Fondé en Belgique le 15 mars 1990, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) est un réseau international constitué de membres et de comités locaux basés en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il agit en coordination avec d’autres organisations et mouvements luttant dans la même perspective (Jubilé Sud et d’autres campagnes agissant pour l’annulation de la dette et l’abandon des politiques d’ajustement structurel). Son travail principal : l’élaboration d’alternatives radicales visant la satisfaction universelle des besoins, des libertés et des droits humains fondamentaux.
Depuis sa création, le CADTM est une association pluraliste constituée de personnes morales [1] et de personnes physiques. Une association qui ancre son action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
au carrefour des luttes des mouvements sociaux populaires, des mouvements d’éducation permanente, des syndicats, des comités de solidarité internationale et des ONG de développement. Membre du conseil international du Forum social mondial, le CADTM s’inscrit pleinement dans le mouvement citoyen international qui lutte pour « d’autres mondes » possibles, ébauchant les traits d’une mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
alternative à celle que les promoteurs du modèle capitaliste néolibéral globalisé présentent comme l’horizon indépassable du bonheur des peuples, l’état naturel de la société, la « fin de l’Histoire » tenue de s’imposer à toutes et tous, et en tous lieux.
Partie prenante de ce « mouvement altermondialiste » qui récuse les dogmes néolibéraux, le CADTM se donne pour mission de contribuer à l’émergence d’un monde fondé sur la souveraineté des peuples, la solidarité internationale, l’égalité, la justice sociale [2]. Les projets, outils et activités qu’il développe à cette fin s’inscrivent dans une dynamique associant la recherche et l’action : publications (ouvrages, articles, analyses, revue...), conférences-débats, séminaires, formations, rencontres et manifestations internationales, campagnes de sensibilisation, concerts, etc.
L’objectif premier du CADTM — son angle d’attaque — est l’annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure publique des pays de la Périphérie (Tiers Monde et ex-bloc soviétique) et l’abandon des politiques d’ajustement structurel imposées par le trio Fonds monétaire internationaI (FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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), Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, Organisation mondiale du Commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
(OMC). Il s’agit de mettre un terme à la spirale infernale de l’endettement et de parvenir à l’établissement de modèles de développement socialement justes et écologiquement durables.
Pour le CADTM, l’annulation de la dette extérieure publique des pays de la Périphérie n’est cependant pas une fin en soi. Elle est bien davantage un moyen, une condition nécessaire mais non suffisante au développement véritablement durable et socialement juste qu’il s’agit de promouvoir, tant au Sud qu’au Nord de la planète.
Objectifs et revendications
Le CADTM se fixe quatre missions principales :
Proposer une analyse approfondie des origines et des conséquences de la dette de la Périphérie et des possibilités techniques et politiques de son annulation ;
Elaborer des alternatives de financement du développement humain et de transformation radicale de l’architecture institutionnelle et financière internationale ;
Définir les étapes menant à la garantie universelle des droits fondamentaux ;
Renforcer les mouvements sociaux et les réseaux citoyens aux niveaux national et international et interpeller les représentants politiques à chacun de ces niveaux.
L’évolution de l’économie mondiale au cours des deux dernières décennies a montré que les peuples de la Périphérie ne pouvaient obtenir la satisfaction des droits humains par le biais de marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
instables et concentrés sur une vingtaine de pays en développement. Parallèlement, les conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
des prêts du FMI et de la Banque mondiale, appuyées par le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, le cartel des pays les plus industrialisés, ont entraîné des réformes macroéconomiques qui creusent les inégalités, qui génèrent un appauvrissement massif et qui pérennisent l’endettement et la soumission au marché mondial dominé par les transnationales des pays les plus industrialisés.
Aussi est-il nécessaire que la Périphérie se libère de la dépendance envers les marchés financiers et les prêts multilatéraux en mettant en pratique un modèle alternatif comprenant plusieurs axes fondamentaux : une complémentarité Sud - Sud, une redistribution de la richesse pour mettre fin aux scandaleuses inégalités sociales, la création de fonds de développement importants et démocratiquement contrôlés par les parlements et par les citoyens des pays concernés (ce qui implique l’établissement d’un mécanisme de surveillance transparent et efficace, et, de manière plus générale, de mécanismes de participation populaire directe et démocratique permettant l’élaboration et la prise en mains par les citoyen(ne)s des projets de société qui engagent leur avenir).
Comment seraient alimentés ces fonds de développement ? D’abord, bien entendu, par les sommes libérées par l’annulation de la dette de la Périphérie. Depuis 1980, celle-ci a été remboursée huit fois ! Mais elle a quadruplé depuis lors. Cette dette, dont une large part n’a jamais profité aux populations locales, est illégitime. Elle implique des transferts massifs de capitaux du Sud vers les créanciers du Nord (quelque 300 milliards de dollars annuels), les capitalistes de la Périphérie prélevant leur commission au passage. Le remboursement de la dette se fait au détriment des budgets sociaux et entraîne une « re-colonisation économique » de la Périphérie par les transnationales et les gouvernements des pays les plus industrialisés.
Les classes dominantes des pays de la Périphérie participent du système capitaliste mondial globalisé et tirent elles-mêmes avantage de l’endettement externe de leur pays. Elles placent dans les pays les plus industrialisés les capitaux qu’elles ont accumulés grâce à l’exploitation des salariés et des petits producteurs (paysans et artisans) de leur pays. Ensuite, elles empruntent des capitaux aux banques du Nord et sur les marchés financiers des pays les plus industrialisés. Leurs emprunts bénéficient le plus souvent de la garantie de l’Etat et, en cas de non-remboursement, sont pris en charge par les pouvoirs publics de la Périphérie, ce qui alourdit la dette externe publique.
De leur côté, les transnationales (y compris les banques) des pays les plus industrialisés et les institutions internationales qui défendent leurs intérêts (FMI, Banque mondiale, Organisation mondiale du Commerce, Club de Paris...) mettent en coupe réglée l’ensemble de la planète en commençant par la Périphérie, considérée comme une vaste réserve de matières premières et de main d’œuvre à bon marché. Elles utilisent l’arme de la dette pour dicter aux gouvernements de la Périphérie des mesures économiques (appelées « ajustement structurel ») qui permettent, de fait, de les recoloniser. L’exploitation des ressources naturelles (pétrole, or, diamant, eau, bois, etc.) repasse sous le contrôle direct des transnationales ; les principaux services publics sont privatisés (eau, santé, éducation, électricité, télécommunications...) ; le modèle du « tout pour l’exportation » se renforce... Les grandes orientations politiques et économiques tendent à être prises dans les capitales des Etats créanciers et sont ensuite appliquées par les gouvernements des pays endettés. Les cultures nationales sont laminées par l’invasion culturelle principalement « made in USA ».
Le CADTM, on l’a dit, considère l’annulation de la dette comme un préalable indispensable mais non suffisant. Il revendique également [3] :
Le versement par les pays les plus industrialisés de réparations en dédommagement du pillage perpétré depuis des siècles dans les pays de la Périphérie. Les cinq derniers siècles, en particulier, ont été jalonnés par la conquête coloniale, par la traite et la déportation des Noirs, par l’extermination de populations, l’anéantissement de cultures locales, voire de civilisations entières, l’épuisement des ressources et la destruction de l’environnement. L’asservissement par le système de l’endettement externe est une forme supplémentaire de pillage. Cela ouvre le droit des peuples de la Périphérie, victimes de ce pillage, à percevoir des réparations. Les pays les plus industrialisés ont contracté au cours de l’histoire une dette historique et écologique à l’égard de ces peuples. Il faut transformer l’aide publique au développement (APD
APD
On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible.
) en fonds de réparation. Sur base de l’engagement pris par les pays industrialisés notamment lors de la conférence de Rio en 1992 (atteindre une APD d’au moins 0,7% du produit national brut
PNB
Produit national brut
Le PNB traduit la richesse produite par une nation, par opposition à un territoire donné. Il comprend les revenus des citoyens de cette nation vivant à l’étranger.
- PNB), il faut tripler les montants consacrés à l’aide publique et la rebaptiser « fonds de réparation » (la moyenne de cette aide publique allouée par les pays du Nord s’élevait en 2003 à 0,23% de leur Produit intérieur brut
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
). Le CADTM apporte donc son soutien aux mouvements sociaux africains qui, lors de la conférence de l’ONU contre le racisme à Durban au début septembre 2001, ont exigé réparation pour les crimes commis au cours de l’Histoire contre leurs peuples, notamment la traite des Noirs et l’esclavage. Le CADTM apporte également son soutien aux mouvements qui luttent pour la reconnaissance de la dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
.
La rétrocession des biens mal acquis par les élites du Sud : les peuples du Sud ont été spoliés par les pires dictatures, souvent soutenues par les pays du Nord et profitant d’un système d’impunité structurel. Cette spoliation se poursuit dans le cadre de la soi-disant « bonne gouvernance ». La suppression du contrôle des mouvements de capitaux dictée par les institutions financières internationales favorise une délocalisation massive des capitaux et facilite le blanchiment de l’argent du crime. Les biens mal acquis doivent être rétrocédés aux populations qui ont été dépouillées, ce qui implique la réalisation d’enquêtes internationales et la levée du secret bancaire ;
La taxation des transactions financières (taxe de type Tobin) : en présumant du fait que l’introduction d’une telle taxe calmerait quelque peu la frénésie spéculatrice des opérateurs et diminuerait le volume des transactions à 500 milliards de dollars par jour (de l’ordre de 1.250 milliards par jour en 2003), une taxe de 0,1% dégagerait annuellement 120 milliards de dollars ;
L’établissement d’un impôt mondial exceptionnel sur les grosses fortunes, tel que l’a proposé la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(CNUCED) en 1995 ;
L’établissement d’un programme international de conversion des dépenses militaires en dépenses sociales et culturelles.
Ces fonds de développement, qui s’élèveraient à plusieurs centaines de milliards de dollars (alors que les Nations Unies évaluent à 80 milliards la somme annuellement nécessaire pour assurer un accès universel aux services sociaux de base) permettraient aux pays du Sud d’établir progressivement des modèles de développement largement financés par leur épargne intérieure, intégrés en zones régionales et adaptés à leurs richesses naturelles et culturelles spécifiques. Répétons-le : à cet égard, la participation active des citoyennes et citoyens du Sud (notamment à travers les institutions parlementaires) dans les prises de décision qui les concernent directement est fondamentale. En outre, toute conditionnalité macroéconomique d’ajustement structurel imposée par les créanciers doit être abolie.
Le CADTM se prononce également pour l’établissement d’une nouvelle architecture économique et financière internationale. Revendication qui implique notamment :
La réforme radicale ou le remplacement du FMI, de la Banque mondiale, ainsi que de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) qui déterminent les politiques économiques protectionnistes imposées aux pays pauvres par les pays riches. Les règles de l’OMC sont largement défavorables aux pays de la Périphérie, et singulièrement aux paysans et aux populations du Sud. Cette logique doit être inversée, ce qui implique de rompre avec le protectionnisme et les subventions à l’exportation du Nord et de soutenir le droit du Sud au protectionnisme - et par là même son droit à la souveraineté alimentaire ;
Le contrôle des marchés financiers. Aucun financement du développement ne peut être durable sans que les marchés financiers, hautement opaques et spéculatifs, ne soient contrôlés. Cela implique d’assurer une « traçabilité » de toutes les opérations financières et de contrôler les mouvements de capitaux au niveau international.
Enfin, le CADTM considère comme partie intégrante de ses objectifs et de ses revendications prioritaires l’émancipation des femmes. Il demande la réduction généralisée du temps de travail. Il appuie également la lutte des mouvements de sans-papiers et des collectifs qui les soutiennent, dénonçant les centres fermés, les expulsions et les politiques sécuritaires et d’exclusion. Il soutient les mouvements et les citoyen(ne)s du Sud et du Nord qui revendiquent une réforme agraire radicale, la souveraineté alimentaire, et qui s’opposent à l’expérimentation, à la mise en culture et à la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM
OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.
Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.
Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.
Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
). Il s’oppose à la criminalisation et à la répression de ces mouvements sociaux - et de la contestation en général.
Plus globalement, pour le CADTM, tous les peuples doivent pouvoir disposer du droit de concevoir leur propre développement sans être tenus de se référer au modèle dominant dont les ravages sociaux et écologiques sont patents. La mondialisation néolibérale et ses acteurs majeurs - organisations internationales, entreprises transnationales, banques, holdings financiers et gouvernements - doivent respecter le droit international reconnu (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels, Pacte international relatif aux Droits civils et politiques, Accords multilatéraux sur l’Environnement, Conventions de base de l’Organisation internationale du Travail
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
(OIT), Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Convention européenne des Droits de l’Homme, Convention de Genève, etc.).
Les bases existent, en droit international, qui permettent d’exiger d’autres comportements de la part des institutions financières internationales. Le rôle démocratique des Etats membres de ces institutions est à ce sujet primordial : les parlements, après audition des ministères, des syndicats, des ONG et des associations concernés, devraient rédiger un rapport annuel contraignant sur les politiques menées par leurs gouvernements au sein des organisations internationales, avec le souci majeur de faire coïncider ces politiques avec la réalisation des droits fondamentaux.
A cet égard, le CADTM soutient le principe de l’indivisibilité des droits : les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux doivent être défendus avec la même vigueur que les droits civils et politiques. Ce qui implique, dans un premier temps, l’adoption d’un Protocole tel que demandé en 1993 par la Conférence de Vienne, et, dans un second temps, de pouvoir juger certains crimes économiques comme des crimes contre l’Humanité imprescriptibles par nature. Le premier devoir de la justice, où que ce soit, doit être de faire respecter les droits humains fondamentaux, au Nord comme au Sud. Toute politique doit être guidée par cette priorité.
La fondation du CADTM en mars 1990 s’est faite sur base de l’Appel de la Bastille, lancé en France en 1989 par l’écrivain Gilles Perrault et le chanteur Renaud (voir plus loin le texte de l’Appel). En 1991, le CADTM devient une association sans but lucratif (ASBL, l’équivalent des associations Loi 1901 en France). Bien que tourné dès le départ vers des actions menées au niveau international à l’occasion des réunions du G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. (le groupe des sept pays les plus industrialisés de la planète : Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon), de l’ONU, de la Banque mondiale et du FMI, il réalise principalement un travail d’éducation et de mobilisation en Belgique, son pays d’origine, entre 1990 et 1993.
Dès sa création, le CADTM organise des campagnes qui visent à élargir la sensibilisation et la mobilisation du grand public sur l’urgence de relations équitables entre le Nord et le Sud : “Dette du Tiers Monde : bombe à retardement” (1990), “Dette du Tiers Monde au temps du choléra” (1991), “Quand 40.000 enfants meurent chaque jour, il n’y a pas une minute à perdre” (1992-1993), “Dette du Tiers Monde : nécessaire solidarité entre les peuples” (1994-1997), “Du Nord au Sud : l’endettement dans tous ses États” (1997-1998), « Des Ressources pour des Alternatives en faveur des citoyens et du développement » (1999-2000) et la campagne “ Abolir la dette pour libérer le développement ” (2000-2004).
L’année 1994 marque un tournant pour le CADTM, qui lance, sur le modèle de la campagne « IMF, World Bank, WTO : 50 Years is Enough » initiée aux États-Unis un appel mondial intitulé « Banque mondiale, FMI, OMC : 50 ans, ça suffit ! » et qui co-organise en septembre le sommet de Madrid « Les Autres Voix de la Planète ». C’est à partir de 1994 que le CADTM qui travaillait jusque là sans permanent stable, reçoit des subventions de la coopération internationale belge pour le volet d’éducation au développement, ce qui lui permet de renforcer sa capacité d’organisation et de sensibilisation. C’est également à partir de 1994-1995 que le CADTM produit des publications à diffusion internationale (en français, en néerlandais et en anglais). Entre 1998 et 2002, le CADTM renforce ses moyens et son équipe, au Nord comme au Sud. De nouveaux comités et/ou partenariats se constituent (en Afrique de l’Ouest, au Maghreb, en Afrique centrale, en France et en Suisse) tandis que d’autres associations s’intègrent ou collaborent étroitement au réseau international (associations du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de Côte d’Ivoire, du Congo Brazzaville, de la République démocratique du Congo, d’Angola, d’Equateur, de Colombie, du Venezuela, du Paraguay, de Tunisie, d’Algérie, du Maroc, du Bangladesh, d’Inde, de la Réunion...).
En 1998-1999, le CADTM participe à la campagne mondiale Jubilé 2000. En 1999, il est associé étroitement à l’organisation à Saint-Denis (Paris) des Rencontres internationales placées sous le thème « Contre la dictature des marchés : un autre monde est possible » (co-organisées par ATTAC France, le CADTM, la Coordination pour le contrôle citoyen de l’OMC (CCCOMC), le Forum mondial des Alternatives et DAWN, organisation féministe). Ces rencontres préfigurent le travail en réseau et les mobilisations à venir du mouvement altermondialiste. En 1999, le CADTM, le Centre national de Coopération au Développement (CNCD), l’association Les Amis du Monde diplomatique et des individus fondent ATTAC en Belgique. En décembre 2000, le CADTM organise conjointement avec le CNCD, le CONGAD Sénégal (Conseil des ONG d’Appui au Développement) et Jubilee South deux rencontres internationales à Dakar : « Afrique : des Résistances aux Alternatives » et « Premier Dialogue Sud/Nord ».
A partir de 1999, le CADTM acquiert une reconnaissance nationale et internationale sur la question de la dette de la Périphérie, aux côtés d’autres réseaux : au Nord, le réseau Jubilé 2000 (autour de Jubilee 2000 en Grande-Bretagne et Erlassjahr 2000 en Allemagne) et Eurodad (réseau d’ONG européennes travaillant sur la question de la dette) ; au Sud, Jubilee South. A l’image de ses publications qui gagnent en professionnalisme et en diffusion internationale, le travail et l’extension du réseau progressent constamment, en relation étroite avec d’autres réseaux partenaires naturels : ATTAC, le Forum mondial des Alternatives, la Marche mondiale des Femmes, le syndicat international paysan Via Campesina, Focus on the Global South (Thaïlande)... ou avec des associations nationales telles que le Réseau citoyen pour l’Abolition de la Dette extérieure (RCADE, Espagne).
Entre 2001 et 2003, le CADTM est directement associé à la préparation et à la réalisation du Forum social mondial, dont les trois premières éditions se tiennent à Porto Alegre, au Brésil. En juin 2002, le CADTM participe activement au Rassemblement des Peuples à Siby (Mali, organisé par la CAD-Mali/Jubilé 2000), en contrepoint au sommet du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. (le G7 + la Russie) retranché dans les Montagnes rocheuses au Canada, ainsi qu’au Forum social européen de Florence, en novembre 2002, au cours duquel se réunira l’Assemblée des Mouvements sociaux qui lancera l’appel à la manifestation mondiale d’opposition à la guerre contre l’Iraq - plus de douze millions de personnes dans les rues le 15 février 2003, aux quatre coins de la planète, et plusieurs millions le 22 mars.
Les activités du CADTM aux niveaux national et international seront encore plus nombreuses en 2003 et 2004, avec notamment l’implication du réseau dans les mobilisations de Siby (juin 2003), de Genève et d’Annemasse (Suisse - France) contre le sommet du G8 (en juillet), ou du Larzac, en France, à la mi-août 2003 : 200.000 participants (alors qu’on en attendait quatre fois moins) réunis pendant trois jours autour de l’opposition à l’agenda de Doha soumis à l’agenda de la rencontre interministérielle de Cancun (Mexique) prévue en septembre 2003, du soutien au recours à la désobéissance civile pour lutter contre l’expérimentation des OGM, de la solidarité avec la Palestine ou de la convergence entre différentes luttes sociales (défense du système des retraites par répartition
Retraite par capitalisation
par répartition
Le système de retraite par répartition est basé sur la solidarité inter-générationnelle garantie par l’État : les salariés cotisent pour financer la retraite des pensionnés.
Le système de retraite par capitalisation est basé sur l’épargne individuelle : les salariés cotisent dans un fonds de pension qui investit sur les marchés internationaux et est chargé de leur verser leur retraite à la fin de leur carrière.
, luttes des enseignants, des intermittents du spectacle, etc.). Sans oublier les mobilisations de Paris-Saint-Denis (deuxième Forum social européen, novembre 2003), de Mumbaï (quatrième Forum social mondial, convoqué pour la première fois en Inde, en janvier 2004), ni la participation du CADTM aux activités d’avril 2004 en Afrique du Sud pour le dixième anniversaire de la fin de l’Apartheid, ou son implication dans la nouvelle campagne internationale contre les institutions de Bretton Woods, désormais sexagénaires, sous le mot d’ordre « 60 ans, c’est l’âge de la retraite ! ».
De nouveaux champs du possible...
Le CADTM travaille comme un collectif d’élaboration. Il a participé à de nombreux comités de rédaction de plates-formes et de déclarations sur le plan international. A Madrid en 1994, à Copenhague et à Bruxelles en 1995, au Chiapas et à Manille en 1996, à l’Ile Maurice et à Caracas en 1997, à Saint-Denis en 1999, à Bangkok, Genève et Dakar en 2000, à Porto Alegre en 2001-2002-2003, à Genève en 2003, pour ne prendre que certains de ces moments forts qui lui ont permis de contribuer à enrichir l’analyse produite en différents endroits de la planète. Ces exercices de démocratie et de structuration sont des éléments-clés pour rompre le sentiment d’isolement et avancer dans la construction d’un projet commun.
Une des spécificités du CADTM a justement été de mettre d’emblée l’accent sur son caractère international et internationaliste. International, cela va de soi quand on aborde une telle problématique. Mais parallèlement, dans sa ligne de conduite, il s’attachait à renouer avec une dynamique anti-impérialiste, un nouvel internationalisme qui battait un peu de l’aile à cette époque (le début des années 1990) mais qu’il semblait plus urgent que jamais de reconstruire.
Alors que le CADTM se construisait en Belgique, il s’est ouvert directement aux mouvements qui existaient ailleurs ou qui étaient en voie de constitution, comme ATTAC à partir de 1998-1999 ou Jubilé Sud à partir de 1999. Chaque fois que l’occasion s’en présentait, des “acteurs sociaux” d’autres régions du monde étaient invités par le CADTM, qui, de son côté, répondait aux invitations à l’étranger qui découlaient de ces premiers contacts.
Son extension internationale n’a pas empêché le CADTM de poursuivre un travail opiniâtre de fourmi au niveau local. Que ce soit un professeur qui l’interpelle, une paroisse au temps du carême, une mosquée qui organise un séminaire, un groupe de chômeurs, un comité de solidarité, un syndicat qui organisent une formation sur la mondialisation, le CADTM répond aux appels lancés avec toujours pour objectifs la compréhension, la prise de conscience et la mobilisation.
A force d’analyser les mécanismes de la dette du Tiers Monde, à mesure que les promoteurs de ces mécanismes affinaient leurs politiques, le CADTM a été amené à élargir le champ de son intervention. Etudier et dénoncer les attaques frontales menées contre le système éducatif, le système de santé, démontrer les effets néfastes des privatisations, les conséquences dramatiques du chômage et de la misère dans les pays de la Périphérie n’a pas de sens si l’on n’est pas en mesure, simultanément, de détecter dans sa propre région ces mêmes mécanismes pervers, ces mêmes politiques nuisibles à l’œuvre et de les combattre avec autant de détermination - même si elles ne s’appliquent pas (encore) avec la férocité déployée ailleurs. De même que, pour pouvoir expliquer la nécessité d’un impôt sur les transactions spéculatives à l’échelle mondiale, il faut bien évidemment se pencher sur la problématique de l’imposition des grosses fortunes dans son propre pays. Pour prendre un autre exemple, cela signifie aussi que celui qui peut décoder l’injustice de l’endettement de la Périphérie a le devoir moral de s’attaquer avec une égale conviction aux dettes publiques des pays industrialisés. Dans le Nord aussi, le système de la dette publique est un mécanisme de transfert de richesses des salariés et petits producteurs vers la classe capitaliste.
Élargissement... à l’Est, également : le CADTM s’est ouvert aux pays de l’ex-bloc soviétique, qui sont directement confrontés, eux aussi, à la problématique de la dette et de l’ajustement et dans lesquels un certain nombre de mouvements cherchent des alternatives originales.
Autre manifestation de l’élargissement du champ d’action du réseau : la lutte est désormais menée également sur le terrain de la justice et du droit - et plus spécifiquement sur le terrain du droit international. Des poursuites pénales contre le FMI et la Banque mondiale sont envisagées, pour complicité avec des régimes dictatoriaux et imposition de politiques contraires aux droits humains ; la nécessité d’un audit citoyen de la dette est devenu un thème central des activités du réseau CADTM, en lien avec ses partenaires ; le travail mené par le CADTM, avec d’autres, sur la question de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, rencontre un écho international qui va grandissant.
L’ouverture du champ d’intervention du CADTM s’exprime en outre dans son engagement dans des initiatives de type référendaires (par exemple la « consulta », grande consultation populaire organisée en Espagne en mars 2000 par le Réseau citoyen pour l’Abolition de la Dette extérieure, avec plus d’un million de participants ; ou au Brésil, avec le referendum réalisé en septembre 2000 par les mouvements sociaux - 6 millions de bulletins de vote ; ou encore en Argentine, avec la consultation populaire « autoconvoquée » sur l’ALCA [4], la dette et la militarisation, à laquelle plus de deux millions de citoyens ont participé fin novembre 2003), dans la préparation d’audits citoyens de la dette ou de tribunaux d’initiative populaire contre la dette. Autant de réalisations concrètes qui ont permis à la campagne internationale pour l‘annulation de la dette de prendre progressivement un caractère de masse, et de rendre possible la réussite d’autres initiatives continentales et mondiales (notamment le tribunal international des peuples à Porto Alegre en 2002 et à Genève en 2003). Gageons que le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter ! Et signalons enfin le travail effectué par le réseau CADTM sur la question de la dette écologique, qui élargit encore la problématique qu’il embrasse.
A noter aussi qu’au gré de ses multiples activités, le CADTM s’est doté d’un réseau scientifique international rassemblant des chercheurs et universitaires de tous les continents qui lui permet d’élaborer des analyses scientifiques pointues et de renforcer ses capacités d’Observatoire de la dette et du financement du développement. C’est cette expertise qu’il met au service des mouvements sociaux et citoyens dans le monde.
... pour d’autres mondes en marche
L’action du CADTM est certes modeste au regard du défi auquel il est confronté - les autres acteurs du processus social historique repris sous le terme générique de « mouvement altermondialiste » rencontrent ce même défi : la construction commune de ces autres mondes possibles qu’il est urgent - vital ! - de substituer aux logiques mortifères de la mondialisation néolibérale. Mais elle indique qu’il n’est pas vain de contribuer, à son échelle, au développement de ce mouvement international capable à la fois de penser la grande transformation mondiale en cours et de répondre par l’action aux problèmes nouveaux qu’elle pose.
Car si partout le monde frémit, résonnant de la colère légitime de peuples tiraillés par le sentiment d’une indignité forcée, poussés par un désir de mieux vivre, révoltés par la violence d’un système inique et sans issue, si partout le “ pessimisme de la raison ” est de rigueur pour mesurer l’ampleur de l’attaque néo-libérale, la profondeur dramatique de ses conséquences et la puissance de ses promoteurs (symbolisée notamment par le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, les grandes entreprises transnationales, les principales places financières et le G8), il n’est plus possible désormais d’ignorer “ l’optimisme de la volonté ” qui anime des pans entiers de la population mondiale et les rassemble dans la volonté de se réapproprier le présent pour bâtir ensemble un avenir commun qui ne serait plus celui de la guerre, de la loi du plus fort, du profit, de l’exclusion et de l’injustice mondialisée.
Les politiques imposées par les “ saigneurs de la terre ”, ces « nouveaux maîtres du monde », provoquent des catastrophes sociales, écologiques, économiques, culturelles vécues simultanément par l’écrasante majorité des populations de la planète, réunies par les maux et l’appauvrissement généralisé qui leur sont imposés. Pour la première fois, en tout cas à une telle échelle, ces populations s’organisent pour faire pièce, ensemble, au système qui prétend les maintenir dans la misère et l’oppression. Aujourd’hui, la lutte des paysans sans terre du Brésil rejoint en effet celle des ouvriers de Volkswagen contre leur multinationale ; la lutte des communautés amérindiennes zapatistes pour une vie digne dans les campagnes mexicaines rejoint celle des grévistes de Mc Donald’s en France ; la lutte des centaines de milliers de paysans indiens opposés aux décisions de l’OMC rejoint la lutte des sans papiers de France ou d’Espagne ; la lutte des syndicats sud-coréens pour défendre leurs conquêtes rejoint celle des mouvements sociaux de la République démocratique du Congo pour l’annulation de la dette africaine ; la lutte de la population bolivienne contre l’imposition d’une austérité drastique rejoint celle des salariés de France, d’Autriche, du Brésil... contre la remise en cause des droits acquis en matière de retraite et contre la promotion des fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. privés.
S’il ne faut pas la surestimer, s’il ne faut pas déduire de ses maigres victoires l’échec programmé des maîtres d’œuvre de la mondialisation capitaliste, cette lutte multiple, hétérogène, qui rassemble tous les âges, toutes les origines sociales et culturelles, porte en elle la détermination, la radicalité et la clairvoyance politique nécessaires aujourd’hui à la construction d’un devenir commun différent de celui, bien sombre, qui nous est promis.
C’est de cette lutte que le CADTM entend prendre sa part, dans tous les actes qui font son quotidien, parce que, pour reprendre la formule du poète français René Char, « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». La lutte croissante, opiniâtre, déterminée, courageuse, de celles et ceux (associations, organisations, mouvements sociaux, peuples, ...) qui refusent de se résigner à la marche injuste du monde.
Le CADTM dans son contexte : la campagne internationale en faveur de l’annulation de la dette du Tiers Monde
La campagne internationale en faveur de l’annulation de la dette du Tiers Monde est aujourd’hui centrale au sein du mouvement altermondialiste. Forte de la plus grande pétition de l’histoire de l’humanité (24 millions de signatures collectées entre 1998 et 2000), elle rassemble des mouvements hétéroclites éparpillés sur tous les continents. Si la problématique de la dette du Tiers Monde n’est pas neuve (la crise de la dette actuelle prend son origine dans le défaut de paiement décrété par le Mexique en août 1982), il aura fallu plusieurs années pour former un réseau international d’envergure.
Dans les pays de la Périphérie, la campagne pour le non-paiement de la dette extérieure a pris, entre 1982 et 1990, un caractère populaire et massif en Amérique latine, continent le plus touché par la crise. De nombreuses organisations syndicales et paysannes latino-américaines ont tenté de promouvoir une solidarité continentale, à l’initiative de Cuba, qui a lancé la campagne « La dette est impayable ». Finalement, les gouvernements latino-américains n’eurent pas la volonté de constituer un front latino-américain pour le non-paiement de la dette.
Dans la deuxième moitié des années 1980, en Afrique subsaharienne, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées pour exiger l’arrêt des remboursements. Thomas Sankara, le jeune président du Burkina Faso, proposa lors d’une réunion de l’OUA (Organisation de l’Unité africaine) à Addis-Abeba en 1986 de constituer un front africain pour l’annulation de la dette. Après son assassinat, on ne trouvera plus un seul chef d’Etat africain pour faire avancer ce combat. Au Nord, certaines organisations ont fait office de pionnières, telle l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (AITEC) à Paris, qui a abordé le sujet dès 1983, ou le CADTM en Belgique, qui a contribué à partir de 1990 à la campagne « Ca suffat comme ci » lancée lors du G7 de 1989 à Paris (voir plus loin). Plusieurs livres écrits par Susan George, aujourd’hui vice-présidente d’Attac France, ont également eu une influence non négligeable sur le renforcement du mouvement dans sa phase initiale.
La campagne internationale prend un nouvel élan à la fin des années 1990, lors du lancement de la campagne Jubilé 2000, avec le soutien des Eglises. En mai 1998, lors du G8, à Birmingham, 70.000 personnes manifestent pour l’annulation de la dette des pays pauvres à l’appel de Jubilé 2000-Grande Bretagne. En 1999, à Johannesburg, le réseau Jubilé Sud est officiellement fondé. Son siège est aux Philippines et il regroupe des organisations de tous les continents du Sud (Asie, Afrique, Amérique latine), coordonnées par pays et par continents.
D’autres réseaux se créent dans plusieurs pays du Nord, notamment en France avec la Plate-forme « Dette et Développement », qui regroupe des ONG, des syndicats et des associations comme ATTAC ou le CADTM France. En Espagne s’est constitué en 1999 le Réseau citoyen pour l’Abolition de la Dette extérieure (RCADE), qui a organisé un referendum pour l’annulation de la dette avec la participation de plus d’un million de votants le 12 mars 2000. Ces réseaux se rencontrent lors de séminaires communs (comme à Amsterdam en avril 2000 ou à Bruxelles en décembre 2001), de conférences internationales (comme à Bangkok et à Genève en 2000, à Dakar en décembre 2000, à Gênes en juillet 2001, à Liège en septembre 2001 ou à Porto Alegre, notamment à l’occasion du Tribunal des Peuples contre la Dette en février 2002), ou de manifestations (notamment lors des sommets du G7 et des Assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale).
Plusieurs réseaux ont accompli un effort de convergence systématique. Des débats traversent le mouvement : l’annulation de la dette doit-elle être inconditionnelle ou non ? Jubilé Sud, le CADTM et le RCADE répondent par l’affirmative à cette question (les seules conditionnalités légitimes étant celles définies par les populations locales et garantissant que les fonds libérés par l’annulation seront bien utilisés pour le développement social), tandis que plusieurs campagnes Jubilé 2000 de pays du Nord (Grande-Bretagne et Allemagne, entre autres) et certaines de pays du Sud (au Pérou par exemple) défendent certaines conditionnalités « traditionnelles » définies par les créanciers. Autres sujets de débats : faut-il accompagner de manière critique la nouvelle stratégie du FMI et de la Banque mondiale ou faut-il purement et simplement s’y opposer ? Faut-il annuler la dette externe publique de l’ensemble du Tiers Monde ou seulement d’une partie des pays qui le composent (les plus « pauvres ») ?
À partir de 1999, le poids des mouvements du Sud augmente progressivement. De grandes mobilisations se déroulent au Pérou (1999), en Équateur (1999-2001), au Brésil (septembre 2000), en Afrique du Sud (1999-2000), etc. Mais la campagne ne se limite pas à des réseaux mobilisés spécifiquement sur la question de la dette. La synergie est permanente, vu les passerelles évidentes existant entre les différents thèmes de lutte, avec des réseaux actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
sur les questions des marchés financiers, des institutions financières internationales, de l’OMC, etc. Ainsi l’annulation de la dette du Tiers Monde est-elle une revendication centrale de la plate-forme internationale du mouvement ATTAC ; ainsi les organisations comme 50 Years is Enough (Etats-Unis), Bretton Woods Project (Grande-Bretagne) ou Agir Ici (France) sont-elles logiquement en faveur de l’annulation de la dette responsable des plans d’ajustement du FMI et de la Banque mondiale contre lesquels elles luttent ; ainsi le mouvement paysan international Via Campesina (70 millions de paysans membres, et dont le siège est au Honduras) combat-il également la dette. La Marche mondiale des Femmes, elle aussi, reprend la revendication ; les grandes confédérations syndicales internationales CISL et CMT (Confédération internationale des syndicats libres et Confédération mondiale du Travail) apportent leur soutien ; enfin, des réseaux actifs sur le commerce international, tel Focus on the Global South, défendent l’annulation de la dette, dans la mesure où celle-ci est utilisée comme moyen de chantage par les créanciers pour imposer aux débiteurs l’ouverture maximale de leur économie.
Le CADTM en campagne : Abolir la dette pour libérer le développement
La campagne « Abolir la dette pour libérer le développement » est menée par le réseau international CADTM en partenariat étroit avec le Centre national de Coopération au Développement (CNCD) - Belgique -, le Conseil des ONG d’Appui au Développement (CONGAD) au Sénégal, le Conseil national des ONG de Développement (CNONGD) de la République démocratique du Congo.
À partir d’une réflexion sur les ravages de l’endettement, particulièrement en Afrique, les organisations impliquées ont décidé de réaliser un travail coordonné pour l’annulation de la dette, l’arrêt des plans d’ajustement structurel et la concrétisation d’un développement humain porté par un financement alternatif. Il s’agissait de démontrer la détermination des mouvements sociaux à poursuivre le combat après la fin de l’année jubilaire 2000 quand, malgré 24 millions de signatures récoltées dans le monde entier, le G7, le FMI et la Banque mondiale se montraient incapables d’apporter des solutions structurelles au désastre social engendré par la dette des pays du Sud.
La campagne a démarré fort en décembre 2000 avec la tenue d’une rencontre panafricaine et internationale à Dakar (« Des résistances aux alternatives ») qui se plaçait comme un maillon dans la chaîne des réunions africaines revendicatrices du changement. A partir de cet événement, premier résultat, les organisations africaines se sont engagées à mettre en place un réseau actif pour porter les revendications alternatives avec les organisations européennes qui les soutiennent. Les organisations du Nord se sont de leur côté engagées à développer une vaste campagne d’éducation au développement.
Le CADTM a fourni un premier instrument de campagne avec le livre Afrique. Abolir la dette pour libérer le développement, rapidement suivi des ouvrages Sortir de l’impasse et 50 questions - 50 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale. Depuis le début de la campagne, avec les différents partenaires, des formations ont été réalisées, ainsi que des modules d’animation, des activités publiques, une exposition, un dossier pédagogique, des revues...
De nombreux outils sont ainsi mis à la disposition d’un large public. Leur diversité répond à des attentes différentes : volonté de vulgarisation (pièce de théâtre, concerts, activités ludiques...), de sensibilisation (publications d’analyses), de mobilisation (manifestations lors de réunions politiques cruciales, consultations populaires lors d’échéances électorales, pétitions, etc.).
Le réseau CADTM entend ainsi contribuer au renforcement du mouvement social au Nord et au Sud pour l’annulation de la dette du Tiers monde, et au remplacement des politiques d’ajustement structurel par des politiques visant la satisfaction des besoins et des droits fondamentaux tels que définis par le droit international.
Pour le CADTM, l’Appel de la Bastille, rendu public en 1989 à Paris, est un texte fondateur. Cette année-là, en juillet, un contre-sommet est organisé dans la capitale française en opposition au sommet du G7 (le groupe des sept pays les plus industrialisés : Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Japon) tenu à l’invitation du président de la République, François Mitterrand, alors que les festivités du bicentenaire de la Révolution française battent leur plein partout en France. Ce contre-sommet, baptisé « Premier Sommet des Sept Peuples parmi les plus pauvres » , entend prendre radicalement le contre-pied de la philosophie du G7, en faisant résonner la voix non pas des plus riches, mais des plus pauvres, et la voix des peuples, plutôt que celle des chefs d’Etat les plus puissants. En l’occurrence, les pays pauvres représentés à Paris sont le Bengladesh, le Brésil, le Burkina Faso, Haïti, le Mozambique, les Philippines et le Zaïre.
La rencontre fut l’occasion d’un forum où l’on débattit notamment de questions écologiques, de la situation économique mondiale, de la dette asphyxiant les pays du Tiers Monde, ou encore des relations Sud-Nord et Est-Ouest. Elle donna lieu également à une grande manifestation convoquée à l’initiative – notamment – de l’écrivain Gilles Perrault, qui voulait, face à l’instrumentalisation du Bicentenaire par le gouvernement français, “voir les révolutionnaires de 1989 célébrer ceux de 1789”. La mobilisation se termina par un concert géant, Place de la Bastille, organisé par le chanteur Renaud sous le mot d’ordre « Dette, apartheid, colonies, ça suffat comme ci ! » , auquel participèrent Johnny Clegg et de nombreux autres artistes.
L’Appel de la Bastille est le fruit de ces journées de juillet 1989, rendues possibles par une coalition d’associations, de mouvements sociaux et de citoyens résolus à témoigner de leur engagement aux côtés du “Tiers-Etat” de la planète.
A la veille du vingt et unième siècle, le bonheur reste une idée neuve. Nous vivons dans un monde où toutes les conditions de ce bonheur sont réunies mais où le plus fort taux de croissance est atteint par la misère... Un monde où la faim tue chaque jour des dizaines de milliers d’enfants, allume l’émeute sur trois continents, assassine l’espérance. Un monde qui mutile l’existence des femmes, victimes toujours prioritaires quand la lutte pour la simple survie aggrave les oppressions traditionnelles. Le responsable de ces tragédies est un impérialisme économique qui saigne à blanc le Tiers Monde et l’écrase sous le poids de la dette. Il a ses concurrences internes mais la cohésion est sans faille lorsqu’il s’agit d’assurer sa domination. Seule la solidarité des peuples peut briser son pouvoir. Cette solidarité ne signifie en aucun cas un soutien à ceux des régimes qui parachèvent la misère de leur pays, étouffent la voix et les droits des peuples.
Après les manifestations de juillet 89 à Paris lors du sommet des 7 et contre la dette, nous en appelons à l’union de toutes les forces progressistes du monde. L’annulation de la dette ne résoudra pas tous les problèmes mais elle est un préalable à toute solution de fond. S’y refuser vaudrait refus d’assistance à peuples en danger. Ensemble, nous pouvons et devons imposer l’annulation totale, immédiate de la dette du Tiers Monde. Ensemble, nous pouvons et devons ranimer l’espérance, faire en sorte que la justice et l’égalité soient l’avenir commun.
[1] En Belgique, les personnes morales qui ont contribué à la fondation en 1990 du CADTM sont issues d’horizons divers et témoignent du caractère pluriel du CADTM : des mouvements d’éducation populaire (Equipes Populaires — mouvement d’éducation permanente lié au Mouvement ouvrier chrétien —, Fondation Joseph Jacquemotte, Fondation Léon Lesoil, Union des Progressistes juifs de Belgique), des syndicats (deux régionales de la CGSP, Centrale générale des Services publics — celle de Liège et celle du Limbourg —, l’ensemble du secteur Enseignement de la CGSP, la régionale d’Anvers de l’ACOD Onderwijs, la Fédération des métallurgistes de la Province de Liège) des ONG (Peuples solidaires, GRESEA, Forum Nord-Sud, Centre Tricontinental, Socialisme sans Frontières, FCD Solidarité Socialiste, Oxfam Solidarité, Centre national de Coopération au Développement), de comités de solidarité (Comité Mennan Men-Haïti, Comité Amérique centrale de Charleroi), des mouvements de la paix (Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie — CNAPD —, VREDE), des partis (Parti ouvrier socialiste, Parti communiste), et une association féminine “ Refuge pour femmes battues et leurs enfants ”.
[2] Le CADTM a pour objet « d’améliorer l’information et la formation sur les problèmes de développement et en particulier dans le cadre des relations ‘Nord-Sud’ ; de prendre toutes initiatives, d’organiser toutes actions, de diffuser toutes informations et de réaliser tous projets de nature à favoriser la solidarité internationale entre citoyennes et citoyens du monde, qu’ils vivent au nord ou au sud, à l’est ou à l’ouest ; de favoriser l’émergence d’un monde plus juste dans le respect de la souveraineté des peuples, de la justice sociale, de l’égalité entre les hommes, et entre ceux-ci et les femmes. ” (Extrait des statuts parus au Moniteur belge, 6 février 1992).
[3] Pour une présentation plus complète des alternatives proposées par le CADTM, voir Eric Toussaint, La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, chapitre 19, co-édition CADTM (Bruxelles) - Syllepse (Paris) - CETIM (Genève), 2004.
[4] ALCA, Acuerdo de Libre Comercio de las Américas ; ZLEA, Zone de libre-échange des Amériques.