Tsipras n’a jamais envisagé une option de sortie de l’€

23 juin 2016 par Daniel Munevar , Nathalie Barsacq


Nous publions le compte rendu de la conférence donnée par Daniel Munevar à Nuit Debout, Place de la République à Paris le 18 juin 2016. Les thèmes abordés : Politique de l’UE, liens avec les enjeux Grecs et avec l’€ + stratégies pour sortir de l’€.

Économiste originaire de Bogotá, en Colombie, il a travaillé de mars à juillet 2015, comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette. Il a été aussi conseiller spécial pour les investissements directs à l’étranger auprès du Ministère des Affaires étrangères de l’Équateur. C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique en Amérique latine. Il est membre du CADTM et membre fondateur avec Zoe Kostantopoulou de l’association qui doit poursuivre les travaux de la commission sur la vérité de la dette grecque. Il a participé aux mouvements des Indignés et d’Occupy.



Daniel Munevar commence par exprimer le fait qu’il fait partie de la première génération qui aura moins d’avantages et de revenus que ses parents.

L’Europe est piégée entre 2 forces : la peur de l’inconnu et les politiques de la haine, cf. L’Angleterre, la campagne Brexit : le camp qui milite pour rester dans l’Europe joue sur la peur du lendemain en cas de sortie. De l’autre côté tous les gens qui voient leur retraite et salaire diminuer sont en colère. Cette ambiance est exploitée par l’extrême droite avec des modalités ressemblant à ce qui a conduit à l’émergence de la seconde guerre mondiale. Cette opposition entre peur et colère s’applique aussi à la Grèce lorsque la sortie de l’€ s’est posée comme question. Il y a eu dichotomie dans les résultats du référendum : Ce sont principalement les plus jeunes, qui n’avaient rien à perdre, qui ont voté non. Ceux qui ont voté pour le oui sont plutôt des retraités qui avaient peur de perdre leur retraite.

Daniel Munevar a longtemps étudié les techniques qu’impliquerait une sortie de l’€, il en arrive à la conclusion qu’en fait ce n’est pas une question technique mais bien une question politique. La Grèce en est un bon exemple, si elle était sortie de l’€ en juillet 2015, elle aurait dû se confronter à des circonstances très particulières. Nous vivons dans une société capitaliste où la monnaie est le ressort des toutes les relations sociales. Les gens se demandent avant tout comment être payés, faire les courses, payer les médicaments etc… Dans des circonstances de sortie de l’€, le seul moyen de maintenir une cohérence sociale – ce qui est absolument nécessaire – c’est la confiance. Pour créer une nouvelle monnaie à partir de rien, il faut que les gens puissent établir entre eux la confiance, il faut une discussion ouverte dans la société, pas forcément un consensus, mais il est nécessaire que les gens soient informés afin d’être préparés à une sortie de l’€.

La Grèce n’était pas préparée, malgré les plans des économistes, elle n’était pas préparée car Tsipras n’a jamais envisagé une option de sortie de l’€, pas seulement en tant que 1er ministre mais aussi en tant que candidat. Si finalement, en juillet 2015, Tsipras avait déclaré « je ne suis pas d’accord », il y aurait pu y avoir des mouvements imprévisibles, avec des répercussions graves, et éventuellement des morts. La question clé est donc bien la préparation politique.

Le problème de la Grèce, c’est qu’elle est un petit pays qui a une dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
énorme et qui, de ce fait, est très dépendante du reste du monde. Vu sa taille, elle n’a pas le pouvoir de faire évoluer le système européen, sa seule possibilité est d’en sortir. Ce qui s’applique à la Grèce ne s’applique pas à la France qui est la 2cde puissance économique de l’Europe, elle a le poids et le pouvoir de faire évoluer les choses. La France ne le fera peut-être pas, mais, de par sa position centrale dans l’UE, elle est en position de peser largement sur les décisions, si elle le veut.


Question : Tsipras soutient qu’une sortie de l’Europe déboucherait sur la guerre, on ne peut pas lui demander de vouloir en sortir…

En Allemagne, dans les années 20 (entre 2 guerres) il y avait une alliance entre ceux qui prônaient le réarmement et ceux qui prônaient l’abandon de la règle d’or.

Il y a une difficulté à argumenter du point de vue de la gauche, car il y a le discours de l’extrême droite xénophobe qui est secondairement pour la sortie de l’€. La dette de la Grèce est un cas particulier car elle restée stable de 2002 à 2008, mais pendant cette même période la dette des ménages et des entreprises équivalait à 100% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Lorsque la crise se déclenche, il y a un phénomène de socialisation de la dette qui passe de 120 à 170 points, cela tient au fait que les banques privées ont transféré leurs dettes sur le public.

Si on pense à la sortie de l’€ on peut utiliser l’analogie d’une toile d’araignée : Il y a des milliers de ramifications, et si l’on touche à l’une d’entre elles, cela a une influence sur une autre. C’est si compliqué qu’on ne peut exclure des conséquences catastrophiques, le seul moyen de faire face est d’avoir une population soudée et convaincue. Un bruit a couru sur un collège de 500 économistes qui se serait penché sur la sortie de la Grèce de l’€, mais, même s’il avait existé, ça n’aurait pas réglé le problème.


Question : Projets Erasmus… il faut remettre en cause l’idée même de concurrence au sein de l’Europe !

Il n’y a pas d’argument positif en faveur de l’€. Le système de l’€ est fait pour absorber les chocs économiques, et, pour cela, sa seule logique est de diminuer les salaires et les retraites. Les gens ne sont pas contents de voir leurs revenus baisser, mais ils se disent qu’ils pourront toujours acheter des biens, malgré tout. Par contre, s’ils sortent de l’€, ils s’interrogent sur la question de savoir s’ils pourront continuer à acheter ne serait-ce qu’à manger. L’enjeu est donc de faire émerger un débat sur comment faire mieux et autrement avec l’Europe, de parvenir à mettre de côté les peurs, car nous sommes capables de faire beaucoup mieux.


Question : Est-ce qu’il est possible qu’un parti Européen se crée, qui ne serait pas un conglomérat de partis nationaux ?

C’est de fait l’initiative de Varoufakis (cf. parti DIEM 25) qui est un projet assez utopiste. Ce qui motive cette initiative c’est d’empêcher le retour de situations type années 20 et 30.

Mais un parti Européen peut recueillir 20% dans un pays et même 25% dans un autre, si ce parti n’est pas au gouvernement dans les pays concernés, ça ne le mettra pas en position de faire évoluer les institutions européennes.


Question : En Grèce il y a une révision de la Constitution qui se prépare, elle a été annoncée par le gouvernement Tsipras, on n’en connaît pas le contenu mais un think tank néolibéral a publié le contenu de cette révision…. Un amendement prévoit que les limites de la souveraineté nationale pourraient être redéfinies par simple décision du parlement…

Tous les jours on entend que tout se décide à Bruxelles, qu’il n’y a plus de marge au niveau des États, mais Valls a fait usage du 49.3 pour la Loi travail, l’État Français a donc bien, encore du pouvoir. Beaucoup de gouvernements Européens se lavent les mains de leurs responsabilités en s’abritant sous le bouclier des décisions Européennes. C’est ce que fait Tsipras qui vend son pays sans états d’âme. Mais les peuples ont encore du pouvoir, on le voit ici, en France.


Question : La toile d’araignée pour sortir de l’€, mais… c’est pas mieux si on y reste ! EDF en Crête, les parcs d’éoliennes… sous la houlette de Tsipras, les terres sont vendues à un mastodonte français. Les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
 : la moitié du PIB mondial y dort, ce sont Juncker, Lagarde, les gouvernements, qui sont complices. En Grèce, on demande la baisse des retraites jusqu’à 350€/ mois, jusque où ça va aller ?

Vos comptes en banque sont en €, si on change de monnaie, les codes IBAN (qui sont internationaux) font que c’est moins facile de changer de monnaie que de juste dire qu’on va revenir au Franc, par exemple ; il faut changer des législations, des connexions entre systèmes bancaires etc. d’où la métaphore de la toile d’araignée, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas possible, mais que c’est complexe, et que cela nécessite qu’il y ait un consensus politique au sein de la population.


Question : Quid des monnaies complémentaires… du double système ?

Oui c’est possible, mais il existe un concept, la Gresham Law, qui dit que, dans un système, la mauvaise monnaie chasse toujours la bonne. En Argentine en 2001, il y a eu un effondrement monétaire et la monnaie a cessé d’être reliée au $. Les gens ont commencé à garder leurs $ sous le matelas, puis le gouvernement a mis en circulation des pesos, qui ont, eux aussi disparu de la circulation, car les gens ont fait la même chose avec les pesos, ils les ont mis sous le matelas. Le gouvernement a alors mis en place d’autres monnaies (locales) qui étaient les seules à circuler, mais à force d’en imprimer, elles se sont dévaluées, au point de ne plus pouvoir servir de monnaie d’échange. Dans certains magasins on pouvait lire : « nous acceptons les $, les pesos, les monnaies locales, et tout ce que vous pensez qui pourrait servir de monnaie d’échange ». Dans certaines régions néanmoins, on a réussi à maintenir les monnaies locales en limitant leur mise en circulation.


Question : Est-ce qu’il y a corrélation directe entre combien un pays détient d’€ et sa possibilité de sortir de l’€ ?

Le gouvernement Grec a commis LA grosse erreur stratégique en acceptant de continuer de payer la dette à la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
. Il l’a fait alors qu’il n’y avait pas de trésorerie, il a donc utilisé tout ce qu’il pouvait trouver comme trésorerie à travers le pays. Au moment du référendum, il n’avait rien pour payer le pétrole, les denrées… Plus il y a de réserves de trésorerie plus c’est facile de manœuvrer dans les négociations.


Question : Le gouvernement Grec n’a pas accès à l’information exacte sur les réserves de trésorerie, depuis l’entrée du pays dans la zone € (comme le reste des pays de la zone) seul le gouverneur de la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. Grec détient ce type d’informations.... Si on sort de l’€ il faudra reconstruire l’État, comme en Grèce où il n’y en a plus. L’Europe se fout des partis et de la démocratie, sortir de l’€, je veux bien qu’on en débatte, mais je suis assez sceptique

Il y a 2 choses :

  • La quantité de billets dont la banque centrale dispose dans ses coffres, ça, ça n’est pas accessible à l’État.
  • Combien d’argent entre et sort, ça, ça l’est.

Il faut signaler le rapport du gouverneur de la banque centrale grecque qui a dit que s’il n’y avait pas d’accord avec l’UE, le pays allait s’effondrer. L’effet de cette annonce a été que les citoyens ont commencé à retirer d’avantage d’argent des banques, ce qui a augmenté la pression sur le gouvernement. Mais il y a quelques semaines, ce même gouverneur a publié un article dans le Financial Times pour dire qu’il faut que l’excèdent primaire soit moindre et que le gouvernement ait plus de marge de manœuvre pour faire de la politique économique. Maintenant que les décisions sont prises, il change de position !


L’animation de la rencontre avec Daniel Munevar, ainsi que sa traduction depuis l’anglais, ont été assurées par Manolis Kosadinos. Sa retranscription, rédigée par Natalie Barsacq, n’a pas été relue par Daniel Munevar.


Daniel Munevar

est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.

Autres articles en français de Daniel Munevar (45)

0 | 10 | 20 | 30 | 40