2 février 2010 par Sébastien Brulez
Pour atténuer la dépendance pétrolière, Caracas dévalue sa monnaie. Si la flambée spéculative est contrée, l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. devrait quand même s’accentuer .
Le 8 janvier dernier le président vénézuélien Hugo Chavez annonçait une dévaluation
Dévaluation
Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres.
de la devise nationale. Le bolivar, qui s’échangeait jusque-là à un taux de 2,15 pour un dollar, est désormais soumis à un double taux de change. Les secteurs jugés prioritaires bénéficient d’un rapport de 2,60 bolivars/dollar, c’est le cas principalement des produits liés à la santé, à l’alimentation, aux importations du secteur public, aux équipements, etc. Pour les secteurs jugés « non-indispensables », le dollar s’échange maintenant contre 4,30 bolivars. Ce taux s’applique à tout le reste de l’économie (automobile, commerce, télécommunications, construction, textile, services, boissons, etc.). Plutôt que de dévaluation, le gouvernement bolivarien préfère parler officiellement de « réévaluation » ou d’« ajustement » du bolivar. D’ailleurs, selon le président Hugo Chávez, cette mesure n’a pas été prise pour « faire face à une crise fiscale, ni afin de payer la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
interne ou externe », mais en vue de « freiner l’avalanche d’importations ». De fait, le Venezuela dépend par exemple à 70% de l’étranger pour ses denrées alimentaires. « Avec un dollar ’bon marché’, les entreprises se sont concentrées sur les importations et ont abandonné la production interne », soutient Hugo Chávez.
Un dollar subventionné
Au dire de l’économiste Victor Alvarez, ancien ministre des Industries de base et des Mines, la surévaluation du bolivar, maintenue en place jusqu’à présent par le contrôle des changes, avait rendu nécessaire la dévaluation. « Cette mesure d’adaptation du taux de change a d’ailleurs été longuement reportée, elle aurait dû être appliquée à peine détectés les premiers signes de surévaluation », estime-t-il.
Par surévaluation, on entend le fait que le pouvoir d’achat du bolivar soit plus important sur les marchés internationaux que sur le marché local. « Et cela est dû à une inflation au Venezuela supérieure à celle qu’on retrouve dans les autres pays et notamment chez nos principaux partenaires commerciaux », explique M. Alvarez.
Le taux de change fixe, contrôlé par l’Etat depuis 2003 et maintenu à 2,15 depuis 2005, soutenait en fait le bolivar à un taux irréel et constituait dans la pratique un subside aux importations. « Alors que le Venezuela a systématiquement critiqué, au sein des institutions internationales comme l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, les subventions accordées par les Etats-Unis et l’Union européenne à leurs exportations (notamment dans le domaine de l’agriculture), cette surévaluation du bolivar constituait en fait une contradiction terrible de la part du gouvernement », ajoute l’ancien président de la Banque de commerce extérieur.
Une situation paradoxale, qui a énormément affecté l’appareil productif que le gouvernement de Hugo Chávez prétend pourtant développer afin de contrer la dépendance historique au pétrole.
Face à la volonté affichée par l’exécutif, beaucoup s’interrogent néanmoins sur la capacité de l’industrie vénézuélienne à exporter alors qu’elle peine bien souvent à couvrir le marché national. « Les entreprises mises en difficulté par le contrôle des changes et la surévaluation de la monnaie ne refleuriront pas d’un jour à l’autre, elles ne se transformeront pas tout à coup en entreprises efficaces. Les entreprises vénézuéliennes sont structurellement inefficaces, elles disposent d’un niveau technologique très faible et ne font pas d’économies d’échelle. Il sera donc très difficile d’être compétitifs sur le marché mondial », analyse pour sa part l’économiste Manuel Sutherland, de l’Association latino-américaine d’économie politique marxiste (ALEM).
Spectre de l’inflation
Pour l’instant, la principale appréhension de la population et des analystes est que cette dévaluation contribue à augmenter une inflation qui se situe déjà autour des 25% par an. Au lendemain de l’annonce de la mesure, plusieurs magasins d’électroménager ont été pris d’assaut par des consommateurs inquiets d’une possible flambée des prix des produits importés. Mais la situation étant restée sous contrôle, les faits ne se sont pas étendus.
« Le gouvernement parle de ’freiner les importations non-nécessaires’. Mais ces importations ne vont pas diminuer, elles vont simplement devenir plus chères », avertit toutefois M. Sutherland. L’économiste estime en outre « tout à fait arbitraire » la différence établie entre les biens dits ’nécessaires’ et les autres. « Des chaussures, des vêtements, un téléphone sont des biens nécessaires pour la population mais tout cela va devenir plus cher et cette situation va appauvrir les travailleurs », argumente-t-il.
Expropriations
Relancer efficacement l’appareil productif prendra donc du temps. Dans l’immédiat, le gouvernement a lancé une importante campagne de sensibilisation et de contrôle pour lutter contre la spéculation et contre ce qu’il considère comme une augmentation abusive des prix ; appelant même les consommateurs à dénoncer les abus et menaçant d’expropriation les commerces soupçonnés de spéculer. Le 20 janvier, Hugo Chávez a d’ailleurs joint la parole aux actes en signant le décret d’expropriation des hypermarchés Exito, détenus majoritairement par le groupe français Casino et accusés d’irrégularités.
Afin d’atténuer au maximum les effets de la dévaluation, le gouvernement a annoncé deux mesures complémentaires principales. La première est l’augmentation du salaire minimum de 25% entre mars et septembre. La seconde consiste en des émissions de bons par la Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
(pour 140 millions de dollars jusqu’à présent) afin de fournir des devises au taux régulé aux entreprises et personnes physiques et ainsi les dissuader d’avoir recours au marché noir plus élevé et considéré comme l’un des facteurs favorisant l’inflation.
Investir le surplus fiscal
D’après Victor Alvarez, ces mesures sont nécessaires mais pas suffisantes. L’économiste pense qu’il faudrait renforcer et compléter l’ajustement du taux de change par un ensemble de mesures macro et microéconomiques, comme par exemple s’assurer que l’augmentation des rentrées fiscales de l’Etat (due à la vente de dollars à un prix plus élevé) soit réinvestie dans l’amélioration des infrastructures productives et pas seulement dans les dépenses courantes : « Ces sommes additionnelles doivent être investies dans la réactivation de l’agriculture, de l’industrie, afin de créer des emplois productifs et de pouvoir, enfin, réaliser ce vieux rêve vénézuélien de transformer l’économie rentière en une économie productive exportatrice ».
Source : Le Courrier
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