25 mars 2014 par Emmanuel Daniel
CC - eldiario.es
Après avoir sillonné l’Espagne, plusieurs centaines de milliers de personnes ont envahi samedi 22 mars les rues de Madrid. Elles exigent l’annulation de la dette, une constitution qui défend le peuple et non les banques, l’instauration d’un revenu de base et la démission du gouvernement.
Madrid, reportage
Les Espagnols sont en colère, et ils l’ont montré samedi 22 mars. Une foule impressionnante (deux millions de personnes selon les organisateurs et... 36 000 selon la police) a envahi les rues de Madrid pour réclamer « du pain, du travail et un toit », « une vie digne pour tous », la démission du gouvernement, l’instauration d’un revenu de base universel, des services publics de qualité et le non remboursement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui asphyxie le pays.
Cette « marche pour la dignité » festive et pacifique, organisée par des organisations de la société civile, la plupart des syndicats ibériques et le mouvement 15M (les indignés) a clairement affiché sa radicalité et son refus des compromis avec une classe politique jugée corrompue. Au cœur du mécontentement, Mariano Rajoy et son gouvernement. « Ce sont tous des fils de Franco. La transition démocratique n’a jamais vraiment eu lieu. Ils ont menti pour se faire élire », souligne un participant rencontré un peu avant 17 heures, heure de départ de la manifestation
Les slogans qui ont resonné dans la capitale sont révélateurs de la détermination et de l’exaspération des manifestants : « C’en est fini de la paix sociale », « la lutte est le seul chemin », « qu’ils s’en aillent tous », « tuer un banquier ou un politicien, est-ce immoral ? ». Il faut dire que nos voisins espagnols ont de multiples raisons de descendre dans la rue. Depuis la crise de 2008, ils subissent des coupes budgétaires drastiques imposées par leurs créanciers internationaux et les traités européens. Le taux de chômage atteint les 27 % (55 % chez les moins de 25 ans) et plus de 20 % de Espagnols vivent sous le seuil pauvreté. Les manifestants sont intarissables quand il s’agit de raconter la misère ordinaire qui s’installe dans le pays.
« Les retraites, la santé, l’éducation, tous les services publics connaissent des coupes. Chaque jour des centaines de personnes sont mises à la rue faute de pouvoir payer leur loyer ou leur prêt alors qu’il y a plus de logements vides que de gens à la rue. Tout le monde est touché, cette crise nous affecte tous », résume une jeune femme venue du sud du pays
C’est pourquoi défilaient côte-à-côte des étudiants inquiets pour leur avenir et des retraités luttant pour leur survie, des chômeurs et des travailleurs, des pompiers, des médecins et des organisations politiques avec des visions et des modes d’organisation divers. Ainsi, au dessus de cette marée humaine qui a traversé la ville, on voyait flotter des drapeaux communistes ou anarchistes et des photos de Che Guevara. Le cortège était également coloré par des étendards des différentes provinces espagnoles. En effet, six colonnes, réunissant de quelques dizaines à quelques milliers de personnes, sont parties des extrémités du pays et l’ont sillonné a pied, organisant des centaines de rassemblement publics avant de se rejoindre à Madrid le 22 mars.
Partout où ils sont passés, les marcheurs étaient nourris et logés par des comités locaux créés pour l’occasion. Avec cette démarche, les initiateurs ont voulu prouver que la solidarité et l’entraide étaient encore d’actualité dans une société individualiste mais aussi « aller vers celles et ceux qui souffrent et qui pensent être seuls dans cette situation », ainsi que l’analyse un militant de la CNT, un syndicat anarchiste espagnol. En outre, face à l’omerta médiatique dénoncée par les manifestants, la marche était aussi l’occasion de communiquer sur les revendications et de faire connaître le rassemblement du 22M (22 mars : autre nom donné à la manifestation).
Après avoir défilé pendant plus de deux heures, les manifestants se sont tassés sur la place Colòn pour écouter les discours des représentants des différentes composantes de la lutte. Ils ont rappelé leur rejet du gouvernement, des banques et du capitalisme mais sont restés flous quant au moyen de transformer cette colère commune en projet de société. Alors que certains veulent changer de gouvernement, d’autres veulent changer le système. Un clivage entre réforme et révolution résumé par un trentenaire venu de Valence : « Il y a d’un côté les antis système et les hors système. Ceux qui ne se contentent pas de voter mais créent des coopératives, des monnaies sociales, des assemblées ouvertes... Ceux qui créent les moyens de ne plus dépendre de l’État et du capital. Cette marche permettra peut-être de faire savoir qu’il existe des alternatives », pense-t-il.
Pour nombre de participants, le 22M n’est qu’une première étape, qui en appelle d’autres, « une bataille de la guerre », illustre un syndicaliste andalou. De nouvelles manifestations sont déjà prévues à Madrid dimanche et lundi. Certains proposent de s’appuyer sur les réseaux nés de la marche pour créer des résistances locales, d’autres invitent à la grève générale. Mais pour l’heure, les organisateurs veulent préserver leur unité et éviter les conflits de chapelle. Un message bien compris par les dizaines de milliers de marcheurs qui, quelques minutes avant la fin de la manifestation et la confrontation entre quelques manifestants et un dispositif policier impressionnant, chantaient en cœur : « Le peuple uni, jamais ne sera vaincu ».
Source : Publié avec l’aimable autorisation de Reporterre