Que faire de la dette et de l’euro ?

30 avril 2013 par Michel Husson , Ozlem Onaran , Francisco Louça , Nacho Álvarez Peralta , Stavros Tombazos , Bibiana Medialdea , Daniel Albarracín , Mariana Mortagua , Giorgos Galanis , Manolo Garí , Teresa Pérez del Río , Lidia Rekagorri Villar


Un manifeste

Daniel Albarracín, Nacho Álvarez, Bibiana Medialdea, Manolo Garí, Antonio Sanabria, Jorge Fonseca, Teresa Pérez del Río, Lidia Rekagorri Villar (Espagne)
Francisco Louçã, Mariana Mortagua (Portugal)
Stavros Tombazos (Chypre)
Giorgos Galanis, Özlem Onaran (Grande-Bretagne)
Michel Husson (France)

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La crise

L’Europe s’enfonce dans la crise et la régression sociale sous le poids de l’austérité, de la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. et de la stratégie de « réformes structurelles ». Cette pression est étroitement coordonnée au niveau européen, sous la direction du gouvernement allemand, de la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et de la Commission européenne. Il y a un large consensus pour dire que ces politiques sont absurdes et même qu’elles sont menées par des « analphabètes » : l’austérité budgétaire ne réduit pas la charge de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, elle engendre une spirale récessive, toujours plus de chômage, et sème la désespoir parmi les peuples européens.

Ces politiques sont pourtant rationnelles du point de vue de la bourgeoisie. Elles sont un moyen brutal - une thérapie de choc – de restaurer les profits, de garantir les revenus financiers, et de mettre en œuvre les contre-réformes néolibérales. Ce qui se passe est au fond la validation par les États des droits de tirage de la finance sur la richesse produite. C’est pourquoi la crise prend la forme d’une crise des dettes souveraines.

Le faux dilemme

Cette crise est un révélateur : elle montre que le projet néolibéral pour l’Europe n’était pas viable. Ce dernier présupposait que les économies européennes étaient plus homogènes que ce n’est le cas en réalité. Les différences entre pays se sont creusées en fonction de leur insertion dans le marché mondial et de leur sensibilité au taux de change de l’euro. Les taux d’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. n’ont pas convergé, et les faibles taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
réels ont favorisé les bulles financière et immobilière et intensifié les flux de capitaux entre pays. Toutes ces contradictions, exacerbées par la mise en place de l’union monétaire, existaient avant la crise, mais elles ont explosé avec les attaques spéculatives contre les dettes souveraines des pays les plus exposés.

Les alternatives progressistes à cette crise passent par une profonde refondation de l’Europe : la coopération est nécessaire au niveau européen mais aussi international pour la restructuration de l’industrie, la soutenabilité écologique et le développement de l’emploi. Mais comme une telle refondation globale semble hors de portée compte tenu du rapport de forces actuel, la sortie de l’euro est présentée dans différents pays comme une solution immédiate. Le dilemme semble donc être entre une sortie risquée de la zone euro et une hypothétique harmonisation européenne qui devrait émerger des luttes sociales. Il s’agit à notre avis d’une fausse opposition : il est au contraire décisif d’élaborer une stratégie politique viable de confrontation immédiate.

Toute transformation sociale implique la remise en cause des intérêts sociaux dominants, de leurs privilèges et de leur pouvoir, et il est vrai que cette confrontation se déroule principalement dans un cadre national. Mais la résistance des classes dominantes et les mesures de rétorsion qu’elles peuvent exercer dépassent le cadre national. La stratégie de sortie de l’euro n’intègre pas suffisamment la nécessité d’une alternative européenne et c’est pourquoi il faut disposer d’une stratégie de rupture avec l’« eurolibéralisme » qui permette de dégager les moyens d’une autre politique. Ce texte ne porte pas sur le programme, mais sur les moyens de le mettre en œuvre.

Que devrait faire un gouvernement de gauche ?

Nous sommes plongés dans ce que l’on peut techniquement appeler une « crise de bilan ». Cette crise qui s’installe dans la durée par le jeu combiné du désendettement du secteur privé et des politiques d’austérité budgétaire trouve son origine dans l’accumulation passée d’une énorme quantité d’actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
fictifs, qui ne correspondaient à aucune base réelle. En termes pratiques, cela signifie que les citoyens doivent aujourd’hui payer pour la dette, autrement dit valider les droits de tirage de la finance sur la production et sur les recettes fiscales actuelles ou à venir. Les États européens, par une action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
strictement coordonnée au niveau européen - et même au niveau mondial - ont décidé de nationaliser les dettes privées en les transformant en dette souveraine et d’imposer des politiques d’austérité et de transferts afin de payer ces dettes. C’est le prétexte pour mettre en œuvre des « réformes structurelles » dont les objectifs sont classiquement néolibéraux : réduction des services publics et de l’État-providence, coupes dans les dépenses sociales et flexibilisation des marchés du travail, afin de baisser les salaires directs et indirects.

Une stratégie politique de gauche devrait selon nous être centrée sur la conquête d’une majorité en faveur d’un gouvernement de gauche, capable de se débarrasser de ce carcan.

Se libérer de l’emprise des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
et contrôler le déficit. À court terme, l’une des premières mesures d’un gouvernement de gauche devrait être de trouver les moyens de financer le déficit public indépendamment des marchés financiers. C’est interdit par les règles européennes et c’est la première rupture à opérer. Il existe un large éventail de mesures possibles qui ne sont pas nouvelles et qui ont été utilisées dans le passé dans différents pays européens : un emprunt forcé sur les ménages les plus riches ; l’interdiction d’emprunter auprès de non-résidents ; l’obligation Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
pour les banques d’un quota d’obligations publiques ; une taxe sur les transferts internationaux de dividendes et sur les opérations en capital, etc. et bien sûr une réforme fiscale radicale. Le moyen le plus simple serait que la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. nationale finance le déficit public, comme c’est le cas au États-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon, etc. Il serait possible de créer une banque spéciale autorisée à se refinancer auprès de la banque centrale, mais qui aurait comme principale fonction d’acheter des obligations publiques (c’est d’ailleurs une chose que la BCE a déjà faite en pratique).

Bien sûr, le problème n’est pas vraiment technique. Il s’agit d’une rupture politique avec l’ordre européen. Sans une telle rupture, toute politique susceptible de ne pas « rassurer les marchés financiers » serait immédiatement contrecarrée par une augmentation du coût du financement de la dette publique.

Se libérer de l’emprise des marchés financiers et restructurer la dette. Cette première série de mesures immédiates ne suffit pas pour réduire le fardeau de la dette accumulée et des intérêts sur cette dette. L’alternative est alors la suivante : soit une austérité budgétaire éternelle soit un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
immédiat sur la dette publique suivi de mesures d’annulation de la dette. Un gouvernement de gauche devrait dire : « Nous ne pouvons pas payer la dette en ponctionnant les salaires et les pensions, et nous refusons de le faire. » Après la mise en place du moratoire, il devrait organiser un audit citoyen afin d’identifier la dette illégitime, qui correspond en général à quatre éléments :

Cet audit ouvre la voie à l’imposition d’un échange de titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
permettant d’en annuler une grande partie. C’est la deuxième rupture.

Mais les dettes souveraines sont également totalement entremêlées avec le bilan des banques privées. C’est pourquoi le plan de sauvetage d’un pays est en général un plan de sauvetage des banques. Une troisième rupture par rapport à l’ordre néolibéral est nécessaire, qui passe par le contrôle des mouvements internationaux de capitaux, le contrôle du crédit et la socialisation des banques. C’est le seul moyen rationnel de démêler l’écheveau de dettes. Après tout, cela a été l’option retenue en Suède dans les années 1990 (même si les banques ont été ensuite reprivatisées).

Pour résumer, l’ouverture d’une voie alternative nécessite un ensemble cohérent de trois ruptures :

  • le financement de ces émissions de dette souveraine, passées et à venir ;
  • l’annulation de la dette illégitime ;
  • la socialisation de banques pour le contrôle de crédit.

Ce sont les moyens d’une véritable transformation sociale. Comment s’y prendre ?

Pour un gouvernement de gauche

Ces trois grandes ruptures nécessaires pour résister au chantage financier ne peuvent être menées à bien que par un gouvernement de gauche. Bien que les conditions sociales et politiques d’une stratégie de convergence et de lutte pour un tel gouvernement varient largement d’un pays à l’autre, toute l’Europe s’est concentrée à l’été 2012 sur la possibilité pour Syriza de gagner les élections et de constituer l’axe d’un tel gouvernement en Grèce. Depuis cette période, Syriza mène une campagne sur les thèmes essentiels que nous défendons dans ce manifeste : un gouvernement de gauche est une alliance pour dénoncer le mémorandum de la Troïka et de restructurer la dette afin de préserver les salaires, les pensions, les services publics de santé et d’éducation et la sécurité sociale. Notre approche est en phase avec celle de Syriza : « pas de sacrifice pour l’euro. »

Une sortie de l’euro n’est pas une garantie de rupture avec l’« eurolibéralisme »

Il est évident qu’un gouvernement de gauche qui prendrait de telles mesures doit être décidé à appliquer un programme socialiste et disposer d’un large soutien populaire. Ce dernier ne peut être obtenu que si ce programme se fixe clairement comme objectifs prioritaires la lutte contre les intérêts de la finance, la reconstruction d’une économie de plein emploi et la gestion collective des biens communs. Il ne faut pas dévier de cette stratégie : si l’annulation de la dette est le but, on ne doit pas s’écarter de cet objectif. La cohérence et la clarté politiques sont les conditions pour gagner - et mériter de gagner. La première mesure d’un gouvernement de gauche doit donc être la lutte contre la dette et l’austérité.

Pour que cette politique contre soit efficace, un gouvernement de gauche doit s’appuyer sur un large soutien populaire et être prêt à utiliser tous les moyens démocratiques nécessaires pour faire face à la pression des intérêts financiers, y compris des mesures de nationalisation des secteurs stratégiques et une confrontation directe avec le gouvernement Merkel, la BCE et la Commission européenne. La bataille pour la défense de la démocratie et des acquis sociaux doit être élargie au niveau supranational. Mais si la politique de Bruxelles s’y oppose, cette bataille devra finalement être menée à partir des cadres nationaux déjà existants. Dans cette confrontation, il ne devrait pas y avoir de tabou sur l’euro, et toutes les options devraient rester ouvertes, y compris la sortie de l’euro si aucune autre solution n’est possible dans le cadre européen, ou si les autorités européennes y contraignent un pays. Mais cela ne devrait pas être le point de départ.

Les implications d’une sortie de la zone euro pour un gouvernement de gauche doivent être explicitées. Premièrement, elle ne permettrait pas forcément de restaurer la souveraineté démocratique : certes le financement du déficit public échapperait au contrôle des marchés financiers, mais ce contrôle pourrait être exercé par la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
contre la nouvelle/ancienne monnaie d’un pays qui aurait un déficit extérieur.

Par ailleurs, la charge de la dette ne serait pas réduite. Elle serait au contraire augmentée en proportion du taux de dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. , puisque la dette est libellée en euros. Dans ces conditions, le gouvernement serait conduit à convertir la dette publique dans la nouvelle monnaie, ce qui équivaudrait à une annulation partielle : il est du pouvoir d’un État de prendre une telle décision, même si un conflit judiciaire international est à prévoir. Mais les entreprises privées et les banques ne disposent pas de ce même pouvoir souverain et par conséquent, la valeur des dettes privées et financières augmenterait dans la monnaie nationale. Dans ce cadre, une nationalisation des banques serait en fin de compte nécessaire tout simplement pour éviter la faillite de tout le secteur du crédit, ce qui impliquerait une nouvelle augmentation de la dette publique vis-à-vis de la finance internationale.

Ensuite, la dévaluation de la nouvelle monnaie déclencherait un processus inflationniste qui conduirait à une hausse des taux d’intérêt et à une aggravation de la charge de la dette et des inégalités de revenus.

Enfin, la sortie de l’euro est généralement présentée comme une stratégie visant à gagner des parts de marché grâce à une dévaluation compétitive. Ce type d’approche ne rompt pas avec la logique de la concurrence de tous contre tous et tourne le dos à une stratégie de lutte commune européenne contre l’austérité.

Au total, en menant la lutte sans faire de la sortie de l’euro et de l’Union européenne un préalable, un gouvernement de gauche pourrait augmenter ses marges de manœuvre et renforcer son pouvoir de négociation, en s’appuyant sur la possible extension des résistances à d’autres pays de l’UE. Il s’agit donc d’une stratégie progressiste et internationaliste, qui s’oppose à une stratégie isolationniste et nationale.

Pour une stratégie de rupture et d’extension unilatérale

Les solutions progressistes s’opposent au projet néolibéral de concurrence généralisée. Elles sont fondamentalement coopératives et fonctionneront d’autant mieux qu’elles seront étendues à un plus grand nombre de pays. Par exemple, si tous les pays européens réduisaient le temps de travail et instauraient un impôt uniforme sur les revenus du capital, cette coordination permettrait d’éviter le retour de bâton que cette même politique subirait si elle était adoptée dans un seul pays. Pour ouvrir cette voie coopérative, un gouvernement de gauche devrait suivre une stratégie unilatérale :

  • les « bonnes » mesures sont unilatéralement mises en place comme, par exemple, le rejet de l’austérité ou la taxation des transactions financières ;
  • elles sont accompagnées de mesures de protection comme par exemple un contrôle des capitaux ;
  • cette mise en œuvre au niveau national de politiques en contradiction avec les règles européennes représente un risque politique qu’il faut prendre en compte. La réponse se trouve dans une logique d’extension, afin que ces mesures - par exemple la relance budgétaire ou la taxe sur les transactions financières - soient adoptées par d’autres États membres.
    Cependant la confrontation politique avec l’UE et les classes dirigeantes d’autres États européens, en particulier le gouvernement allemand, ne peut être évitée et la menace de sortie de l’euro ne doit pas être exclue a priori des options possibles.

Ce schéma stratégique reconnaît que la refondation de l’Europe ne peut pas être une condition préalable à la mise en œuvre d’une politique alternative. Les éventuelles mesures de rétorsion contre un gouvernement de gauche doivent être neutralisés par des contre-mesures qui impliquent effectivement un recours à des dispositifs protectionnistes. Mais cette orientation n’est pas protectionniste au sens habituel du terme, car elle protège un processus de transformation sociale portée par le peuple et non les intérêts des capitaux nationaux dans leur concurrence avec d’autres capitaux. C’est donc un « protectionnisme d’extension » appelé à disparaître une fois que les mesures sociales pour l’emploi et contre l’austérité auront été généralisées à travers l’Europe.

La rupture avec les règles de l’Union européenne ne repose pas sur une pétition de principe, mais sur la légitimité de mesures justes et efficaces qui correspondent aux intérêts de la majorité et qui sont également proposées aux pays voisins. Cette orientation stratégique peut alors être renforcée par la mobilisation sociale dans les autres pays et donc s’appuyer sur un rapport de forces capable de remettre en cause les institutions de l’UE. L’expérience récente des plans de sauvetage néolibéraux mis en œuvre par la BCE et la Commission européenne montre qu’il est tout à fait possible de contourner un certain nombre de dispositions des traités de l’UE, et que les autorités européennes n’ont pas hésité à le faire, pour le pire. C’est pourquoi nous revendiquons le droit de prendre des mesures allant dans le bon sens, y compris l’instauration d’un contrôle des capitaux et de tout dispositif permettant de préserver les salaires et les pensions. Dans ce schéma, la sortie de l’euro, encore une fois, est une menace ou une arme de dernier recours.

Cette stratégie s’appuie sur la légitimité des solutions progressistes qui découlent de leur nature de classe. Il s’agit d’une stratégie coopérative de rupture avec le cadre actuel de l’UE, au nom d’un autre modèle de développement fondé sur une nouvelle architecture pour l’Europe : un budget européen élargi alimenté par une taxe commune sur le capital qui finance des fonds d’harmonisation et des investissements socialement et écologiquement utiles. Mais nous n’attendons pas que ce changement vienne tout seul et nous mettons à l’ordre du jour la lutte immédiate contre la dette et l’austérité et les justes mesures de défense des salaires et des pensions, de la protection sociale et des services publics. Telle est notre orientation stratégique pour un gouvernement de gauche.

Signataires :

Chypre : Stavros Tombazos

Royaume-Uni : Giorgos Galanis, Özlem Onaran

Espagne : Daniel Albarracín, Nacho Álvarez, Bibiana Medialdea, Manolo Garí, Antonio Sanabria, Jorge Fonseca, Teresa Pérez del Río, Lidia Rekagorri Villar (Euskal Herria), Jérôme Duval, Andreu Tobarra, Ander Gorroño Bidaguren (Euskal Herria), Jorge Alaminosder Gorroño Bidaguren (Euskal Herria), Jorge Alaminos, Pedro A. García

Portugal : Francisco Louçã, Mariana Mortagua

France : Gilles Orzoni, Jacques Rigaudiat, Philippe Zarifian, Gilles Raveaud, Jacques Cossart, Nicolas Béniès, Marc Bousseyrol, Mathieu Montalban, Samy Johsua, Catherine Samary, Bruno Théret, Claude Calame, Jean-Marie Harribey, Ozgur Gun, Antoine Math, Marc Mangenot, Jean Gadrey, Mireille Bruyère, Henri Philipson, Pierre Bitoun, Patrick Saurin, Pierre Khalfa, Bernard Guibert, Robert Kissous, Guillaume Etievant, Jean-Marie Roux, Jakes Bortayrou (Pays Basque), Thomas Coutrot, Philippe Légé, Olivier Lorillu, Boris Bilia, Christiane Marty, Bertrand Rothé, Philippe Enclos, Xavier Girard, Gérard Streletski, Christophe Pébarthe, Pierre Cours-Salies, Yvette Krolikowski, Céline Martin, Michel Bréhier, Yann Merlevede, Dany Lang, Chantal Frattaruolo, Yves Chassin, Martial Picot, Gustave Massiah, Catherine Harmant, Christian Zanne, Michel Bréhier, Yann Merlevede, Dany Lang, Chantal Frattaruolo, Catherine Harmant, Antoine Cantais, Geneviève Morenas, Jean-Michel Hérisson, Jean-Claude Salomon, Julien Sardou , Stephen Bouquin, Joël Marseille

Belgique : Éric Toussaint, Pierre Vermeire, Gunter Breugelmans, Maurice Cramers, Filip De Bodt, Éric Goeman, Herman Michiel, Georges Spriet, Daniel Tanuro, Thomas Weyts, Helena Van der Vorst, David Dessers

Suède : Rodolfo Garcia, Örjan Appelqvist

Pays-Bas : Willem Bos, Corrie van Willegen

Suisse : Jean Batou, Pierre Vanek, Juan Tortosa

Italie : Valter Erriu (Sardinya)


Michel Husson

statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm

Ozlem Onaran

Professor of Economics, director of Greenwich Political Economy Research Centre, University of Greenwich

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Francisco Louça

économiste, est membre de la direction et ancien porte-parole du Bloc de gauche qui dispose de 19 députés au parlement portugais depuis les élections d’octobre 2015. Francisco Louçã est militant de la IVe Internationale.

Stavros Tombazos

Professor of political economy at the University of Cyprus.

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Bibiana Medialdea

Bibiana Medialdea, profesora de Economía Aplicada en la Universidad Complutense de Madrid, expresa de manera muy gráfica y elocuente una duda que es al mismo tiempo una zozobra : « ¿Por qué hemos de aceptar que un Estado venda su sistema sanitario para pagar sus deudas ? ».

Daniel Albarracín

, économiste et sociologue, collaborateur de la revue Viento Sur, est militant d’Anticapitalistas dans l’État espagnol).

Giorgos Galanis

Lecturer, Goldsmiths, University of London.