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Notes de lecture
La santé des populations soumises à l’austérité
par Patrick Saurin
18 août 2013

Notes de lecture sur : The Body Economic. Why Austerity Kills.
David Stuckler & Sanjay Basu
Allen Lane, 2013.

Dans un livre paru récemment intitulé, The Body Economic. Why Austerity Kills [« Le corps économique. Pourquoi l’austérité tue »], David Stuckler et Sanjay Basu présentent un panorama édifiant des conséquences sur la santé des populations des politiques d’austérité mises en œuvre à la suite des crises économiques. Reprenant les travaux qu’ils ont publiés dans des revues scientifiques spécialisées, leur analyse aboutit à la conclusion que non seulement l’austérité tue mais qu’elle aggrave les difficultés économiques qu’elle est pourtant supposée résoudre.

À partir de sources référencées et incontestables, émanant souvent d’institutions ou d’États dont ils critiquent les actions, David Stuckler et Sanjay Basu dressent un état des lieux circonstancié grâce à une étude fouillée et précise des crises majeures survenues depuis les années 30. La grande dépression des années 30 aux États-Unis, la crise de mortalité masculine en Russie de la période post-communiste consécutive à l’éclatement de l’Union soviétique et à la libéralisation de l’économie, la crise asiatique de 1997, enfin la récession mondiale qui a débuté en 2007 sont autant de terrains d’étude pour ces chercheurs.

La grande récession de ces dernières années leur donne l’occasion de détailler les politiques mises en œuvre par un certain nombre d’États, notamment en ce qui concerne leur attitude à l’égard des banques en grande partie à l’origine de cette crise, tout en comparant les résultats obtenus. Frappée par une crise sans précédent, l’Islande a fait le choix de ne pas prendre en charge les pertes des banques – consultée à deux reprises, sa population s’y est refusée – et de rejeter le plan d’austérité préconisé par le FMI. Au lieu de renflouer les banques, l’Islande a décidé de renforcer son système de protection sociale en y consacrant une part importante de son PIB qui est passée de 42,3 % en 2007, à 57,7 % en 2008. Elle a tout particulièrement veillé à préserver son système de santé publique et son système de protection sociale en vue d’aider sa population en matière d’alimentation, d’emploi et de logement. Cette politique sociale a évité que la crise économique ne débouche sur une crise sanitaire. Même les institutions les plus hostiles à cette politique, telles les agences de notation ou le FMI, ont dû se rendre à l’évidence et reconnaître ses effets positifs. Au contraire de l’Islande, la Grèce n’a pas organisé de consultation populaire pour décider de la politique à mettre en œuvre, mais a appliqué à la hussarde des plans d’austérité successifs décidés par la Troïka (le FMI, la BCE et la Commission européenne). Elle a diminué de 40 % son budget de santé, réduit drastiquement ses dépenses sociales destinées à aider la population à se nourrir, à se loger et à conserver ou retrouver un emploi, et infligé aux salaires et aux pensions des baisses radicales. Les conséquences ont été à la hauteur des coupes budgétaires : le nombre de suicides a augmenté significativement (+ 20 % entre 2007 et 2009), l’usage de l’héroïne s’est accru de 20 % entre 2010 et 2011, le chômage, particulièrement celui des jeunes, a explosé, les sans-abris se comptent par dizaine de milliers. Ainsi, pour David Stuckler et Sanjay Basu, « la tragédie de la Grèce a démontré que l’austérité est incapable de sauver une économie en faillite. Au lieu d’être une partie de la solution, elle est au contraire une partie du problème. » (p. 93)

Les auteurs passent également en revue les politiques menées au Royaume Uni, aux USA, en Italie, en Suède, en Espagne suite à la crise de 2007 et démontrent que les mêmes solutions produisent partout les mêmes effets : « Nous nous sommes aperçus que les gouvernements qui appliquent la plus grande austérité sous la pression de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international connaissent les effets les plus dommageables en matière de santé du fait de la crise du logement ». (pp. 134-135)

Alors qu’il est démontré, preuves à l’appui, « que chaque dollar dépensé dans les programmes de santé publique génère en retour 3 dollars et de la croissance » (p. XII), pourquoi les gouvernements s’entêtent-ils à mettre en œuvre des politiques aux effets désastreux qui ont fait la preuve de leur inefficacité ? Tout simplement parce que « le débat autour de l’austérité est un débat qui doit plus à l’idéologie qu’aux faits » (p. XI). En clair, même si les auteurs ne le formulent pas de cette façon, les politiques d’austérité qui remettent en cause les modèles sociaux protecteurs des individus, en particulier les systèmes de santé publique, rendent compte de la lutte sans merci que le capital a engagé contre le travail. Comme l’écrivent David Stuckler et Sanjay Basu : « L’austérité est un choix, et nous ne devons pas le retenir ». (p. 141) Selon ces auteurs : « Finalement, l’austérité a échoué parce qu’elle ne reposait pas sur une véritable logique ou sur des faits. C’est une idéologie économique. » En lieu et place de ce choix, David Stuckler et Sanjay Basu militent pour une « véritable option démocratique » et en appellent à un « nouveau New Deal » qui devrait selon eux reposer sur trois principes : « le premier, ne pas causer de mal », « le second, aider les gens à retrouver du travail », « le troisième, investir dans la santé publique ». Et ils concluent : « la croissance économique est un moyen, non une fin en soi. […] la source fondamentale de la richesse de toute société est son peuple. Investir pour sa santé est un choix judicieux dans le meilleur des cas, et une urgente nécessité dans le pire des cas. » (p. 145)

The Body Economic. Why Austerity Kills est un livre important dont il faut souligner les mérites. Tout d’abord, il replace les questions de santé dans un ensemble plus vaste rassemblant les questions relatives à l’alimentation, au logement et à l’emploi, et établit les liens et les interactions entre ces domaines. Ensuite, il insiste sur la nécessité d’appliquer des politiques résultant de choix démocratiques. Enfin, plus inhabituel et d’autant plus remarquable, cette étude sérieuse et de qualité a su laisser sa place à une empathie trop souvent absente des travaux de ce type. Les auteurs ont donné des prénoms, des noms, un visage aux victimes des crises, ils ont relaté en quelques mots leur histoire, pour ne pas faire oublier l’aspect humain que gomment généralement les chiffres et les statistiques impersonnelles des rapports. Grâce à ce livre, Olivia, Kieran, Vladimir, Kanya, Dimitris, Diane, Tiziana et Guiseppe, autant de victimes des scandaleuses politiques d’austérité mises en œuvre sous l’égide de la troïka, retrouvent ainsi un peu de considération et de dignité.

Enfin, l’étude de David Stuckler et Sanjay Basu ne doit pas être réduite à un constat, aussi pertinent soit-il. Elle doit avoir une suite à travers la lutte des citoyens, des militants politiques, syndicaux, et associatifs, des membres de collectifs, des inorganisés. Aujourd’hui, toutes celles et tous ceux qui représentent les 99 % doivent se rassembler et unir leurs efforts pour renverser les systèmes mortifères et faire émerger une société juste, solidaire et respectueuse de son environnement. 


Patrick Saurin

a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.