À propos de l’hécatombe dans la Banque Espírito Santo (BES), du groupe économique Espírito Santo (GES), de Portugal Telecom (PT) et de quelques autres sociétés dites portugaises mais en réalité qui ont une dimension internationale, le premier ministre portugais jure qu’aucun portugais ne sera obligé de payer les pertes provoquées par les fraudes et les imprudences de ces affaires privées ; le gouverneur de la banque centrale portugaise le confirme ; les commissaires et les techniciens de l’UE se succèdent pour manifester leur accord.
C’est un mensonge, puisque la majorité de la population (ceux d’en bas), en vérité, ont déjà commencé à payer les dettes des groupes économiques en difficultés.
Le 10 juillet 2014, The Wall Street Journal annonçait : « Global markets tumble amid fears over portuguese lender » [1] (« la crainte envers le prêteur portugais provoque une chute aux marchés globaux »). Le prêteur ciblé était la Banque Espírito Santo (BES) [2] ; le débiteur ciblé était le Groupe Espírito Santo (GES) lui-même, auquel le BES appartient – une drôle de situation qui justifie l’affirmation du Financial Times : les sociétés du GES ont des relations « terriblement incestueuses ». Les conséquences se ressentent à la bourse de Lisbonne, à New York, sur les dettes publiques portugaise et grecques, …
Structure simplifié du Groupe Espírito Santo (GES)
Les dettes du GES sont seulement la partie visible de l’iceberg, puisque tout cela advient dans un contexte global : chaque élément de la chaîne de entreprises impliquées dans l’hécatombe du BES appartient à d’autres chaînes beaucoup plus complexes et globales ; le BES lui-même est seulement détenu à 25 % par le GES et 73 % de son capital est entre les mains de sociétés internationales.
Le domino des dettes financières retombe toujours sur les travailleurs
La BES a prêté 200 millions à Rioforte et 780 millions à ESFGA, deux des holdings du GES ; PT, elle aussi, a prêté 897 millions à Rioforte ; et maintenant les emprunteurs déclarent qu’ils ne peuvent pas payer. La BES, à son tour, s’est recapitalisée, en septembre 2011, avec un emprunt de 300 millions provenant de Chine [3] – et ainsi de suite. Pour parfaire ce désastre, ajoutons 2 milliards de dettes irrécouvrables en Angola,... et qui sait quoi d’autre.
La toile des liaisons économiques
On pourrait penser que tous ces problèmes concernent seulement les investisseurs privés – (qu’ils s’en débrouillent !) – et que le citoyen ordinaire n’est pas concerné par cette affaire. Malheureusement ce n’est pas aussi simple : par exemple, l’Institut de gestion des fonds de capitalisation de la sécurité sociale détient 2,28 % du capital de la PT, dont les actions ont chuté drastiquement. Malgré ce fait, les pouvoirs publics insistent à déclarer que les citoyens n’auront pas à payer un centime. Bien entendu, si on entend par « peuple » ceux d’en haut (les banquiers), alors le premier ministre dit la vérité ! ; mais si on pense à ceux d’en bas (les travailleurs, le petit commerce, les retraités, ...), il n’y a aucun doute qu’ils seront obligés de payer la totalité des pertes, tant directement que indirectement.
Prendre du revenu directement à ceux d’en bas, passe, par exemple, par le saccage des fonds des travailleurs (constitués par les cotisations pour la sécurité sociale) investis dans les sociétés des groupes économiques et financiers qui dominent l’économie.
Quant aux formes indirectes qui obligeront les travailleurs à payer les aventures financières du grand capital, elles sont nombreuses : au prétexte des difficultés financières des entreprises exposées, et sous le chantage aux licenciements collectifs, on peut s’attendre à des réductions de salaire (absolu et relatif), à des licenciements sélectifs, des retraites anticipées et à l’aggravation de la précarité. On connaît déjà très bien la chanson de ce carrousel, mais maintenant elle va sonner encore plus fort, à cause de cette nouvelle crise qui s’est déjà faite annoncer non seulement au Portugal mais aussi dans d’autres pays en Europe.
À un problème global, il faut donner une réponse coordonnée
La toile des intérêts croisés entre les entreprises, les groupes économiques et la caste politique est d’une obscure densité. Cette toile déborde les frontières, liant des intérêts économiques à travers le globe. Ce fait implique qu’aucune proposition de solution seulement nationaliste n’est viable à long terme ; les solutions nationales ne sont plus adaptées à notre réalité et inutile de couper une tentacule du poulpe, cela ne servira qu’à l’enrager, entraînant sans nul doute de futurs et lourds sacrifices, inutiles, à la population.
Pour trouver des solutions efficaces et définitives au sujet de la dette publique et aux mesures d’austérité qui affectent les peuples de la périphérie européenne, il faut travailler aussi dans le cadre d’une coordination entre ces peuples en rassemblant – si possible – les peuples des deux cotés de la Méditerranée.
Récemment nous avons fait un saut qualitatif dans ce domaine : la présence croissante au parlement européen de nouvelles forces politiques, comme Syriza et Podemos, parmi d’autres courants conscients du besoin d’une coordination internationale contre l’austérité et contre la dette. Cela nous apporte un nouvel espoir.
Quand on dit que la présence de ces nouvelles forces dans les institutions européennes nous apporte un nouvel espoir, il faut bien comprendre ce que cela signifie et les limites de cette affirmation : on ne peut pas s’attendre à ce que la présence de quelques députés au parlement de l’UE (ou à quelque autre parlement, soit dit en passant) soit suffisant, par lui même, pour déclencher des changements dans la société, pour freiner le néolibéralisme et l’austérité, pour discipliner les règles des banques et de la finance, pour socialiser la banque et la soumettre au contrôle des citoyens, pour décréter la répudiation des dettes illégitimes, … Non, ce que la présence conjuguée de ces nouvelles tendances au centre des pouvoirs publics européens permet, c’est créer un centre névralgique, une nouvelle dynamique de communication, de coordination et d’apprentissage mutuel entre les mouvements sociaux de plusieurs pays. Ce saut qualitatif peut aider à changer le cours des événements.
Sources et références :
Jornal I-online, « BES. Europa treme de medo e juros das dívidas do sul disparam », 11-07-2014, http://www.ionline.pt/artigos/dinheiro/bes-europa-treme-medo-juros-das-dividas-sul-disparam/pag/-1
Sobre os gestores do GES e os grupos « donos de Portugal » :
Ricardo Salgado : http://www.rtp.pt/noticias/index.php?article=752765&tm=6&layout=121&visual=49%C2%A0
Vítor Gaspar e o grupo BES : http://observador.pt/especiais/ultimo-banqueiro/
Sobre a influência dos banqueiros no pedido de empréstimo da Troika :
http://www.publico.pt/economia/noticia/socrates-portugal-ja-pediu-ajuda-a-bruxelas_1488615
Entrevista a Ricardo Salgado, « Portugal precisa urgentemente de um empréstimo », 5-04-2011, http://expresso.sapo.pt/ricardo-salgado-portugal-precisa-urgentemente-de-um-emprestimo=f642030%C2%A0
« Troika : empréstimo de 78 mil milhões de euros », 3-05-2011, http://www.dn.pt/inicio/default.aspx
« Quase metade do empréstimo da troika é para juros e comissões », 25-11-2011, http://www.jn.pt/paginainicial/
Sobre os empréstimos do BES e da PT :
http://economico.sapo.pt/noticias/bes-consegue-300-milhoes-de-dolares-na-china_128018.html
Entrevista a Maria Luís : « Os banqueiros não gerem o país, quem gere o país é o governo », 27-06-2014, http://www.dinheirovivo.pt/Economia/politica/interior.aspx?content_id=3996134
« Fundo de reserva da Segurança Social perde 27 milhões de euros com crise no Grupo Espírito Santo », 17-07-2014, http://www.esquerda.net//artigo/fundo-de-reserva-da-seguranca-social-perde-27-milhoes-de-euros-com-crise-no-grupo-espirito?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook
Correction du texte traduit : Jacques Dachary
[1] The Wall Street Journal, 10-07-2014, http://online.wsj.com/articles/markets-tumble-on-european-bank-woes-1404979086.
[2] La dimension nationale du BES :
« BES has major holdings in a number of banks and companies, among which the following are of particular importance : Banco Internacional de Crédito, based in Lisbon, whose core activities are commercial, mortgage and private banking ; Companhia de Seguros Tranquilidade, the largest insurance company operating in Portugal ; Besleasing, also the top leasing company in the country ; BESI, a leading investment Bank ; ESAF, a mutual and fund holding company, dedicated to securities and property, in Portugal and abroad […] [other companies hold by BES :] factoring, retail and consumer credit, credit cards, brokerage, information systems and EDP, medical care and security services are also part of the BES Group. BES enjoys the highest rating among Portuguese banks, namely those granted by Standard & Poor’s and Moody’s : A and A2, for medium and long term ; A1 and P1 for short term, respectively ».
La dimension internationale du BES :
« BES currently operates a fully-owned bank in Spain [...] It holds a 20% stake in Société Bancaire de Paris (France) along with branches in Lausanne, London, Nassau, Madeira Offshore, Madrid and New York. [...] At the end of 1995 a new subsidiary bank was established in Macao [...] By the end of 1997, an important stake was taken up in Banco Boavista Inter-Atlântico, a universal and commercial Brazilian banking institution [...] Stakes are also held in Kredyt Bank PBI, SA, Poland and Société Bancaire de Paris. »
Voir l’article intégral : http://www.portugaloffer.com/bes/index.html.
[3] Jornal Económico, 30-09-2011, http://economico.sapo.pt/noticias/bes-consegue-300-milhoes-de-dolares-na-china_128018.html. « Le prêt accordé par la plus grand banque chinoise d’investissement externe sert à renforcer la capacité de financement du BES. L’opération se déroule à la séquence d’un partenariat initié à 2007 et culminé d’un memorandum d’entente signé le juin [2011]. »
est traducteur et sonoplaste, co-fondateur du Comité pour l’audit de la dette publique portugaise (CADPP), membre de Démocracie & dette. Avec Renato Guedes il a publié « Qui paye l’État providence au Portugal ? » (in Quem Paga o Estado Social em Portugal ?, coordonné par Raquel Varela ; Bertrand, Lisbonne, 2012) et « Et s’il y avait le plein emploi ? » (in A Segurança Social É Sustentável, coordonné par Raquel Varela ; Bertrand, Lisbonne, 2013).