A propos du livre Banque mondiale - Une histoire critique d’Éric Toussaint

3 mars 2022 par Henri Wilno


Éric Toussaint est connu par son action militante au sein du CADTM- Comité pour l’abolition des dettes illégitimes. Mais c’est aussi un enseignant et économiste. Son livre sur la Banque mondiale se situe au confluent de ces deux facettes de son activité. C’est une analyse fortement étayée et détaillée de l’histoire de la Banque mondiale et de son action.



L’auteur rappelle le contexte dans lequel ont été créés la Banque et son « jumeau », le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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 : les États-Unis sont sortis considérablement renforcés de la guerre, politiquement et économiquement mais leur industrie a besoin de débouchés et les dirigeants américains veulent éviter que l’économie mondiale ne plonge dans une dépression comme celle des années 30 (ce qui pourrait ébranler le nouvel ordre mondial que l’impérialisme veut ériger face à l’URSS). Pour cela, il faut fournir aux autres pays les moyens d’acheter des produis américains en leur prêtant les fonds nécessaires. Ce sera le rôle, outre de crédits directement consentis par les États-Unis, de la nouvelle Banque internationale pour la reconstruction et le développement (dénomination officielle de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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) créée en décembre 1945. Le FMI, pour sa part, ayant pour mission la stabilisation des taux de change. Contrairement à ce qui est le cas pour l’ONU, les droits de vote à la Banque mondiale et au FMI ne sont pas également répartis mais assurent l’hégémonie américaine : en 1947, à eux seuls, les États-Unis ont 34,23 % des voix à la Banque mondiale ; aujourd’hui, leurs droits ont été réduits à 15,44 % ce qui leur donne encore une possibilité de veto (car la majorité nécessaire pour diverses décisions est de 85 %). Par ailleurs, il est convenu que le président de la Banque soit toujours un américain. A travers plusieurs exemples, Éric Toussaint montre comment les décisions de prêts de la Banque mondiale sont largement déterminées par le gouvernement américain qui utilise en fait la Banque pour soutenir ceux qu’ils considèrent comme étant de bons partenaires des USA (l’Indonésie, le Zaïre de Mobutu) ou pour punir les « mauvais » (cf. l’Égypte de Nasser ou le Chili de l’Unité populaire). Ceci bien que la charte de la Banque lui interdit de prendre en compte des considérations « non économiques ».

Au départ, l’action de la Banque (qui se finance en empruntant sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
ou auprès des banques) était essentiellement tournée vers la reconstruction de l’Europe ravagée par la guerre, centre des préoccupations américaines (les États-Unis lançant par ailleurs le plan Marshall Plan Marshall Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire d’État de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les États-Unis accordent, principalement sous forme de dons, à quinze pays européens et à la Turquie une aide de 12,5 milliards de dollars (ce qui représente une somme plus de dix fois supérieure en 2020). Le Plan Marshall visait à favoriser la reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la Seconde Guerre mondiale. ). C’est la révolution chinoise en 1949 qui amènera les États-Unis et donc la Banque à se préoccuper des pays « en développement » (PED). Les États-Unis accordent alors une aide massive sous forme de dons à deux pays considérés comme stratégiques : la Corée du sud et à Taïwan qui s’industrialisent, pour une large part grâce à une intervention massive de l’État.

Ce seront d’une certaine façon des exceptions : les prêts accordés par la Banque aux PED ont eu pour objectif fondamental le renforcement de leur capacité à exporter matières premières, combustibles et produits tropicaux. Par ailleurs, l’essentiel de l’argent prêté repart vers les pays industrialisés en achat de biens et services.

Le modèle économique que la Banque mondiale promeut auprès des « pays en développement » depuis les années 60 met l’accent sur la nécessité pour eux de recevoir des capitaux étrangers ce qui correspond à l’objectif essentiel de la Banque et des États-Unis : les confiner à un mode de développement conforme aux normes capitalistes. Et les enferme à la longue dans un « piège de l’endettement » très rentable pour les créanciers mais facteur d’instabilité pour le système financier international : les grands pays endettés passent par des crises financières (notamment le Mexique et l’Argentine) connaissent des ébranlements majeurs tandis que les annulations partielles de dettes consentis à certains des pays les plus pauvres n’apportent aucune solution durable.

Le début des années 2000 voit émerger une série des débats attisés par des mouvements populaires dans les pays en développement contre les « plans d’ajustement structurel » et leurs conséquences pour les couches populaires. Il en résulte un ravalement de façade du discours de la Banque qui insiste désormais sur la réduction de la pauvreté. Éric Toussaint insiste sur le fait que les principes ultralibéraux continuent en fait de gouverner la politique de la Banque. Plus récemment, tout en prétendant contribuer à la lutte contre le changement climatique, la Banque continue de subventionner des projets de développement d’énergies fossiles.

En conclusion, Éric Toussaint plaide, outre l’abolition des « dettes odieuses », pour une nouvelle architecture internationale, démocratique et favorable à un développement socialement juste et respectueux de la nature mais cela ne se fera pas sans que des luttes majeures mettent fin à l’ordre économique mondial actuel.


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