Réunis en assemblée générale le jeudi 11 septembre à la Bibliothèque nationale à Abidjan, les petits fournisseurs [1] de l’Etat se sont constitués en syndicat, le Syndicat National des fournisseurs de l’Etat de Côte d’Ivoire (Synafeci). Ils se proposeraient même de faire un sit-in devant la Présidence de la République, le 9 octobre prochain.
Comment comprendre cette évolution ?
La Côte d’Ivoire traverse, selon les agents du gouvernement, une période critique de son histoire. Les élections supposées nous sortir de l’état de guerre dans lequel le pays est plongé depuis les deux mois d’affrontement militaire de 2003, doit prendre fin le 30 novembre prochain. Et comme tous les ivoiriens aspirent à la paix, il vaut donc mieux ne rien entreprendre qui mette en péril le fragile équilibre obtenu avec l’accord dit « politique de Ouagadougou ». En attendant ce dénouement heureux de notre situation, le régime impose inévitablement et invariablement aux petits patrons, aux travailleurs, ouvriers, petits employés, paysans et à la jeunesse, des sacrifices sans nom.
L’activité économique nationale est au point mort. Les fermetures d’entreprises et les faillites sont devenues quotidiennes. Le 31 décembre 2003, il y avait environ 23 416 entreprises en activité en Côte d’Ivoire. Elles n’étaient plus que 13 124 au 31 décembre 2005. Des milliers de travailleurs ont été et sont chaque jour jetés à la rue. Plus de 43% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Selon les derniers chiffres communiqués par le Ministre de la formation professionnelle, 4 millions de jeunes seraient sans emploi, environ 20% de la population de la Côte d’Ivoire (20 807 216 h). Des hommes et des femmes, enfants, jeunes et vieux meurent chaque jour prématurément de maladies dont on avait oublié l’existence. L’espérance de vie a plongé. De 56 ans en 1998, elle n’est plus que 46 ans. Les principales villes du pays croulent sous le poids des ordures. Pour quiconque a des yeux pour voir, la misère est générale. Mais notre gouvernement qui n’a sans doute pas perdu son bon sens, se bat avec acharnement pour atteindre le point de décision qui devrait rendre notre pays éligible à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés, sensé réduire (ils ne sont pas très ambitieux !) la pauvreté. La Côte d’Ivoire n’est-elle pas devenue un pays pauvre, très endetté ? La dette publique extérieure dont le service engloutit chaque année plus de 30% du budget et dont le paiement, coûte que coûte, est à l’origine de tous nos malheurs, s’élevait à 9 007 millions de dollars en 2005. Compte tenu des arriérés qui se sont accumulés la situation n’est de toute évidence pas meilleure. Le stock de la dette intérieure qui était de 820,1 milliards FCFA [2] en 2003 (soit 1, 250 milliard €) atteint environ 1300 milliards de FCFA en 2008 (soit 2 milliards €). Ici aussi les arriérés de paiement intérieur sont estimés à 402,8 milliards de FCFA en 2007 (soit 614 millions €).
Partagé entre donner satisfaction aux besoins les plus pressants d’alimentation, de santé, de scolarisation, de logement du peuple ivoirien et la soumission au FMI et à la Banque mondiale, le gouvernement ivoirien a tranché net sans état d’âme en faveur de la Banque mondiale. Plutôt ceux qui, comme le déclarait Thomas Sankara, « ne mourront pas si nous ne payons pas » que ceux qui meurent déjà par milliers à cause de la dette. En février dernier, comme si les 30 ans de programmes d’ajustement structurel n’avaient jamais existé, le gouvernement a calmement choisi de verser d’une seule traite 118 milliards de francs CFA (soit 180 millions €) à la Banque mondiale. C’était la condition, nous dit-on, pour renouer avec cette institution. En récompense de toutes les souffrances qu’il supporte depuis le déclenchement de la crise, de la dégénérescence physique et morale qui le frappe, le peuple n’a eu droit qu’à des augmentations des tarifs et des prix. Quant aux créanciers nationaux de l’État, ils n’ont eu droit qu’à des promesses. Si quelques milliards ont été payés aux multinationales et aux grosses entreprises, les entreprises individuelles, les petits prestataires de service, sont eux promis à la faillite. Si les grandes entreprises, souvent succursales de firmes transnationales, disposent de fonds propres, ce n’est pas toujours le cas de petites entreprises individuelles qui, par ailleurs, n’ont souvent d’autres clients que l’État. Les soumettre à l’eau et au pain sec comme c’est le cas, n’est-ce pas non seulement signer leur arrêt de mort mais faire le choix délibéré de jeter d’autres travailleurs à la rue ? Ne valait-il pas mieux sauver des emplois, assurer les conditions de la relance de l’activité économique et dégager un surplus qui permettrait de payer le service de la dette, si telle est la volonté du gouvernement ? Mais l’État ivoirien passé depuis longtemps sous le contrôle du FMI et de la Banque Mondiale avait-il encore quelques ressources pour faire valoir les intérêts nationaux à défaut de ceux des travailleurs ? La réalité est éclairante.
Quelle est la situation réelle de la dette intérieure ? Qui sont les créanciers intérieurs de l’État ?
La dette publique se compose de la dette publique extérieure et de la dette publique intérieure. Pour ne parler que de la dette publique intérieure dont il est principalement question ici, c’est la dette brute de l’ensemble des administrations publiques (état, collectivités publiques, entreprises publiques, organismes de sécurité sociale). Elle comprend la dette due au secteur bancaire, (BCEAO, BIAO, SGBCI, City Bank, etc.), la dette due au secteur privé national (c’est dans cette fraction de la dette intérieure que se trouvent les créances des fournisseurs et prestataires de service sur l’État qui se sont constitués en syndicat) et les emprunts obligataires. Il faut ajouter à cela les passifs de l’État qui se constituent à la suite de prestations réalisées sans engagement préalable ou sans couverture budgétaire correspondante. S’il est relativement facile de connaître le montant des prestations régulièrement exécutées et reconnues par l’État, le montant des passifs fait l’objet d’une étude de la part de l’Inspection Générale pour déterminer les dettes qui peuvent être mises à la charge de l’État et celles qui ne peuvent pas l’être.
Il fut un temps où la lutte syndicale était assimilée à la rébellion. Aujourd’hui, la misère étant générale, les travailleurs, les consommateurs, tous ceux qui souffrent des coups à eux portés par le régime sous la dictée du FMI et de la Banque mondiale résistent malgré les dangers qu’ils courent. C’est le sens et le contenu réel de l’action des fournisseurs de l’État. Ils ont fini par comprendre que seule la lutte paie.
Travailleurs et fournisseur de l’État, même combat !
De la résistance contre la vie chère, à la lutte des fournisseurs pour être payés pour service fait, en passant par la lutte dans l’éducation nationale et la santé, pour la défense du pouvoir d’achat et de meilleures conditions de travail et de vie, la lutte des dockers et des agents de la marine marchande, l’ensemble des victimes des politiques néo-libérales est en mouvement. En juillet dernier lorsque, pour protester contre la hausse du prix des produits pétroliers, l’Union générale des Travailleurs de Côte d’Ivoire appela ses membres à un arrêt de travail, le gouvernement jugea cet arrêt de travail illégal sans considération de ce qui était en jeu. Aujourd’hui, par sa propre conduite, le gouvernement a perdu toute possibilité de se réclamer d’une quelconque loi. Mais les luttes, bien qu’elles commencent à intéresser tous les secteurs de la vie sociale, restent encore trop fragmentées pour être efficaces. C’est pourquoi la recherche de la fusion de toutes les résistances en un mouvement unique doit être l’objectif stratégique à atteindre dans les prochains jours.
Maurice Fahe, FNDP et Convergence pour une autre Côte d’Ivoire
[1] J’utilise ce qualificatif pour les distinguer de l’Association générale des entreprises de Côte d’Ivoire, organisation patronale qui regroupe les grandes, moyennes et petites entreprises de Côte d’Ivoire.
[2] 1 Euro= 655,957 FCFA
Maurice FAHE - FNDP Côte d’ivoire / CADTM