Souveraineté des peuples versus système dette

11e séminaire international du CADTM sur la dette et les droits humains

20 novembre 2012 par Noémie Candiago


Ce 20 novembre 2012, le CADTM organisait son 11e séminaire international sur la Dette et les Droits humains. Plus de cent participant-e-s venus d’une quinzaine de pays différents se sont réuni-e-s à la Maison des Parlementaires à Bruxelles pour tenter de comprendre les articulations entre l’endettement d’un pays et le respect des droits humains fondamentaux. Articulations qui, nous en sortirons convaincus, se réalisent bien trop souvent au détriments des femmes et des hommes.



La journée a débuté par une introduction par Olga Zrihen, sénatrice belge, qui a rappelé que la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
constitue une problématique traditionnellement associée au pays du Sud mais qui touche de plus en plus gravement les pays du Nord, citant la Grèce, l’Espagne ou encore le Portugal.

Céphas Lumina, expert indépendant mandaté par l’ONU pour étudier les liens entre la dette et les obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
des États, a présenté son rapport ainsi que le processus qui a permis la réalisation de ce travail.

Il a insisté sur la nécessité de comprendre les enjeux de la dette publique sans se limiter à une approche économique. Il s’agit d’avoir une approche centrée sur les liens avec les droits humains, contrairement à ce que font les institutions financières internationales traditionnellement opposées à intégrer les droits de l’Homme dans leurs programmes. Cephas Luminas a donc cherché à établir des principes directeurs sur la dette et les droits de l’Homme, principes qui ont été présentés au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU qui les a adoptés. Ces principes directeurs sont là pour informer des cadres législatifs en matière de dette. Ils aident les États à respecter leurs obligations en matière de dettes extérieures dans le respect des obligations qui leur incombent en matière de droits de l’Homme. Ils sont également un outil pour les militants et les activistes, qui en s’y référant peuvent interpeller leur gouvernement sur l’obligation de respecter les droits humains.

Éric Toussaint a à cet égard rappelé que si ces principes constituent du « droit mou », ils sont aussi des outils fondamentaux pour remettre en cause le comportement des créanciers qui imposent des politiques aux pays endettés et le comportement des gouvernements de ces pays qui se soumettent aux créanciers et mettent en œuvre des mesures qui empêchent l’application des droits Humains. Il nous interpellera aussi sur la dette « sociale » des gouvernements envers leur population. Ainsi, si les rapports de l’ONU ne sont pas à strictement parler contraignants, et si la plupart des résolutions progressistes de l’ONU ne sont pas appliquées, elles demeurent utiles dans le débat, dans la bataille des idées. Ce sont des éléments de référence pour la construction d’un rapport de force qui permettra de les imposer un jour en droit et dans les faits.

C’est ensuite Renaud Vivien, juriste du CADTM Belgique, qui a présenté les différentes pistes juridiques qui peuvent être envisagées pour qualifier une dette d’illégitime. Il a insisté sur le caractère éminemment politique d’une telle définition, rappelant à l’audience que c’est aux citoyens qu’il revient d’évaluer la légitimité des dettes publiques qu’on leur demande de rembourser. Il a distingué quatre types de dettes illégitimes :

Le déjeuner a été pris en commun avec l’ensemble de l’auditoire, occasion de poursuivre de façon plus informelle et en toute convivialité les discussions, puis les présentations ont repris.

Le professeur de droit constitutionnel grec, Georges Katrougalos, a présenté une analyse de la situation financière et politique de son pays d’origine. Pour lui les mesures d’austérité mises en œuvre en Grèce constituent un non-sens en tout point contre-productif, non seulement inutile mais aussi illégal. Il a commencé par affirmer que la dette des ménages en Grèce est parmi les plus basses d’Europe, battant en brèche le lieu commun sempiternellement rabattu par les médias selon lequel les grecs auraient vécus « au-dessus de leurs moyens », menaçant par leur consommation irresponsable la sécurité financière de la totalité de la zone euro. On sentait clairement poindre la critique d’une collusion des élites politico-médiatiques qui véhiculent des discours erronés quant aux situations économiques réelles et quant aux solutions qui devraient s’en suivre. Et pour Georges Katrougalos, la spoliation de l’opinion publique ne s’arrête pas à une rhétorique mensongère. Elle se traduit aussi par une véritable négation de la souveraineté populaire et des procédures législatives en vigueur. Les mesures d’austérité ont été dictées par la Troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté. , et souscrites par l’État grec sans respecter les règles constitutionnelles relatives à l’adoption des lois, exigeant un vote du Parlement. Les résultats de ces politiques ne sont pas plus glorieuses puisque si avant les plans de sauvetage la dette s’élevait à 120% PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
, elle a augmenté depuis. Plus fondamentalement, le caractère de l’État grec comme État social est mis en danger, que ce soit au niveau des droits à la prestation sociale (santé, éducation etc.) qu’au niveau du droit du travail (liberté syndicale, droit au travail etc.).

Fathi Chamki, venu de Tunisie, a à son tour présenté la dette comme est un mécanisme de domination des peuples, qui viole leur souveraineté et leurs droits fondamentaux. Il nous a décrit une situation économique tunisienne complètement sous main-mise étrangère, où 64% des exportations sont le fait d’entreprises off-shores, où les taux de profits sont d’environ 30%, et où l’exonération totale de toutes les charges semble être la règle. Sur 80107 entreprises en Tunisie près de la moitié sont sous contrôle étranger. Alors, bien sûr, la croissance économique est au rendez-vous, elle est même soutenue (6,3% en 2007, et d’une moyenne de 5% sous le régime de Ben Ali). Mais croissance pour qui ? Une lecture plus sociale montre qu’en réalité, le secteur de l’emploi est complètement sinistré, que seulement 21% de la population active a un emploi stable, pour 18,3% de chômeurs et 60% de sous-emploi. L’intervenant nous apprend ensuite que si la dette avait été une revendication forte de la révolution tunisienne, le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. est encore de l’ordre de 20% des recettes publiques dans le budget 2012. La révolution a rendu possible un débat public sur la dette, mais les revendications de la société civile n’ont pas été entendues. Il nous rappelle ses revendications :

Il conclut en assimilant la dette à une « corde au cou » qui asservit le peuple tunisien, dont la souveraineté est violée par des intérêts extérieurs. Il a finalement insisté sur le besoin de solidarité entre les peuples contre les grosses machines comme l’UE qui dirigent la vie des citoyens le plus souvent à leur détriment.

Mimoun Rahmani, de ATTAC-CADTM Maroc, a présenté une synthèse de la journée. Lire l’intégralité de sa synthèse

La dette est de plus en plus problématique, au Sud d’abord avec les programmes d’ajustement structurel imposés par les IFI et les puissances impérialistes. Ces États dits en développement n’arrivent pas à sortir du cercle vicieux de la dette utilisée comme outil de domination et d’exploitation. Mais la problématique de la dette connaît une nouvelle phase au Nord avec l’application en Europe des mêmes politiques néo-libérales d’austérité. Le travail du CADTM a quand même eu des résultats positifs et quelques avancées notoires sont à relever, au niveau institutionnel et gouvernemental, et aussi au niveau aussi des initiatives citoyennes. Car finalement c’est bien aux peuples de lutter s’ils veulent sortir des gonds de la dette et se réapproprier leur avenir.