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Jour 4 : La Commission pour la vérité sur la dette grecque fait sa rentrée !
Nous allons continuer notre travail en Grèce pour modifier les rapports de forces de manière à ce que justice soit rendue !
par Emilie Paumard
27 septembre 2015

C’est par une conférence de presse que s’est clôturée cette 4e session publique de la Commission pour la Vérité sur la dette publique. L’occasion pour les membres de présenter un rapport qui explique en quoi le mémorandum d’août 2015 et l’accord de prêt de 86 milliards d’euros qui lui est attaché sont illégitimes, illégaux, odieux et insoutenable. Ce fut aussi le moment pour la Commission d’affirmer sa détermination à poursuivre son travail dans les semaines et les mois à venir et ce sous quelque statut que ce soit.

Un large panel s’est ainsi présenté devant les journalistes afin de développer les preuves d’irrégularités de ce troisième mémorandum dans toutes les matières couvertes par les experts de la Commission. C’est d’abord la question du référendum du 5 juillet qui a été abordée. Les Grecs ont en effet été invités à cette date à se prononcer sur deux documents précis. Un premier qui attestait de la soutenabilité de la dette souveraine grecque et un second découlant de cette attestation et proposant une série de mesures censées, selon l’expression consacrée, assainir la situation du pays. Comme on le sait les Grecs ont largement rejeté ces deux textes. Or, comme l’a rappelé le professeur de droit Illias Bantekas, la Constitution grecque stipule que « tout acte doit être fait au service des citoyens ». Le référendum a donc une valeur contraignante à laquelle le gouvernement est tenu de se soumettre. En ne le faisant pas, il se place dans l’illégalité.

Au-delà de cette incontestable démonstration le professeur de droit, effaré par sa lecture du mémorandum, s’interroge : « La question qui se pose est : quel est le rôle de l’État ? En droit, la réponse est claire : l’État doit agir en faveur de la protection du peuple. Or, aujourd’hui, il est devenu un comptable qui applique une gestion comme un responsable de grand magasin. Le mémorandum est frappant sur ce point car on a le sentiment de lire un document de comptabilité avec un actif et un passif ». D’aucuns rétorqueront peut-être à monsieur Bantekas que cette position de technicien se justifie lorsque le bateau prend l’eau et qu’il faut parfois faire des sacrifices pour redresser la barre.

Il n’y a aucune raison que l’application des mêmes recettes donne un résultat différent.

C’est à cet argument que Michel Husson, économiste, a tordu le cou dans une implacable démonstration. Comme il l’a très bien rappelé, en effet, les deux premiers mémorandums ont totalement échoué à relever le pays sur le plan économique. Il n’y a pour lui aucune raison que l’application des mêmes recettes donne un résultat différent. Ainsi le mémorandum repose une fois de plus, aux dires de l’économiste, sur deux « paris fous ». D’abord sur l’hypothèse que le pays dégagera un excédent budgétaire primaire de 3,5 % d’ici 2018. Étant donné qu’aucun pays n’a réussi la performance d’atteindre ce taux dans la période récente, on peut sérieusement douter que la Grèce accomplisse ce miracle en temps de crise. Deuxièmement, les rédacteurs de l’accord postulent qu’un approfondissement des fameuses réformes structurelles permettra de renouer avec la croissance, pour atteindre 3,1 % en 2018. Or la Grèce a été félicitée, notamment par l’OCDE, pour être un des pays qui a produit le plus d’efforts en termes de réformes structurelles... mais la croissance, elle, n’est pas venue. L’efficacité du binôme « réformes structurelles / croissance » prend, dans les faits, un sérieux coup dans l’aile. En guise de boutade l’économiste français a conclu par ces mots : « Je demeure fermement convaincue que la dette de la Grèce est devenue insoutenable et que la Grèce ne peut, par ses seules actions, restaurer la viabilité de cet endettement », mots qui ne sont pas les siens mais bien ceux de Christine Lagarde, directrice du FMI, le 15 août dernier.

Cephas Lumina, l’ancien expert de l’ONU sur la dette, qui a pour sa part l’expérience de 30 années d’ajustements structurels dans les pays en développement, s’est interrogé sur cette impasse de l’approche techniciste : « combien de temps vont-ils continuer à faire semblant de ne pas comprendre que partout où ces politiques ont été appliquées, elles ont échoué ? ». Tandis qu’une résolution [1] de l’ONU proposant la mise en place d’un cadre juridique international sur la question des restructurations de dettes souveraines vient d’être largement adoptée, le professeur de droit constate amèrement que les grandes puissances telles que les États-Unis et l’UE s’y sont une fois de plus opposées : « depuis des décennies tout effort pour mettre en place un système plus juste en matière de règles financières est systématiquement entravé par les plus grandes puissances » a-t-il constaté devant les journalistes.

Il n’en reste pas moins que la Commission encourage les efforts faits pour la mise en place de ce cadre juridique et même y participe. En effet, Éric Toussaint a rapporté hier qu’il avait été invité par la CNUCED [2] pour discuter des améliorations à apporter à cette résolution. Le coordinateur scientifique de la Commission a donc proposé devant les représentants de plus de 100 pays, d’ajouter trois principes aux neuf [3] principes déjà existants : un 10e principe qui oblige tout État qui souscrit à cette résolution à réaliser un audit de sa dette avec participation citoyenne afin d’identifier les éventuelles dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables [4] ; un 11e principe qui stipule que si, au bout d’une durée raisonnable de négociation, aucun accord n’a été trouvé entre créancier et débiteur, ce dernier est en droit de recourir à un moratoire sur sa dette ; enfin un 12e principe qui interdit la transformation de dettes privées en dettes publiques pour ne pas reproduire la catastrophique expérience de la crise financière de 2007-2008.

Nous allons continuer notre travail en Grèce et soutenir toutes les initiatives qui pourraient renforcer une dynamique en Europe et ailleurs pour modifier les rapports de forces de manière à ce que justice soit rendue !

Par la voix d’Éric Toussaint, la Commission a tenu à rappeler que ce travail visant à aboutir à un cadre juridique international ne doit absolument pas déforcer les dynamiques d’audit en cours. Bien au contraire, il s’agit pour lui de démarches complémentaires ! Ainsi, fort des expériences en cours à l’initiative du parlement en Argentine, à l’initiative des municipalités en Espagne et à l’échelle des citoyens un peu partout en Europe, le coordinateur s’est engagé à ne pas s’en arrêter là : « Nous allons continuer notre travail en Grèce et soutenir toutes les initiatives qui pourraient renforcer une dynamique en Europe et ailleurs pour modifier les rapports de forces de manière à ce que justice soit rendue ! » Et à la question d’un journaliste sur le cadre que prendrait la poursuite des travaux dans le cas où le nouveau président du parlement grec [5] ne reconduit pas le mandat de la Commission, la réponse de monsieur Toussaint a été très claire : « si notre mandat n’est pas poursuivi dans ce cadre nous continuerons sous une autre forme. Il faut savoir qu’aucun des membres de cette Commission n’a été rémunéré à ce titre [6] Donc, pour nous, la situation ne changera pas fondamentalement. Et s’il faut être hébergé chez des citoyens grecs, solidaires de notre démarche et si il faut payer nous-mêmes nos billets nous le ferons. Car notre seule motivation est la défense des intérêts du peuple grec et de tous les peuples à qui les créanciers imposent une dette illégitime ! »

Pour conclure cette conférence, un journaliste de la radio-tv publique ERT a interpellé le panel sur la faisabilité et la viabilité des propositions soutenues par la Commission : « Si le 20 février au lieu de signer un accord funeste avec l’Eurogroupe, le gouvernement avait suivi les recommandations du rapport préliminaire et déclaré un moratoire sur le paiement de sa dette, est-ce que la Grèce ne se serait pas retrouvée dans une situation catastrophique ? » Après une première prise de parole de la présidente du parlement qui a insisté sur le fait que les Grecs ne peuvent pas accepter les options qui leurs sont servies au quotidien et qui consistent à dire « si tu refuses de mourir à petit feu par empoisonnement, alors je te mettrai une balle dans la tête », le coordinateur scientifique de la Commission a tenté de dresser le tableau d’un autre scénario. « Si le 5 juillet le gouvernement avait choisi d’appliquer le règlement européen qui oblige tout pays sous politique d’ajustement à mener un audit et qu’il avait accompagné cela d’une suspension de paiement, de mesures fortes pour protéger l’épargne de la population, en réglant réellement le problème des banques par leur socialisation, et mis en place une monnaie complémentaire, ne pensez-vous pas que la situation serait meilleure ? Si ce plan B avait été appliqué à partir du 20 février, je suis persuadé que ça n’aurait pas été la catastrophe mais au contraire que cela aurait forcé les créanciers à s’asseoir réellement autour de la table et la Grèce n’aurait pas dépensé les 7 milliards qui ont servi à rembourser les créanciers entre février et fin juin 2015. De même si ce plan avait été appliqué sur la base du résultat du référendum du 5 juillet il était possible d’éviter la capitulation qui a suivi. Car il est important que le peuple grec et les autres peuples comprennent que les problèmes ne sont pas réglés. Les 25 milliards prévus dans le troisième mémorandum pour recapitaliser les banques ne suffiront pas. Les banques grecques sont insolvables. Et il n’est pas impossible que dans 6 ou 9 mois les dépôts supérieurs à 100 000 euros soient affectés. » a ainsi affirmé Éric Toussaint.

On fait croire aujourd’hui aux Grecs que le seul chemin qui peut être suivi est celui qui mène au précipice. Mais il y a toujours, absolument toujours, un chemin alternatif.

Suite à ce sombre constat, l’ex-ministre des finances équatorien a conclu par une note d’espoir en illustrant le cas de son pays. Car c’est lui qui était aux commandes des finances au moment de la suspension de paiements de la dette extérieure de son pays en 2008. Et il a rappelé qu’à cette époque on proférait exactement les mêmes menaces que celles qu’on entend aujourd’hui au sujet de la Grèce. « Mais nous l’avons tout de même fait et aujourd’hui mon pays n’est pas en faillite, il a accès aux marchés financiers et il n’a pas fait peser le poids d’une dette illégitime sur les épaules du peuple » a-t-il déclaré, rappelant pour conclure que : « l’on fait croire aujourd’hui aux Grecs que le seul chemin qui peut être suivi est celui qui mène au précipice. Mais il y a toujours, absolument toujours, un chemin alternatif ».


Notes :

[2Commission des Nations unies pour le Commerce et le Développement

[3Impartialité, transparence, bonne foi, traitement équitable, immunité souveraine, légitimité, durabilité

[4Éric Toussaint a proposé à la CNUCED d’adopter les définitions de ces 4 principes telles qu’elles ont été écrites dans le rapport préliminaire de la Commission

[5Suite aux élections du 20 septembre un nouveau président du parlement sera nommé au début du mois d’octobre.

[6Étant donné que plusieurs critiques ont été faites quant aux coûts liés à la Commission pour la vérité sur la dette grecque, la présidente du parlement a démarré cette conférence de presse en faisant toute la transparence sur les dépenses. En résumé : personne n’a reçu de rétribution pour ce travail. Le coût total s’élève à 112 000 euros : 50 000 euros pour l’hébergement ; 25 000 pour les frais d’interprétation ; 5500 euros de frais de traduction ; 31 500 euros de frais de déplacement. La présidente du parlement a également tenu à rappeler que, sur la période de janvier à septembre 2015, le parlement a fait une économie de 12,5 millions d’euros par rapport à la même période en 2014.

Emilie Paumard