Ouf ! les Islandais ont dit massivement « non »

16 mars 2010 par Damien Millet , Olivier Bonfond , Jérôme Duval




Traduction en grec

Le refus par le peuple de la logique néolibérale sera-t-il enfin respecté ?

Le 6 mars, les Islandais se sont rendus aux urnes pour se prononcer sur la loi Icesave. Cette loi prévoyait la nationalisation de dettes privées et l’imposition de mesures économiques antisociales afin de trouver les fonds pour rembourser ces dettes. Avec une participation qui dépasse 60 %, le « non » a remporté une écrasante victoire  : environ 93 % des suffrages exprimés. Cela constitue surtout une victoire importante contre le néolibéralisme. Ce sera aussi une victoire pour la démocratie si, contrairement à ce qui s’est passé en France et en Irlande récemment, le choix des Islandais est respecté. Petit pays de 320 000 habitants, l’Islande a subi de plein fouet la crise financière. Dans le même temps, l’État a déboursé des centaines de millions d’euros pour nationaliser les trois principales banques islandaises (Kaupthing, Landbanski et Glitnir), totalement privatisées en 2003, et les sauver de la faillite. Le peuple islandais s’est alors mobilisé pour tenter de faire payer le coût de cette crise aux responsables  : les banques et les fonds spéculatifs. Cette pression a donné des résultats  : le gouvernement a démissionné fin 2008 et, en août 2009, le Parlement a adopté une résolution pour conditionner le remboursement de cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
aux « capacités de paiement » du pays. Mais les intérêts en jeu sont énormes. Le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et l’Union européenne ont pesé de tout leur poids pour renverser cette orientation. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2009, le Parlement a changé de position et voté la loi Icesave, qui visait à confirmer la nationalisation de ces dettes privées et à organiser, via des mesures d’austérité (gel des salaires, diminution des dépenses publiques…), le remboursement intégral (3,9 milliards d’euros) des montants avancés par les États britannique et néerlandais pour indemniser leurs « citoyens lésés » par la faillite de la banque en ligne islandaise Icesave en octobre 2008 [1].

La population islandaise ne l’a pas entendu de cette oreille  : des organisations ont lancé une pétition contre cette loi et, en quelques semaines, plus de 25 % de l’électorat islandais l’avaient signée  ! Face à cette protestation populaire, le président fut contraint d’appliquer l’article 26 de la Constitution qui stipule qu’en cas de refus du président de promulguer une loi, elle doit être soumise à une consultation populaire.

Malgré différentes pressions et menaces (pression médiatique très forte en faveur du « oui », refus de discuter de l’intégration de l’Islande dans l’Union européenne, blocage de l’aide internationale), les Islandais ont donc largement dit « non » à cette loi néolibérale. Mais il faut être très vigilant à ce que ce choix soit respecté. Rappelons-nous ce qui s’est passé à propos du traité de Lisbonne  : alors que les Français avaient dit « non » au traité constitutionnel européen, le gouvernement français a tout de même fait approuver le traité de Lisbonne qui l’a remplacé en passant par la voie parlementaire, tandis qu’après un premier vote négatif en Irlande le gouvernement irlandais a imposé un nouveau référendum afin de parvenir au « oui ». On le voit, dès que le résultat initial n’est pas jugé satisfaisant, les dirigeants s’arrangent souvent pour contourner la volonté du peuple. Difficile de faire de même en Islande tant le refus est massif. Pourtant, la question n’est pas incongrue  : on parle déjà d’un vote inutile, puisque les Islandais se seraient prononcés sur une loi obsolète, une autre proposition étant déjà sur la table. Un nouveau vote sur une nouvelle proposition s’annonce-t-il  ? À moins que le président accepte cette fois de promulguer la loi… La partie n’est pas encore gagnée.

Pourtant, si le gouvernement islandais en avait la volonté, il pourrait refuser la logique néolibérale tout en garantissant la justice sociale. Toute une série de mesures alternatives à la logique capitaliste pourraient être mises en place rapidement en vue de sauver les emplois et de faire payer le coût du sauvetage financier aux responsables  : nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire, interdiction de nationaliser les dettes privées (comme le prévoit l’article 290 de la Constitution de l’Équateur), moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
immédiat sur le remboursement de la dette, mise en place d’un audit intégral de la dette islandaise en vue de répudier toutes les dettes odieuses ou marquées d’irrégularités (tout comme l’a fait l’Équateur en 2007), impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes afin de développer des emplois publics socialement utiles et respectueux de la nature… Ces mesures sont tout à fait légitimes et bien d’autres gouvernements dans le monde devraient suivre cette voie conforme à la déclaration sur le droit au développement de 1986 qui stipule, dans son article 2  : « Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. » L’histoire nous a appris que des mesures progressistes allant à l’encontre des intérêts du grand capital ne se concrétisent que si le peuple se mobilise largement. Il est donc essentiel de soutenir le peuple islandais dans la mise en pratique de ses droits démocratiques et dans ce qui n’est sans doute que le début d’une plus longue bataille.

Article paru le 13 mars 2010 dans l’Humanité


Notes

[1Voir Jérôme Duval et Olivier Bonfond, 
« Les Islandais n’ont pas dit leur dernier mot », 
www.cadtm.org/Les-Islandais-n-ont-pas-dit-leur

Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).

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Olivier Bonfond

est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).

Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles

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Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

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