4 mars 2015 par CADTM , CETIM
Salle du Conseil des Droits de l’Homme
Déclaration orale du CADTM [1] et du CETIM
Monsieur le Président,
Le phénomène des fonds vautours est intimement lié à l’endettement des États et concerne la plupart des pays. C’est pourquoi, le CETIM et le CADTM se réjouissent du mandat confié par le Conseil des droits de l’homme au Comité consultatif concernant l’impact des activités des fonds vautours sur les droits humains et apportent tout leur soutien aux travaux de votre Comité.
Tout d’abord, il convient de présenter brièvement ces « fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
». Également appelés « créanciers procéduriers », les « fonds vautours » sont des fonds d’investissement
Fonds d’investissement
Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise.
qui rachètent à des prix dérisoires des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
ou des dettes d’États, pour ensuite entamer une procédure judiciaire et les obliger à payer la valeur nominale (montant initial de la créance) de ces obligations ou de ces dettes au moment de leur émission ou de leur naissance, majorée des intérêts moratoires.
Les fonds vautours spéculent sur la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Le scénario de leur action
Action
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
d’États fortement endettés
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
est en général identique : ils rachètent à des très bas prix des dettes des États très fortement endettés, voire au bord de l’insolvabilité, en misant sur l’amélioration de la situation de ces États, en spéculant sur l’existence d’avoirs saisissables ou encore sur l’octroi à ces États d’aides ou autres sommes qui pourraient faire l’objet de saisies. Dès que les circonstances sont favorables, ils entament une procédure judiciaire devant le tribunal du pays le plus réceptif à leur thèse. Une fois la décision en justice obtenue, ils l’exécutent par des saisies en n’importe quel endroit du monde sur les avoirs de l’État considéré ou sur des créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
de cet État sur des tiers. Ces tiers sont alors contraints de payer au fonds vautour en question et non à l’État qui est leur créancier.
Il faut également noter que les fonds vautours sont souvent enregistrés dans des paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, tels que les Îles Vierges britanniques (Donegal international Ltd), les Îles Caïmans (Kensington international Ltd) ou encore l’État américain du Delaware (FG Hemisphere).
Un système basé sur l’exploitation et la domination des peuples
En réalité, les fonds vautours ne sont que la partie visible de ce qu’on appelle « système dette » : un système basé sur l’exploitation et la domination des peuples. En effet, il est notoire qu’une partie non négligeable de la dette externe de la plupart des pays du Sud est constituée des dettes odieuses, illégitimes, illégales et insoutenables (du point de vue du respect des droits humains), dues à l’héritage colonial, aux détournements de fonds, à la corruption, aux conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
imposées par les bailleurs de fonds internationaux, au financement de projets nuisibles pour les populations et leur environnement, voire pour certaines d’entre elles à des écritures totalement fictives.
Il faut préciser que lors qu’on parle de la dette, il s’agit aussi bien des dettes publiques et privées que des dettes bilatérales et multilatérales, sachant qu’elles peuvent changer de « catégorie » à travers « les rachats et les transferts de créances, les reprises de dettes et les cautions, les prêts arrivés à échéance remplacés par de nouveaux emprunts, les rééchelonnements et les remises partielles mais conditionnées, les détournements et les évasions, les pots de vins et les inscriptions fictives... » [2]
Le « système dette » implique l’utilisation de ressources publiques pour payer les créanciers ou spéculateurs tels que les fonds vautours, au détriment de la satisfaction de besoins et de droits fondamentaux de la population. Pour garantir ainsi le paiement de la dette, des programmes d’ajustement structurel sont imposés (à travers les Institutions financières internationales telles que le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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), quelles que soient les conditions économiques et sociales du pays concerné et les conséquences pour ses populations. Ces programmes aboutissent bien souvent à la suppression des services publics et aux privatisations de nombreux secteurs qui privent bien souvent les plus vulnérables de leurs droits fondamentaux. La dette sert ainsi de prétexte pour imposer aux peuples des mesures d’austérité injustes et souvent illégales. En revanche, le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
est soigneusement épargné alors qu’il constitue dans la majorité des pays la première dépense de l’État.
Monsieur le Président,
Nous n’allons pas nous attarder sur l’impact des programmes d’ajustement structurel sur les droits humains, étant donné que plusieurs rapports onusiens l’ont déjà bien établi [3]. Notre propos est plutôt d’attirer votre attention sur les liens étroits entre la dette extérieur et les programmes d’ajustement structurel et sur le fait qu’on ne peut pas traiter la question des fonds vautours sans s’attaquer à la racine du problème, à savoir aux mécanismes de l’endettement des États.
Le FMI et la Banque Mondiale attaquent les droits sociaux et la souveraineté des peuples
En effet, depuis plusieurs décennies, les institutions financières internationales (FMI, la Banque mondiale) et leurs relais régionaux imposent des politiques néo-libérales dans le monde entier. Dans les pays qui sont sous la tutelle directe de leurs créanciers, l’attaque contre les droits sociaux et la souveraineté des peuples se fait notamment à travers les conditionnalités attachées aux prêts et aux faux allègements de dettes. La Banque mondiale agit de concert avec le FMI dans les pays du Sud. Elle promeut également des programmes qui démantèlent la protection sociale (via le rapport « Doing Business ») et favorisent les accaparement de terres (via le « Benchmarking the Business of Agriculture »), ce qui provoque de nombreuses violations des droits humains, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels. Les fonds vautours accentuent ces violations puisque, profitant de la vulnérabilité des États endettés, ils ne cherchent qu’à siphonner les ressources publiques. Ainsi, les maigres ressources disponibles de l’État concerné sont accaparées en quelque sorte par ces spéculateurs.
Le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, un groupe informel réunissant les vingt plus riches États créanciers, qui se présente comme un intermédiaire pour la restructuration de la dette, se comporte également parfois comme les fonds vautours comme nous avons pu l’observer dans le cas de l’Argentine [4].
Face à ces violations massives de droits humains, le Comité consultatif devrait recommander aux États de prendre, à l’échelle nationale et internationale, les mesures suivantes :
Enfin, il serait notamment très utile que le Comité consultatif établisse un registre recensant les fonds vautours.
Toutes ces mesures se fondent à la fois sur le droit international et les rapports de l’ONU comme ceux de l’Expert des Nations-Unies sur la dette. Ces mesures sont d’autant plus urgentes qu’il y a aujourd’hui un risque important de nouvelle crise de la dette externe.
Comme nous l’avons déjà dit, les États doivent agir sur le problème de la dette publique en général. Aborder la question des fonds vautours nous oblige, en effet, à aborder la question de la dette publique. Cette dette est en grande partie illégitime concernant les pays du Sud mais aussi les pays du Nord.
Genève, le 25 février 2015
[1] Le CADTM a participé en 2009 à la brochure intitulée « un vautour peut en cacher d’autres » qui décrivait avec précision l’activité des fonds vautours et avançait des propositions pour les combattre, http://www.cncd.be/Unvautour-peut-en-cacher-un-autre
[2] Cf. Menons l’enquête sur la dette ! Manuel pour des audits de la dette du Tiers Monde, coédition CETIM et CADTM, octobre 2006, http://www.cetim.ch/fr/publications_ouvrages/138/menons-l-enquete-sur-la-dette-manuelpour-les-audits-de-la-dette-du-tiers-monde
[3] Voir en particulier E/CN.4/Sub.2/1995/10, daté du 4 juillet 1995, E/CN.4/Sub.2/1991/17, daté du 18 juillet 1991 et E/CN.4/1999/50, daté du 24 février 1999. Voir également Dette et droits humains, Melik Özden, éd. CETIM, 2007, http://www.cetim.ch/fr/publications_dette.php
[4] Dans le cas de l’Argentine par exemple, les États membres du Club de Paris sont parvenus le 29 mai 2014 à un accord avec l’Argentine prévoyant le remboursement de sa dette odieuse. L’accord de 2014 prévoit le paiement de 9,7 milliards de dollars dont 3,6 milliards correspondent à des intérêts punitifs sur les arriérés.
[5] En 2008, la Belgique s’est ainsi dotée d’une loi qui rend l’argent de la coopération au développement incessible et insaisissable. Le Royaume-Uni a pris une loi en 2010 qui plafonne les remboursements que peuvent exiger les fonds vautours devant les tribunaux anglais lorsque ces derniers attaquent en justice les pays classés PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) par la Banque mondiale.
[6] Le réseau CADTM et le CETIM viennent de publier un second manuel sur l’audit de la dette. Cet ouvrage retrace en détail les expériences d’audits citoyens et gouvernementaux menées un peu partout dans le monde. Rappelons à ce propos que l’Équateur a su reprendre la maîtrise de la question de son endettement en réalisant un audit intégral de la dette publique entre 2007 et 2008, débouchant sur la décision de l’Équateur de suspendre unilatéralement le paiement d’une partie de sa dette commerciale. En 2009, le gouvernement équatorien a ensuite imposé aux créanciers une réduction très importante de dette. Cette économie a permis au gouvernement d’investir davantage dans le secteur social. Il s’agit d’une expérience historique radicalement différente des restructurations de dettes, qui sont dans la grande majorité des cas dans l’intérêt des créanciers. Si ce livre a pour but de former les mouvements citoyens à la réalisation d’audits, nous estimons qu’il relève également du rôle de l’ONU de s’intéresser à ce genre d’expériences, voire d’appuyer financièrement et/ou logistiquement la mise en route d’audits de la dette, qu’ils soient citoyens, parlementaires, judiciaires ou gouvernementaux.
[7] Cf. §§ 67 à 70 des Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme, A/HRC/20/23, daté du 10 avril 2012.
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