Une recension de l’ouvrage « Transnationalisme, pouvoir et changement : Trois décennies de campagne contre la dette »

28 août 2014 par Chiara Filoni


http://jubileedebt.org.uk/

Le texte suivant est une recension de la thèse de doctorat « Transnationalisme, pouvoir et changement : Trois décennies de campagne contre la dette » par Jean Somers, doctorante en Sciences Sociales à la “ School of Law and Government” de l’Université de Dublin. Cette thèse constitue la première récolte détaillée sur les campagnes contre la dette menées depuis les années 1970.



Dans le cadre de cette recherche, l’auteur ne se contente pas de décrire les trente dernières années de campagne contre la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Au contraire, son texte se veut une étude problématisée de l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
, des points de forces et des faiblesses des mouvements, des ONG et des associations de la société civile centrés sur la thématique de la dette et luttant contre les banques, les institutions financières internationales, les gouvernements créditeurs ainsi que les programmes d’austérité qui ont accompagnés ces prêts dans le temps. Cet examen prend en considération trois périodes qui ont précédé la campagne Jubilee 2000 (1976- 1990 ; 1991-1996 ; 1997- 2005 qui coïncide avec la campagne Jubilee 2000), en analysant le discours, le pouvoir de mobilisation du panorama politique national et international, ainsi que les différentes approches de la société civile transnationale dans le cours de ces années, sans jamais oublier le contexte extérieur qui a également modelé leur manière d’agir.

La crise de la dette a émergé vers la fin des années ’70 alors que le libéralisme devenait le mot d’ordre de toutes les nations et conduisait à l’internationalisation de la production et la libéralisation des marchés financiers. Dans le même temps, des forces alternatives, situées essentiellement dans les pays du Sud, émergent pour défendre des alternatives socialistes et la construction du NIEO. [1] Le mouvement s’observe tout d’abord en Amérique Latine (dont la dette était due au banques commerciales Banques commerciales
Banque commerciale
Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
) puis gagne les États d’Afrique Subsaharienne à partir des années 1980 (endettés auprès des institutions internationales).

La période postérieure à la chute du mur de Berlin (1991-1996) coïncide avec le triomphe du néolibéralisme et du monde unipolaire. Deux différentes approches des campagnes contre la dette émergent. L’une consensuelle qui travaille avec les institutions internationales (suite aux « ouvertures » de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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vers la participation de la société civile à la définition programmes de réduction de la dette). L’autre plus radicale, qui gagne en force au travers des mobilisations de la société civile contre les politiques de réponse à la crise de la dette proposées par les institutions internationales.
Heureusement, souligne l’auteur, les deux différentes approches ne se révèlent pas être conflictuelles (en témoigne la coopération entre EURODAD et CADTM), même si certaines tensions entre Eurodad et certains groupes du Sud ont été constatées (notamment à cause de la collaboration directe entre Eurodad et les gouvernements du Sud).

Par conséquent, l’émergence de la campagne Jubilee 2000 relève d’un processus mené par l’ensemble des groupes transnationaux contre la dette et des mobilisations contre la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale. La campagne Jubilee 2000 contient les deux formes d’activisme, tout en cherchant à les conjuguer ensemble, notamment au travers du Forum Social Mondial.

L’auteur apporte également des considérations finales par rapport à l’efficacité de la société civile internationale dans ces décennies pour imposer une narration alternative à celle de la politique institutionnelle et néolibérale : « Malgré les éléments radicaux apportés par les campagnes contre la dette- dit l’auteur- ces dernières n’ont pas présenté un véritable défi au système, même si elles n’étaient pas a-critiques par rapport aux solutions proposées au niveau global. Cependant, elles ont réussi à créer des fractures dans le système dominant dans lequel elles opéraient, en ré-articulant les rapports entre les États, par le biais des contre-narratives et leur contribution dans l’émergence d’un vaste mouvement anti-mondialisation. [2]

Une thèse à lire pour ceux et celles intéressés d’en savoir plus sur les campagnes contre la dette et plus en général sur le débat altermondialiste, mais aussi sur une systématisation du savoir des dernières années de lutte contre la dette illégitime.


Notes

[1New Internation-al Economic Order (NIEO), c’est-à-dire le nouvel ordre international, qui propose une série de mesures pour restructurer les relations économiques internationales avec le but de retrouver des ressources pour le développement des PED au travers du commerce et de l’aide au développement

[2Traduction de l’auteur

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