Une Action mondiale contre la pauvreté ?

24 juin 2005 par Francine Mestrum


En janvier 2005 fut lancé un appel mondial de lutte contre la pauvreté. Nous étions à Porto Alegre, Brésil, avec une centaine d’ONG. Le président Lula était également présent. Après l’événement, Lula partit pour Davos, au Forum économique mondial. L’appel y fut accueilli avec le même succès. Qu’est-ce que cela veut dire ?



Une première conclusion qui s’impose est celle d’une rencontre entre Porto Alegre et Davos est en préparation. Beaucoup d’ONG n’y seraient pas contraire et y verraient la preuve du succès des luttes alterglobalistes. Elles prétendent que c’était la toute première fois que la pauvreté était à l’ordre du jour de Davos. Elles se trompent. La pauvreté à été mise à l’ordre du jour politique international par la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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. En 1990, celle-ci lança un nouvel appel pour faire de la lutte contre la pauvreté la priorité de la coopération au développement. Progressivement, un consensus mondial s’est mis en place sur cette priorité. Le G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. a également discuté de plusieurs rapports sur la pauvreté mondiale. La pauvreté et la cohésion sociale ont fait l’objet de plusieurs débats à l’occasion des forums économiques de Davos. Aujourd’hui, il semble plutôt que ce soient les ONG qui suivent les organisations internationales. S’il y a une rencontre entre Porto Alegre et Davos, c’est Porto Alegre qui s’approprie l’agenda de Davos, et non l’inverse.

Une deuxième conclusion pourrait être que la pauvreté est en voie de devenir une réelle priorité des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
internationales. Hélas, ce n’est pas le cas. Il est tout à fait normal que le thème de la pauvreté soit une des préoccupations majeures des ONG, mais il ne faut pas oublier que cette ‘pauvreté’ veut dire tout autre chose chez les organisations internationales. La lutte contre la pauvreté de la Banque mondiale est un programme néolibéral qui vise à donner un ‘visage humain’ à la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale et non pas à aider réellement les pauvres. Jusqu’à présent, les politiques des institutions de Bretton Woods sont plutôt à l’origine de beaucoup de pauvreté. Appuyer ces politiques de lutte contre la pauvreté, c’est perpétuer le Consensus de Washington. La Banque mondiale publie des statistiques positives sur la réduction de la pauvreté, ce qui n’est possible que grâce aux résultats de la Chine et de l’Inde, deux pays qui ne sont pas soumis aux politiques du Consensus de Washington. En Amérique latine, la pauvreté reste assez élevée. Les salaires ne se sont jamais rétablis de la crise des années ’80. En Afrique, la pauvreté continue d’augmenter.

L’appel lancé par les ONG à Porto Alegre n’est pas trop clair. Pour certains, il s’agit de réaliser avant tout les ODM (Objectifs du millénaire), un ensemble de 8 indicateurs sociaux adoptés par le Sommet du Millénaire de l’ONU en septembre 2000. Le premier objectif est celui de réduire de moitié la pauvreté extrême d’ici 2015 par rapport à 1990. Pour d’autres, les ODM n’ont rien à voir avec l’appel. Ils mentionnent par contre l’annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure des pays pauvres, le commerce équitable ou encore le contrôle des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Apparemment, l’appel est comme une auberge espagnole, chacun y trouve ce qu’il y cherche.

Par conséquent, il peut être utile d’analyser les politiques de lutte contre la pauvreté ainsi que les ODM. Selon les estimations les plus traditionnelles, la moitié de la population mondiale vit dans la pauvreté, tandis qu’un milliard de personnes vit dans le luxe. Pour la Banque mondiale, ‘pauvreté’ signifie une vie avec moins de 2 $ par jour. ‘Extrêmement pauvres’ sont ceux et celles qui vivent avec moins de 1 $ par jour. Sans m’attarder sur la pertinence (très limitée) de ces seuils de pauvreté, je propose une réflexion sur le sens des stratégies dite de lutte contre la pauvreté. Pour conclure, je propose une alternative.

Lutte contre la pauvreté ou contre le développement ?

La Banque mondiale a mis, en 1990, la pauvreté à l’ordre du jour politique international. En cette même année, le PNUD PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
a publié son premier rapport sur le ‘développement humain’. En 1995, l’ONU organisa son premier et dernier sommet mondial sur le développement social. C’est là qu’un consensus mondial sur la priorité à donner à la lutte contre la pauvreté fut forgé. En 1996, l’ONU proclama le début de sa première ‘Décennie’ pour l’éradication de la pauvreté. En 2001, le G7 de Gêne discuta pour la première fois d’un rapport sur la pauvreté mondiale. Il est donc tout à fait exact de dire que la pauvreté fait l’objet d’une mobilisation mondiale au plus haut niveau.

Mais que veulent dire les organisations internationales quand elles parlent de ‘pauvreté’ ? Le cadre idéologique fut mis en place dès le début des années ’90, essentiellement chez la Banque mondiale. Pour elle, la pauvreté est un problème d’individus qui n’ont pas accès au marché. Les structures sociales et politiques peuvent en être responsables, par exemple en discriminant les femmes. Mais dans la plupart des cas, ce sont les gouvernements qui sont coupables en limitant la liberté des marchés. La sécurité sociale, les salaires minimums et les régulations sur les marchés du travail empêchent les pauvres d’avoir accès aux opportunités lucratives. La meilleure façon d’aider les pauvres, toujours selon la Banque, c’est d’avoir une ‘saine’ politique macro-économique, d’ouvrir les frontières aux marchandises, aux services et au capital, et de déréguler le marché intérieur. Les entreprises publiques ne servant pas les pauvres, il vaut mieux les privatiser. Bref, c’est la continuation des politiques du Consensus de Washington mais avec une étiquette ‘stratégie de lutte contre la pauvreté’. Aujourd’hui, c’est au nom de cette lutte contre la pauvreté, que toutes les réformes néolibérales peuvent être imposées.

La pauvreté est présentée comme étant un problème d’intérêt commun. Elle serait le pivot de toute une série d’autres problèmes ‘interdépendants’, tels la dégradation de l’environnement, les migrations, la délinquance et le terrorisme, les épidémies, etc. La lutte contre la pauvreté serait donc dans l’intérêt commun de toute la communauté internationale. Et ce ne sont donc pas les droits des pauvres qui inspirent les politiques. Il est évident que la protection de cet intérêt commun ne peut être laissée entre les mains des pays pauvres dont ‘nous savons’ qu’ils n’ont pas de ‘bonne gouvernance’. Bref, ce sont la Banque mondiale et le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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qui se responsabilisent de la lutte contre la pauvreté et qui, de cette façon, acquièrent un contrôle total sur toutes les politiques et le budget des pays pauvres. Actuellement, toutes les dépenses publiques sont examinées en fonction de leur pertinence pour la réduction de la pauvreté, toujours dans le sens de Bretton Woods

La pauvreté serait essentiellement un problème de femmes, et surtout des femmes chefs de ménage. Dans ce discours, ce sont l’ONU et le PNUD qui sont les acteurs principaux. Néanmoins, ces institutions ne peuvent qu’admettre qu’en fait, elles ne savent pas grand-chose de la pauvreté monétaire des femmes. Elles ne peuvent parler que de toutes les discriminations dont les femmes sont les victimes, partout dans le monde. La pauvreté est mesurée au niveau des ménages. Par conséquent, la pauvreté monétaire des femmes n’est pas connue car nous ne savons rien de la distribution intra-domestique des revenus. Mais en associant la pauvreté aux femmes, l’accent peut être mis sur les dimensions non-monétaires de la pauvreté et le revenu peut être mis à l’écart. ‘Les pauvres ne parlent pas d’argent’, dit la Banque mondiale dans son rapport sur l’évaluation participative de la pauvreté. En analysant ce rapport, l’on voit que les pauvres parlent bel et bien de leur revenu, mais que la Banque interprète ces propos constamment d’une autre façon. C’est ainsi que la pauvreté devient l’effet d’une discrimination. Et la ‘féminisation de la pauvreté’ permet de créer une catégorie de ‘pauvres méritants’ qui doivent être aidés. Ce sont les pauvres tels que la Banque les aime bien : travailleurs, apolitiques et non rebelles.

Bref, cette pauvreté va comme un gant aux politiques néolibérales. Aucun besoin de penser aux revenus ou à la distribution des revenus. Il suffit d’éliminer les discriminations. La pauvreté est surtout une affaire de ‘bonne gestion’ : stabilité macro-économique, libre-échange et tous les autres éléments du Consensus de Washington.

Il est frappant de constater que dans ce discours sur la pauvreté, toutes les demandes des pays pauvres ont disparu. En fait, c’est le ‘développement’ qui n’a plus lieu d’être. Malgré les critiques que l’on peut formuler à l’égard des anciennes politiques de développement, celui-ci était considéré comme étant avant tout un projet national de changement et d’émancipation. Le développement économique aurait dû provoquer la modernisation de l’appareil de production et du marché intérieur. Le développement social aurait dû mettre fin aux sociétés duales avec une poignée de riches et des masses pauvres. Le développement politique aurait progressivement démocratisé les institutions. Ces processus parallèles seraient le résultat des efforts combinés des pays riches et des pays pauvres afin d’arriver à une distribution équitable du commerce et de la production et à une distribution de la croissance et/ou des revenus.

Aujourd’hui, le développement national est oublié, tout comme l’économie du développement. On ne trouve plus de définitions du développement économique, mais seulement du ‘développement humain’ ou de la pauvreté. L’économie fait désormais partie de la nature. Elle obéit à des ‘lois’ que nous ne pouvons pas changer. Nous ne pouvons que les observer et faire ainsi qu’elles fonctionnent en faveur des pauvres.

Les stratégies de réduction de la pauvreté

A la fin des années ’90, ce discours avait révélé tous ses secrets. Néanmoins, les ONG étaient enthousiastes de voir que le FMI changeait, en 1999, sa ‘Facilité renforcée d’ajustement structurel’ en une ‘Facilité pour la croissance et pour la réduction de la pauvreté’. Pourtant, il n’y avait que le nom qui changea. Concrètement, les pays qui demandaient un réaménagement ou une réduction de leur dette extérieure ou qui voulaient un prêt concessionnel, devaient introduire un ‘PRSP’, un ‘Poverty Reduction Strategy Paper’ ou document stratégique de réduction de la pauvreté. Les pays pauvres doivent en être les ‘propriétaires’, mais la Banque mondiale et le FMI surveillent à leur rédaction. Ce sont eux qui doivent les approuver avant d’accéder à la demande des pays. Elles demandent une participation aussi large que possible, notamment des différents ministères, de la société civile et des donateurs.

Ces PRSP sont entrés en vigueur il y a cinq ans. Leur analyse ne laisse pas de place aux doutes. Partout, les politiques néolibérales sont confirmées. Les privatisations continuent, actuellement axées sur le secteur des services. On n’y trouve aucune mention de politiques sociales, sauf pour l’éducation et les soins de santé (‘capital humain’ !). L’Etat n’est pas responsable de l’offre de ces services. La sécurité sociale ou les droits économiques et sociaux n’y ont pas de place. Ces PRSP concernent toutes les réformes possibles, sauf la façon dont les pauvres pourraient trouver une source de revenu.

Les ONG ont confiance dans le potentiel de la participation. Bien que celle-ci soit loin d’être satisfaisante, elles y voient un levier pour changer les politiques. Ainsi pourrait être créée une nouvelle dynamique en faveur des pauvres. Jusqu’à présent, cela ne s’est produit nulle part. Il est rare que les syndicats soient invités à participer à la rédaction du document. Dans bien des pays, les mouvements sociaux ont rédigés un PRSP parallèle pour marquer leur désaccord avec le document officiel.

Les objectifs du millénaire

A peine un an après le sommet social de l’ONU à Copenhague, l’OECD publia un document sur les ‘objectifs internationaux du développement’. Il est vrai que pour les mouvements sociaux, Copenhague n’avait pas donné de résultats véritablement satisfaisants. Mais le programme d’action comprenait tout de même trois chapitres équilibrés sur la pauvreté, l’emploi et l’intégration sociale. Les grands principes néolibéraux sont mentionnés un peu partout. Néanmoins, les Etats-membres y avaient donné leur accord pour favoriser une sécurité sociale universelle, pour promouvoir le plein emploi et ils avaient conseillé d’adopter un pacte 20/20. Si les pays riches donnaient 20 % de leur aide au développement à des objectifs sociaux, les pays pauvres s’engageaient à dépenser 20 % de leur budget à des politiques sociales. C’est sans doute ce qui allait trop loin aux yeux de certains. Les objectifs internationaux pour le développement ne parlaient plus que d’une réduction de moitié de la pauvreté extrême entre 1990 et 2015, d’une limitation de la mortalité infantile et maternelle, d’une généralisation de l’enseignement primaire, d’un accès égal pour les filles et les garçons à l’enseignement primaire, d’une réduction du sida, du paludisme et de la Tbc et d’un développement durable. C’est pendant la conférence de vérification de Copenhague, en 2000, à Genève, que le document sur les objectifs internationaux fut présenté avec les signatures de l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
, de la Banque mondiale, du FMI et de l’ONU. Les mouvement sociaux, qui avaient joué un rôle majeur pendant tout le processus de Copenhague, étaient consternés.

En septembre 2000, à l’occasion du Sommet du Millénaire de l’ONU, une déclaration comprenant ces objectifs fut adoptée par tous les Etats-membres. Y fut ajouté un ‘partenariat global pour le développement’, avec les promesses des pays riches. Ce sont ces objectifs que l’on appelle aujourd’hui ‘les objectifs du millénaire’ et qui sont présentés comme un agenda ambitieux pour le développement. Voilà ce qui nous incite à les regarder de plus près.

Dix arguments contre les ODM

Premièrement, on ne peut que constater que ces objectifs sont loin d’être ambitieux et qu’ils n’ont rien à voir avec le développement. Ils ne constituent même pas une lutte contre la pauvreté. Ils ne visent qu’à réduire de moitié la pauvreté extrême entre 1990 et 2015. Selon la Banque mondiale, il s’agit d’un milliard de personnes. Selon Kofi Annan, cette pauvreté est comme une ‘condamnation à mort’. Cela signifie que nous laissons mourrir 500 millions de personnes, au rythme de 20.000 par jour.

Deuxièmement, il devrait être clair que dans des pays où le taux de pauvreté est supérieur à 50 %, il est impossible de réduire la pauvreté sans développement. Ce dont ces pays ont besoin est un programme complet de développement économique et social, afin d’augmenter leurs capacités productives, de développer un marché intérieur, de réduire les inégalités et d’introduire des programmes de protection sociale. Les pays pauvres ne doivent pas produire en première instance pour l’exportation, mais doivent avoir une possibilité de protéger leurs productions contre les importations à bas prix des pays riches. Leurs dettes extérieures doivent être annulées pour qu’ils puissent utiliser leur revenu pour leur propre développement.

Troisièmement, il est impossible de lutter contre la pauvreté dans le cadre des politiques néolibérales actuelles. La privatisation et la dérégulation n’ont pas encore produit de la croissance et n’ont pas encore réduit la pauvreté.. Après vingt ans d’ajustements structurels, cette vérité mérite d’être dite et répétée. Il est donc urgent de rompre avec la logique néolibérale.

Quatrièmement, les pays pauvres, dit-on, n’ont pas de ‘bonne gouvernance’. C’est tout à fait vrai et c’est inévitable après vingt ans d’efforts par les institutions de Bretton Woods d’affaiblir les Etats et de réduire leurs ressources. La bonne gouvernance est impossible dans un pays extrêmement pauvre. Voilà ce qui indique que les organisations internationales ont sans doute un agenda qui ne vise pas que la lutte contre la pauvreté.

Cinquièmement, les objectifs du millénaire ont été imposés du haut vers le bas, en dépit de tous les discours sur l’appropriation (‘ownership’) par les pays pauvres. Ces pays n’ont aucun choix à faire prévaloir. C’est pourquoi ils doivent acquérir d’urgence une autonomie politique afin de définir eux-mêmes leurs priorités de développement.

Sixièmement, ces ODM n’ont aucun lien avec les PRSP. Les deux stratégies ont été introduites presque simultanément, mais les unes ne tiennent pas compte des autres. Ce n’est que tout récemment que la Banque a proposé d’introduire les ODM dans les PRSP et que ceux-ci sont considérés pour le court terme. Originellement, ils étaient prévus pour le long terme.

Septièmement, les ODM ignorent totalement les causes structurelles de la pauvreté. Si l’ensemble de l’aide au développement était consacré aux ODM, la pauvreté pourrait néanmoins continuer à augmenter. Il n’y a pas un mot sur le contexte mondial et national dans lequel la pauvreté émerge.

Huitièmement, il manque quelques éléments essentiels à la lutte contre la pauvreté. Tel est le cas pour l’égalité entre hommes et femmes et pour la santé reproductive des femmes. Ces éléments étaient bien présents dans le document de l’OCDE, mais ont été éliminés dans la version de l’ONU. Les ODM ne parlent pas non plus du travail et des droits économiques et sociaux ou de la protection sociale.

Neuvièmement, ces ODM ne seront pas réalisés car les pays riches sont trop avares. Selon Jeffrey Sachs, le directeur du programme du millénaire de l’ONU, les pays riches devraient dépenser entre 0,45 et 0,54 % de leur RNB afin de permettre la réalisation des ODM. Mais l’argent n’y est pas, malgré les promesses faites en 2002 à Monterrey.

Dixièmement, les promesses des pays riches ne sont pas quantifiées, contrairement aux obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
des pays pauvres. Voilà encore un élément qui jette des doutes sur l’objectif de ‘la lutte contre la pauvreté’.

Ces dix points ne sont qu’un résumé des critiques majeures à l’égard des ODM. Ce qu’il faut constater, à la lumière de ces constats, est la grande cohérence des politiques des organisations internationales. Bien qu’elles disent vouloir réduire la pauvreté, nous ne pouvons que constater qu’elles permettent surtout à quelques non pauvres de s’enrichir.

La cohérence des politiques

Ces objectifs du millénaire ne changent rien au ‘Consensus de Washington’. Celui-ci reste toujours valable, comme nous l’avions déjà constaté dans les premiers documents de la Banque mondiale sur la pauvreté et dans les PRSP.

Cela signifie que la ‘lutte contre la pauvreté’ sert à imposer davantage de réformes néolibérales aux pays pauvres, celles-ci étant dans l’intérêt des pauvres. Cela permet également d’introduire des modèles politiques et économiques relativement homogènes. Et cela signifie surtout un contrôle quasi complet des institutions de Bretton Woods sur tous les aspects des politiques intérieures des pays pauvres.

Cela signifie également que les pays pauvres sont encouragés à continuer à privatiser leur secteur public. Ou, pour utiliser l’euphémisme de Jeffrey Sachs, d’augmenter les investissements publics. Sans doute, la leçon des échecs dans le secteur des services est-elle assumée. Aujourd’hui, les pays pauvres auront besoin de financements afin de conclure des PPP (‘public private partnership’), des partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Il faut que les gouvernements se responsabilisent. A eux de se charger des infrastructures, aux entreprises privées d’encaisser les revenus. Ainsi, l’argent de l’aide au développement va directement vers les multinationales. Une logique semblable peut être appliquée aux projets de ‘révolution verte’ pour l’Afrique. L’on veut éliminer les subventions agricoles en Europe pour permettre aux multinationales de produire en Afrique pour le marché européen.

Enfin, il y le point délicat de la ‘bonne gouvernance’. Les organisations internationales en font une condition pour donner de l’aide. Mais chez la Banque mondiale et chez le Forum économique mondial cette ‘bonne gouvernance’ ressemble étrangement à ‘la culture’. Les institutions politiques et sociales sont jugées responsables de la pauvreté et du déficit de développement. Le manque de ‘bonne gouvernance’ est mis en rapport avec le phénomène des ‘Etats échoués’ (‘failed States’) qui sont à l’origine de conflits et même de terrorisme. Aux Etats-Unis en dans l’Union européenne, les politiques de développement sont de plus en plus liés aux politiques de sécurité. L’aide au développement commence à être militarisée. La nomination de Wolfowitz comme président de la Banque mondiale ne peut qu’accélérer cette évolution. Ainsi, le discours sur le développement risque de redevenir un discours de (re)colonisation. Les pays riches devront aider les pauvres à se débarrasser des dirigeants répréhensibles. Les pays riches devront se protéger contre l’insécurité causée par les pays qui n’ont pas de bonne gouvernance.

Voici ce que recèle le discours sur la lutte contre la pauvreté. En voulant réduire la pauvreté avec des politiques néolibérales, l’on crée un vaste potentiel de bénéfices pour les multinationales En remplaçant le développement par la lutte contre la pauvreté nous débouchons sur des politiques de ‘civilisation’, comme au 19e siècle. Les histoires nostalgiques sur le bon vieux temps en Afrique, à l’époque du colonialisme, le confirment. La lutte contre la pauvreté n’est rien d’autre que le visage humain de la mondialisation. Mais ce visage risque d’être déformée par une horrible grimace.

Pour un développement durable

Si, malgré tout, la pauvreté pouvait diminuer quelque peu, il serait possible de vivre avec ces discours. Ce n’est pas le cas. La lutte contre la pauvreté des objectifs du mlillénaire ne vise même pas à donner aux gens un niveau de vie décent. Elle ne sert qu’à aider les gens à survivre. Entretemps, l’inégalité peut continuer à augmenter. Ce n’est donc pas vers un monde plus juste que nous marchons.

Appuyer les objectifs du millénaire n’est donc pas une bonne option. Même en y ajoutant quelques revendications. L’agenda ‘Millennium-PLUS’ de certaines ONG est certes un pas dans la bonne direction, mais il ne suffit pas. Le problème est l’acceptation de la lutte contre la pauvreté comme priorité. Cela est tout simplement impossible sans une politique de développement. Ce qu’il nous faut dans ce nouveau millénaire, c’est donc avant tout une politique de développement. Celui-ci sera nécessairement durable, du point de vue économique autant que social.

Voilà ce qui doit faire l’objet du débat. Voilà un engagement pour le mouvement alter-mondialiste. Il est évident que les dettes des pays pauvres doivent être annulées. Il est évident qu’il faut contrôler les marchés financiers. Il est évident qu’il nous faut une fiscalité internationale et une redistribution des revenus. Ce sont des conditions essentielles pour pouvoir commencer un débat sur le développement.

Ce dont nous devrons discuter est la façon de mettre fin à l’épuisement et à la spoliation des ressources naturelles. Nous pouvons parler de la souveraineté alimentaire et de la distribution du commerce, de la production et de la consommation. Il est inadmissible que les pays pauvres doivent produire pour exporter et qu’ils doivent importer tout ce dont ils ont besoin. Nous devrons parler d’une forme de gouvernance mondiale pour planifier, réguler et redistribuer. Ce n’est possible que moyennant des organisations démocratiques. Le plus important et le plus urgent est de rompre avec la logique néolibérale.

Ni les pays ni les gens peuvent ‘être développés’. Le développement n’a de sens que s’il est produit par la société, si les gens peuvent eux-mêmes décider de leur modernité. A cette fin, la démocratie et l’autonomie politique sont essentielles.

La lutte contre la pauvreté est un thème consensuel. On ne peut pas être contre. Mais nous devons être assez lucides pour analyser et déconstruire le discours des organisations internationales. Et pour y opposer une alternative. C’est une des tâches du mouvement altermondialiste. L’action mondiale contre la pauvreté n’a pas de sens en présence des politiques néolibérales. La lutte contre la pauvreté n’est pas un combat progressiste sans lutte contre les inégalités.

Francine Mestrum
Coordinatrice conseil scientifique
Attac Vlaanderen (Belgique)
mestrum chez skynet.be