Une analyse de la dette publique du Cameroun

15 septembre 2022 par Agnès Adélaïde Metougou


Palais de l’unité / Palais d’Etoudi, résidence du Chef de l’État du Cameroun (source : CC - Wikimedia Commons - https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=88725505)

Le présent article fait suite à une série d’événements récents qui montrent qu’une véritable menace pèse sur le Cameroun. Par le passé, nous, Coordination de la Plateforme d’Information et d’Action sur la Dette (PFIAD), avions fait part au Gouvernement des inquiétudes de la société civile sur les menaces de surendettement du pays et la perspective d’un autre ajustement structurel qui se profilait à l’horizon. Notre dernière analyse en 2021 se basait sur la dynamique de la dette publique comprenant notamment la vitesse de la hausse de son encours, son accélération récente et la qualité des affectations faites avec des ressources mobilisées. Mais la récente publication de la Caisse Autonome d’Amortissement pour le mois de juin 2021 a conforté nos inquiétudes, puisque cette dette a franchi le cap symbolique de 12.000 Milliards de Francs CFA. À titre de rappel, c’est le même montant qui avait déclenché l’ajustement structurel en 1987.



 Un endettement extérieur incontrôlable provoquant l’immixtion du FMI dans la politique du Cameroun

La croissance annuelle de la dette extérieure est de 14% par an, alors que les recettes d’exportation qui permettent de la payer n’augmentent que de 3%

L’évolution de cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
ne montre aucun tassement. Si on s’en tient à la dette extérieure, sa croissance annuelle est de 14% par an, alors que les recettes d’exportation qui permettent de la payer n’évoluent que de 3%. C’est un indice extrêmement grave d’un endettement de plus en plus incontrôlable.

Graphique 1 : Hausse de la dette extérieure publique camerounaise entre 2014 et 2022 (en milliards de francs CFA)

Source : Caisse Autonome d’Amortissement

Le graphique ci-dessus, confectionné sur la base des données officielles de la Caisse Autonome, exprime une dynamique à la hausse qui nous parait difficilement contrôlable à court terme. Nous ressentons en effet les effets de plus en plus inquiétants de ces dettes extérieures. Par exemple, cette situation s’est matérialisée il n’y a pas longtemps avec par une sévère pénurie de carburant qui a littéralement disparu pendant des semaines, sans que le gouvernement nous explique exactement pourquoi. Parmi les explications données par les autorités, nous avons surtout retenu que la pénurie était provoquée par l‘absence de devises qui, comme on le sait, constituent le revenu extérieur du Cameroun qui lui permet de rembourser sa dette extérieure et de régler nos importations.

Tableau 1 : Dette extérieure publique en milliards de Francs CFA entre 2015 et 2021
AnnéeDette extérieure publique (en milliards de francs CFA)
2015 3 492
2016 3 941
2017 4 649
2018 5 656
2019 6 398
2020 6 746
2021 7 558

C’est dire que la situation est beaucoup plus grave que ne veut le laisser penser le Gouvernement.

Pour essayer de sortir la tête de l’eau, le Gouvernement a signé avec le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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un Programme Économique et Financier triennal (2021 - 2024), qui nous a été présenté comme un cadre de collaboration visant à redresser la situation du Cameroun et des pays frères (Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad) de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) [1]. Le gouvernement assurait alors à la société civile que la réalisation de ce programme allait se traduire par la restauration des équilibres et de la santé économique du pays.

Mais à l’évidence, cette collaboration ne se déroule pas comme prévu. Lors de la première revue dudit programme qui s’est déroulée du 2 au 16 décembre 2021, le FMI a reproché au Gouvernement de n’avoir mis en œuvre que trois des huit réformes structurelles attendues entre juillet et décembre 2021. Le Gouvernement n‘avait pas réalisé le diagnostic de la politique fiscale qui devait aboutir à une fiscalité de développement et à l’élargissement de l’assiette fiscale. En outre, il n’avait pas réalisé l’audit de tous les arriérés de paiement de l’État assorti d’un plan d’apurement des arriérés dus aux charges sociales (fonctionnaires, retraité·e·s pensionnaires, étudiant·e·s boursier·e·s…) et aux entreprises, ainsi que l’inventaire des dettes entre les entreprises publiques et l’État et entre les entreprises publiques elles-mêmes.

Pour toutes ces raisons, le FMI a critiqué le Gouvernement pour ces faibles performances qui conditionnent pourtant les différents décaissements attendus dans le cadre de ce programme.

Le FMI a reproché au Gouvernement de n’avoir mis en œuvre que trois des huit réformes structurelles attendues entre juillet et décembre 2021

Pour la société civile, ces faibles performances ne permettent pas de limiter cette spirale d’endettement, avec pour conséquence de pousser le FMI à une immixtion de plus en plus controversée dans les affaires du Cameroun, comme si notre pays n’était plus souverain de ses choix.

A ce propos, nous pouvons évoquer la problématique particulière du carburant pour lequel le Gouvernement a assuré qu’il n’allait pas supprimer la subvention. Le carburant est un bien de référence qui fait partie de tous les processus de production et l’augmentation de son prix ne pourra que déclencher une spirale inflationniste susceptible d’éroder considérablement le pouvoir d’achat des populations et déstabiliser davantage notre tissu de PME/PMI, déjà marquées par la crise du Covid-19 et la crise ukrainienne. Nous voulons bien croire le Gouvernement, qui nous rassure sur le maintien de cette subvention tout en nous interrogeant sur sa capacité et sa volonté à résister aux injonctions. En effet, notre inquiétude se fonde sur le discours de moins en moins rassurant du MINFI qui, après avoir fermement assuré que la subvention ne sera jamais supprimée, a commencé à évoquer à demi-mots la non-soutenabilité des subventions, ce qui est une opération subreptice de reddition face aux injonctions du FMI.

Une attitude de reddition d’autant plus critiquable que nous savons tous et toutes que la subvention du carburant n’est pas un transfert de ressources tirées ailleurs vers le secteur pétrolier, mais simplement une exonération qui ne saurait peser sur le budget de l’État, étant entendu que logiquement, cette subvention peut être supportée par les surprixs de notre propre pétrole sur le marché, le Cameroun étant lui-même producteur et consommateur du pétrole produit localement avec la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) du Cameroun.

Nous soupçonnons que cette mesure à laquelle le Gouvernement semble s’être résigné participe de l’ajustement structurel qui consiste à réduire de manière autoritaire par ricochet, par des mesures diverses, le niveau de vie des populations.

 Une dette intérieure qui participe à la baisse du niveau de vie des populations

La dette intérieure, dont une bonne partie est constituée d’arriérés, est une source de dépression de l‘activité économique et un motif de dégradation du climat social

Quant à la dette interne, elle s’établirait à 4.100 milliards de Francs CFA. Mais ces chiffres sont eux-mêmes sujets à caution, du propre aveu des pouvoirs publics. Le Gouvernement avait engagé une opération d’audit de cette dette pour la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2019, dans le but de résorber la spirale d’endettement, qui constitue un risque certain pour la stabilité des finances publiques, et de crédibiliser davantage la signature de l’État.

Malheureusement, du propre aveu du MINFI, qui se plaignait dans une note du manque de collaboration de gestionnaires de la fortune publique, l’opération de collecte des informations sur les arriérés de l’État auprès du gestionnaire de la fortune publique n’a pas été menée à terme.

Une situation d’autant plus rédhibitoire que cette dette intérieure plombe l’activité en baissant le niveau de vie des populations dans des proportions considérables. D’une part, l’État est endetté auprès des entreprises locales dont les comptes se retrouvent totalement déséquilibrés par les arriérés qu’il accumule, les poussant à la faillite. D’autre part, et comme l’a montré la dernière grève des enseignants sous le nom d’OTS, l’État doit d’importantes sommes sous forme d’arriérées des salaires des agents publics, ce qui se traduit non seulement par la propre baisse de leur niveau de vie, mais aussi par une dépression de l’activité liée à une demande faible.

Il n’y a donc aucun doute que cette dette intérieure dont une bonne partie est constituée d’arriérés est une source de dépression de l‘activité économique et un motif de dégradation du climat social.

Bien entendu, nous ne méconnaissons pas le rôle des événements exogènes qui ont pu affecter les capacités du Cameroun, et ont plutôt aggravé l’encours de la dette, comme la Covid-19, la guerre ukrainienne et plus récemment, la dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. de l’Euro par rapport au dollar.

Néanmoins, le Gouvernement ne doit pas trouver dans ces événements extérieurs une excuse à ses propres erreurs. La gouvernance d’un pays, c’est d’abord et avant tout la prévision et la prudence. Et le moins qu’on puisse dire est que le Gouvernement n’a fait preuve jusqu’à présent ni de la moindre prudence, ni de la moindre prévoyance.

La Société Civile reste donc, à cet égard, très dubitative sur les perspectives du Gouvernement qui prétend stabiliser le taux d’endettement à 50% du Produit Intérieur Brut PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
du pays dans les trois prochaines années. Le taux actuel étant de 46 %, l’évolution de la dette et l’incapacité du Gouvernement à appliquer à temps des mesures idoines pour la société civile afin de redresser la situation laissent planer un grand doute sur ces assurances de plafonnement.

 Quelle utilisation de l’argent obtenu par l’endettement public ?

Cette dette n’a pratiquement servi à rien de positif pour la population en dehors d’enrichir une poignée de gestionnaires

Mais la plus grande question de la dette demeure : qu’avons-nous fait exactement de cet argent ? Qu’avons-nous fait des 12.000 Milliards de dette ?

Le Gouvernement nous avait présenté un Programme Ambitieux d’investissement, à travers de Grands Projets dits structurants, couvrant tous les secteurs dont l’objectif était d’éliminer les obstacles qui entravent le développement du secteur privé et par suite grèvent l’emploi et la croissance. À l’évidence, ces Grands Projets n’ont rien apporté à l’Économie, parce que mal ciblés et mal réalisés. Le taux de croissance du PIB est resté désespérément faible, atteignant très rarement 4%, y compris avant la Covid-19.

Un grand nombre de projets ont été abandonnés, cependant que le Gouvernement n’a jamais montré le moindre souci d’une reddition des comptes, ni de justifier les scandales qui se sont succédé ces derniers temps.

À maintes reprises, la Plate-Forme d’Information et d’Action sur la Dette (PFIAD), membre du CADTM international, a mis le Gouvernement en garde contre cette spirale infernale de l’endettement et cette gouvernance mal organisée. Aujourd’hui, il faut bien convenir que cette dette n’a pratiquement servi à rien de positif pour la population en dehors d’enrichir une poignée de gestionnaires et qu’au vu des atermoiements, des hésitations, le Gouvernement est totalement débordé par le phénomène de surendettement. Il est manifeste que le Gouvernement n’a plus les capacités opérationnelles d’y faire face.

Pour la Société Civile camerounaise, « c’est fondamental que les citoyens et citoyennes du Cameroun prennent conscience que le remboursement de la dette publique constitue un des postes principaux du budget de l’État et que plus un État est amené à dépenser l’argent pour rembourser la dette, moins il peut dépenser pour garantir aux citoyens du pays la satisfaction des droits humains fondamentaux, notamment le droit à la santé, le droit à une éducation de qualité, le droit à l’emploi, à la protection sociale etc. ».

Et comme l’affirme Éric Toussaint, Dr en en Sciences Politiques et porte-parole du Comité pour l’Abolition des dettes illégitimes (CADTM) dans sa communication sur « les enjeux de l’endettement dans le monde » dans une conférence de presse au Cameroun le 15 décembre 2014, « il faut se rendre compte comme citoyen et citoyenne qu’une grande partie des impôts, que chacun et chacune paye (non seulement l’impôt sur le revenu mais aussi l’impôt qui s’appelle la taxe sur la valeur ajoutée que n’importe qui paye quand il achète n’importe quel produit de base ou service de base) est dévié vers le remboursement de créanciers qui ne servent pas l’intérêt du pays, pour des dettes qui méritent d‘être auditées. C’est-à-dire qu’il faut passer la dette au crible de la critique afin de savoir si ces dettes que l’on rembourse sont légitimes ou illégitimes, légales ou illégales. Il faut déterminer si elles ont servi l’intérêt général ou pas ».


Notes

[1La CEMAC est une organisation internationale regroupant plusieurs pays d’Afrique centrale, créée pour prendre le relais de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale. Son siège est à Bangui, en République centrafricaine.