La Commission européenne se prépare à la faillite des banques…
La Commission européenne a présenté le 6 juin une proposition de directive « établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement ». Cela fait plus d’un an que la commission travaillait sur ce document et il est révélateur qu’il soit publié au moment même où les banques espagnoles sont en pleine tourmente. Le besoin de recapitalisation de ces banques est estimé entre 50 et 200 milliards d’euros [1] et le sauvetage de la seule Bankia nécessiterait 23,5 milliards d’euros, soit près de 18 fois plus que l’estimation faite fin 2011 par l’Autorité bancaire européenne.
Cette directive qui prétend avoir vocation de protéger le contribuable en cas de faillite bancaire est instructive en ce sens qu’elle reconnaît des réalités qui ont été niées jusqu’à ce jour. Elle admet notamment que « l’intervention des pouvoirs publics a coûté très cher au contribuable et a même compromis la viabilité des finances publiques dans certains états membres. » Pour mémoire, 4 500 milliards d’euros d’aides d’État ont été accordés aux établissements financiers entre octobre 2008 et octobre 2011. La Commission fait également un constat d’échec des politiques d’aide aux banques en relevant que « les plans d’urgence élaborés pour lutter contre les crises financières ont été insuffisants ». En clair, les 4 500 milliards d’aide ont été accordés aux banques en pure perte pour les contribuables appelés à la rescousse. Mais si la Commission se prépare à une faillite imminente des banques, elle persévère dans une attitude inappropriée dénoncée par Frédéric Lordon : « non pas éviter la survenue des crises mais améliorer la gestion de leurs effets. » [2]
… sans prendre les mesures nécessaires pour l’empêcher
Pour faire face à une crise bancaire systémique et à un risque de contagion à l’ensemble de l’Europe, la commission préconise des transferts d’actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
entre entités, la cession obligatoire de certaines activités, le remplacement des dirigeants par un administrateur spécial, la suspension du paiement des dividendes, le renflouement interne ou « bail-in » [3], la mise en place de fonds de résolution [4] et de systèmes de garantie de dépôts financés par le secteur bancaire. Mais le « bail-in » n’entrerait en vigueur qu’en … 2018. Quant aux fonds de résolution, le quotidien Les Échos du 6 juin pointe les limites de ce dispositif en soulignant qu’il n’est « pas question encore de mutualiser les ressources : les fonds imaginés par Bruxelles sont seulement des fonds nationaux ». Ce même journal relève également qu’il n’existe toujours pas en Europe d’harmonisation des systèmes de garantie des dépôts. Ce n’est pas avec des mesures nettement insuffisantes, et dont l’entrée en vigueur est repoussée dans le temps (2014 ou 2018) « pour ne pas effrayer les marchés », que l’on sauvera un système bancaire au bord de la faillite.
Les Caisses d’épargne ne sont pas à l’abri
Malgré les discours rassurants des patrons, la crise bancaire menace également les Caisses d’épargne et le Groupe BPCE. Pour preuve, l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
NATIXIS a perdu 90 % de sa valeur d’origine et des PSE (Plans de Sauvegarde de l’Emploi) ont supprimé des centaines d’emplois dans nos entreprises ces dernières années. Actuellement, les Sociétés Locales d’Épargne sont appelées à se prononcer sur une modification de leurs statuts qui prévoit de conditionner le remboursement des parts sociales à l’autorisation du Conseil d’Administration de la SLE, le Conseil pouvant déléguer ce pouvoir d’autorisation à son Président, à son Vice-président ou au délégué de la Caisse d’épargne. Si cette modification est présentée comme une mise en conformité avec la réglementation européenne relative au ratio « core tier one » [5], elle permet aux dirigeants de refuser le remboursement de leurs parts sociales aux clients sociétaires et éviter ainsi que des ventes massives viennent diminuer significativement les fonds propres
Fonds propres
Capitaux apportés ou laissés par les associés à la disposition d’une entreprise. Une distinction doit être faite entre les fonds propres au sens strict appelés aussi capitaux propres (ou capital dur) et les fonds propres au sens élargi qui comprennent aussi des dettes subordonnées à durée illimitée.
des Caisses d’épargne. Or, dans le même temps où ces dirigeants se réservent la faculté d’interdire aux petits porteurs de récupérer leur argent, les traders
Trader
Traders
Le terme « trader » est d’origine anglo-saxonne. Il signifie littéralement « opérateur de marché ». C’est un opérateur spécialisé qui achète et vend des valeurs mobilières (actions, obligations, produits dérivés, options…), des devises, pour le compte d’un tiers (OPCVM, entreprise, personne, institutionnels…), ou pour l’établissement qu’il représente en tentant de dégager des profits.
des banques et des fonds spéculatifs restent libres de se livrer au « trading
Activités de marché
Trading
opération d’achat et de vente de produits financiers (actions, futures, produits dérivés, options, warrants, etc.) réalisée dans l’espoir d’en tirer un profit à court terme
de haute fréquence » qui leur permet d’acheter et de revendre des actions en quelques millionièmes de seconde à l’aide de programmes informatiques.
Contre la crise bancaire, il existe une solution
Si l’on considère que la monnaie, l’épargne, le crédit et le système dans lequel ils s’inscrivent sont des biens publics, et si l’on sait que la sécurité des encaisses monétaires de la population et la préservation de l’intégrité du système des paiements sont indispensables, alors l’instauration d’un service public bancaire s’impose comme une nécessité. C’est pourquoi Sud BPCE préconise la socialisation de l’intégralité du système bancaire.Nous utilisons le mot socialisation de préférence à celui de nationalisation pour souligner que l’essentiel à nos yeux concerne le contrôle citoyen avec un partage de décision entre les dirigeants, les représentants des salariés, des clients, d’associations, des élus locaux et des représentants des instances bancaires nationales et régionales. Il faut arrêter le sauvetage coûteux des banques effectué sans conditions dont le seul effet est d’augmenter la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique. L’expropriation des banques et leur transfert au secteur public sous contrôle citoyen est le seul moyen de protéger l’épargne et d’affecter le crédit à l’économie réelle afin de financer la mise en place d’une politique de plein emploi et d’investissements publics, mais aussi de sauver nos emplois. L’assainissement du secteur bancaire nécessite également la levée du secret bancaire, la mise en place de commissions d’enquête sur les agissements des banques [6] et enfin un audit des dettes détenues par les banques, en particulier celles sur les Etats, les collectivités et les établissements publics, pour identifier les dettes illégitimes qui n’ont pas à être remboursées.
Les politiques d’austérité, c’est aux banques qu’il faut les imposer, pas aux peuples !
Patrick Saurin est membre de l’Exécutif National de Sud Banque Populaire Caisses d’Epargne (BPCE)
[1] C’est finalement une aide de 100 milliards d’euros qui a été accordée à l’Espagne par le biais du Fond Européen de Stabilité Financière (FESF) ou du Mécanisme Européen de Stabilité (MES).
[2] Frédéric Lordon, « La « régulation financière », entre contresens et mauvais vouloir », La pompe à phynance, les blogs du Diplo, 21 avril 2010.
[3] Le « bail-in » désigne un dispositif qui voit les actionnaires et les créanciers d’une banque en difficulté supporter en priorité les pertes de cet établissement. Il permet de réduire l’aléa moral en empêchant les dirigeants et les actionnaires d’une banque de présumer du soutien des pouvoirs publics en cas de difficultés.
[4] Ce terme est transposé de l’anglais où « resolution » recouvre l’ensemble des mécanismes de traitement des faillites bancaires.
[5] le « tier one » représente le noyau dur des fonds propres de la banque (notamment le capital social et les résultats mis en réserve).
[6] Depuis le 6 juin, Bankia fait l’objet d’une enquête par une unité chargée de la lutte anti-corruption du ministère public espagnol.
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.
5 mai 2021, par Patrick Saurin , La France Insoumise , Véronique Danet
31 mars 2021, par Patrick Saurin
15 mars 2020, par Patrick Saurin
15 novembre 2019, par Patrick Saurin
11 décembre 2018, par Patrick Saurin
26 octobre 2018, par Eric Toussaint , Patrick Saurin
16 octobre 2018, par Patrick Saurin
Article précédemment publié le 28 février 2018
L’affaire des prêts toxiques : affaire classée ?2 octobre 2018, par Patrick Saurin , Anouk Renaud
17 août 2018, par Patrick Saurin
4 août 2018, par Patrick Saurin