Il y eu d’abord des intuitions en lien avec des contextes (29 mai 2005 puis Occupy Wall Street) le tout sur fond d’une histoire militante qui articulait sans trop théoriser « ordre des peuples » et « ordre des classes » (Labica). Un premier travail un peu élaboré - qui date de 2011 - a été présenté à l’AG d’ATTAC France à Rennes en 2011, suivi d’une publication dans Mouvements en juillet 2012 : Ce texte « Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe » opérait un lien théorique entre « ordre des peuples » et « ordre des classes » (distinction reprise de feu Georges Labica dans Le Grand Hornu) sous le concept de « peuple-classe » (qui est ancien y compris comme bas-peuple - hors toute référence aux juifs). Cf : http://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/
La période actuelle, avec le néolibéralisme ou le capitalisme financiarisé mondial, se caractérise par l’énorme pouvoir d’une petite minorité de riches très grands possédants, minorité très haut placée en surplomb du reste de la société mondiale.
On retrouve ces grands possédants dans tous les pays, au nord comme au sud. Il n’existe aucune formation sociale (ou « pays ») sans oligarchie, sans classe économique dominante et sans « caste » politique associée. Mais c’est dans les formations sociales capitalistes sur-développées qu’ils sont les plus puissants. Mais leur domination s’exerce partout, tant en interne (dans les pays dit de la Triade Triade Les expressions « Triade » et « triadique » sont dues à K. Ohmae (1985). Elles ont été utilisées d’abord par les business schools et le journalisme économique, avant d’être adoptées très largement. Les trois pôles de la Triade désignent les États-Unis, l’Union européenne et le Japon, mais autour de ces pôles se forment des associations un peu plus larges. Selon Ohmae, le seul espoir d’un pays en développement - il faut y ajouter désormais les anciens pays dits socialistes - est de se hisser au statut de membre associé, même périphérique, d’un des trois « pôles ». Cela vaut également pour les nouveaux pays industrialisés (NPI) d’Asie, qui ont été intégrés par étapes, avec notamment des différences de pays à pays, dans le pôle dominé par le Japon (Chesnais, 1997, p. 85-86). ) qu’en externe (tous les pays dominés par l’impérialisme).
La critique collective en acte (critique-pratique matérielle) a pu dire contre cette petite minorité de grands possédants : « nous sommes les 99% » . Le mouvement altermondialiste international, qui s’est déployé depuis plus de 20 ans maintenant, a voulu, à travers les résistances diverses, ouvrières, paysannes et populaires, tendre à construire un autre monde post-capitaliste.
La « bifurcation » vers une nouvelle alternative mondiale, vers un nouveau socialisme mondialisé, devra prendre en charge d’autres problématiques, dite de « pluri-émancipation » (Christian Delarue), car il n’y a pas que la domination économico-sociale à combattre. Il y a aussi la forte prédation contre la nature et l’environnement qui est nuisible à toute l’humanité mais qui frappe d’abord les plus pauvres. Il faut ne pas oublier aussi le patriarcat sous ses quatre formes [1], ainsi que le racisme sous plusieurs formes également (cf MRAP). Enfin, les intégrismes religieux porteurs de dogmes archaïques et autoritaires sont aussi à combattre. Hors populisme, fut-il de gauche, il importe de construire aussi un programme ou un projet politique pour articuler les diverses perspectives émancipatrices (cf pluri-émancipation). Mais c’est bien à un peuple-classe que les acteurs de mobilisation s’adressent pas aux classes dominantes, pas à un peuple-nation trop soumis à ces classes dominantes.
Le peuple-classe est depuis longtemps associé à ces 99% d’en-bas. Une nouvelle étude d’Eric Toussaint (cf 1 : « La concentration de la richesse en faveur du 1 % » - cadtm ) confirme, en reprenant un ouvrage de Thomas Picketty, que le 1% représente bien la classe sociale riche et possédante. Ce qui n’empêche pas d’admettre que ce 1% de riches est lui-même hiérarchisé horizontalement (niveaux de richesse) et verticalement (classe dominante bicéphale). D’admettre aussi que l’oligarchie hyper-riche est au sommet du 1% et dispose d’un très fort pouvoir d’intervention ploutocratique. Le peuple-classe lui, dans sa diversité de situation, est bien la très large fraction de peuple qui subit le classisme d’en-haut, soit la politique de domination de classe de l’oligarchie et de la classe dominante . Au sein de ce peuple-classe les 9% sous le 1% (dans le dernier décile) forme la fraction la plus aisée détentrice d’un patrimoine (cf Eric Toussaint - [2]). Cette fraction sert souvent de classe d’appui de la classe dominante.
Résumons l’axiome marxiste sur le sujet évoqué. « À la classe dominante s’oppose toujours une classe dominée : une classe sociale n’est pas une réalité isolable, mais l’un des termes d’un rapport social » . Il y a plusieurs rapports sociaux : capital-travail (le plus structurant) mais aussi vendeurs-clients (rapport de solvabilité), propriétaires-locataires (de logements), automobilistes-piétons et cycliste, administration-usagers, etc. plus le rapport à la nature : vie urbaine, vie rurale. Se superposent aussi les oppressions du racisme, du sexisme, de la xénophobie, etc.
Il faut rappeler que le « premier Marx » (matérialisme pré-marxiste) a d’abord théorisé « l‘activité humaine » dans son ensemble, dont l’activité économique, comme moteur matérialiste du développement des sociétés avant de théoriser plus tard l’évolution des sociétés sous l’effet des contradictions de cette activité et notamment des rapports sociaux qui la clive dans le secteur de la production surtout.
Les rapports sociaux ne sont pas des relations choisies. Les individus sont nécessairement inscrits dans des rapports sociaux, lesquels sont multiples et variables selon les sociétés et leur histoire. Il n’y a donc pas à considérer que le seul rapport social de production et d’exploitation entre détenteurs du capital et le travail. Ce dernier est certes important et structurant mais il n’est pas le seul ! Tous les individus sans propriété sur les moyens de production forment à priori une même classe sociale, (que l’on nommait jadis « ouvrière »). Aujourd’hui on peut considérer que les prolétaires sont ceux et celles qui, dans le privé ou dans le public, vendent leur force de travail (manuelle ou intellectuelle) pour vivre. Sans cela ils survivent dans le sous-prolétariat (chômage avec aides sociales). Les prolétaires forment donc une classe sociale immense mais divisée. Car d’autres facteurs interviennent.
Il y a plusieurs divisions au sein du salariat à prendre en compte (en laissant de côté ici discrimination raciste et sexisme...). Elles correspondent à des différentiation dans l’exploitation de la force de travail par le capital direct ou indirect :
L’encadrement et les personnels assimilés se distinguent des personnels de base sur trois plans :
Mais il n’en demeure pas moins cependant que les « cadres sont des travailleurs comme les autres » . Dire cela, c’est de nos jours « aller derrière l’apparence des choses » . Evidemment plus le cadre sera en position très supérieure (conjonction des trois aspect cités) dans une organisation elle-même très hiérarchisée et plus l’idée du « cadre, travailleur comme les autres » va s’atténuer. Elle va subsister néanmoins.
Ce propos se distingue d’une « sociologie de l’exclusion » qui jadis se préoccupait exclusivement des seuls travailleurs précaires et peu payés laissant le salariat qualifié et stable « en inclusion », non problématique (relativisation des souffrances au travail), dans le système de la carrière publique ou privée. La crise et le renforcement de l’intensification du travail a marginalisé cette théorisation. Mieux, la tendance est à l’inclusion des travailleurs et travailleuses indépendantes dans le cercle du travail problématique.
Il n’y a pas que le secteur de la production et ses rapports sociaux de production et ses méfaits divers : « produire pour quoi ? pour qui ? » notamment. Il y a la sphère de la circulation marchande.
La consommation marchande constitue de nos jours aussi un rapport social (face aux marchés divers) puisque certains peuvent acheter plus que le nécessaire et d’autres, insolvables, peinent à acheter ce qui est utile au bien vivre. Le logement, la santé, la communication, le tourisme, l’alimentation de qualité, dans la mesure ou ils ne sont pas « sous services publics » (avec une logique de satisfaction des besoins sociaux et de péréquation tarifaire), relèvent de marchés divers ou certains disposent de tout y compris le superfétatoire du fait de leur richesse quand d’autres n’ont pas le minimum. On comprend ici que la justice fiscale combinée aux aides sociales puissent ensemble participer de la justice sociale dans la mesure ou l’une ponctionne les très riches et l’autre redistribue aux couches sociales pauvres et modestes.
Quid du plafonnement des revenus et du patrimoine pour changer la donne et notamment supprimer le pouvoir de la suraccumulation de l’argent au sommet des grandes organisations et des sociétés ? Il faut avancer sur cette question qui ce pose du fait du néolibéralisme.
On pourrait penser que l’expression du vaste peuple-classe qui s’exprime à travers le peuple souverain des citoyens égaux débouche sur un modèle beaucoup plus égalitaire. qui prennent en compte les besoins sociaux des classes populaires les plus modestes. Il n’en n’est rien. La démocratie que nous connaissons sous le nom de « représentative » est marginale et biaisée car sous l’influence forte du capitalisme et de ses appareils d’influence idéologique . La « démocratie réellement existante » laisse partout place prépondérante aux élites néolibérales dominantes.
Il y a là, sauf erreur, une question de contre-hégémonie à débattre. Cf La gauche, le peuple et la stratégie contre-hégémonique.
NB : Une version plus ancienne et moins développée a été publiée sur Le Grand Soir en 2018.
[1] Quatre formes de patriarcat en perspective historique | Le Club de Mediapart https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/201217/quatre-formes-de-patriarcat-en-perspective-historique
Responsable national du MRAP en charge de l’altermondialisme (ATTAC et CADTM)
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