Série : 1944-2024, 80 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI, ça suffit !
20 novembre 2024 par Eric Toussaint

Photo, manifestation contre les politiques du FMI et de la Banque mondiale, Ben Schumin, Flickr, CC, https://www.flickr.com/photos/schuminweb/50279307806
La Banque mondiale et le FMI ont 80 ans. 80 ans de néocolonialisme financier et d’imposition de politique d’austérité au nom du remboursement de la dette. 80 ans ça suffit ! Les institutions de Bretton Woods doivent être abolies et remplacées par des institutions démocratiques au service d’une bifurcation écologique, féministe et antiraciste. À l’occasion de ces 80 ans, nous republions tous les mercredis une série d’articles revenant en détail sur l’histoire et les dégâts causés par ces deux institutions.
Cet article fait le bilan du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
Cliquez pour plus de détails.
en proposant de les abolir (de même que l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
). Il s’agit de les remplacer par de nouvelles institutions qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux, dans le cadre d’une nouvelle architecture internationale démocratique.
Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l’architecture internationale (missions, fonctionnement…). Prenons le cas de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale.
L’organisation qui remplacera la Banque mondiale devrait être largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), elle aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu’à condition d’être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.
Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer, en collaboration avec les autorités nationales et des fonds monétaires régionaux (qu’il faut créer), à la collecte de différentes taxes internationales.
La nouvelle OMC devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et d’environnement. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l’Organisation internationale du travail
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l’OMC, comme d’ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.
Toutes ces pistes requièrent l’élaboration d’une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d’une division des pouvoirs. La clef de voûte pourrait en être l’ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision – ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L’Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.
Une autre question qui n’a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d’un dispositif international de droit, d’un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la Cour pénale internationale. Avec l’offensive néolibérale qui a commencé au cours des années 1970-1980, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales comme l’OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l’Organe de règlement des différends au sein de l’OMC et le CIRDI
CIRDI
Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.
Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.
Cliquez pour plus d’infos
au sein de la Banque mondiale, dont le rôle a démesurément augmenté. La charte de l’ONU est régulièrement violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Nous avons souligné les limites du droit international et les violations systématiques de la Charte des Nations unies, notamment l’interdiction du recours à la force contenu en son article 2. Des nouveaux espaces de non-droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les États-Unis). Les États-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale (CPI). Israël coupable de perpétrer un génocide contre le peuple palestinien rejette également la compétence de la CPI [1]. Tout cela est extrêmement préoccupant et requiert d’urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit.
En attendant, il faut amener des institutions comme la Banque mondiale et le FMI à rendre des comptes à la justice devant des juridictions nationales, exiger l’annulation des dettes qu’elles réclament et agir pour empêcher l’application des politiques néfastes qu’elles recommandent ou imposent.
[1] Le Monde, « Israël conteste officiellement la compétence de la Cour pénale internationale sur Gaza », 24 septembre 2024, https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/25/israel-conteste-officiellement-la-competence-de-la-cour-penale-internationale-sur-gaza_6333430_3210.html consulté le 30/10/2024
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Retour sur les Rencontres d’automne
Pourquoi la désobéissance financière est une nécessité ?10 novembre, par Eric Toussaint , Solange Koné , Zoe Konstantopoulou , Jane-Léonie Bellay
10 novembre, par Eric Toussaint
5 novembre, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 6
La Nouvelle banque de développement et le Fonds monétaire des BRICS constituent-ils une alternative aux institutions de Bretton Woods ?28 octobre, par Eric Toussaint
18 octobre, par Eric Toussaint , Maxime Perriot
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 5)
Les BRICS et la dé-dollarisation7 octobre, par Eric Toussaint
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 4)
La Chine et le FMI avec le soutien des BRICS+ ont offert une bouée de sauvetage au gouvernement d’extrême droite de Javier Milei en Argentine23 septembre, par Eric Toussaint
Série : Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 3)
Les BRICS sont les nouveaux défenseurs du libre-échange, de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale17 septembre, par Eric Toussaint
Série Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 2)
La passivité ou la complicité des BRICS+ avec les guerres impérialistes9 septembre, par Eric Toussaint
18 août, par Eric Toussaint