Le gouvernement a lancé un marché public afin de désigner un conseiller financier pour assister l’État dans l’épineux dossier de la garantie accordée au groupe Dexia. En octobre 2011, l’État rachetait Dexia Banque Belgique (devenue Belfius) pour 4 milliards d’euros et garantissait certains créanciers du groupe Dexia à hauteur de 54,45 milliards d’euros (sans compter les intérêts et les accessoires) soit l’équivalent de 15% du produit intérieur brut (PIB). L’État français garantit ces créanciers conjointement avec la Belgique et le Luxembourg mais pour un montant nettement inférieure à la Belgique : 32,85 milliards d’euros, soit moins de 2% de son PIB. Le gouvernement belge souhaite aujourd’hui renégocier avec la France, estimant que la probabilité de voir activer ces garanties est plus élevée qu’en octobre 2011.
Dès l’octroi de ces garanties, le CADTM a tiré la sonnette d’alarme. Le 23 décembre 2011, il a introduit avec ATTAC Bruxelles 2 et ATTAC Liège un recours devant le Conseil d’État belge afin d’annuler l’arrêté royal du 18 octobre 2011 octroyant les dites garanties. Les députées écologistes Zoé Genot et Meyrem Almaci ont récemment rejoint les associations dans ce combat.
Car il ne fait aucun doute que ces garanties sont une véritable bombe à retardement pour l’État, tant d’un point de vue économique que démocratique. Leur octroi entraîne une augmentation du coût du refinancement de la dette car le risque qu’elles représentent justifie une augmentation des taux d’intérêts par les marchés. Si ces garanties sont activées, l’État devra alors contracter des emprunts supplémentaires, augmentant de manière considérable la dette publique. Ce qui conduirait inexorablement à une austérité accrue.
En outre, ces garanties ne sont subordonnées à aucune condition réelle car « la garantie est payable à première demande » [1]. Ce qui renforce l’aléa moral, puisque les banques, se sachant protégées par la garantie de l’État, sont encouragées à continuer leur comportement à risque. D’un point de vue démocratique, l’arrêté royal confère au ministre des Finances le pouvoir jusqu’en 2021 de conclure en toute opacité et en-dehors de tout contrôle parlementaire des conventions de garanties avec certains créanciers du groupe Dexia (que le ministre désigne lui-même) qui peuvent produire leurs effets jusqu’en 2031.
Selon certains échos, la banque UBS semble, après une « procédure négociée sans publicité », avoir remporté le marché public pour conseiller le gouvernement sur le dossier. Sa mission s’étalera sur 12 mois et son coût est estimé à 5 millions d’euros. Les arguments en faveur de la candidature de la banque UBS ont de quoi inquiéter : elle connaîtrait bien Dexia pour l’avoir déjà analysé en 2008-2009 et elle a assisté l’État dans l’opération de rachat de Dexia Banque Belgique. Comme le souligne le député Georges Gilkinet (Ecolo) : « La chute finale de Dexia s’est néanmoins produite en octobre 2011. Rien ne permet d’affirmer qu’UBS a mal travaillé à l’époque, mais on peut s’interroger quand on constate qu’on continue avec les mêmes et que ça coûte très cher ».
Dans un récent ouvrage [2], le journaliste Antoine Peillon montre comment UBS organise depuis la France un système massif d’évasion et de fraude fiscale vers les paradis fiscaux. Depuis 2000, UBS France aurait soustrait en moyenne 85 millions d’euros au fisc français chaque année. Comment faire confiance à cette banque privée dont une des filiales est accusée d’organiser le vol de l’État français ?
Dans ces conditions, le CADTM propose gracieusement ses services pour conseiller l’État sur ce dossier. Dans le souci de fournir une analyse complète, le CADTM appelle à la mise en place d’un audit citoyen de la dette publique belge. Cet audit permettrait d’identifier la partie de la dette qui est illégitime et de justifier son annulation. Bien sûr, pour arriver à une telle annulation, il faudra une puissante mobilisation citoyenne. Au bout du compte, si l’État décidait de ne pas rembourser la part illégitime de sa dette, il pourrait réaliser d’importantes économies lui permettant d’assurer et de renforcer la qualité des services sociaux (éducation, santé, logement, transport, etc.), des acquis sociaux (chômage, pensions, etc.) et des mécanismes de solidarité (accueil digne, solidaire et humain des migrants et des réfugiés, aide publique au développement, etc.).
Ce serait une occasion pour la Belgique de montrer l’exemple en mettant en place les politiques respectueuses des droits humains. Rappelons qu’ici, les droits fondamentaux sont bafoués. La politique répressive contre les migrants et des demandeurs d’asile n’est pas digne d’ un État de droit. Les sans-papiers se trouvent dans des situations inhumaines. 90% d’entre eux vivent dans des conditions de précarité et de pauvreté. Même dans des situations d’extrême urgence où la vie ne tient plus qu’à un fil, le gouvernement fait la sourde oreille : à Bruxelles, 23 sans-papiers sont à plus de 80 jours de grève de la faim !
A l’étranger, les obligations de la Belgique ne sont pas non plus respectées. Même en incluant les remises de dettes dans le calcul, le pays ne consacre toujours pas 0,7% de son PIB à l’aide publique au développement comme il s’y est pourtant engagé. Le gouvernement continue de s’aligner sur les politiques néfastes du FMI et la Banque mondiale alors que la résolution adoptée par le Sénat belge le 29 mars 2007 lui demande d’appliquer une autre politique à l’égard des pays en développement. Quand est-ce que le gouvernement va enfin mettre en œuvre cette résolution qui demande un audit des créances belges afin d’identifier et d’annuler la part odieuse ?
Le gouvernement belge a les moyens de mettre en place des politiques progressistes. C’est une question de choix : soit il continue de préserver les intérêts d’une petite minorité en imposant l’austérité soit il décide enfin de redistribuer les richesses en assurant à la population vivant en Belgique, comme dans le reste du monde, le respect de ses droits fondamentaux. La mise en place d’un audit citoyen de la dette belge serait une première étape pour avancer sur ces questions essentielles.
[1] Article 3 de l’arrêté royal du 18 octobre 2011 octroyant une garantie d’État à certains emprunts de Dexia SA et Dexia Crédit Local SA
[2] Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au cœur de l’évasion fiscale, Antoine Peillon, Seuil, 2012.
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
CADTM France