millions de personnes actives. Ces licenciements ont ainsi touché 8% de la population active.
• Modification de la législation sur les investissements étrangers qui « fait de l’Irak l’une des économies les plus libérales parmi les pays en développement et va même au-delà des législations de bien des pays riches » d’après le Financial Times (APC ordre n°39).
• Interdiction pour les paysans irakiens de récupérer et planter des graines d’une année sur l’autre, et d’échanger librement des connaissances. Ils ne sont autorisés désormais qu’à planter des variétés de plantes « protégées » qui demeurent la propriété de multinationales semencières. Auparavant, la Constitution irakienne n’autorisait pas la brevetabilité des plantes. L’APC, en revanche, a modifié la législation afin de permettre le contrôle de la « propriété intellectuelle » sur les variétés de plantes (APC ordre n°81).
Chacune de ces politiques s’insère parfaitement dans le moule néolibéral, et l’on pourrait penser qu’il s’agit d’une des conditions imposées par le FMI et la Banque mondiale. Mais ce n’en est pas. Bien avant que le FMI et la Banque mondiale ne s’installent en Irak de façon significative, l’occupation américaine a obligé unilatéralement l’Irak à se conformer à des politiques identiques à celles que ces institutions auraient pu exiger - et à un rythme accéléré. Il y a bien d’autres façons de restructurer une économie que par le biais de conditions assorties à des prêts. La meilleure description de ce que l’Irak a entrepris sous l’APC est sans doute celle d’un programme d’ajustement structurel imposé par les armes.
Troisième étape : l’occupation économique du FMI et de la Banque mondiale
Non contents de l’ampleur de la restructuration néo-libérale imposée à l’économie irakienne par les États-Unis, le FMI et la Banque mondiale ont d’autres desseins pour l’économie irakienne, et sont en train d’utiliser l’annulation de la dette comme un levier pour contraindre l’Irak à accepter leurs conditions. De plus, ils ont commencé à normaliser leurs relations avec l’Irak, renforçant ainsi leur mainmise sur le pays.
Le FMI a accordé son tout premier prêt à l’Irak en septembre 2004. En juillet 2005, la Banque mondiale a prêté à l’Irak pour la première fois depuis 1973. Ce prêt a été suivi d’un prêt de 100 millions de dollars pour le secteur de l’éducation en novembre dernier, et d’un arrangement stand-by avec le FMI en décembre. L’annulation de la dette irakienne par le plan du Club de Paris, dont il a été fait référence précédemment, ne sera effective que si l’Irak accepte cet accord stand-by et l’applique comme le souhaite le FMI.
Proposer l’accord avec le FMI immédiatement après les élections est un revirement qui semble destiné à empêcher les Irakiens d’avoir leur mot à dire dans l’affaire. Si l’accord avait été signé avant les élections, cela aurait été un enjeu électoral. « Le moment choisi pour la décision a épargné aux hommes politiques le courroux des électeurs » comme l’a fait remarqué le Washington Post le 28 décembre.
L’augmentation récente du prix du fioul domestique était une des exigences de l’accord passé avec le FMI, qui prévoit que les prix des produits pétroliers s’alignent sur les prix des produits correspondants pratiqués dans d’autres pays de la région d’ici à 2007. Les augmentations de prix exigées par le FMI sont stupéfiantes : les augmentations initiales mises en place en décembre à la veille de la signature des accords avec le FMI ont atteint 400% pour l’essence et le kérosene (passant respectivement de 20 dinars à 100 dinars le litre, et de 5 dinars à 25 dinars le litre) et 800% pour le diesel (passant de 10 dinars à 90 dinars le litre), avec d’autres augmentations planifiées d’ici septembre 2006. Le FMI a clairement montré son intention de surveiller de près les augmentations de prix : « Les progrès concernant l’ajustement des prix des produits pétroliers seront évalués dans le contexte des bilans trimestriels du programme » comme l’indiquent les termes de l’accord.
Le carburant est une donnée qui détermine le prix de vente au détail de la plupart des biens, puisque ceux-ci doivent être transportés. Inévitablement, les prix de la plupart des biens, y compris la nourriture, ont considérablement augmenté, conséquence directe de l’augmentation des prix des combustibles.
Les autres conditions imposées par le FMI et la Banque mondiale à l’Irak sont les suivantes :
• Privatisation de toutes les entreprises publiques à l’exception des entreprises pétrolières. Cette condition, imposée par le FMI, va conduire au licenciement d’environ 145 000 salariés. Elle va aussi fournir aux entreprises étrangères le contrôle de secteurs clefs de l’économie irakienne. Quant à l’industrie pétrolière, même si elle ne sera pas totalement privatisée, des modifications législatives sont en cours afin de permettre un contrôle partiel par des entreprises étrangères. L’ancien Ministre des Finances Adel Abdul Mehdi (désormais l’un des deux Vice-Présidents irakiens) a reconnu que ces modifications législatives sont « très prometteuses pour les investisseurs américains et les entreprises américaines, en particulier les entreprises pétrolières ». Le FMI demande à « étendre la participation du secteur privé au marché des produits pétroliers domestiques » dans son communiqué de presse annonçant l’accord.
• Fin des subventions aux produits alimentaires de base. Les rations alimentaires subventionnées sont une aubaine pour 60% de la population irakienne, et bien souvent leur seule protection contre la faim, mais le FMI et la Banque mondiale veulent les éliminer. L’élimination de la distribution de nourriture subventionnée va faciliter le contrôle du marché alimentaire irakien par les entreprises agroalimentaires.
• Libéralisation des prix des aliments. La Banque mondiale veut éliminer les régulations qui maintiennent sous contrôle les prix alimentaires. La « libéralisation » des prix alimentaires a provoqué de graves problèmes de sous-nutrition, et même de famine, dans de nombreux pays, comme au Niger ou au Mali très récemment.
• Des licenciements supplémentaires et/ou des gels de salaires et des avantages dans le secteur public. L’accord demande au gouvernement irakien de plafonner le montant des salaires non liés à la défense et à la sécurité, en guise de critère de performance (i.e. un critère qui sera utilisé par le FMI pour évaluer le respect par l’Irak de ses conditions). Il est significatif de voir que le seul secteur de dépenses gouvernementales exempt du plafonnement budgétaire de l’emploi imposé par le FMI est la défense ! Le FMI se réjouit de la décision du gouvernement irakien de retirer la loi votée par l’Assemblée Nationale qui prévoit que les pensions de retraite sont fixées à 80% du dernier salaire - montrant ainsi clairement que ni l’existence d’un processus démocratique en Irak ni la protection des retraités irakiens n’intéressent en aucune façon le FMI.
La réaction irakienne aux politiques du FMI et de la Banque mondiale en général, et aux augmentations récentes du prix des carburants en particulier, a été une réaction de désapprobation quasi-unanime. Des milliers de personnes ont manifesté contre les augmentations du prix des carburants à travers le pays ; le Ministre du pétrole, Ibrahim Bahr-al-Uloum, a été contraint de démissionner début janvier à cause des protestations (et a été remplacé par Ahmed Chalabi, notoirement corrompu) ; et certaines provinces, y compris celle de Basra pourtant riche en pétrole, ont refusé d’appliquer les augmentations de prix. Un grand nombre de syndicats irakiens ont signé un texte commun le 16 janvier, condamnant l’augmentation du prix du pétrole, et rejetant sans équivoque et dans sa totalite l’agenda de privatisations et de dérégulations du FMI et de la Banque mondiale (voir ci-dessous).
Paul Wolfowitz : seul maître à bord
La restructuration économique de l’Irak au profit des investisseurs étrangers était sans nul doute l’une des principales motivations de l’invasion américaine et de l’occupation en Irak - ou, au moins, une aubaine hautement rentable. Le fait que Paul Wolfowitz, le nouveau Président de la Banque mondiale, ait été l’un des architectes majeurs de l’invasion ne fait qu’augmenter la probabilité d’un plan délibéré de la part de l’administration Bush. Si le but est de maintenir un contrôle américain sur les ressources irakiennes après l’occupation, installer Wolfowitz - un membre leader du Projet pour un Nouveau Siècle Américain et déjà reconnu comme un fervent partisan de l’expansion de l’influence américaine et de la soumission de la politique étrangère au service des intérêts américains - à la tête de la Banque mondiale est tout à fait cohérent.
Il est clair que les conséquences de l’occupation américaine, et de ses corrolaires que sont le contrôle économique ainsi que de la restructuration du pays opérée par le FMI et la Banque mondiale dans les intérêts des investisseurs étrangers, vont se faire sentir longtemps après le départ des troupes américaines. Le retrait des troupes irakiennes, même s’il s’agit d’un premier pas important pour l’Irak vers l’obtention de son auto-détermination, n’est pas plus que cela - un premier pas. Si le mouvement anti-guerre américain est sérieux quand il se dit solidaire du peuple irakien, et opposé aux motivations profondément économiques d’une politique étrangère américaine interventionniste, en Irak et à travers le monde, alors il doit faire de la résistance à l’agenda économique néolibéral des soi-disantes institutions internationales un point central de sa campagne.
Déclaration commune des syndicats irakiens au sujet des programmes de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International en Irak
L’économie irakienne a été gravement affectée par des décennies de sanctions, de guerres et d’occupation. Les syndicats et fédérations irakiens croient en la capacité du pays à assurer un niveau de vie décent aux irakiens, grâce à tout son pétrole et ses ressources minérales.
Les fédérations et syndicats considèrent que les guerres et l’occupation ont provoqué une diminution spectaculaire des niveaux de vie et des acquis sociaux des Irakiens, en particulier les ouvriers.
Les fédérations et syndicats soulignent l’importance d’une souveraineté complète pour l’Irak sur son pétrole et ses ressources naturelles, afin de les développer de façon à permettre une reconstruction complète du pays. Nous souhaitons mettre l’accent sur les points suivants, concernant les politiques du FMI et de la Banque mondiale en Irak :
1. Plus de transparence et davantage de représentation irakienne dans les structures décisionnelles des Institutions Financières Internationales (IFI)
2. Arrêt des conditions d’ajustement structurel assorties aux prêts
3. Accord pour que des fonds soient apportés aux services publics et aux entreprises publiques d’État sans que leur privatisation ne soit exigée
4. Annulation des dettes irakiennes résultant des politiques de l’ancien régime
5. Rejet de la réduction des dépenses sociales, en particulier la supression du soutien du gouvernement au système de distribution de nourriture ou la réduction du nombre de produits concernés
6. Rejet catégorique de la privatisation des entreprises publiques, en particulier dans les secteurs du pétrole, de l’éducation, de la santé, de l’électricité, des transports et des travaux publics
7. Rejet de l’augmentation du prix des produits pétroliers, considérant l’impact négatif de ces augmentations sur les conditions de vie des Irakiens
8. Adoption d’une nouvelle législation sur le travail et d’une loi sur la sécurité sociale et les retraites qui assurent des droits au ouvriers et soient en conformité avec les conventions internationales sur les conditions de travail et les droits de l’homme. La Banque mondiale et le FMI doivent aussi respecter ces accords
Les syndicats et fédérations signataires de cette déclaration annoncent la formation d’un comité de coordination permanent qui fera connaître ses positions au gouvernement irakien et aux IFI. Ils exigent aussi que les IFI engagent un dialogue, une discussion et des négociations avec les fédérations de syndicats au sujet de leurs politiques en Irak.
Enfin, ils font appel à l’aide des organisations de syndicats internationales pour apporter tout soutien possible aux demandes formulées ci-dessus.
Signé :
Fédération générale des travailleurs irakiens
Fédération irakienne des syndicats du pétrole, Basra
Fédération des conseils et syndicats ouvriers en Irak
Syndicat général des travailleurs kurdes, Erbil
Syndicat des travailleurs kurdes irakiens
Amman, le 16 janvier 2006
Basav Sen, Mobilization for Global Justice ; Hope Chu, 50 Years is Enough Network. Source : www.50years.org
Traduction : Aurélie Vitry (CADTM Orléans)