Contre le bloc oligarchique néolibéral
Le système-dette [1], outil et pilier du néolibéralisme, a besoin pour exister de 4 éléments : un système financier hypertrophié permettant une sur-accumulation du capital, des politiques publiques austéritaires, un système institutionnel d’où la démocratie est absente et surtout une caste dirigeante et servile pour appliquer ces politiques au service du capitalisme financier. Mis en place au début des années 1970, le système-dette se caractérise par le contrôle des structures légales, politiques, économiques et de communication des pays.
On ne compte plus les navettes entre les grandes banques et les institutions politiques et administratives, les lieux d’exercice du pouvoir, élues ou non. Récemment encore, en France, le directeur du Trésor, Bruno Bezard, a rejoint le fonds d’investissement chinois Cathay Capital, par ailleurs déjà en affaires avec la Banque publique d’investissement, sans que la commission de déontologie n’y trouve à redire.
Les exemples sont légion de ces prises illégales d’intérêts, de ces pantouflages ou encore de ces allers et retours entre la finance privée et le monde politique, lequel monde politique s’est transformé au fil du temps en oligarchie en lutte permanente contre la démocratie. Cette nouvelle aristocratie subvertit et bafoue les principes démocratiques et la souveraineté populaire. Elle s’appuie sur une cohorte « d’expertocrates », une constitution au service de l’accumulation du capital et des sociétés asservies à la dette.
On se souvient du fameux : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » de J-C Juncker, président de la Commission européenne, prononcé le 29 janvier 2015 à l’adresse du peuple grec.
Avec cette affaire Barroso, décrite par Romaric Godin, dans son excellent article pour le journal « La Tribune » du 8 juillet dernier, reproduit ci-dessous, nous avons une illustration de plus de ce que Pierre Dardot et Christian Laval nomment le « bloc oligarchique néolibéral » dans leur dernier ouvrage [2], un sérail dont Barroso fait partie.
Il n’est pas étonnant que les peuples européens se sentent éloignés et mis en danger par les institutions européennes, qu’ils soient dans la zone euro ou pas, comme l’a montré l’exemple du Brexit. La responsabilité dans le pillage de la Grèce, de la BCE, de la Commission européenne et aujourd’hui du Mécanisme européen de stabilité, avec la complicité du FMI, n’est plus à démontrer.
Il nous appartient aujourd’hui de mettre à bas ces institutions européennes, nuisibles à la démocratie et aux intérêts des peuples européens. Mettre en place des audits citoyens des dettes publiques est devenu un impératif démocratique pour mettre à bas ce système-dette et les institutions qui le font vivre.
Citant le personnage principal de son merveilleux ouvrage « Le talon de fer » [3], Ernest Everhard qui mène une lutte acharnée contre l’illusion électorale, Jack London écrivait de façon prémonitoire en 1908 :
« Dès lors, Ernest épingla sa foi au drapeau de la révolution. Sur ce point, il se trouvait en avant de son parti. Ils persistaient à croire que la victoire pouvait être gagnée aux élections. Ernest ne parvenait pas à leur inspirer une crainte sérieuse de l’avènement de l’oligarchie. Il réussissait à les émouvoir mais ils étaient trop sûrs de leur propre force. Il n’y avait pas de place pour l’oligarchie dans leur théorie de l’évolution sociale, par conséquent l’oligarchie ne pouvait pas exister » (page 229). »
La démocratie contre l’oligarchie et sa dictature doit être une composante des mobilisations sociales !
Pascal Franchet
Par Romaric Godin
L’ancien président de la Commission européenne aidera la banque d’affaires américaine à gérer l’après-Brexit. Un transfert qui envoie un message négatif de plus au débit de l’UE.
Les « portes tournantes » continuent de tourner. L’ancien président de la Commission européenne, le Portugais José Manuel Durão Barroso, a été recruté par la banque d’affaires étatsunienne Goldman Sachs pour l’aider à gérer les conséquences de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union européenne après le référendum du 23 juin dernier. Il sera ainsi nommé président non exécutif de Goldman Sachs International (GSI) à Londres et, de surcroît, il aura le titre de « conseiller ».
Aider Goldman Sachs à gérer le Brexit
Selon le Financial Times, José Manuel Barroso entend « faire ce qu’il peut pour adoucir les effets négatifs du Brexit ». Les banques d’affaires américaines ont naturellement choisi Londres comme base d’opération pour leurs activités européennes. Mais si le Royaume-Uni perd son accès au marché unique européen, il leur faudra ouvrir de nouvelles filiales dans un pays de l’Espace économique européen. Quel pourrait alors être le rôle de l’ancien président de la Commission ? Aura-t-il pour charge de faire du lobbying auprès des négociateurs européens qu’il connaît fort bien pour sauvegarder cet accès de la finance londonienne au marché unique (le fameux « passeport » européen) ? Cherchera-t-il à négocier des avantages avec un éventuel « point de chute » ? Pour le moment, il va déménager à Londres et croit que « Londres restera un centre financier mondial très important », indique-t-il au FT.
Le problème de l’indépendance
Évidemment, ce « transfert » pose une question centrale : celle de l’indépendance. Les liens entre Goldman Sachs et d’autres grandes banques et de nombreux fonctionnaires européens ou nationaux posent de véritables problèmes, notamment dans la gestion de la crise financière. Le cas le plus souvent cité est celui de Mario Draghi. L’actuel président de la BCE depuis 2011 a été vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs de 2002 à 2005. Or, Goldman Sachs n’est pas une banque comme les autres. C’est elle qui a aidé le gouvernement grec a détourné la méthode de calcul du déficit public par des produits de « swaps » qui permettaient de reporter à plus tard une partie de ce déficit. Grâce à ce tour de passe-passe, la Grèce était entrée dans la zone euro en 2002. Ce mécanisme avait été utilisé, du reste, par l’Italie, en 1997 pour rejoindre l’union monétaire à une époque où le directeur général du trésor transalpin était un certain... Mario Draghi.
Le comportement de José Manuel Barroso durant la crise
Et pour José Manuel Barroso ? Cette nomination n’est pas neutre. En tant que président de la Commission, cet homme a été un des responsables des erreurs de gestion des années 2010-2013. Partisan d’une austérité forte et d’un ajustement féroce, il a participé à la troïka dans tous les pays touchés par la crise, de la Grèce à l’Irlande. Or, le principe de ces « sauvetages » a été de sauvegarder les intérêts des créanciers des États, principalement les banques. José Manuel Barroso a notamment participé aux pressions contre l’Irlande pour empêcher le gouvernement de ce pays de réduire le fardeau porté par sa populations en faisant participer les créanciers des banques irlandaises. L’ancien président de la Commission, qui n’a jamais vraiment eu à répondre de ces choix devant le parlement européen, a donc géré au mieux les intérêts du secteur financier dans une crise causée à l’origine par des produits vendus à la Grèce par Goldman Sachs qu’il rejoint à présent.
Un combattant contre la « mauvaise finance » ?
Certes, dans son interview au Financial Times, l’ancien premier ministre portugais, chef de file lors de la Révolution des œillets en 1974 du Mouvement révolutionnaire du prolétariat portugais (MRPP, maoïste) avant de rejoindre en 1980 le parti social-démocrate (PSD) de centre-droit, se présente comme celui qui a entamé un « effort global de régulation et de supervision » de la finance. Mais son bilan, de ce point de vue, reste contestable. Le projet Barnier de séparation bancaire, assez timide, a été abandonné. L’union bancaire n’a pas été conclue sous la direction de José Manuel Barroso et montre déjà ses limites en Italie ces derniers jours. Surtout, les lendemains du Brexit montrent clairement que le risque d’une crise financière n’est pas écarté. Qu’une banque aussi fragile que Deutsche Bank puisse continuer à menacer comme une épée de Damoclès sur l’Europe prouve aussi que les efforts de l’ancien président de la Commission ont été pour le moins insuffisant.
Effet désastreux pour l’UE
En réalité, les déclarations de José Manuel Barroso, qui se dit « très impressionné par l’engagement de Goldman Sachs pour les niveaux les plus élevés en termes d’éthique » et par la « culture d’intégrité et de responsabilité » de l’entreprise, sonnent comme les reflets un cynisme parfait. De tels engagements ne peuvent manquer de soulever des questions quant à l’action présente des dirigeants européens. Voir un ancien chef de l’exécutif de l’Union européenne chercher à aider une banque à gérer au mieux le Brexit ne peut manquer de soulever des questions sur l’engagement quant à l’intérêt général européen des dirigeants de l’UE. A l’heure où le successeur de José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker est très contesté et où l’UE peine à tirer les leçons du vote britannique, cette nomination est particulièrement mal venue et pourrait avoir un effet désastreux.
Romaric Godin
[1] Utilisation inversée de l’instrument de l’endettement public, qui consiste à soustraire des ressources plutôt que d’en apporter.
[2] Ce cauchemar qui n’en finit pas, Édition La Découverte, 2016
[3] Le talon de fer, Jack London, édition 10/18
Président du CADTM France
Journaliste à Mediapart. Ancien rédacteur en chef adjoint au quotidien financier français La tribune.fr
Romaric Godin suit les effets de la crise en Europe sous ses aspects économiques, monétaires et politiques.