Tel était le titre d’un des forums du « Plan B pour une autre Europe » tenu à Madrid les 19, 20 et 21 février 2016. Les intervenant/e/s étaient Jesús Rodríguez économiste et député Podemos d’Andalousie, Amaia Pérez Orozco, docteure en Economie institutionnelle et Développement, Carlos Sánchez Mato, conseiller municipal en charge de l’Economie et des Finances à Madrid et Costas Lapavitsas, professeur d’Economie à la SOAS (School of Oriental and African Studies/Londres) et ex-député de Syriza. Le panel était modéré par Iolanda Fresnillo de la Plateforme d’audit citoyen de la dette (PACD) à Barcelone.
Voir aussi :
En introduction, Iolanda Fresnillo a rappelé que la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
représente un élément clé de transfert de la richesse et qu’il faut de ce fait rompre avec la dépendance vis-à-vis des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
pour construire un autre modèle non seulement financier mais également économique. Il est nécessaire pour cela de se débarrasser de la peur et mettre en avant le non paiement de la dette, mesure qui devra s’accompagner d’autres dont un processus de redistribution pour la mise en place d’un nouveau modèle productif, agricole et énergétique.
Jesús Rodríguez a ensuite souligné que les gens n’ont généralement pas dans leur imaginaire un horizon socialiste et que toute transition devrait adopter un plan d’urgence sociale pour résoudre les problèmes immédiats des classes populaires à côté de mesures pour la mise en place de l’horizon futur.
La mise en place d’un nouveau modèle en 4 axes
La dette qui mobilise des ressources économiques considérables pour les budgets publics est le premier point mis en avant. La récupération de ces ressources permettrait un effet de levier important. A côté de la dette, il y a aussi la fuite de capitaux à laquelle il faut s’attaquer, l’épargne d’un pays ne doit pas être au service du système bancaire et il faut de ce fait un secteur bancaire public. Un deuxième axe important est celui de la question de la propriété des secteurs stratégiques de l’économie. Ceux ci ne peuvent pas être laissés entre les mains des grands monopoles privés et d’autant moins avec les dépenses à consacrer à la transition énergétique se montant à 3 milliards d’euros par an. Un troisième axe est l’augmentation des dépenses dans l’aide aux personnes et aux petites et moyennes entreprises. Il s’agit de réformer le marché de l’emploi en améliorant les capacités de négociation des travailleurs et demandeurs d’emploi. Le dernier axe qu’il identifie est celui de la nécessité d’une discussion sur la question de l’Euro. Si l’Espagne n’a pas de problème d’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. , elle est à l’instar d’autres pays affectée par le carcan monétaire. Si sortie de l’Euro il y a, celle-ci ne doit pas être envisagée comme un repli national mais bien dans le cadre d’alliances commerciales bien plus positives avec d’autres pays aux caractéristiques similaires.
Penser l’économie dans une perspective écoféministe
Amalia Pérez Onozco commence par mentionner que l’économie est le fondement de la vie et nécessite de questionner à quelle vie on aspire, ce qui implique des ruptures avec les notions actuelles d’emploi, de richesse, de bien-être et de production en tant que totems du système. Celles-ci doivent s’inscrire dans un processus écoféministe de décroissance dans laquelle il s’agit de dé-précariser l’existence par des mécanismes collectifs ; l’Etat doit avoir la responsabilité de soutenir la vie des ménages. Cela ne se fera pas sans conflit en particulier au niveau des relations entre les sexes.
La dimension locale à l’avant plan de la transformation
La présentation de Carlos Sánchez Mato s’est centrée sur une perspective de propositions. Il a ainsi cité la nécessité de retirer du secteur marchand les biens essentiels qui sont autant d’éléments qui ont une forte incidence en termes de qualité de vie avec un accent particulier sur la dimension locale et en intégrant la dimension durable. Ce serait en effet une grave erreur que de s’attaquer uniquement à la financiarisation de l’économie sans questionner sa dimension productiviste. Nous ne sommes pas face à un problème monétaire mais bien à l’impossibilité de rentabiliser la cupidité privée. Cela nécessite d’agir sur les finances publiques et les secteurs stratégiques pour parvenir à une véritable démocratie qui implique l’allocation des ressources au service de tous les membres de la société. Comme l’intervenante précédente, il mentionne qu’il ne faut pas sous-estimer la dimension de résistance face au changement.
Bref panorama de la situation présente
Costas Lapavitsas clôt les interventions en mentionnant qu’il s’agit d’un débat très important qui n’aurait pas pu avoir lieu il y a encore quelques années. Plusieurs facteurs objectifs laissent penser qu’une nouvelle crise économique est en gestation. Parmi ceux-ci il mentionne le ralentissement de la croissance des BRICS [1] qui étaient depuis plusieurs années la seule entité importante du monde à connaître une croissance véritable à la différence des Etats-Unis où, si reprise il y a bien eu depuis la crise de 2007-2008, la croissance reste faible. Quant à l’Europe, la croissance y demeure atone. Quelles sont dans ce contexte les perspectives économiques et sociales pour la gauche ? Un programme de gauche qui se veut cohérent doit tirer les leçons de l’expérience de Syriza. Ça a en effet été la première fois dans l’histoire que la gauche adopte pleinement la stratégie de l’adversaire en raison d’une stratégie erronée depuis le départ qui a donné la priorité à rester dans la zone Euro sur toute autre considération avec la menace de la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
de fermer le robinet de la seule source de liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
immédiate. La seconde raison à l’échec de Syriza est un parti qui est devenu de moins en moins démocratique avec un sommet isolé de sa base. Enfin il identifie comme troisième raison le manque de souveraineté nationale et internationale d’un parti qui manquant d’un programme clair s’est montré opportuniste sans prendre en compte que le carcan européen ne permet pas des réformes de gauche d’envergure.
Retrouver des marges de manœuvre pour la souveraineté populaire
Il identifie ainsi 6 champs importants
1. La gestion de la dette à partir d’une position de souveraineté en décidant ce qui doit être payé et ce qui ne doit pas l’être.
2. Une politique monétaire souveraine avec un secteur financier public.
3. Une politique budgétaire souveraine indépendante des pactes européens (TSCG
TSCG
Le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (ou « Pacte Budgétaire » européen) est un traité qui impose une discipline budgétaire toute particulière aux États membres de l’Union européenne qui l’ont signé (à l’exception de la Croatie, la République tchèque et le Royaume-Uni) et qui est entré en vigueur pour les pays qui l’avaient déjà ratifié au 01 janvier 2013.
Son article 3 concerne la fameuse « règle d’or » - que les États doivent introduire de manière contraignante et permanente dans leurs droits nationaux - imposant un déficit structurel de 0,5% (et non plus de 3%). De même, le pacte autorise un endettement public de maximum 60% du PIB qui doit être réduit d’1/20e par an le cas échéant.
Enfin, l’assistance financière prévue par le Mécanisme européen de stabilité (le MES) est conditionnée à la ratification de ce TSCG (rebaptisé « Tous Saignés Comme des Grecs » ou encore Traité de l’austérité).
/Two pack/Six pack...).
4. Une politique commerciale souveraine qui permette la gestion des déficits et des surplus.
5. Une politique de l’emploi.
6. Une politique en matière de production avec des stratégies agricole et industrielle.
Il affirme que la souveraineté n’est pas le nationalisme et que la démocratie a besoin de la souveraineté populaire.
Une bonne préparation pour faire face aux problèmes
Ce constat s’accompagne d’une mise en garde : si sortie de l’Euro il y a celle-ci doit être bien préparée en amont. Il identifie ainsi 3 types de problèmes qui doivent trouver une réponse à la fois conjointement et séparément. Premièrement, il faut prévoir un temps équivalent à 2 mois pour la production des nouveaux billets et pièces. Deuxièmement, la nationalisation des banques doit avoir lieu dans l’immédiat pour faire concorder les paiements dans la même monnaie que les avoirs. Troisièmement, il faut assurer la fourniture de marchandises. Au prix actuel d’environ 30$ le baril, l’approvisionnement en pétrole ne devrait pas poser de problème, pas plus que celui en nourriture et médicaments. La dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. provoquée par le recours à une nouvelle monnaie ne devrait plus poser de problème sur le moyen terme, à court terme il en sera indéniablement un auquel il est nécessaire de se préparer. Cela comprend de constituer des réserves et de mettre en place un contrôle des capitaux.
[1] Brésil/Russie/Inde/Chine/Afrique du Sud
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