Un acte unilatéral est une décision politique souveraine prise par un État, qui s’impose à ses destinataires C’est le cas lorsqu’un gouvernement répudie sa dette à l’égard d’un créancier. Ces actes peuvent prendre différentes formes : loi, décrets, règlements.
Le CADTM préconise notamment la mise en place d’audits (sans associer les créanciers), le moratoire immédiat avec gel des intérêts sur les dettes insoutenables et la répudiation de toutes celles qui sont illégitimes, odieuses voire illégales et bien sûr l’adoption immédiate de lois pour contrer les fonds vautours.
La finalité de ces actes unilatéraux est de faire primer les droits humains fondamentaux et de rompre avec le diktat des créanciers. Face aux manœuvres de ces derniers, ils constituent aussi des mesures d’auto-défense nécessaires.
Ces actes sont en conformité avec le droit international qui place les droits humains au sommet de la hiérarchie des normes. Ils ne peuvent dès lors se confondre avec les actes unilatéraux qui bafouent les droits humains tels que le décret présidentiel de Trump limitant l’immigration aux États-Unis ou la loi adoptée par le Parlement d’Israël qui légalise les colonies sur le territoire palestinien.
Le mécanisme multilatéral de restructuration des dettes souveraines : une impasse politique
La lutte pour l’abolition des dettes illégitimes et la justice sociale doit aussi être internationale. Mais international ne signifie pas que la solution viendra des organisations internationales comme le FMI et la Banque mondiale, qui servent principalement les intérêts des grandes puissances créancières. D’ailleurs, les États-Unis, le Canada, le Japon, Israël et l’ensemble des États de l’UE ont tous refusé de voter en faveur de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 10 septembre 2015 visant à mettre en place un nouveau cadre international pour la restructuration des dettes publiques.
Dans ces conditions, il est vain d’attendre la mise en place d’un mécanisme multilatéral de restructuration des dettes souveraines ou un tribunal international sur les dettes souveraines sous l’égide de l’ONU comme le proposent certaines organisations de la société civile, d’autant qu’il y a urgence. La création d’un tribunal international passe nécessairement par plusieurs étapes qui peuvent durer plusieurs années : négociation, signature et ratification d’un nouveau traité instituant cette cour avec le corpus de règles à appliquer par les juges. Les populations n’ont pas le temps d’attendre qu’un cadre international de restructuration des dettes souveraines sous l’égide des Nations unies voit le jour, d’autant que les principaux États créanciers, le FMI et la Banque mondiale s’emploient depuis des années à le faire échouer. Par ailleurs, nous pensons, comme le réseau Jubilé Sud, que le recours aux tribunaux ne saurait remettre en cause le droit des peuples eux-mêmes à agir directement contre les conditions et les instruments de l’oppression.
Vu le refus des créanciers de régler les questions d’endettement dans un cadre démocratique prenant en compte les droits humains, désobéir est indispensable. Utilisons dès maintenant les outils juridiques qui sont déjà à notre disposition comme le droit de suspendre et d’auditer les dettes pour remettre en cause toutes celles qui ont été contractées contre l’intérêt des populations. Pour le CADTM, cette stratégie de désobéissance via les actes unilatéraux doit s’articuler avec le soutien à des initiatives internationales sur la dette rompant avec le cadre de domination actuel. Ces deux niveaux d’actions (national et international) ne sont pas contradictoires comme l’ont démontré l’Islande et l’Équateur. Ces deux États, qui ont refusé unilatéralement de payer une partie de leurs dettes illégitimes, ont voté en faveur de la résolution de l’ONU du 10 septembre 2015.
Les actes unilatéraux sont nécessaires pour renverser le rapport de force : la preuve par l’Histoire
Peu connue, la liste des répudiations de dettes qui ont eu lieu dans l’Histoire est pourtant longue. La liste des suspensions unilatérales de paiement l’est aussi. Contrairement au discours dominant selon lequel ces moratoires précipiteraient les États dans le chaos, les faits montrent que « les périodes de défaut de paiement marquent le début de la récupération économique » [1], comme l’écrivent deux économistes qui ont travaillé pour la Banque interaméricaine de développement (BID), Eduardo Levy Yeyati et Ugo Panizza. Dans un autre rapport analysant une cinquantaine de cas de crises de la dette dans des économies dites « émergentes » et « avancées », deux anciens économistes du FMI, Carmen M. Reinhart et Christoph Trebesch, concluent également que les pays qui ont procédé à une réduction de leur dette (via un défaut et/ou une restructuration) ont vu leurs revenus nationaux augmenter, la charge de la dette diminuer et leur accès aux marchés financiers s’améliorer [2].
Les États ont tout intérêt, même lorsqu’ils s’engagent dans une négociation avec les créanciers, à suspendre préalablement le paiement et à faire l’audit de leur dette pour rééquilibrer le rapport de force. À l’inverse, les États, qui pensent obtenir une réduction de la dette sans recourir au préalable à un acte unilatéral, commettent une grave erreur stratégique. L’exemple de la Grèce en 2015 est malheureusement là pour nous le rappeler. En refusant de suspendre le paiement pour forcer les créanciers à véritablement négocier et d’utiliser le rapport d’audit du Comité pour la Vérité sur la dette grecque, le gouvernement Syriza a été écrasé par ces derniers qui lui ont fait signer un troisième mémorandum pire que les précédents.
Les actes unilatéraux sont nécessaires pour faire évoluer le droit international en faveur des populations
Les actes souverains font évoluer le droit international
Le quatrième rapport de la Commission de droit international de l’ONU sur les actes unilatéraux souligne que ceux-ci « peuvent également produire des effets indirects comme ceux qui contribuent à la formation ou au renforcement de normes d’origine coutumière ou à la formation des principes généraux du droit » [3]. Autrement dit, les actes souverains font évoluer le droit international. La doctrine de la dette odieuse a, par exemple, été formulée en 1927 sur base notamment d’actes unilatéraux.
La loi belge contre les fonds vautours, adoptée le 12 juillet 2015, qui est un autre exemple d’acte souverain, vise à créer un effet d’entraînement au niveau international contre ces créanciers illégitimes en encourageant les autres États à adopter des lois équivalentes. Un an après l’adoption de cette loi, qui a été rédigée avec l’aide du CADTM, la France légiférait elle aussi contre les fonds vautours.
L’interdiction de la spéculation Comme le propose Paul Jorion, il faut interdire la spéculation. « En France la spéculation a été autorisée en 1885, en Belgique en 1867. La spéculation était d’ailleurs définie très clairement par la loi qui visait à « interdire les paris à la hausse ou à la baisse sur des titres financiers ». Avec une telle interdiction, les gens qui la pratiquent seraient en infraction ; qu’ils se trouvent dans une banque X ou Y, cela ne changerait rien ». On peut ajouter que les banques qui spéculent pour le compte de clients ou pour leur propre compte seront condamnées. L’acquisition par une banque ou une autre institution financière d’un bien matériel (matières premières, aliments, terres, immeubles...) ou d’un titre financier (actions, obligations ou tout autre titre financier) dans le but de spéculer sur son prix serait interdite [4]. |
Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète
[1] Journal of Development Economics 94 (2011), p. 95-105.
[3] ONU- CDI, Cuarto informe, op. cit., § 77.
[4] Voir Éric Toussaint, Bancocratie, éditions Aden, 2014, 388 p.