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Démêler le vrai du faux à propos de l’Islande : la finance
par Yvette Krolikowski , Mike Krolikowski
13 octobre 2011

Le samedi 1er octobre 2011, les membres du Parlement islandais ouvraient leur nouvelle session parlementaire. Ils furent accueillis par environ 2000 manifestants en colère, tapant sur les barrières, casseroles et poêles, certains jetant même des œufs sur les élus.
Les organisateurs de la manifestation ont remis au gouvernement une pétition de 34 000 signatures demandant l’allègement des dettes pour les ménages et plus de rigueur envers les banquiers, responsables de la crise, et qui continuent d’engranger des salaires prodigieux.
Les Islandais n’ont plus confiance dans le gouvernement. Beaucoup, ne pouvant plus rembourser leurs crédits, sont en train de perdre leurs maisons.
Le chômage a « baissé » à 7,2% en mai dernier mais cela est sans compter le nombre d’Islandais qui ont quitté le pays. Beaucoup de jeunes sont partis pour la Norvège, dont certains pour y joindre l’armée.

Depuis la crise en 2008, l’Islande a suscité beaucoup d’espoirs et réveillé les imaginations, de façon inversement proportionnelle à la taille de ce petit pays. Les rumeurs les plus folles ont circulé, allant jusqu’à parler de « Révolution ». Certains mouvements sociaux citant en exemple ce peuple de 320 000 habitants avec des informations pas toujours justes.
Qu’en est-il exactement ? Regardons-y de plus près.

Le gouvernement d’Islande aurait réussi à renégocier sa dette ?

Il y a confusion entre la dette publique de l’Islande et l’affaire dite Icesave.

Au moment de la crise, la dette publique représentait 20% du PNB, mais la situation a été beaucoup médiatisée à travers l’effondrement des trois principales banques privées islandaises dont les obligations financières s’élevaient à 10 fois le PIB du pays, et surtout par le différend Icesave.
Rappelons que les gouvernements britannique et hollandais, qui ont dédommagé leurs détenteurs de comptes (400 000) auprès de Icesave, filiale de la banque islandaise Lansbanki, ont demandé ensuite le remboursement à l’Islande. D’où ces fameux accords Icesave qui ont été votés par le parlement.
La renégociation « favorable » dont parlent certains articles fait allusion au 2e accord qui était plus étalé dans le temps et avec un taux moindre. Ces accords ont été rejetés à chaque fois par référendum. C’est le peuple qui a refusé d’assumer une dette privée.
Ces négociations Icesave sont indépendantes du reste de la dette publique déjà existante.

Dès son arrivée comme premier ministre, en 1991, Mr Oddsson lançait une grande campagne de privatisation (pêche, produits pharmaceutiques, assurances, banques...) et de dérégulation du marché du travail. Les banques ont été vendues à bas prix à des membres du groupe dominant qui mène le pays et dont Oddsson fait partie.

L’Islande, fortement endettée de façon chronique, a vu, à partir de 2003, date de l’achèvement de la privatisation des banques, sa dette publique monter rapidement. Le gouvernement, voulant attirer les investisseurs, avait réformé et allégé de façon importante la fiscalité sur les sociétés, ayant pour conséquence de grossir les déficits.

En 2006, première alerte, Fitch dégrade la dette publique islandaise.
Le déficit extérieur atteint 16,5% du PIB – l’un des niveaux les plus élevés du monde. La monnaie locale, la couronne, commence à glisser, les taux d’intérêt sont relevés.
C’est d’ailleurs suite à ce qui a été appelé la «  mini-crise  » que les agences de notation ont insisté pour que les banques diversifient leurs bases de financement et élargissent leurs activités à l’étranger, d’où l’ouverture des comptes Icesave dans plusieurs pays d’Europe, notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

La crise venue, le gouvernement accepte «  l’aide  » du FMI, accouru en sauveur avec un prêt de 2,1 milliards de dollars sur deux ans, accompagné de mesures drastiques d’austérité.
Le Fonds ayant estimé les besoins à 4 milliards d’euros, d’autres pays (Norvège, Suède, Finlande, Danemark, îles Féroé, Pologne) acceptent des prêts complémentaires.

Ces prêts n’ont jamais été remis en question par les gouvernements successifs, droite puis gauche, et les conditionnalités habituelles ont été appliquées à la lettre. Le FMI a même félicité l’Islande lors du déblocage de la sixième tranche, pour sa bonne application du programme des réformes.
« Tous les objectifs du programme ont été atteints », déclare le ministre des Finances, Steingrimur Sigfusson, lors d’une conférence de presse.

Depuis, l’Islande a pu à nouveau emprunter, début juin 2011, sur les marchés pour rembourser sa dette.
Car, bien sûr, tous ces prêts devront être remboursés, celui du FMI le sera entre 2012 et 2015.
Et ceci indépendamment de l’affaire Icesave.

Où en est l’affaire Icesave ?

Le parlement islandais a négocié et ratifié, par deux fois, des accords de remboursement avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas, mais le Président de la République, M. Grimsson, s’y est opposé, appliquant l’article 26 de la constitution, soumettant à chaque fois la décision à un référendum.
Les Islandais ont rejeté, en mars 2010 et avril 2011, le remboursement par les fonds publics islandais des 3,9 milliards d’euros avancés par Londres et La Haye à leurs épargnants.

Lors de la crise, le gouvernement islandais a seulement garanti les dépôts des déposants résidents en Islande qui ont été repris par la New Landsbanki.
Le président de l’Autorité de surveillance de l’AELE [1] expliquait : « l’Islande doit se conformer aux obligations qu’elle a contractées au titre de l’accord EEE [2]. Elle doit assurer l’indemnisation de tous les déposants dans les conditions prescrites par la directive de garantie des dépôts et sans discrimination », ajoutant que l’Islande est tenue de payer l’assurance-dépôts garantie jusqu’à 20 000 euros pour chaque déposant Icesave. L’Islande conteste ce point de vue.

En juin 2011, l’ESA [3] a donné jusqu’au 10 septembre 2011 pour que l’Islande paye le Royaume-Uni et les Pays-Bas, faute de quoi elle s’exposait à des poursuites judiciaires.
Le gouvernement assurait que la liquidation des avoirs d’Icesave suffirait largement à rembourser. En aout 2011 Landsbanki a annoncé avoir récupéré des fonds suffisants pour couvrir «  toutes les réclamations prioritaires », avec un excédent de 80 millions d’euros. Ce qui confirme la position de l’Islande qui annonce que le remboursement devrait commencer d’ici à la fin de l’année.

À la demande du Ministre des Affaires économiques, Árni Árnason Páll, l’ESA a accordé à l’Islande une prolongation jusqu’à la fin septembre pour présenter son cas, mais insiste sur le fait que les autorités islandaises doivent payer l’assurance dépôt minimum de 20 000 euros environ, par déposant. Une fois que le remboursement sera effectué, le procès pourra être abandonné.

À ce jour, l’Islande attend la décision de l’ESA quant à la suite qui sera donnée.

Le 4 septembre 2011, lors d’une interview à la radio-télévision publique RUV, le Président islandais a demandé, s’adressant à l’Union européenne : « Comment des États membres ont-ils pu accepter les absurdes demandes britanniques et hollandaises ? […] Cela mérite une enquête ».
Les Pays-Bas et surtout le Royaume-Uni ont fait pression sur le FMI et l’Union européenne pour intimider l’Islande et la pousser vers l’acception des accords. Le gouvernement britannique est même allé jusqu’à mettre, durant une période, l’Islande sur la liste des pays terroristes et bloquer ses avoirs.
Le Ministre de l’économie, Arnason Arni, a déclaré récemment que le gouvernement envisage de demander des dédommagements à la Grande-Bretagne pour cette mesure.
En plus d’avoir créé un profond ressentiment chez les Islandais, cette décision a aussi entraîné des dommages économiques pour le pays et les entreprises. Le ministère des Finances estime ces dommages jusqu’à 56 000 000 d’euros.

L’Islande aurait laissé tomber les banques ?

Après le plan de privatisations du premier ministre D. Oddsson, les trois principales banques privatisées en 2003 étaient Kaupthing, Landsbanki (d’où sortira Icesave) et Glitnir.

Juste avant la crise, le 29 septembre 2008, Glitnir demande l’aide de la Banque centrale, dirigée depuis 2004 par le même M. Oddsson, qui décide d’acheter 75% des actions pour 600 millions d’euros (plus de 6% du PIB du pays. Ceci fut une surprise pour la population.

Avant le krash, la Banque centrale avait aussi prêté beaucoup d’argent aux banques commerciales en difficultés au point de se retrouver elle-même au bord de la faillite. Elle a été recapitalisée avec l’argent des contribuables.

Le 6 octobre 2008 les banques s’effondrent. Le Gouvernement décide alors de garantir tous les dépôts des ressortissants islandais dans les banques, sans limite, avantageant ainsi les déposants les plus riches. Il refuse cependant de garantir les déposants non résidents.

« L’Islande est au bord de la banqueroute », annonçait Geir Haarde, le premier ministre islandais, décrétant les lois d’urgences permettant à l’État de prendre le contrôle des banques en difficulté.

Le 9 octobre 2008, la branche domestique islandaise de Landsbanki est divisée et renommée en New Landsbanki Íslands hf. Le 27 octobre 2008, l’Etat décrète l’incapacité de rembourser les dépôts pour les parties restantes de la banque Landsbanki.

Le gouvernement islandais a transféré les dépôts et prêts intérieurs, dans de nouvelles banques, pour quelques 1,370 milliard €, toujours aux frais des contribuables.
L’État a également prêté 500 millions € à Kaupthing, la plus grande banque d’Islande.
En février 2009 le gouvernement nationalisait les dernières tranches des 3 banques, mais de façon provisoire.

Dès juillet 2009, l’État islandais annonce qu’il va recapitaliser, avec 1,5 milliard d’euros, les trois principales banques islandaises nationalisées.
Les banques seront rendues à des actionnaires privés et changeront de noms. Kaupthing devient Arion et Glitnir reprend son ancien nom Islandbanki.
L’État gardera la partie domestique de Landsbanki et la partie étrangère sera reprivatisée.

Dès le début de la crise, le FMI a insisté sur la recapitalisation du secteur bancaire.
Flanagan, le chef de mission du FMI, notait qu’environ 20% du PIB serait nécessaire pour recapitaliser les pertes de liquidités de la Banque centrale (à ajouter à la dette publique).

Les banques soi-disant «  laissées  » par l’État se sont plutôt bien remises.

Le 10 mars 2011, le Premier ministre islandais, Johanna Sigurdardottir, déclarait : « il n’y a pas de justification morale au salaire excessif que les hauts dirigeants de Arion bank et Islandbanki ont perçu l’année dernière », « leur conduite est une provocation intolérable et une menace directe à la paix et à la stabilité de la société », « il est inacceptable que les hauts dirigeants des banques et des compagnies se répartissent des millions, alors que la population se bat pour venir à bout des conséquences de l’effondrement bancaire ».

Le 6 septembre 2011, Arion banki annonçait 63,5 millions d’euros de profits pour le premier semestre. Une semaine plus tard, cette même banque licienciait, «  avec regret  », 57 employés.


Notes :

[1L’Association européenne de libre-échange AELE, en anglais : European Free Trade Association  EFTA, est une association visant à établir une zone de libre-échange en Europe. Actuellement les membres sont l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse. http://www.efta.int/

[2L’Espace économique européen (EEE) est une union économique rassemblant trente États européens : les vingt-sept États membres de l’Union européenne (UE) et trois des quatre États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE)

[3Autorité de surveillance de l’AELE, en anglais :EFTA Surveillance Authority http://www.eftasurv.int/

Yvette Krolikowski

Membre du CADTM France et de l’équipe ’site’.

Mike Krolikowski

Membre du CADTM France et de l’équipe ’traduction english’.