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Eric Toussaint interviewé par le quotidien La Libre Belgique
Belgique : Diminuer les pensions pour assainir les finances publiques ?
par Eric Toussaint , Thierry Boutte
11 juin 2014

Le sauvetage des banques belges a nécessité 35 milliards d’euros de dépenses. Voilà la principale cause de l’augmentation des dépenses publiques. La Banque nationale de Belgique et les gouvernements belges ont fait ces cadeaux aux responsables de la débâcle financière puis économique. Et aujourd’hui, pour réduire les dépenses publiques, on veut toucher directement des retraités et des chômeurs ? Non !

Thierre Boutte : Selon la Banque nationale de Belgique (BNB), les dépenses publiques ont fortement augmenté en Belgique, de 42,5% du PIB en 2000 pour atteindre 51,3% en 2013. C’est trop selon l’OCDE. Que faire ?

Si vous parlez d’augmentation des dépenses publiques, je mets en cause la Banque nationale de Belgique et la politique suivie par les gouvernements belges. Je vise par là le sauvetage bancaire qui, après 2008, a nécessité des dépenses de l’ordre de 35milliards d’euros, soit l’équivalent d’une augmentation de 15 à 20% du budget annuel. Ce montant est celui avancé par la Cour des comptes, donc validé. Ainsi, les dépenses publiques ont notamment augmenté suite à des “cadeaux” faits aux grandes banques belges, responsables de la débâcle financière puis économique. Et aujourd’hui, pour réduire ces dépenses publiques, on veut toucher directement des retraités et des chômeurs !? Mais ce sont les responsables de la crise, les banquiers, qui devraient faire l’objet de mesures de récupération du futur gouvernement.

Vous êtes donc opposé à un assainissement des finances publiques, même avec un impact minime sur la croissance ?

Premièrement, nous sommes dans une situation de crise économique où la demande des ménages et la demande publique sont insuffisantes et où l’investissement des entreprises privées est trop faible.
Cette situation peut parfaitement justifier une augmentation des dépenses publiques, et donc du déficit, pour financer la relance. C’est le b.a.ba de la politique recommandée par le grand économiste John Maynard Keynes. Comprenez donc qu’une situation comme on la connaît aujourd’hui n’impose pas de réduire les dépenses publiques. Deuxièmement, si assainir implique réduire des dépenses inutiles voire injustes et augmenter des recettes en respectant les principes de la justice sociale et de la redistribution, je dis oui. Mais ce que propose actuellement la Banque nationale de Belgique est tout le contraire. Son raisonnement, inscrit dans les politiques imposées depuis 2009 - 2010 par la Commission européenne, aboutit à une contraction de la demande et donc une stagnation économique.

La BNB préconise, comme première mesure, une réduction des dépenses de pensions. Que pensez-vous de l’idée de repousser l’entrée prématurée dans la pension et de supprimer certains régimes de pension anticipée ?

C’est inefficace et injuste. Inefficace en termes de stimulation de la croissance économique parce que dans un contexte de pénurie d’emplois, forcer des gens âgés à rester plus longtemps au travail, c’est empêcher des jeunes capables d’entrer sur le marché du travail. Inefficace parce que ces jeunes, en percevant un revenu supérieur à celui du chômage, vont augmenter la consommation via l’acquisition ici d’un logement, là d’autres biens durables, et donc relancer l’économie. Inefficace parce qu’il faut au contraire distribuer du pouvoir d’achat à des retraités qui l’utiliseront essentiellement à des dépenses de consommation, eux qui n’épargnent plus. Même réflexion, quand on réduit les revenus du chômage, on réduit la consommation privée. Enfin, c’est injuste parce que des promesses de pouvoir passer à la retraite ont été faites à des travailleurs et des conventions ont été prises par l’employeur public. Injuste surtout parce que, comme évoqué, la crise des finances publiques a été provoquée, non par ces personnes visées mais par la crise des banques.

Selon le Syndicat neutre pour indépendants (SNI), il ne faut pas diminuer la pension des indépendants (en moyenne élevée, selon lui, à 840€/mois) ni celle des salariés (en moyenne élevée à 1180€/mois) mais bien celle des fonctionnaires qui s’élèverait en moyenne à 2480€/mois. Qu’en pensez-vous ?

C’est faux. La moyenne des pensions des fonctionnaires n’est pas à ce niveau. Certains régimes donnent accès à des pensions importantes,mais cela ne concerne qu’une minorité. C’est une utilisation démagogique de données réservées à certaines niches. Dans la démarche de la BNB, il s’agit plutôt de toucher une quantité importante de retraités.


Eric Toussaint interviewé par le quotidien La Libre Belgique le 11 juin 2014 p. 53


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Thierry Boutte