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Austérité et ajustement au Maroc. Le gouvernement garde la « Ligne » du FMI et le citoyen paie le prix
par Salaheddine Lemaizi
12 mai 2014

Le Maroc a fait appel au Fond monétaire international (FMI) en août 2012 pour « bénéficier » d’une Ligne de précaution et de liquidité (LPL) de 6,2 milliards de dollars [1]. Depuis des mois, la reconduite de cette Ligne est présentée comme « un signe de confiance » de la part de l’institution de Bretton Woods à l’égard du gouvernement [2]. En réalité, l’Exécutif obtient cette confirmation suite à ses politiques d’austérité appliquées depuis octobre 2012. Ces mesures sont le prolongement du Programme d’ajustement structurel, le citoyen marocain paie le prix fort de cette énième cure d’austérité.

Ce texte aborde cette question en trois temps. D’abord, une brève présentation de la LPL. Ensuite, les mesures appliquées par le gouvernement pour se conformer aux exigences du FMI. En troisième lieu, les premières conséquences de ces mesures.

Toutes les routes mènent à l’austérité

Que la relation avec le FMI se fasse dans le cadre de la LPL, de la Ligne de crédit modulable ou de tout autre instrument de financement, cette institution recommandera les mêmes politiques. La LPL, réservée aux « bons élèves », n’est qu’un moyen pour prolonger un « ajustement ». Cette Ligne vise à « répondre avec plus de souplesse aux besoins de liquidité des pays dont l’économie est foncièrement solide et qui ont fait leurs preuves en appliquant une politique économique avisée, mais qui restent exposés à certains facteurs de vulnérabilité ». [3]

La LPL est d’une durée de 24 mois et prend fin en août 2014. A contrario de ce qu’affirmaient le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale, cette ligne est conditionnée [4]. En plus du Maroc, la Jordanie, la Macédoine et la Tunisie « bénéficient » de cet instrument. Le coût est présenté comme « peu coûteux ». Le taux d’intérêt variable, lié au taux de base du DTS, est actuellement de 1,13%. A cela s’ajoute une commission de 0,5% sur chaque tirage.

Au final, quel que soit l’instrument, le résultat est le même : l’économie marocaine est sous la tutelle de cette institution, ou du moins de ses directives [5]. La LPL est également un piège pour le gouvernement. Comme l’explique Najib Akesbi, « le dispositif de « conditionnalité » est désormais à deux étages, car la mise à disposition de la LPL ne signifie nullement que le gouvernement peut l’utiliser quand il veut et comme il veut. Le jour où il aura besoin de l’utiliser, le FMI exigera évidemment une autre batterie de conditions pour autoriser le déblocage des fonds, et c’est cela le deuxième étage » [6].

Résultat des courses : chaque six mois, le staff du FMI débarque pour contrôler les finances publiques. Le FMI arrive avec sa valise de réformes déjà prête à l’emploi.

Les « bénéfices » du partenariat de Deauville

À partir de la fin de 2012 et malgré le discours rassurant des officiels marocains, le pays s’enfonce dans un programme d’ajustement en trompe-l’œil [7]. Dans cette partie, une revue des mesures appliquées ou en cours d’application par le gouvernement dans le cadre de son accord conditionné avec le FMI.

Avant de décliner ce programme d’austérité, il est utile de faire deux remarques. Primo, les mesures appliquées au Maroc sont identiques à celles en cours d’application en Tunisie jusqu’au Yémen, en passant par l’Egypte, le Soudan et la Jordanie. Ces pays « bénéficient » du Partenariat de Deauville, du nom de la réunion du G8 tenue en mai 2011, suite au Printemps des peuples. Ceci montre le dogmatisme du FMI, qui n’hésite pas à appliquer les mêmes réformes à des pays au contexte économique et social très différent.

Deuxio, nous sommes bien face à une stratégie de choc, spécialement en Egypte. Pousser les gouvernements à faire passer des réformes douloureuses socialement en cette période de perturbation est bien une stratégie de choc de la part du FMI. Voici les grandes lignes de cette stratégie appliquée au Maroc :

  • Le démantèlement du système de subvention des produits alimentaires et pétroliers (Caisse de compensation) et son remplacement par des aides directes. Cette vieille exigence du FMI est de nouveau au menu du gouvernement. Études et scénarios sont élaborés par la Banque mondiale pour passer à la « vitesse supérieure ». Rappelons que le démantèlement d’une partie de ce système était à l’origine des révoltes populaires de 1981 au Maroc. Ce type de mesures a donné lieu récemment à des émeutes au Yémen, au Soudan et en Jordanie [8].
    Le premier pas de cette décompensation est l’application en 2013 du système d’indexation « partielle » des prix des carburants, devenue en 2014 indexation quasi-totale !
  • L’adoption d’une Loi organique des finances (LOF). Ce texte instaurera une stricte discipline budgétaire. Un principe déjà présent dans la Constitution (article 66). Le projet de LOF, en hibernation depuis des années dans le circuit législatif, a été relancé. Ce projet est en discussion à la première chambre du parlement.
  • La réforme des caisses des retraites. Dans le pipe le passage d’une retraite à 65 ans, la hausse des cotisations des salariés, etc. D’ailleurs, la Cour des comptes a réalisé un rapport sur la réforme du système des retraites, avec les scénarios catastrophiques [9].
  • Le rétablissement des équilibres macro-économiques, chers au FMI. Contenir l’inflation, réduire le déficit à moins 3% d’ici 2016.

Un menu marocain made in FMI

Soucieux de « donner des signes de confiance aux marchés », le gouvernement n’a pas tardé à mettre en œuvre ce programme. Et qu’importe le prix !

Première mesure : le gouvernement décide à deux reprises des hausses du prix de l’essence et du gasoil en juin 2012 puis en septembre 2013. Cette décision cause automatiquement la hausse des prix des produits alimentaires et des transports (taxis et transport périurbain).

En 2013, le gouvernement n’allait pas atteindre les objectifs fixés par le FMI concernant le niveau de déficit budgétaire. Il décide une coupe de 15 milliards de DH dans le budget d’investissement [10]. Cette mesure d’austérité a eu un impact réel sur la commande publique. Depuis, les ménages et les patrons s’inquiètent de la situation économique. Pourtant, les mesures alternatives ne manquent pas. L’Exécutif pouvait, par exemple, décider d’un moratoire sur le remboursement de la dette interne ou externe prévue en 2013 jusqu’à la réalisation d’un audit de la dette publique. Une rubrique qui a absorbé 105,8 milliards de DH en 2012. Proposition blasphématoire ! Les « marchés » et leur gendarme, le FMI, nous surveillent…

Une autre proposition alternative, celle de supprimer les dépenses fiscales, c’est-à-dire les cadeaux fiscaux donnés aux sociétés privées et qui ont atteint 36 milliards de DH. Un blasphème supplémentaire à l’égard des « marchés » et du patronat !

Troisième mesure d’austérité, la restauration du système d’indexation des prix du gasoil, de l’essence super et du fioul industriel sur les fluctuations des cours mondiaux de ces produits. Ce système appliqué entre 1995 et 2000 a été réactivé en août 2013. Il permet à l’Etat de plafonner la subvention annuelle consacrée à la compensation des prix de ces produits. Toute hausse est supportée par le consommateur. Cette mesure a été annoncée comme ’partielle’ et ’limitée’. L’année en cours montre tout le contraire. Elle est désormais permanente. L’indexation est une étape dans le démantèlement de la Caisse de compensation.

Cette décision a été critiquée au sein même de l’Etat. Le Haut commissariat au plan (HCP), établissement public chargé des statistiques, estime que « la réduction de la compensation des prix des produits pétroliers améliorerait le solde budgétaire de l’État mais se traduirait par une hausse des prix intérieurs et une baisse de la demande intérieure. Par conséquent, une baisse du produit intérieur brut (PIB) est à prévoir  » [11].

Austère Loi de finance

Toujours pour honorer ses engagements à l’égard du FMI, le gouvernement élabore une Loi de finance (LF) 2014 d’austérité. A contrario avec son discours populiste, le Chef de gouvernement n’hésite pas à faire supporter aux ménages le prix de la crise chronique de l’économique marocaine.

A. Hausse de la TVA sur des produits de base comme suit :

  • 14 à 20% sur le beurre, les huiles de tables et le thé
  • 10 à 20% sur le sucre marin, le riz, le sel et les tarifs des bains maures
  • 7 à 10% sur le sucre raffiné, les conserves de sardines, les pâtes alimentaires, le matériel agricole, les aliments de bétail, les tarifs de restaurants, les transports de voyageurs et de marchandises

B. Réduction des postes budgétaires de 30%
Les postes budgétaires sont en baisse de 6000 postes par rapport à l’année précédente. Au même moment, les besoins sont énormes dans les secteurs sociaux. Cette tendance de la réduction de l’embauche publique s’est accrue depuis trois ans. En 2012, le secteur public crée 26 200 emplois. En 2013, 24 960 emplois et en 2014, à peine 18 000.

C. Baisse de 16% du budget d’investissement public
Après la coupe anarchique de 15 MMDH en mai 2013, l’Exécutif continue de sabrer dans le budget d’investissement. Il réduit cette rubrique de 16%. Ainsi, ce budget passe de 58,9 à 49,5 MMDH.

Ces mesures influencent négativement les programmes des secteurs sociaux. Ces mêmes secteurs que le FMI appelle à renforcer en créant ce qu’il appelle « les filets de protection sociale » pour amortir le choc du démantèlement du système de subvention des prix.

Les exemples du secteur de la santé et de l’administration pénitentiaire [12] sont parlants :

Austérité et santé

La Santé a vu son budget d’investissement de 2014 baissé de 25%. Au même moment, le Ministère fait la promotion de sa couverture médicale pour démunis, lancée en 2012. Cette couverture au rabais n’a pas de chances de réussir car les moyens à sa disposition sont insuffisants. Par exemple : les postes budgétaires réservés à la Santé sont en baisse de 300 emplois. Résultat : le concours de résidanat dans les CHU est purement et simplement supprimé. 700 médecins formés dans les facultés de médecine sont priés de trouver un emploi dans le secteur privé. Nous sommes devant un Etat qui refuse d’embaucher des médecins qu’il a lui-même formé, alors que ce même pays connaît une grave pénurie de personnel médical et paramédical. Pour couronner le tout, ce secteur a connu le départ à la retraite en 2013 de 1200 personnes. Ubuesque !

Austérité et administration pénitentiaire

Les prisonniers subissent de plein fouet l’austérité. Déjà qu’ils passent leurs peines dans des conditions inhumaines, la LF 2014 les condamne à la disette. Le budget investissement de la Délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion est en baisse de 60%. Même le fonctionnement n’a pas été épargné. Ainsi, le taux journalier de l’alimentation par détenu, déjà en deçà des standards internationaux, va passer de 12 à 11 DH/détenu. La superficie moyenne par détenu est également en baisse, elle était de 2 m2/détenu, elle est passée à 1,67 m2. Dans ce secteur, tous les indicateurs sont au rouge, l’austérité de 2014 achève le travail.

On peut multiplier les exemples de secteurs sociaux touchés par les coupes budgétaires… la situation est inquiétante.

Pendant ce temps, le gouvernement dirigé par les islamistes du PJD fait tout pour plaire au palais, aux créanciers internes et externes et à leurs huissiers (le FMI et la Banque mondiale). Ce gouvernement offre des cadeaux inespérés au patronat et condamne les citoyens à un nouveau Plan d’ajustement structurel, dont les conséquences commencent déjà à se sentir sur le pouvoir d’achat des citoyens. Les dégâts de cette politique devraient se sentir davantage dans les prochaines années. Le retard énorme dans les secteurs sociaux ne fera que s’accentuer. Après toutes ces politiques régressives exposées dans ce texte, l’Etat s’étonne que le Maroc est classé 130e selon l’Indice du développement humain du PNUD. Il suffit d’ouvrir les yeux pour se rendre compte que pour le peuple, c’est l’austérité sur toute la ligne du FMI.

Ce texte est l’intervention de Salaheddine Lemaizi, militant d’ATTAC/CADTM Maroc, lors de l’Université du CADTM Afrique tenue en Tunisie du 21 au 23 mars 2014.


Notes :

[1« Le Conseil d’administration du FMI approuve un accord de 6,2 milliards de dollars en faveur du Maroc au titre de la ligne de précaution et de liquidité (3/08/13) », FMI, https://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2012/pr12287f.htm

[2« Le Conseil d’administration du FMI conclut la troisième revue de l’accord au titre de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) avec le Maroc et les consultations de 2013 au titre de l’article IV », (31/01/204), FMI, http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2014/pr1437f.htm

[4« Les pays qui ont recours à la LPL s’engagent à mener des politiques de réduction des facteurs de vulnérabilité recensés lors du processus de qualification avec une conditionnalité bien ciblée », Extrait du IMF Factsheets.

[5Pour un aperçu historique de la relation entre le Maroc, le FMI et la Banque mondiale voir Mimoun Rahmani, « Les politiques économiques néolibérales au Maroc » (mars 2014), http://cadtm.org/Les-politiques-economiques

[6FMI/LPL : « La LPL est un piège pour le gouvernement », entretien avec N. Akesbi, Finance News, (20/03/14), http://www.financenews.press.ma/La-Une/fmilpl-lla-lpl-est-un-piege-pour-le-gouvernementr.html

[7Pour une lecture critique des politiques d’austérité au Maroc, lire Said Saâdi, « Crise économique : L’austérité n’est pas la bonne solution », http://www.leconomiste.com/article/906314-crise-conomique-l-aust-rit-n-est-pas-la-bonne-solution-par-le-pr-mohamed-sa-d-saadi

[8Pour une lecture critique de cette réforme, lire « Les révoltes arabes et la justice sociale. Les effets des politiques du FMI pour la reforme du système de subvention », ANND, ECESR & New America Fondation (février 2014), en arabe http://www.annd.org/arabic/data/publications/pdf/49.pdf. Pour la version en anglais voir : http://www.annd.org/english/data/publications/pdf/31.pdf

[9Ce rapport est disponible sur : http://www.courdescomptes.ma/index.php?id=52&no_cache=1&tx_abdownloads_pi1[action]=getviewdetailsfordownload&tx_abdownloads_pi1[uid]=118&tx_abdownloads_pi1[category_uid]=49&tx_abdownloads_pi1[cid]=24&cHash=d6a620529ff9f1d6333c04ac39eceaeb

[10Pour plus de détails sur cette mesure, lire Brahim Oubaha, « La décision d’annuler 15 MMDH du budget d’investissement est un nouveau tournant dans la crise du néolibéralisme au Maroc » (22/05/2013), en arabe. http://attacmaroc.org/?page=4&postId=459

[11« Simulation de l’impact de l’indexation des prix de certains produits pétroliers sur l’économie nationale », HCP, septembre 2013, http://www.hcp.ma/Simulation-de-l-impact-de-l-indexation-des-prix-de-certains-produits-petroliers-sur-l-economie-nationale_a1251.html

[12La situation des centres pénitenciers et les conditions de détention au Maroc portent atteintes à la dignité humaine comme l’a confirmé un rapport officiel : http://www.ccdh.org.ma/sites/default/files/documents/exe_Re_sume_A4_exe_cutif_prison-_Vf_30_oct._-.pdf

Salaheddine Lemaizi

Secrétaire général d’ATTAC CADTM Maroc et Comité des études et de plaidoyer du CADTM Afrique.