Série « Créances douteuses : La dette n’a pas d’odeur »
12 novembre 2018 par Pascal Franchet , Anouk Renaud
La France, une des principales puissances économiques, est aussi l’un des principaux États créanciers de la planète, avec des créances bilatérales (c’est-à-dire sur des États tiers) de plus de 41 746 millions d’euros au 31 décembre 2016, soit 14,5 % de l’encours total des créances du Club de Paris (ce club sans aucun statut juridique regroupe les 21 principaux États créanciers et est hébergé à Bercy). De même, la France joue un rôle non négligeable dans les orientations du FMI et de la Banque mondiale, en raison du poids démesuré accordé aux pays riches dans ces institutions.
Cette position de la France – qui n’est pas sans rapport avec son histoire coloniale – est utilisée à outrance pour faire du fric : soutien aux dictatures, ventes d’armes, blanc-seing donné aux banques commerciales françaises, imposition de réformes libérales favorisant les multinationales, etc. Du fric réalisé en se moquant de la souveraineté des peuples, que l’on appauvrit en leur demandant de payer des dettes illégitimes et odieuses quand elles ne sont pas illégales, et souvent insoutenables puisqu’elles exigent de sacrifier des droits humains fondamentaux afin d’être remboursées. En voici quelques exemples.
En mai 2010, États européens, FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et institutions européennes sortent l’artillerie lourde pour soi-disant « aider la Grèce ». En fait, c’est sauver les banques privées françaises et allemandes dont il était question. À partir de là, les plans de sauvetages, les prêts et leurs contreparties austéritaires se sont enchaînés. À l’instar des autres pays européens, la France a participé à ces plans dits de sauvetage et cela de différentes façons.
1° Un prêt bilatéral de 11,4 milliards d’euros : la première créance bilatérale française
Deuxième prêteur après l’Allemagne, la France a octroyé en mai 2010 un prêt bilatéral de 11,4 milliards d’euros à la Grèce. Il s’agit de la créance la plus importante que détient la France sur un pays étranger à l’heure actuelle. Son taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
a atteint 4% en mars 2011 alors qu’elle-même empruntait en 2010 autour de 1,8%. Depuis fin 2012 et après révision des conditions, ce taux est proche de 0,6%. Fin 2013, Bercy avait déjà perçu 729 millions d’euros d’intérêts sur ce prêt. Ce sont les derniers chiffres connus...
2° Des rachats de titres grecs : une opération très juteuse
À partir de mai 2010, la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) et les banques centrales nationales vont se mettre à racheter de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
grecque sur le marché secondaire avec les programmes SMP et ANFA. Ces rachats se font à seulement 70% de la valeur des titres alors que la Grèce s’acquitte des intérêts de 6%, calculés sur 100 % de la valeur de ces titres.
Selon la Cour des Comptes, entre 2012 et 2017, la seule Banque de France a engrangés 2,3 milliards d’euros de profits grâce à ces rachats. Ces profits abusifs devaient être restitués à la Grèce mais aucun versement n’a eu lieu depuis 2014, car les intentions des premières heures de Syriza ne plaisaient pas à l’Eurogroupe. Finalement, en juin 2018, l’Eurogroupe annonce enfin la reprise des transferts de ces bénéfices à la Grèce. Mais ces transferts ne reprendront qu’à partir des profits réalisés en 2017. Autrement dit, l’argent perçu en 2015 et 2016 restera dans les poches des créanciers, soit la modique somme de 758,1 millions d’euros concernant la France.
De plus, ces transferts arrivent sur un compte spécial dédié au remboursement de la dette grecque. Pas question donc que la Grèce décide elle-même de l’utilisation de cet argent qui lui est dû ! |
Et en plus des profits qu’elles génèrent toutes ces contributions financières de la France sont conditionnées à l’application d’une austérité néolibérale féroce. Le peuple grec n’en a pas vu la couleur et pourtant c’est à lui qu’on enjoint de rembourser en coupant dans ses alloc’s chômage, ses retraites, ses services publics, ses droits au travail… La France doit rembourser à la Grèce ces profits scandaleux parce que réalisés sur une dette illégitime, odieuse, illégale et insoutenable comme l’a démontré la Commission pour la vérité sur la dette grecque [1].
Que représente le marché secondaire des dettes ? On pourrait l’appeler le marché d’occasion ou encore l’Ebay des dettes publiques. Lorsqu’un titre de dette est émis, il est vendu par le débiteur sur le marché primaire. Ensuite le premier acquéreur peut le revendre sur le marché secondaire. Sur cette brocante de la dette, les titres s’achètent et se revendent plusieurs fois et très rapidement. Le prix de revente dépend alors de la capacité (ou non) de l’État débiteur à le rembourser. Plus le risque de défaut est probable, plus le titre perd de sa valeur et se revend à bas coût. |
Pour en savoir plus sur la crise grecque, les plans de sauvetage, la destination de cet argent, les mesures d’austérité imposées, les créanciers de la Grèce => voir la série vidéo « À qui profite la dette grecque ? ».
Voir également dans la série « Créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
douteuses : La dette n’a pas d’odeur » :
France-Cameroun : Permis de piller !
Tunisie : La France blanchit une dette odieuse
Sauvetage de la Grèce : une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !
Rwanda-France : Responsabilités et financement du génocide
Égypte : La France a du sang sur les mains
[1] La vérité sur la dette grecque, Les liens qui libèrent, 2015
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Article précédemment publié le 28 février 2018
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