13 octobre 2014 par Jubilé Amérique du sud , CADTM AYNA , Federación Luterana Mundial
Depuis l’imposition de la politique économique de la dernière dictature [1], le peuple argentin souffre des impacts et des conséquences de la dette générée au cours de cette période et de ses restructurations successives. Dans un contexte de crises récurrentes et suite à de multiples ajustements, on a assisté à la consolidation d’un modèle productif qui vise à générer les devises nécessaires au remboursement d’une dette, illégitime par ses origines et son évolution, et dont on tente de dissimuler l’augmentation constante.
L’échec des politiques gouvernementales à faire face à cette dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
a éclaté à nouveau au grand jour en juin dernier, face à la pénurie de devises et au refus de la Cour suprême de Justice des Etats-Unis d’examiner la demande du gouvernement argentin dans un litige concernant le recouvrement de titres publics aux mains des « fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
».
Dans ce contexte, après une décennie de différends traités par des instances étrangères, le gouvernement argentin a finalement recherché, et a réussi à obtenir, le soutien du G77 G77 Le G77 est une émanation du Groupe des pays en voie de développement qui se sont réunis pour préparer la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève en 1964. Le Groupe offre un forum aux PED pour discuter des problèmes économiques et monétaires internationaux. En 2021, le G77 regroupait plus de 130 pays. + la Chine, pour présenter un projet de résolution, adopté le 9 septembre dernier par l’Assemblée générale des Nations unies. Avec 124 votes pour, 11 contre et 41 absentions, l’Assemblée générale a décidé de lancer un processus afin d’élaborer et d’approuver, dans un délai d’un an, un « cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine » [2].
Étant donné l’importance que certains accordent à cette résolution, nous souhaitons partager quelques réflexions initiales, au vu de la teneur du texte et des situations concrètes d’endettement, de restructurations, d’exigences de paiement et de paiements ininterrompus qui ont marqué et marquent encore le présent et le futur de la majorité des peuples latinoaméricains et caribéens.
1) En premier lieu, nous renouvelons notre soutien à toute initiative, face à la dette, qui fait primer les droits des peuples - y compris la souveraineté, l’autodétermination et le droit à une vie digne (« buen vivir ») - ainsi que les droits de la nature. Dès lors, nous continuerons à exiger de la communauté des nations qu’elle prenne les mesures nécessaires afin de stopper ce système d’endettement basé sur l’usure, l’exploitation et le pillage, et d’établir des mécanismes de réparation pour les préjudices causés par les dettes sociales, écologiques, historiques et financières qu’il a provoqué et aggravé.
2) En la matière, il est nécessaire de faire la distinction entre deux types d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. Certaines actions cherchent à faciliter le fonctionnement du système d’endettement et la domination qu’il exerce ; d’autres visent à contrer la logique et les conséquences perverses du système. La décision récente de l’Assemblée générale est indéniablement à classer au rang des premières. Alors que la chaîne de l’endettement a cédé, cette résolution cherche à faciliter sa recomposition et son fonctionnement, mais sans même modifier, en laissant intact le système d’endettement perpétuel, outil fondamental du capitalisme financiarisé et responsable du transfert continu de richesses et de ressources naturelles des 99 % de la population mondiale vers le 1 %.
3) L’objectif poursuivi par la résolution est la « soutenabilité de la dette », considérée comme un élément clé afin de ne pas freiner le développement (lui aussi « soutenable ») des pays du Sud, dits depuis des décennies « en voie de développement ». L’objectif implicite est la soutenabilité du paiement et du recouvrement des dettes dont il est devenu impossible de s’acquitter du service « normal », afin d’assurer ainsi la continuité, la prévisibilité et la croissance ininterrompue du système d’endettement. La résolution n’exprime pas la moindre préoccupation pour le coût et les conséquences de ces paiements. Elle ne vise pas le bien-être de celles et ceux qui sont condamnés à payer. Elle vise à faire en sorte que le pillage ne dépasse pas les limites de la « soutenabilité » afin que ceux qui tirent profit du système puissent continuer à assouvir sans limites leur cupidité.
4) Si la résolution reconnaît que le système financier international, l’endettement et les crises qu’il génère impactent fortement les peuples et les pays, elle omet néanmoins de poser la question de savoir pourquoi « les crises de la dette souveraine sont un problème récurrent », ou pourquoi « un certains nombre de pays (..) peinent encore à trouver une solution viable à leurs problèmes de dette extérieure » [3].
5) La résolution part du postulat erroné selon lequel, s’il y a des dettes, c’est qu’il y a eu au préalable des rentrées d’argent. Or, les dettes publiques, internes ou externes, ne répondent pas pleinement à ce critère. La majorité a été générée sans contrepartie en termes de biens ou de services pour les peuples. L’endettement augmente sous l’effet de l’usure, de commissions abusives, de clauses entachées d’irrégularités, de la transformation de dettes privées en dettes publiques, de refinancements successifs, etc., les dettes engendrant dès lors continuellement de nouvelles dettes. Le système tire même profit des crises, comme les situations d’urgence humanitaire ou la crise climatique, pour donner naissance à de nouvelles dettes. Ce mécanisme repose sur un transfert incessant de richesses et de biens communs, tandis que l’encours de la dette ne cesse de croître. En outre, les finalités et objectifs initiaux des prêts répondent en général aux intérêts des prêteurs et non à ceux des emprunteurs. Les peuples n’ont le plus souvent pas leur mot à dire et leurs protestations ou manifestations de refus sont ignorées ou, pire, réprimées et criminalisées.
6) Il est frappant de constater que la résolution n’accorde pas la moindre attention à l’origine et à la légitimité des dettes dont elle entend faciliter le paiement et le recouvrement. Pourtant, renforcer la volonté et la capacité des peuples et de leurs Etats à auditer les dettes, dénoncer leur caractère illégitime, illicite, et déclarer le non paiement de celles qui compromettent leur présent et leur futur, devrait être une priorité pour l’ONU.
7) Un autre élément à souligner est le fait que la résolution n’évoque même pas la relation indivisible existant entre la dette et les droits humains. Elle cite tels sommet, conférence ou objectif établis par l’ONU au cours des dernières années mais ne mentionne pas les « Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme » [4] adoptés par les Nations unies en 2012. En cherchant à garantir la continuité du système d’endettement, il semble qu’on préfère passer sous silence la primauté des droits humains sur tout autre engagement, conformément au droit international.
8) Plusieurs pays qui, aujourd’hui, ont voté pour la mise en place de ce cadre contraignant pour les processus de restructuration de dettes - parmi lesquels l’Argentine, pays à l’initiative de la résolution - ne se sont néanmoins pas prononcés, il y a à peine deux mois de cela, en faveur de la décision historique du Conseil des droits de l’homme d’élaborer une convention multilatérale visant à lier les grands acteurs privés du système international économique, financier et du crédit - les sociétés transnationales dont les fonds vautours - au respect des droits humains [5]. Dès lors, nous nous demandons si la cohérence et les priorités visent à préserver le « bon » fonctionnement des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, ou à protéger et promouvoir les droits humains, les droits de peuples et de la terre mère.
9) La résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU fait référence aux « Principes pour l’octroi de prêts et la souscription d’emprunts souverains responsables » publiés par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(CNUCED) en 2011, qui visent à « réduire la fréquence des crises de la dette souveraine, à prévenir les situations d’endettement non viable, à maintenir une croissance économique ininterrompue ainsi qu’à contribuer à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement… » [6]. Mais curieusement, ce que l’on retient de ce document est l’importance d’« encourager à ces fins les emprunts souverains responsables [sic] », laissant de côté la question de la coresponsabilité de ceux qui accordent des prêts, achètent des titres ou prélèvent des intérêts usuraires. C’est sans doute cette même logique qui amène la résolution à affirmer l’importance de garantir la continuité des institutions de Bretton Woods plutôt que de les questionner, en tant que coauteures et responsables, idéologiquement et dans les faits, de la consolidation d’un système d’endettement pervers au service du grand capital.
10) En conclusion, nous rappelons que les peuples et les nations sont souverains. Les dettes ne le sont pas, leur paiement pas davantage. Il y a plus de 100 ans déjà, plusieurs interprétations juridiques ont été établies, comme les Doctrines, Calvo, Drago et Espeche, entre autres, qui posent des limites au pouvoir asymétrique des prêteurs au sein du système d’endettement en vigueur. Par ailleurs, la Doctrine de la Dette Odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
établit clairement la non obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de payer des dettes contractées sans le consentement des peuples et contre leurs intérêts. Renforcer la souveraineté des peuples et des nations, particulièrement du Sud, implique de se réapproprier l’esprit de ces sources de droit, afin de s’opposer aux supposés droits des marchés et des prêteurs, dont l’unique but est d’approfondir le système d’endettement et de domination perpétuels.
Traduction de l’espagnol par Cécile Lamarque
[1] 24 mars 1976 - 10 décembre 1983
[2] Résolution A/68/304, « Établissement d’un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine », http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/68/304.
[3] Extraits de la résolution.
[4] Conseil des droits de l’homme de l’ONU, avril 2012, A/HRC/20/23.
[5] Résolution A/HRC/26/RES/9, « Élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme », Conseil des droits de l’homme de l’ONU, juin 2014.
[6] Résolution A/68/304, idem.
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Déclaration de Managua. “Vers la Réparation des Dettes et la Construction d’Alternatives”30 juin 2010, par Jubilé Amérique du sud
Déclaration finale
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Abya Yala Nuestra América
Abya Yala est le nom donné par les Indiens Kunas du Panama et de la Colombie au continent américain avant l’arrivée de Christophe Colomb et des européens. L’expression « Abya Yala » signifie « terre dans sa pleine maturité » dans la langue des Kunas. Le leader indigène aymara de Bolivie Takir Mamani a proposé que tous les peuples indigènes des Amériques nomment ainsi leurs terres d’origine, et utilisent cette dénomination dans leurs documents et leurs déclarations orales, arguant que « placer des noms étrangers sur nos villes, nos cités et nos continents équivaut à assujettir notre identité à la volonté de nos envahisseurs et de leurs héritiers. ». Abya Yala est choisie en 1992 par les nations indigènes d’Amérique pour désigner l’Amérique au lieu de le nommer d’après Amerigo Vespucci.
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