Les banques sont des armes de destruction massive
Partie 2 de la série : La pandémie du capitalisme, le coronavirus et la crise économique
24 mars 2020 par Eric Toussaint
(Crédits : 428H)
Les actions des banques ont plongé partout dans le monde depuis la mi-février 2020 (voir les infographies dans le corps de l’article). Si les grands actionnaires se débarrassent en priorité des actions des banques, c’est qu’elles sont parmi les plus risquées.
En lecture audio | Pour affronter la crise capitaliste multidimensionnelle, il faut exproprier les banquiers et socialiser les banques.
|
---|
Les gouvernements et les autorités bancaires mentent systématiquement à propos du bulletin de santé des banques. Les grands médias relayent ce discours mensonger car ils sont largement dépendants des banques qui financent une partie de la publicité dont ils vivent. Certains banquiers ou grands actionnaires de banques sont propriétaires de grands médias ou d’agences comme Bloomberg qui informent sur la situation des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Les plans de sauvetages mis en pratique par les banques centrales ne visent pas à répondre aux besoins urgents des populations affectées par la pandémie du coronavirus. Que ce soit en Europe, aux États-Unis, ou au Japon, les aides financières massives octroyées par les banques centrales visent principalement à protéger et à sauver les grands actionnaires des banques privées en particulier et le système de domination capitaliste en général.
Il est fondamental de dire la vérité sur les banques et de réussir à convaincre de plus en plus de personnes qu’il faut exproprier les grands actionnaires des banques, c’est-à-dire les capitalistes propriétaires des banques
Il est fondamental de dire la vérité sur les banques et de réussir à convaincre de plus en plus de personnes qu’il faut exproprier les grands actionnaires des banques, c’est-à-dire les capitalistes propriétaires des banques. L’expropriation doit se faire sans indemnité et doit permettre de créer un véritable service public de l’épargne, du crédit et des assurances sous contrôle citoyen. C’est ce que le CADTM appelle la socialisation complète des banques et des assurances.
Cette mesure doit faire partie d’un programme plus vaste qui comporte la suspension du paiement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
suivie de l’annulation des dettes illégitimes qu’elles soient privées ou publiques, la fermeture des bourses, la création d’un véritable service national de santé publique gratuit, l’expropriation sans indemnité des entreprises pharmaceutiques et des laboratoires privés de recherche et leur transfert dans le secteur public sous contrôle citoyen, l’expropriation sans indemnité des entreprises du secteur de l’énergie (pour pouvoir réaliser de manière planifiée la lutte contre la crise écologique) et bien d’autres mesures radicales et fondamentales, dont des mesures d’urgences pour améliorer tout de suite les conditions de vie de la majorité de la population.
La riposte nécessaire à la pandémie du coronavirus doit être l’occasion de promouvoir une authentique révolution pour modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production, dans les valeurs qui inspirent les comportements. Cette révolution aura lieu seulement si les victimes du système entrent en auto-activité, s’auto-organisent et délogent ou expulsent le 1 % et ses larbins des différents centres du pouvoir pour créer un véritable pouvoir démocratique. Une révolution écologiste-socialiste autogestionnaire et féministe est nécessaire.
La riposte nécessaire à la pandémie du coronavirus doit être l’occasion de promouvoir une authentique révolution pour modifier radicalement la société
Les banques sont en très mauvaise santé contrairement au discours officiel. Attention, ne nous méprenons pas. Les banques en tant qu’institutions sont en mauvaise santé mais cela ne veut pas dire que leurs grands actionnaires et leurs dirigeants n’en tirent pas d’importants revenus. Au contraire, une des raisons pour lesquelles les banques sont en mauvaise santé réside dans le fait que les grands actionnaires et les principaux dirigeants pompent un maximum de fric sur les revenus des banques.
Les banques ont distribué tout au long des dernières années des dividendes très importants à leurs actionnaires. Leurs dirigeants sont très grassement payés. Mais il y a une manière indirecte de faire gagner de l’argent aux grands actionnaires : le rachat d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de la banque.
Une des techniques employées par les grandes banques pour augmenter les revenus et le patrimoine des actionnaires consistent à racheter leurs actions en bourse
Bourse
La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois).
. Ces dernières années, elles y ont eu recours systématiquement, notamment aux États-Unis à une échelle massive. Si les cours boursiers des banques ont atteint des sommets jusque début février 2020, c’est parce que les dirigeants des banques, avec l’accord des grands actionnaires, ont fait en sorte que les banques rachètent leurs actions et cela très souvent grâce aux liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
qui leur sont apportées généreusement par les banques centrales à un coût nul ou dérisoire. À qui les banques rachetaient-elles leurs actions ? À leurs grands actionnaires pardi. Cela procure un très gros revenu à ceux-ci. Expliquons les choses simplement. Prenons l’exemple d’un gros actionnaire qui a acheté un paquet d’actions dont le prix à l’unité est de 70. Si le cours a grimpé jusque 100, et que le gros actionnaire vend une partie des actions à sa propre banque, il empoche 100 pour chaque action, donc 30 de plus que ce qu’il avait payé. Dans certains pays, les « plus-values » sur les actions ne sont même pas taxables sous le prétexte qu’il faut encourager les bourses !
Une des techniques employées par les grandes banques pour augmenter les revenus et le patrimoine des actionnaires consistent à racheter leurs actions en bourse
Il est même plus intéressant pour les gros actionnaires de revendre les actions à leur(s) banque(s) – je mets au pluriel car les grands actionnaires sont actionnaires de plusieurs banques – que de toucher des dividendes qui sont susceptibles d’être plus taxés qu’une plus-value
Plus-value
La plus-value est la différence entre la valeur nouvellement produite par la force de travail et la valeur propre de cette force de travail, c’est-à-dire la différence entre la valeur nouvellement produite par le travailleur ou la travailleuse et les coûts de reproduction de la force de travail.
La plus-value, c’est-à-dire la somme totale des revenus de la classe possédante (profits + intérêts + rente foncière) est donc une déduction (un résidu) du produit social, une fois assurée la reproduction de la force de travail, une fois couverts ses frais d’entretien. Elle n’est donc rien d’autre que la forme monétaire du surproduit social, qui constitue la part des classes possédantes dans la répartition du produit social de toute société de classe : les revenus des maîtres d’esclaves dans une société esclavagiste ; la rente foncière féodale dans une société féodale ; le tribut dans le mode de production tributaire, etc.
Le salarié et la salariée, le prolétaire et la prolétaire, ne vendent pas « du travail », mais leur force de travail, leur capacité de production. C’est cette force de travail que la société bourgeoise transforme en marchandise. Elle a donc sa valeur propre, donnée objective comme la valeur de toute autre marchandise : ses propres coûts de production, ses propres frais de reproduction. Comme toute marchandise, elle a une utilité (valeur d’usage) pour son acheteur, utilité qui est la pré-condition de sa vente, mais qui ne détermine point le prix (la valeur) de la marchandise vendue.
Or l’utilité, la valeur d’usage, de la force de travail pour son acheteur, le capitaliste, c’est justement celle de produire de la valeur, puisque, par définition, tout travail en société marchande ajoute de la valeur à la valeur des machines et des matières premières auxquelles il s’applique. Tout salarié produit donc de la « valeur ajoutée ». Mais comme le capitaliste paye un salaire à l’ouvrier et à l’ouvrière - le salaire qui représente le coût de reproduction de la force de travail -, il n’achètera cette force de travail que si « la valeur ajoutée » par l’ouvrier ou l’ouvrière dépasse la valeur de la force de travail elle-même. Cette fraction de la valeur nouvellement produite par le salarié, Marx l’appelle plus-value.
La découverte de la plus-value comme catégorie fondamentale de la société bourgeoise et de son mode de production, ainsi que l’explication de sa nature (résultat du surtravail, du travail non compensé, non rémunéré, fourni par le salarié) et de ses origines (obligation économique pour le ou la prolétaire de vendre sa force de travail comme marchandise au capitaliste) représente l’apport principal de Marx à la science économique et aux sciences sociales en général. Mais elle constitue elle-même l’application de la théorie perfectionnée de la valeur-travail d’Adam Smith et de David Ricardo au cas spécifique d’une marchandise particulière, la force de travail (Mandel, 1986, p. 14).
sur les actions. Disons que les grands actionnaires combinent les deux revenus : ils revendent une partie de leurs actions en engrangeant une plus-value, et pour les autres actions, ils touchent leur dividende.
L’annonce par l’entreprise qu’elle va racheter ses propres actions est généralement bien perçue par les actionnaires car les sociétés proposent souvent une « prime », c’est-à-dire un prix de rachat supérieur au dernier cours de clôture de l’action visée. De quoi inciter les actionnaires à garder leurs titres et à les apporter à l’offre de rachat, ce qui a en plus l’avantage de faire (re)bondir la cotation du titre en bourse.
Le fait pour la banque de racheter ses propres actions (et donc de les supprimer) lui offre un autre avantage : le volume des actions en circulation diminue et, du coup, le ratio entre le montant de dividendes distribués et le volume des actions en circulation augmente. La « rentabilité » ou le rendement augmente ce qui crée artificiellement une demande pour les actions encore en circulation, elles se revendent plus cher à la bourse et la cotation de la banque augmente.
Le fait pour la banque de racheter ses propres actions (et donc de les supprimer) lui offre un autre avantage : le volume des actions en circulation diminue et, du coup, le ratio entre le montant de dividendes distribués et le volume des actions en circulation augmente
Comme l’écrit le Financial Times, expert en la matière : « Les rachats d’actions sont neutres, en théorie, pour la valeur d’une entreprise car chaque dollar remis aux actionnaires est un dollar de moins dans son bilan. Cependant, une réduction du nombre d’actions en circulation augmente le bénéfice par action - ce qui peut souvent faire monter les prix - tout en augmentant la rémunération des dirigeants. » [1] (Financial Times, « Bank-led freeze on stock buybacks could spread across US market », https://www.ft.com/content/b1fa1688-68f6-11ea-a3c9-1fe6fedcca75, 20 mars 2020)
Il faut noter qu’entre début 2009 et fin septembre 2019, les grandes banques des États-Unis ont consacré 863 milliards de dollars aux rachats de leurs propres actions (S&P 500 Buybacks & Dividends - buybackdiv.pdf, https://www.yardeni.com/pub/buybackdiv.pdf, 23 mars 2020, Graphique/Figure 15 « Financials »). Après le secteur dominé par Google, Apple, Amazon, Facebook qui a procédé à des rachats d’actions pour un montant de 1394 milliards de dollars, le secteur bancaire aux États-Unis est celui qui a racheté le plus grand volume d’actions, beaucoup plus que le secteur industriel ou que les secteurs de l’énergie et des biens primaires. Le total des rachats tous secteurs confondus a atteint aux États-Unis plus de 5 250 milliards de dollars pendant la même période. C’est un des facteurs principaux de la bulle boursière. Le même phénomène est observable sur les autres continents avec les mêmes effets.
Graphique 1 : Les banques rachètent leurs propres actions
Graphique 2 : Montants cumulés des rachats d’actions par les banques entre le 1er trimestre 2007 et le 3e trimestre 2019
Toute l’augmentation de valeur des actions des banques des dernières années a été annulée. Mais entre-temps, les grands actionnaires ont « pris leurs profits », comme on dit dans le jargon des commentateurs de bourse
Alors que les bourses sont censées être le lieu où les entrepreneurs capitalistes réunissent des capitaux supplémentaires par la vente de leurs actions afin de développer leurs entreprises, elles opèrent en réalité comme des temples de la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
où les entreprises viennent racheter leurs propres actions afin de favoriser leurs grands actionnaires. C’est une des raisons pour lesquelles il faudrait fermer les bourses.
Il s’agit là de mouvements purement artificiels du capital fictif [2]. Mais l’illusion peut durer des années. Et c’est ce qui vient de se passer.
Mais cela ne pouvait pas durer éternellement. Depuis deux ou trois ans, de nombreux économistes hétérodoxes et plusieurs organismes internationaux annonçaient la fin prochaine du cycle haussier du marché boursier car il était évident qu’une bulle spéculative s’y était développée et qu’elle allait éclater. A partir de la mi-février 2020, suite à l’extension de l’épidémie du coronavirus et ses effets sur la locomotive chinoise, les grands actionnaires ont considéré que la fête était terminée et ont décidé brutalement de vendre en très grande quantité des paquets d’actions. Ils ont été les premiers à vendre et à empocher un maximum de gains. De nombreux fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. et de nombreux fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. ont suivi et ont donné des ordres de vente entraînant une dégringolade brutale du cours des actions.
Avec la crise de février-mars 2020, les banques étasuniennes ont annoncé à la mi-mars qu’elles cessaient de racheter leurs propres actions car, selon le Financial Times, la poursuite des rachats risquait de heurter l’opinion publique.
Il faut faire une différence entre les grands actionnaires des banques qui font des profits et les banques comme telles qui voient fondre leur capital, dégringoler le cours de leurs actions et annoncer des pertes et, qui sait, pour certaines d’entre elles la faillite
Au cours du mois de mars 2020, les discours des dirigeants des grandes banques centrales qui se voulaient rassurant ont produit l’effet inverse. Les détenteurs d’actions des banques se sont dit que si les banques centrales annonçaient des mesures aussi imposantes (je reviendrai là-dessus dans un prochain article de cette série), c’est que l’heure était vraiment grave et qu’il ne fallait pas perdre une minute pour revendre ce qui pouvait être vendu avant que les prix baissent encore plus. Toute l’augmentation de valeur des actions des banques des dernières années a été annulée. Mais entre-temps, les grands actionnaires ont « pris leurs profits », comme on dit dans le jargon des commentateurs de bourse. Ils ont revendu des paquets d’actions en empochant la différence entre le prix d’achat qu’ils ont payé au début de la bulle boursière et le début du mouvement de vente pendant la saison des soldes et des liquidations. Ils ont trouvé pour acheteurs des fonds d’investissements et des hedge funds
Hedge funds
Les hedge funds, contrairement à leur nom qui signifie couverture, sont des fonds d’investissement non cotés à vocation spéculative, qui recherchent des rentabilités élevées et utilisent abondamment les produits dérivés, en particulier les options, et recourent fréquemment à l’effet de levier (voir supra). Les principaux hedge funds sont indépendants des banques, quoique fréquemment les banques se dotent elles-mêmes de hedge funds. Ceux-ci font partie du shadow banking à côté des SPV et des Money market funds.
Un Hedge funds (ou fonds spéculatif) est une institution d’investissement empruntant afin de spéculer sur les marchés financiers mondiaux. Plus un fonds aura la confiance du monde financier, plus il sera capable de prendre provisoirement le contrôle d’actifs dépassant de beaucoup la richesse de ses propriétaires. Les revenus d’un investisseur d’un Hedge funds dépendent de ses résultats, ce qui l’incite à prendre davantage de risques. Les Hedge funds ont joué un rôle d’éclaireur dans les dernières crises financières : spéculant à la baisse, ils persuadent le gros du bataillon (les zinzins des fonds de pension et autres compagnies d’assurance) de leur clairvoyance et crée ainsi une prophétie spéculative auto-réalisatrice.
à la recherche de prix bradés. Les gros actionnaires n’ont pas tout vendu : maintenant que le prix des actions a très fortement baissé, ils gardent ce qu’ils n’ont pas vendu, cela leur permet de garder un poids déterminant dans la banque (avec 4 à 6 % des actions, un grand actionnaire peut contrôler une société qu’elle soit une banque ou une autre société). Ces gros actionnaires attendent que les gouvernements et les banques centrales ’avec leur plan d’aide’ entraînent une remontée des prix dans les mois qui viennent. Ici, il convient de préciser qu’il est beaucoup trop tôt pour faire des prévisions sur la durée de cette crise et sur le temps qu’il faudra pour que les marchés boursiers repartent à la hausse. Cela peut durer quelques mois comme cela peut durer plusieurs années. En plus de la durée de la pandémie, de la durée de la crise dans le secteur de la production, des évènements sociaux et politiques peuvent également influer fortement sur le calendrier.
Dans l’immédiat, les banques vont déclarer des pertes et ne paieront pas d’impôt. Elles vont recevoir à profusion de nouveaux cadeaux des gouvernements et des banques centrales. Attention, il faut faire une différence entre les grands actionnaires des banques qui font des profits et les banques comme telles qui voient fondre leur capital, dégringoler le cours de leurs actions et annoncer des pertes et, qui sait, pour certaines d’entre elles la faillite. Les grands actionnaires considèrent la banque comme une source optimale de revenus quitte à l’amener au bord de la faillite. Ils sont convaincus que la banque ou les banques dont ils sont actionnaires est ou sont trop grandes pour faire réellement faillite. Ils savent que les autorités publiques dirigées par leurs amis du gouvernement et de la banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
apporteront leur aide aux banques pour les sauver avec l’argent du contribuable. Ils sont les premiers en cas de dégringolade du cours des actions à se débarrasser d’une bonne partie de celles-ci mais ils en gardent une quantité telle qu’ils pourront toujours contrôler la situation. Les grands actionnaires sont protégés par la loi qui considère que la responsabilité de l’actionnaire se limite aux actions qu’il détient dans l’entreprise. Même si les grands actionnaires sont responsables de pertes énormes, tout ce qu’ils risquent c’est de perdre leur mise. Or ils n’ont pas tous leurs œufs dans un même panier, ils sont actionnaires dans de multiples sociétés de différents secteurs et leur fortune est aussi diversifiée. Une grande partie de leur patrimoine est composé d’actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
plus solides que des actions : des biens immobiliers, des biens artistiques de grande valeur, de l’or, des yachts, des avions, …
Les grands actionnaires sont protégés par la loi qui considère que la responsabilité de l’actionnaire se limite aux actions qu’il détient dans l’entreprise
Comme je l’ai expliqué dans de précédents articles (https://cadtm.org/La-Pandemie-du-Capitalisme-le-Coronavirus-et-la-crise-economique et https://cadtm.org/Non-le-coronavirus-n-est-pas-le-responsable-de-la-chute-des-cours-boursiers), il faut ajouter que les grands actionnaires (et d’autres spéculateurs) jouent aux montagnes russes quand les marchés boursiers sont très agités. Le jour où le marché est à la baisse, en début de séance, les actionnaires vendent des paquets d’actions et au cours de la journée ou le lendemain matin si le marché repart à la hausse, ils sont les premiers à racheter des actions quand le prix est au plus bas. C’est ainsi qu’on assiste à des jours où les cours boursiers dégringolent suivis de jours où ils remontent de manière éphémère. Mais présentement la tendance est très clairement à la dégringolade et les grands actionnaires se défont de grands paquets d’action.
En Europe
Entre le 17 février et le 12 mars 2020, les prix des actions des banques européennes ont littéralement plongé, en majorité les pertes se situent entre 30 et 45 %. Dans le cas de Natixis (qui a été sauvée de la faillite au cours de la crise précédente), la chute est de 54 %.
Pendant la même période, les actions des principales banques scandinaves ont également chuté fortement. Nordea (Finlande) a plongé de 38 %, SEB (Suède) a chuté de 32 %, Handelsbanken (Suède) a chuté de 28 %, Swedbank (Suède) a perdu 24 %, Danske Bank (Danemark) a perdu 36 %.
Aux Amériques
Les actions des 8 plus grandes banques étatsuniennes ont fortement chuté. Les banques canadiennes ont également chuté mais moins que leurs voisines. Les actions des principales banques du Mexique, de Colombie, du Brésil, du Chili et d’Argentine ont aussi dégringolé et cela a continué par la suite.
En Asie
Toutes les grandes banques des principaux pays d’Asie ont également chuté en bourse. La chute des banques chinoises est nettement plus limitée que celle du reste du monde mais attention cette chute avait commencé dès le mois de janvier. Ce sont les banques japonaises qui ont dégringolé le plus.
En Afrique
Les actions des banques des 4 principales économies d’Afrique ont également chuté. Les banques du Nigéria ont été les plus touchées par la chute des prix des actions.
Classement des banques selon l’ampleur de la chute du prix de leurs actions entre le 17 février et le 13 mars 2020
On voit très clairement que ce sont les actions des banques européennes qui ont le plus baissé entre le 17 février et le 13 mars 2020.
Dans la suite de cette série, je poursuivrai l’analyse de la situation des banques. Il y a encore beaucoup de matière à développer à ce propos. Puis, j’aborderai d’autres aspects de la crise économique et financière internationale : la dégringolade du prix du pétrole ; le début de l’éclatement de la bulle du marché obligataire privé ; le plongeon des prix des titres de dette privées et l’augmentation brutale des rendements et des primes de risque ; la bonne santé des titres des dettes publiques ; leur prix monte. Les États des économies dominantes se financent avec un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
négatif mais ils accumulent des dettes illégitimes. Je mentionnerai également le plongeon des compagnies aériennes et de l’industrie aéronautique. J’aborderai les réponses des banques centrales et des gouvernements.
Vu l’évolution rapide de la crise, le plan de cette série est mouvant. Dans chaque partie essentielle je mettrai en avant des propositions de mesures à prendre.
Voir : |
L’auteur remercie Bruno Colbalchini pour la réalisation des infographies sur les banques ainsi que Victor Isidro, Camila Galindo, John Freddy Gomez, Sushovan Dhar, Julio Gambina, Daniel Munevar et Bruno Colbalchini pour l’aide à la recherche des informations sur les prix des actions des banques.
[1] « Stock buybacks are neutral, in theory, for a company’s value as every dollar handed back to shareholders is a dollar less on its balance sheet. However, a reduction in the number of the shares outstanding increases earnings per share — which can often lift prices — while also boosting pay for managers ».
[2] « Le capital fictif est une forme de capital (des titres de la dette publique, des actions, des créances) qui circule alors que les revenus de la production auxquels il donne droit ne sont que des promesses, dont le dénouement est par définition incertain ». Entretien avec Cédric Durand réalisé par Florian Gulli, « Le capital fictif, Cédric Durand », La Revue du projet : http://projet.pcf.fr/70923
Selon Michel Husson, « le cadre théorique de Marx lui permet l’analyse du « capital fictif », qui peut être défini comme l’ensemble des actifs financiers dont la valeur repose sur la capitalisation d’un flux de revenus futurs : « On appelle capitalisation la constitution du capital fictif » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Si une action procure un revenu annuel de 100 £ et que le taux d’intérêt est de 5%, sa valeur capitalisée sera de 2000 £. Mais ce capital est fictif, dans la mesure où « il ne reste absolument plus trace d’un rapport quelconque avec le procès réel de mise en valeur du capital » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Michel Husson, « Marx et la finance : une approche actuelle », À l’Encontre, décembre 2011, https://alencontre.org/economie/marx-et-la-finance-une-approche-actuelle.html
Pour Jean-Marie Harribey : « Les bulles éclatent quand le décalage entre valeur réalisée et valeur promise devient trop grand et que certains spéculateurs comprennent que les promesses de liquidation profitable ne pourront être honorées pour tous, en d’autres termes, quand les plus-values financières ne pourront jamais être réalisées faute de plus-value suffisante dans la production. » Jean-Marie Harribey, « La baudruche du capital fictif, lecture du Capital fictif de Cédric Durand », Les Possibles, N° 6 - Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/la-baudruche-du-capital-fictif
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
24 mai, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
17 mai, par Eric Toussaint , Sushovan Dhar
16 mai, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
12 mai, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
Interview, Video, Mediakritiek - Lode Vanoost
Eric Toussaint : “Les crises font partie du métabolisme du système. Transformer les banques en services publics”14 avril, par Eric Toussaint , Lode Vanoost
6 avril, par Eric Toussaint , Anaïs Carton
3 avril, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
3 avril, par CADTM , Eric Toussaint , Collectif , Anaïs Carton
22 mars, par Eric Toussaint , Dora Villanueva
20 mars, par Eric Toussaint