2008 - 2018 : 10 ans de crise, 10 ans de résistances

5 octobre 2018 par Brigitte Ponet


Intervenants : Aline Fares (CADTM Belgique, ancienne employée de DEXIA ), Broulaye Bagayoko (Mali, coordinateur du CADTM Afrique ), Nicole Briend (ATTAC France), Eric Toussaint (Belgique, porte-parole du CADTM international)
Modération : Rémi Vilain

Il y a 10 ans, le 15 septembre 2008, la banque Lehman Brothers est déclarée en faillite, première et seule à ne pas être sauvée. La plupart des banques seront sauvées par les États qui empruntent pour cela et en font porter les charges par leurs populations. Les effets destructeurs des mesures d’austérité qui en découlent se font toujours sentir actuellement. De nombreux mouvements de résistance se sont organisés. Ils dénoncent ce détournement de l’argent public au profit des banques et expriment une volonté de changement de système.



Aline Fares, CADTM Belgique, ancienne employée de DEXIA à Bruxelles

Avec la faillite de Lehman Brothers on a cru que le vent allait tourner, que les États allaient reprendre les rennes, remettre de l’ordre. Des centaines de milliards sont investis pour renflouer les banques et les assainir notamment en réduisant la taille de leur bilan afin d’en expurger les montagnes de produits toxiques. Au contraire, leur bilan total a encore augmenté passant de 2075 milliards en 2008 à 2235 milliards en 2018 [1] et ils contiennent toujours de grandes quantités de produits dangereux pour la société.

La part des activités spéculatives en 2008 était de 69 % du bilan total, en 2018 elle est de 52 %.

La part des activités productives en 2008 représente 1/4 du bilan et en 2018 1/3. [2]

Le type d’investissement promus : armement, énergie (pour 1 dans le secteur du renouvelable il y en a 9 dans les fossiles), industrie minière.

Pour les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, pas de problème. L’homme le plus riche détient 112 milliards de dollars. Pour les populations, la réponse automatique c’est l’austérité.

L’endettement des banques est tel qu’une nouvelle crise est inévitable avec le même scénario de sauvetage.

Il faut dépasser la posture de dénonciation. Il faut dépasser le complexe du savoir par rapport à ceux qui détiennent les rênes de la finance. On devrait en faire un sujet politique. Penser la destruction du capital. Penser le monde que l’on veut. Reprendre le contrôle citoyen sur la finance.

Les financiers croient en leur pouvoir mais si on arrête de croire en eux on peut les renverser.


Broulaye Bagayoko, coordinateur du CADTM Afrique

Situation internationale de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
 : le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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a déclaré que l’économie mondiale est trop endettée.

Pour l’Afrique, la dette est un réel problème, ce qui ne permet pas d’avancées par rapport aux objectifs du développement socialement et respectueux de l’environnement.

L’augmentation continue des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
par la FED, la dépendance envers les matières premières, l’augmentation d’emprunts, présagent une nouvelle crise profonde. Le FMI revient en force avec de nouveaux plans ( « la facilité et le géo crédit »).

Les entreprises sont en difficultés. On assiste à une transformation des dettes privées en dettes publiques. Broulaye Bagayoko a évoqué quelques exemples d’accords passés entre la France et certains pays d’Afrique afin que les opérateurs économiques français en difficultés soient pris en charge par les États africains.

Aujourd’hui, les pauvres payent plus d’intérêts (taux plus élevés) que les riches.

Les contrats de développement et de désendettement de la France avec ses anciennes colonies équivalent à un transfert d’argent du Sud vers le Nord. Le Sud est spolié.

Le montant total des aides envoyées par les migrants à leur pays d’origine dépasse de très loin ladite aide publique au développement, reflet d’écritures comptables couvrant des formations, des effacements de dettes, des politiques de contrôle de l’immigration.

En Afrique, il y a des organisations membres du CADTM dans 15 pays. Elles s’attaquent à toutes les dettes comme outils de domination et de transfert de richesses.

Importance de souligner la solidarité du grand capital au Sud et au Nord (sa complicité sur le plan international) face aux peuples du Nord et du Sud. D’où l’importance de développer les mouvements de solidarité des peuples du Sud et du Nord.


Nicole Briend, militante d’ATTAC France depuis 20 ans, actions de désobéissance civile

En France, il y a une violence des réformes dans tous les domaines et une rapidité des changements au nom de la modernité, les débats parlementaires sont escamotés, un sentiment d’une population attentiste, curieuse, d’une opposition politique qui semble anéantie, choquée par les recettes d’austérité très rudes à la « Reagan /Thatcher » au nom de prétendues dépenses publiques trop élevées.

Les luttes en réaction s’organisent dans les domaines de la santé, du transport, de la restauration, de la grande distribution et aussi contre la loi « Asile-Immigration ».

Il y a des luttes assez longues comme à la SNCF, à la Poste avec des succès mitigés, des échecs et des victoires aussi comme à Notre Dame des Landes et dans le domaine EHPAD (prise en charge des personnes âgées, hôpitaux…) qui a obtenu un peu de refinancement.

Les luttes sont nombreuses et locales. Des conflits dans des domaines où les travailleurs sont essentiellement des femmes qui se prennent en main et des travailleuses d’origine africaine qui luttent pour maintenir leurs droits.

Il y a une volonté d’unir tous ces mouvements. ATTAC a organisé, fin mai 2018, une manifestation de tous les mouvements sociaux. ATTAC essaye d’impulser, d’informer, défend un modèle social de solidarité attaqué sous prétexte de manque d’argent. L’argent, il faut aller le chercher là où il est et viser l’évasion fiscale.

Lors de la COP 21 sur le climat en 2015 (http://www.apc-paris.com/cop-21), nous avons organisé des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de désobéissance civile symboliques pour dénoncer l’évasion fiscale qui nuit à l’ensemble des citoyens. L’ idée est de faucher de nombreuses chaises (correspondant au nombre de pays participants à la COP) dans les banques pour montrer qu’il faut aller chercher l’argent là où il est. Avec en plus d’autres actions comme le lancement de pommes pourries sur les enseignes « Apple »…

En février 2018, BNP traîne en justice 3 personnes. Grosse mobilisation d’environ 7OO personnes pendant deux jours (https://france.attac.org/se-mobiliser/7-juin-2018-proces-de-nicole-briend-a-carpentras/). Le procès fut reporté en juin. 400 personnes étaient toujours présentes. Victoire pour la justice fiscale, Nicole Briend est relaxée. Les activistes sont allés symboliquement rendre les 3 chaises au Trésor Public. Bien accueillis, l’employé leur a remis un reçu en bonne et due forme.

D’autres actions sont organisées comme des visites guidées de grandes multinationales et les actions contre Apple à Paris et Aix en Provence. Cette dernière a porté plainte en demandant l’interdiction de ces manifestations.

Une bonne nouvelle c’est que le Tribunal a jugé ces manifestations comme étant d’ordre d’intérêt général.


Eric Toussaint, porte-parole du CADTM international
, a mis en avant les résistances au Nord et au Sud.

Il a ensuite relevé les activités du CADTM durant ces dix dernières années.
Lire ce texte à partir du lien suivant : http://www.cadtm.org/Dix-ans-d-action-du-CADTM-depuis-la-faillite-de-Lehman-Brothers-en-septembre


Notes

[1Rapport annuel BNP paribas

[2Rapport : « Undermining our future », Fair finance guide international

Brigitte Ponet

Militante CADTM Belgique

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