Pour quelle « bonne gouvernance » s’engage le gouvernement belge ?

13 mars 2007 par Arnaud Zacharie , Marta Ruiz




Conférence organisée par les Ministres belges des Affaires étrangères et de la Coopération à Bruxelles

Pour quelle « bonne gouvernance » s’engage le gouvernement belge ?

Les 14 et 15 mars 2007 à Bruxelles, les Ministres belges des Affaires Etrangères et de la Coopération au Développement organisent, en collaboration avec le président de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, Paul Wolfowitz, et le secrétaire général de l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
, Angel Gurria, une conférence internationale au sujet du développement des partenariats public-privé pour lutter contre la corruption et améliorer la bonne gouvernance. Depuis son ascension à la présidence de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz a fait de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption le cheval de bataille de l’institution. Au cours de ces derniers mois, de nombreux projets ont été arrêtés dans différents pays à cause de problèmes de gouvernance ou de corruption. Cette optique est d’apparence plus que louable. Qui en effet pourrait s’élever contre la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ? Pourtant, la manière dont ces concepts sont abordés par la Banque mondiale, hôte de marque de la conférence, n’est pas dénuée de contradictions.
Tout d’abord, la corruption est autant une conséquence qu’une cause de la pauvreté. En effet, la petite corruption est devenue dans les pays pauvres une stratégie de survie comme une autre. Mal ou impayés, les fonctionnaires publics utilisent leur fonction pour boucler leur fin de mois et subvenir tant bien que mal aux besoins de leurs familles. Or, non seulement les politiques d’austérité de la Banque mondiale ont diminué les revenus de la fonction publique et multiplié ces phénomènes de petite corruption, mais en outre plusieurs projets ont été stoppés ces derniers mois pour de tels cas (Inde, Argentine, Bangladesh, etc.). Par ailleurs, comme le reconnaît notamment l’OCDE, il n’y a pas de corrompu sans corrupteur, et la grande corruption qu’elle engendre est devenue un véritable fléau en termes de décapitalisation des Etats. Ainsi, la grande corruption n’est pas un problème exclusivement du Sud, comme l’a notamment démontré le système de corruption international développé par le programme « pétrole contre nourriture » suite à la première guerre en Irak.
Ensuite, si la bonne gouvernance, entendue comme la séparation des pouvoirs ou le respect du droit international, est un objectif plus que légitime, l’aborder comme le fait la Banque mondiale en termes de politiques économiques (privatisation, libéralisation), est autrement plus discutable. Cela équivaut en effet à pérenniser sous d’autres noms les politiques d’ajustement structurel du passé. Surtout que la Banque elle-même n’est pas exempte de critique en matière de bonne gouvernance. En 2006, un rapport de la Banque (Annual review of development effectiveness 2006 : Getting results) révèle que la corruption a augmenté dans les pays ayant appliqué les réformes pilotées par la Banque mondiale. Par ailleurs, la vision de la Banque en matière de lutte contre la corruption n’est-elle même guère transparente. Le rapport Vaughn, commandé par l’ancien président de la Banque James Wolfensohn et sorti sous la présidence de Wolfowitz en juin 2005, était censé donner des recommandations en matière d’amélioration des politiques de lutte contre la corruption. Or, ce rapport, jamais publié officiellement, conclut que la Banque continue d’appliquer une rhétorique de transparence alors qu’elle développe parallèlement le plus grand secret au niveau des pratiques de gestion de ses politiques.
Par conséquent, la vision développée par la Banque, et dont transpire les programme du séminaire organisé par les Ministres De Gucht et De Decker, est que les politiques de privatisation et de libéralisation sont garantes d’une bonne gouvernance et donc appelées à réduire la corruption. La création d’un climat propice aux investissements internationaux est inlassablement présentée comme la clé de la croissance et du développement, alors que l’histoire économique a démontré que les IDE Investissements directs à l’étranger
IDE
Les investissements étrangers peuvent s’effectuer sous forme d’investissements directs ou sous forme d’investissements de portefeuille. Même s’il est parfois difficile de faire la distinction pour des raisons comptables, juridiques ou statistiques, on considère qu’un investissement étranger est un investissement direct si l’investisseur étranger possède 10 % ou plus des actions ordinaires ou de droits de vote dans une entreprise.
suivent la croissance plus qu’ils ne la créent. Cette logique aboutit à affaiblir les pouvoirs publics et à faire le lit de la petite corruption. Comme le révèle le rapport « Doing business » de la Banque mondiale, un pays est d’autant mieux côté qu’il présente des charges fiscales et sociales peu élevées. Les trois « étoiles montantes » du rapport 2007 sont la Géorgie, la Roumanie et le Mexique, loin d’être exemplaires en matière de corruption. A contrario, la Bolivie, le Venezuela et la Chine, adeptes des opérations de sociétés mixtes, sont les trois derniers pays au classement en matière de fiscalité. La Colombie, recordman du monde des assassinats de syndicalistes, enregistre une moyenne supérieure aux pays de l’OCDE en matière d’« employabilité ». Il y a, dans ce sens, une logique dans l’absence de représentants syndicaux à la tribune de la conférence de Bruxelles...
Cette vision est cependant loin de faire l’unanimité. Elle a même débouché depuis plusieurs mois sur une véritable crise interne au sein de la Banque. Le compte rendu du Conseil d’administration du 8 janvier 2007, rendu public suite à des fuites dans les médias américains, révèle une véritable fracture au sein de la direction de la Banque. Plusieurs membres du CA de la Banque accusent le président Wolfowitz de manquer de vision à moyen et long terme et de ne tisser aucun lien entre sa stratégie et ses choix budgétaires (Wolfowitz propose de réduire de 150 à 225 millions de dollars par an les ressources de la Banque au cours des trois prochaines années). Certains voudraient présenter ce conflit comme un affrontement entre pays créanciers et pays débiteurs, mais les critiques sont loin de se limiter aux pays en développement. Ainsi, le Royaume Uni et la Norvège ont annoncé retirer des fonds à la Banque mondiale tant qu’elle ne modifiera pas ses politiques de « conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.  ».
Face à cette réalité, le CNCD-11.11.11 s’est joint aux ONG européennes dans leur appel international « Ne financez pas la pauvreté ! » (www.cncd.be) et demande au gouvernement belge de suivre l’exemple du Royaume Uni et de la Norvège en retirant des financements à cette institution tant qu’elle ne modifiera pas ses politiques de conditionnalités.


Arnaud Zacharie et Marta Ruiz (CNCD-11.11.11)


Arnaud Zacharie

Secrétaire général du CNCD-11.11.11

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