Pologne : La privatisation corrompue des biens publics dans la ville de Wałbrzych

8 août 2013 par Grażyna Durkalec


Wałbrzych

Je m’appelle Grażyna Durkalec, j’ai 54 ans et je suis ingénieur diplômée en gestion et organisation de la production de l’École Polytechnique de Poznan en 1984.

Je représente ici 756 familles qui ont été victimes de la privatisation corrompue des logements entreprises dans notre ville. Ces familles ont été expulsées après que leurs logements aient été attribués illégalement à l’entreprise privée WTBS. En 2008 ces personnes m’ont demandé de l’aide, ainsi qu’à mon mari Zbyszek, parce que personne dans la ville ne voulait les aider. Une véritable omerta concernant la privatisation de logements régnait dans la ville et englobait le Conseil municipal et le maire de la ville de Walbrzych, les députés et eurodéputés de la région, les voïevodes, les tribunaux, les procureurs, la police et le médiateur des droits humains.



Les expulsions de ces familles étaient illégales. Ces personnes payaient leur loyer. Leurs logements étaient la propriété d’anciennes entreprises publiques. Les entreprises ont été fermées ou privatisées et les logements ont été données illégalement à une entreprise fictive, WTBS. Des dettes fictives leur ont été attribuées – par exemple de fausses factures pour l’eau, l’électricité ou des travaux. Par la suite ces personnes, âgées ou handicapées, ont été brutalement expulsées de chez elles par la police et les huissiers et des familles entières terrorisées. De plus, les instances chargées de la justice criminalisaient et terrorisaient les locataires en leur faisant croire que la loi était respectée ou que « c’était pour leur bien ».

Depuis qu’avec mon mari, Zbyszek Durkalec, nous aidons les familles expulsées, nous avons été menacés de nombreuses fois. La police nous a accusés de choses que nous n’avons pas commises surtout lorsque nous nous sommes opposés à l’expulsion violente d’une femme de 80 ans. Nous sommes en permanence poursuivis par de fausses accusations, les unes plus absurdes que les autres. Lorsque nous portons plainte pour menace, la police n’ouvre évidemment aucune enquête.

Comment en sommes-nous arrivés là, à une situation ou des centaines de familles qui payent régulièrement leur loyer sont expulsées de leur logement ?

La raison en est la corruption et la privatisation du bien public qui, dans notre ville, est devenue une spoliation massive des citoyens après la transformation de 1989.

Avant 1989 il y avait à Wałbrzych plus de 100 entreprises : des mines de charbon, des aciéries, des entreprises de métallurgie, de production de matériaux de construction, mais aussi des écoles, des centres culturels, des stades, des piscines etc. Les terrains avaient appartenu à des Allemands avant la guerre. Fréquemment il n’y avait aucun cadastre pour ces biens.

Notre groupe de citoyens a mené une longue enquête citoyenne en analysant des centaines de documents juridiques se rapportant à ces biens. Pour mener à bien cette enquête nous avons même suivis une formation diplômante de détective afin de traiter toute l’information qui nous a permis de mettre à jour un vaste réseau de corruption. Nous avons fait cette enquête nous-mêmes parce que depuis 1999 la police ne réagissait pas à nos plaintes.

Locataires en colère au conseil municipal, avril 2010. Photo PAWEŁ GOŁĘBIOWSKI

Nous avons découvert tout le mécanisme de spoliation de bien public mis en œuvre par l’oligarchie de Wałbrzych.

1. En 1990 le ministère de l’industrie décide de privatiser les entreprises d’État. Celles de Wałbrzych ont été englobées dans une seule entité juridique appelée ZUG WAMAG dépendant du ministère de l’industrie.
2. Des inventaires falsifiés des biens de ces entreprises ont été établis. Pour nombre de ces entreprises, il n’y avait pas de cadastre parce que ces parcelles avaient appartenu à des Allemands avant la guerre qui avait été expropriés pour dommages de guerre. Le responsable des faux inventaires était le Voïévode – en Pologne c’est le fonctionnaire qui représente l’État dans une région. Il dépend directement du ministère de l’Intérieur.
3. Le Voïévode, mais aussi les juges et les conseillers municipaux ont falsifié des cadastres et produit des documents notariaux sur la base de leurs propres déclarations, donc totalement faux. Dans ces documents, on attribuait à ZUG WAMAG des biens qui ne lui avaient jamais appartenu, par exemple des immeubles entiers comportant des milliers de logements où vivaient des gens.
4. Le 8 avril 1994, par l’acte notarié Rep. 11833/1994, l’entreprise publique ZUG WAMAG a été transformée en société par actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
ZUG WAMAG SA avec un capital de 9,3 millions de Zlotys. Elle devait être une « société uni-personnel par action appartenant à l’État » et être introduite en bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). par le Fonds National d’Investissement. Les syndicats étaient au courant et ont accepté le procédé. Dans les documents de 1994 les syndicats ont accepté la privatisation à condition que la protection des droits des salariés soit garantie sur papier. Par la suite, la loi a permis aux syndicats d’être financés par les entreprises et non plus par les cotisations de membres. Cela a mené à la corruption des responsables syndicaux qui ont été complices des privatisations illégales quand ils n’ont pas profité des biens privatisés.
5. De toute façon, dans l’acte notarial du 4.10.1995 Rep.5575/1995, les droits des salariés ne sont plus mentionnés et le capital a été abaissé à 1,347 million de Zlotys.
6. Entre 1993 et 1998 a eu donc lieu la falsification massive des cadastres par les conseils municipaux : les conseillers municipaux, aidés en cela par les juges qui validaient les actes par leur décision officielle, ont attribué à ZUG WAMAG SA des terrains, des immeubles et des logements sans que les actionnaires de ZUG WAMAG SA ne déboursent un Zloty pour acheter ces biens.
7. Par la suite, de nouveaux actes notariaux ont été créés qui ont donné la propriété de centaines de biens immobiliers directement aux entreprises privées issues de ZUG WAMAG (WTBS, Cersanitt, Ronal, Rewel, Inwestpark, Inwestment Poland 7, la Zone économique spéciale de Walbrzych). Ce qui frappe dans les documents c’est l’absence de REGON (SIRET) de ces entreprises et même souvent de l’adresse de leur siège social – cela veut dire que ces entreprises étaient des entités fictives. Et bien entendu, ces entreprises n’ont jamais payé pour les biens publics qui leur ont été donnés par ces manipulations.
8. Bien entendu, les habitants de la ville n’étaient pas au courant de ces manipulations. La vérité leur a été dissimulée.

Ensuite, deux piliers du vol de bien public ont été organisés.

1. Le Conseil municipal de la ville de Wałbrzych a créé une société-écran spéciale qui devait s’occuper des milliers de logements ayant anciennement appartenus aux entreprises – WTBS (acronyme de Wałrzychskie Towarzystwo Budownictwa Socjalnego – La Société de Construction de Logement Social à Wałbrzych). ZUG WAMAG SA a alors donné gratuitement des milliers d’appartements (avec des personnes habitant dedans et payant un loyer) à cette société-écran WTBS.
Les conseillers municipaux ont alors créé une Fondation Wałbrzych 2000, dont ils sont les administrateurs et le Conseil municipal a pris la décision de donner la gestion de la société municipale WTBS à cette fondation. Ainsi, des élus sont devenus en toute illégalité les propriétaires de milliers de logements et ce sont eux qui encaissent les loyers et expulsent les personnes âgées et handicapées de logements que celles-ci occupent depuis parfois plus de 40 ans !
Les juges et policiers qui, à Wałbrzych, sont les époux, épouses et membres des familles des conseillers municipaux locaux, sont également devenus propriétaires illégaux de ces logements et encaissent les loyers.

2. Le deuxième pilier est constitué de ce qui reste de l’entreprise de métallurgie ZUG WAMAG.
De nombreuses entreprises publiques ont été liquidées parce que, dans ce chaos savamment organisé, les gestionnaires omettaient de payer les impôts, notamment l’impôt foncier et endettaient ainsi artificiellement l’entreprise avant de la fermer et de s’approprier son terrain.

Les tribunaux sont complices de ce procédé dans toute la Pologne : dans les jugements les terrains ne sont jamais décrits, des dettes fictives sont attribuées à l’entreprise afin de la fermer et de donner les biens restants, bien réels, puisque composés de terrains, de bâtiments, d’immeubles dans les centres villes, à des particuliers, souvent des politiciens, qui ont ainsi pu se constituer de gigantesques fortunes sans rien débourser ni rien créer.

Krzysztof Jędrzejewski (à dr.) et Marian Kostempski, PDG de KOPEX

Par exemple, c’est le tribunal de Katowice qui a attribué des entités de ZUG WAMAG SA au millionnaire Krzysztof Jędrzejewski, devenu propriétaire de SA KOPEX à Katowice. Kopex était anciennement une entreprise d’export-import publique, transformée en société anonyme appartenant à l’État attribuée de la même façon frauduleuse que ZUG WAMAG à cet homme politique (par l’acte notarié Rep. Nr3997/93 dnia 19.11.1993 r.).
Cet homme est aussi devenu propriétaire d’entreprises comme Cersanitt, Ronal, Rewel, qui elles-mêmes sont devenues actionnaires de la Zone économique spéciale de Wałbrzych où les entreprises ne payent pas d’impôts.

En analysant les documents, notamment les rapports de la Commission de Contrôle de la Bourse, nous avons constaté que ces rapports contiennent de fausses informations sur ZUT WAMAG, ZUG WAMAG, Polandinvestment, RONAL, REWEL ; WALMAG - toutes des entreprises privatisées de Wałbrzych. Les biens de ces entreprises sont constitués de biens ayant appartenu à des entreprises et structures publiques. Ces biens ont été transférés à des personnes privées par des manipulations de documents notariés et de cadastres validées par des décisions de tribunaux. Toutes ces entreprises ont en commun un actionnaire principal majoritaire - Krzysztof Jędrzejewski, et un siège social qui se trouve dans la Zone économique spéciale de Wałbrzych où elles sont assurées de ne pas payer d’impôts, grâce à une décision du Conseil municipal de Wałbrzych.
Si on rajoute que les membres de la famille des actionnaires sont députés, conseillers municipaux, magistrats, procureurs et policiers, on obtient le tableau complet d’une gigantesque escroquerie organisée au dépend des citoyens.
Ces sociétés ne sont pas seulement cotées en bourse – elles obtiennent des crédits de banques allemandes et autrichiennes, font des affaires en Russie, au Kazachstan, en Allemagne, en Serbie, en Chine. Certains politiques se sont enrichis directement en spoliant leurs concitoyens en falsifiant des documents.

Un des quartiers construits pendant « l’âge d’or » industriel d’Etat

N’oublions pas que de 1945 à 1989 des hommes et des femmes ont non seulement travaillé et produit des richesses dans les 100 entreprises publiques de Wałbrzych, mais ils et elles ont également participé à la construction des logements d’entreprises, souvent par leur force de travail, toujours en versant un acompte pour en devenir usager. Et maintenant, alors que ces personnes sont les propriétaires légitimes de ces logements, qu’ils y habitent depuis 30 ans, ils sont jetés à la rue par des individus qui ne sont pas même les propriétaires légaux de ces biens ! Depuis que notre initiative citoyenne a rendu public le scandale des logements d’entreprises privatisés, les politiciens locaux ont organisé la fraude des élections municipales de 2010 ! Wałbrzych est maintenant connue comme la ville la plus corrompue de Pologne où les pouvoirs locaux fraudent les élections !

Nous pensons que 1,2 millions de Polonais ont été victimes de la privatisation illégale de leur logement d’entreprise car les entreprises publiques ont construit des dizaines de milliers d’immeubles, des villes polonaises entières ont été bâties de cette façon après la guerre. Le même système de logement d’entreprise a existé en Hongrie, en Bulgarie et en Roumanie où des centaines de milliers de citoyens luttent maintenant contre une oligarchie corrompue. Dans certains cas, les citoyens ont pu racheter leur logement, mais dans de nombreux cas cela n’a pas été possible. Maintenant, grâce à notre analyse, nous avons compris que l’oligarchie a souvent empêché le rachat de ces logements par leurs locataires parce que ces logements constituent une véritable rente pour cette nouvelle bourgeoisie dont la légitimité ne repose sur rien et le pouvoir uniquement sur le vol du bien public.

A Wałbrzych l’oligarchie a non seulement spolié le peuple des moyens de production et des appartements, mais aussi de leurs cotisations retraite, de leurs actions d’entreprises. En effet, en privatisant les entreprises, l’oligarchie a détruit ou dissimulé les documents qui ont appartenu aux entreprises publiques et qui constituaient les preuves du travail de personnes comme Barbara Antos, Zbigniew Antos, Bogdan Walczak, Jan Wozniak, Bronislaw Madry etc.
Cette privatisation a fait de Wałbrzych une des villes les plus pauvres d’Europe.

Dans notre lutte contre les expulsions illégales, nous sommes menacés en permanence.

C’est pourquoi nous vous demandons de l’aide :

  • au cas où mon mari, moi-même et tout autre membre de notre groupe serait arrêté par la police et la justice corrompue de notre ville, car nous devons faire face au quotidien à toutes sortes d’accusations et de cabales qui sont montées contre nous ;
  • pour présenter notre situation, notre lutte auprès de députés du Parlement Européen, comme Monika Karbowska nous l’a proposé ;
  • pour financer le tournage d’un reportage sur la lutte, pour couvrir les frais d’avocat et de l’enquête ;
  • pour pouvoir présenter cette affaire au Médiateur européen des Droits de l’Homme et à la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Nous remercions pour leur aide :

Nous vous invitons à Wałbrzych pour que vous puissiez constater la situation de vos propres yeux.

Pour finir, nous voudrions souligner que l’exemple de la privatisation corrompue en Pologne doit être une leçon pour tous les citoyens d’Europe. Nous devons lutter contre les privatisations qui continuent en Europe. Pour cela il est indispensable que dans chaque pays, le mouvement citoyen conduise un audit citoyen du bien public – un inventaire de ce que nous possédons en tant que citoyens. Nous devons pour cela analyser les cadastres et les documents juridiques afférant à ces biens. Nous devons minutieusement vérifier et contrôler toutes les lois de privatisation. Nous devons constituer des commissions citoyennes et diffuser sur internet toutes les informations qui sont en notre possession sur les privatisations.
Nous devons aussi lutter pour que le droit au logement soit un véritable droit : élaborer des lois protégeant les locataires, interdisant l’expulsion et la saisie de salaires pour les loyers, les charges locatives et soumettre ces lois aux élus en faisant pression sur eux.
Dans nos pays d’Europe de l’est, mais aussi du sud, nous devons assurer la continuité de l’État : l’État ne peut pas se laver les mains du bien des citoyens. Il doit indemniser les personnes spoliées par la politique néolibérale, les malversations et la corruption des années 90 et 2000. Une lutte indispensable pour toute l’Europe !

Traduit du polonais par Monika Karbowska