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Aperçu du rapport d’audit de la dette irlandaise
par Virginie de Romanet
11 octobre 2011

L’Irlande a été, en novembre 2010, le deuxième pays de la zone euro après la Grèce à passer sous le joug de la troïka (Banque centrale européenne, Union européenne, Fonds monétaire internationale), suite à une augmentation énorme de sa dette publique due au sauvetage des banques privées en septembre 2008.

Le 25 novembre 2010, la troïka a engagé un plan de « sauvetage » se montant à 85 milliards d’euros (dont 22,5 milliards pour le FMI) en contrepartie d’un plan d’austérité drastique, comme ça avait été le cas quelques mois plus tôt en Grèce.

En mai 2011, un audit [1] a été lancé et le rapport en a été rendu public en septembre [2]. Ce rapport court et technique, qui porte sur la dette de l’État et des banques privées irlandaises bénéficiant d’une garantie étatique, vise à donner un panorama global de la dette irlandaise ainsi qu’à être un outil de formation et une base de travail pour continuer la recherche.

Composition et évolution de la dette irlandaise

Alors que la dette de l’État à long terme représentait moins de 40 milliards d’euros en 2007 avant l’éclatement de la crise, celle-ci était passée au 31 décembre 2009 à 70 milliards d’euros et s’élève aujourd’hui à 89,9 milliards d’euros. A cela, il faut ajouter une dette à court terme d’1,9 milliard d’euros, soit un total de dette directe ou dette souveraine de 91,8 milliards d’euros.

Cependant la dette de l’État ne représente que le tiers de la dette des banques privées bénéficiant de garanties de l’État, qui se monte au moins à 279,3 milliards d’euros, et encore il s’agit là d’une estimation très prudente, selon le rapport.
Ces garanties se divisent en 5 grandes catégories :
1) Le plan de garantie des dépôts (Deposit Guarantee scheme), qui couvre les dépôts jusqu’à 100 000 euros [3] dans toutes les institutions bancaires couvertes ainsi que dans d’autres institutions de crédit, représente un montant de 74 milliards d’euros.
2) Le plan de soutien aux institutions de crédit (Credit Institutions Final Support) adopté par le pouvoir législatif en septembre 2008 a expiré le 29 septembre 2010, et certaines garanties ont été intégrées dans le plan de garantie des engagements éligibles (Eligible Liabilites Guarantee scheme – ELG) de 2009, qui concerne soit des dépôts des clients des banques [4](81 milliards) au-delà des 100 000 euros garantis par le premier mécanisme cité, soit des titres émis par ces banques (30 milliards).
3) Des billets à ordre [5]ont émis par le gouvernement pour l’Anglo Irish Bank, l’Irish Nationwide Bulding Society et l’EBS Building Society pour un montant de 30,9 milliards d’euros. Ces billets à ordre peuvent être apportés par les banques comme collatéraux (garanties) lorsqu’elles empruntent.
4) L’Agence nationale de gestion des actifs (National Asset Management Agency – NAMA), créée par le pouvoir législatif en 2009 pour acheter des actifs des banques, officiellement pour les protéger et les faire augmenter dans l’intérêt de l’État, a émis des titres qui représentaient au 31 mars 2011, 28, 7 milliards d’euros.
5) Enfin il faut inclure la procédure d’Assistance d’urgence en liquidités qui est en dernière instance garantie par le gouvernement irlandais et qui, en cas d’activation du total, représenterait une augmentation nette de 34,6 milliards d’euros de la dette irlandaise.

D’autres activités, facteurs potentiels d’influence

Le marché des Credit Default Swaps (CDS)
Les Credit Default Swaps (CDS) sont des produits dérivés négociables de gré à gré. Il s’agit de contrats d’assurance destinés à se prémunir contre le défaut de paiement d’une dette.
Il faut savoir que la mise en œuvre de paiement lié à la détention de CDS peut intervenir sans même un défaut formel sur une dette. En effet, la décision est à la discrétion d’un comité de l’Association internationale des swaps et produits dérivés (International Swaps and Derivatives Association). Jusqu’à présent la Banque des règlements internationaux (BRI [6]) n’a encore publié aucun document pour faire le point sur les institutions bancaires qui pourraient détenir des CDS sur les dettes des États européens. Bien que les CDS n’aient qu’un impact direct limité sur le marché des titres de la dette souveraine, le prix que les investisseurs sont prêts à payer donne une indication du risque en temps réel par rapport à celle, intermittente, des agences de notation. Les récents pourparlers autour de la dette grecque et son impact potentiel sur l’Irlande ont ainsi conduit à une augmentation de 27 points du prix des CDS sur la dette irlandaise.

Les ventes à découvert
Il s’agit d’une situation où un investisseur vend un actif avant de l’avoir acheté. Les ventes à découvert se multiplient lors des périodes de baisse de prix, les spéculateurs tablant sur une vente à un prix supérieur au prix d’achat futur de l’actif. Or, tant que le prix diminue entre la vente et l’achat, les spéculateurs actifs sur ces marchés, qui sont généralement des hedge funds [7]sortent gagnants. Les ventes à découvert agressives sont à même de manipuler les marchés et d’avoir un impact à la baisse sur la valeur d’un actif, comme une sorte de prophétie auto-réalisatrice.

Les ventes à découvert sont beaucoup plus susceptibles que les CDS d’avoir un grand impact. En mai dernier, elles ont ainsi été interdites par le gouvernement allemand. En Irlande, celles-ci et, dans une moindre mesure, les CDS ont largement influé sur la volatilité des prix des titres émis par le gouvernement.

Le premier objectif du rapport qui était d’établir un panorama relativement précis de la dette irlandaise a été rempli.
Le montant total de la dette irlandaise, lorsqu’on inclut les dettes garanties des banques irlandaises, était d’au moins 371,1 milliards d’euros au 31 mars 2011. De ce rapport on peut déduire qu’une très grande partie de celle-ci est clairement illégitime, puisqu’elle est le résultat de la crise financière dont les responsables économiques et politiques ont transféré la facture aux États.

Il serait donc maintenant important que les mouvements sociaux irlandais fassent un travail de sensibilisation sur base de ces résultats pour que les citoyens irlandais prennent réellement conscience de l’illégitimité d’une grande partie de cette dette et se mobilisent pour demander l’annulation de sa partie illégitime et des garanties mobilisées par le gouvernement.


Notes :

[1A l’initiative des ONG Action from Ireland (Afri), Debt and Development Coalition Ireland (DDCI) et du syndicat UNITE, l’audit a été réalisé par une équipe de chercheurs de l’Université de Limerick dirigée par Sheila Killian -qui dirige le département Comptabilité et Finance-, John Garvey et Francis Shaw,

[3Il peut s’agir d’un dépôt dans une seule banque ou du total de tous les dépôts dans plusieurs banques.

[4Il est à noter que des fusions et regroupements sont intervenus dans le secteur bancaire et les banques couvertes sont passées de 7 à 4.

[5Effet de commerce par lequel on s’engage à payer une somme d’argent soit à une personne soit à une autre à laquelle il a été transmis (NdT).

[6Située à Bâle en Suisse, cette banque est surnommée la « banque centrale des banques centrales ». Elle sert de pivot pour les systèmes de transaction monétaire internationale et assure une fonction de coordination entre les grandes banques centrales du monde, lesquelles en sont les actionnaires et forment son conseil d’administration (NdT).

[7Les hedge funds sont des fonds hautement spéculatifs (NdT).

Virginie de Romanet

est membre du CADTM Belgique